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FORMATION, MONDE PROFESSIONNEL

Laurent Collet et Elise Le Moing-Maas

Journée formation 2017 de la SFSIC : des datas et des formations en information-communication

Article

Table des matières

Texte intégral

1La deuxième édition de la journée annuelle consacrée aux formations en sciences de l’information et de la communication, organisée par la commission formation de la SFSIC, s’est tenue en novembre 2017 à l’Université Paris-Sorbonne Nouvelle. Elle a été consacrée au phénomène des datas (Big, thick…) et de son appropriation par les communicateurs, d’une part, et les formations en information-communication, d’autre part.

2Ces datas (Big ou pas) participent des « transformations contemporaines qui affectent en profondeur les conceptions et pratiques de nos institutions, mais aussi nos façons de vivre, travailler, aimer, mourir… »1. Depuis quelques temps déjà, les communicateurs ou communicants s’intéressent à ces « phéromones numériques »2 comme les nomme Antoinette Rouvroy, chercheuse à l’université de Namur. Cette manne de données « disponibles » offre des possibilités immenses dont certaines sont aujourd’hui encore difficiles à imaginer, aux professionnels de la communication. Or, selon une étude menée par MarketsandMarkets3, si le marché des données représente en 2017 une valeur de 28 milliards de dollars dans le monde, il pourrait atteindre une valeur de 66,79 milliards de dollars en 2021, ce qui représenterait une croissance de 18,45 % par an.

3Les discussions de la journée nous ont amenés à réfléchir à comment, face à la concurrence des approches statistiques et informatiques, former nos étudiants aux datas, tout en restant dans le champ des Sic et des métiers de la communication ? Quelles compétences permettront de créer de la valeur ?

Les contributions

4La journée a été organisée en plusieurs temps : en matinée, des témoignages d’enseignants-chercheurs, responsables de formations, sur leur manière d’aborder les datas et le traitement de données dans leurs formations. Dans l’après-midi, des communicateurs/ communicants ont témoigné de l’utilisation des datas aussi bien pour de la veille, que pour des stratégies de gestion de marques, d’influence ou d’animation de réseaux socio-numériques.

5Nathalie Pinède, introduit ce dossier, avec un article faisant le point sur “Les enjeux de la médiation des données” dans les organisations. Après un retour sur l’origine de la notion de donnée, de data… autant de traces que laissent l’individu dans son sillage, l’auteur évoque la notion de “gouvernementalité Algorithmique” (A. Rouvroy et T. Berns, 2013), les dessous du web par opposition aux dessus du web, dimensions interprétatives et qualitatives des thick datas. Le contexte posé et les termes définis, l’intervenante, en s’appuyant sur l’exemple de la licence professionnelle MIND, questionne la notion de médiation pour appréhender les données.

6Les intervenants suivants, Patrick Cansell et Fanny Oursel se sont intéressés au “renouveau des méthodes, compétences et métiers de l’Intelligence Economique par le Big Data”. Leur introduction nous a permis d’entendre un rappel sur l’apparition du terme de Big data, qui émerge dans les années 90 et désigne selon Alexei Grinbaum4, physicien et philosophe au CEA, à la fois la production de données massives et le développement de technologies capables de les traiter afin d’en extraire des corrélations ou du sens. Ensuite, à partir de deux études empiriques auprès de professionnels de l’intelligence économique et des datas, ils questionnent les compétences en intelligence économique des data scientist, architect big data… et les compétences en analyse de données massives des professionnels de l’intelligence économique.

7Lucile Desmoulins et Camille Alloing ont, quant à eux, traité de la question des évolutions des formations aux métiers du marketing et de l’influence en lien avec la production, le traitement et l’analyse des datas. Selon ces chercheurs, les acteurs en charge de démarches d’IE sont des analystes, capables de diffuser l’information et de jouer un rôle d’aide à la décision. Définie comme un « ensemble de méthodes et d’actions légales de veille, de management des connaissances, de sécurité et d’influence qui sont orientées vers un double objectif de maîtrise et de protection [par les organisations] des informations jugées stratégiques » (Cansell, Desmoulins, 2014), l’IE suppose pour autant de maîtriser une large palette d’outils et de techniques de communication (Libaert, Moinet, 2012). À partir d’une analyse des curriculum vitae sur Linkedin d’anciens étudiants de deux parcours de Masters au confluent des métiers de l’intelligence économique et de la communication (UPEM, Poitiers), de discussions informelles avec des consultants qui interviennent dans ces deux Masters et qui réfléchissent à l’évolution de leur profession et d’une analyse approfondie de mémoires de Master 1 ou 2 d’étudiants apprentis ou stagiaires, la présentation a fait état d’une réflexion sur la nécessaire mais complexe évolution de la place des big datas dans les maquettes de formation et “l’alphabétisation” de nos étudiants en statistiques. Pour les auteurs, “même si nos étudiants ne peuvent pas être des datas scientist, ils pourraient être des datas analyst”.

8Joumana Boustany a présenté les résultats de son enquête sur le big data dans le monde de la recherche toutes disciplines confondues en France bien que l’enquête soit internationale. Cette enquête a été réalisée à partir de l’extraction de 9 000 courriels avec un retour d’environ 10 % soit 4 702 réponses. Elle s’interroge sur les sources des données de chercheurs, l’utilisation des données d’autres chercheurs, le partage de données entre chercheurs, leur stockage et leur sécurisation, et enfin sur les compétences des chercheurs pour collecter et traiter les données. En effet, aujourd’hui, les big data sont omniprésentes dans tous les domaines, le monde de la recherche ne fait pas exception. La plupart des organismes finançant la recherche exigent des plans de gestion des données, mais les chercheurs français sont-ils bien formés pour faire face à ces exigences ?

9Sandrine Roginsky et François Lambotte ont présenté le Social Média Lab (SML) de l’université Catholique de Louvain. Laboratoire sur les médias socio-numériques dans le monde professionnel, il fédère des chercheurs issus de plusieurs disciplines ayant un intérêt pour l’appropriation des médias socio-numériques et dont les recherches ont à la fois une portée théorique, pratique et technologique. Le SML a à cœur de développer les relations avec les professionnels et les acteurs de la société civile actifs sur les questions de médias socio-numériques tout en se positionnant comme laboratoire d’expertise en appropriations technologiques et de design d’interface unique en Belgique : l’analyse des interactions et des usages permet d’identifier les nouveaux besoins, les nouveaux outils et d’accompagner leur mise en pratique et leur utilisation par les usagers. Il a également pour ambition de développer des offres de formation qui répondent aux évolutions technologiques et professionnelles.

10L’après-midi, Assaël Adary et Camille Doucet sont intervenus chacun sur leurs pratiques professionnelles concernant les data et leur utilisation par les professionnels de la communication.

11Camille Doucet est digital strategy manager au parti MR (Mouvement Réformateur) en Belgique. Très vite après sa formation en relations publiques puis en relations internationales à Université Catholique de Louvain, elle s’est retrouvée à travailler pour les organismes politiques, gouvernementaux, internationaux. Elle a notamment analysé comment les gouvernements utilisaient les réseaux sociaux pour diffuser leur propagande. L’objectif était d’étudier les occurrences et les fluctuations dans la communication pour voir les changements de stratégies. Mais les formations qu’elle avait eues, ne lui suffisaient pas, ce qui l’a dirigée vers la formation à distance de l’Institut de technologie du Massachusetts, où elle a suivi les cours de Big data et social physics. Elle a également suivi un peu un cours de sciences de la donnée à l’université Johns-Hopkins, qui explique dès le début et jusqu’à la fin comment fonctionnent les algorithmes. Son intervention traite de l’utilisation des données dans le branding des hommes politiques et le positionnement de leur campagne et évoque également la question de l’éthique par rapport au traitement de données.

12Assaël Adary est président de l’agence « Occurrence », auteur de l’ouvrage « Big ou Bug Data ? Manuel à l’usage des data-déontologues ». Il dirige une agence d’études et non pas une agence de communication, dont le métier est de mesurer la performance, les retours sur investissement des actions de communication. Pour cet intervenant, le sujet de la compétence et de la formation continue, entres autres en matière de traitement des données, nettoyage, analyse, présentation, est très important. Il voit progresser les métiers de la communication sur le sujet du data, du comportement des internautes, des réseaux sociaux, et puis des objets connectés. Son intervention porte sur la transparence et le contrôle des données comme nécessité à la fois professionnelle et citoyenne.

13Caroline Olivier-Yaniv, conseillère scientifique pour l’information-communication auprès de la DGESIP, et Daniel Raichvarg, président de la SFSIC, ont conclu en donnant leur lecture de la journée.

14Un premier axe tourne autour de la constatation que les métiers auxquels nos formations en SIC préparent nos étudiants sont impactés par les big datas. En effet, celles-ci sont présentes aussi bien dans le marketing, que dans la communication politique, le journalisme, l’intelligence économique… que dans les métiers de la recherche. Lors de cette journée, ont été évoquées les formations en master mais qu’en est-il des licences et des licences professionnelles ? Des formations à la recherche ? Comment préparer les enseignements de Master à partir de la licence en considérant les mathématiques, la méthodologie documentaire, les statistiques ? La communauté doit également questionner la formation des enseignants aux méthodologies et aux outils nécessaires au traitement des datas.

15Le deuxième axe questionne le contenu des formations en sic et l’interdisciplinarité : Quels effets a la prise en compte des datas sur les contenus de nos formations ? Quelle articulation devons-nous, pouvons-nous, faire entre les compétences techniques et analytiques, sans oublier les aspects déontologiques éthiques, réglementaires, juridiques ? Cela pose la question du travail en interdisciplinarité et entre domaines scientifiques : Art Lettres Langues, Droit Économie Gestion, Sciences Humaines et Sociales, et Sciences Technologies Santé. Ce sont des enjeux de taille entre les SIC, les autres SHS et les sciences informatiques. Comment élaborer “Une chaîne de construction du sens efficace et fertile à partir des données si on n’a pas la compréhension de la boîte noire qui a permis de construire les données ?”

16Le troisième axe pose la question de la visibilité des formations en SIC par les professionnels des différents secteurs d’activité liés aux métiers de la communication. Il y a bien entendu des partenariats locaux de formation et de recherche avec des intervenants professionnels. Mais de manière plus large, quels référentiels de connaissances et de compétences sont à élaborer en lien avec les besoins des professionnels et les travaux des associations sur ce sujet de référentiels métiers ?

Conclusion

17Comme l’ont rappelé Patrick Canssel et Fanny Oursel, Viktor Mayer-Schonberger et Kenneth Cukier (2014), le traitement du Big Data va modifier notre société tant dans son organisation que dans sa compréhension. Selon ces auteurs, trois évolutions sont à attendre : le traitement d’un plus grand nombre de données et la fin du recours à l’échantillonnage, la diminution de l’exigence sur l’exactitude des données, la mise en lumière des corrélations et la fin l’obsession de la causalité. Certes, l’ensemble des participants a insisté sur la définition des données comme des éléments bruts qui nécessitent un traitement pour être transformé en information. Mais ce traitement demande des compétences en mathématique et en statistique qui ne sont pas forcément inhérentes à nos étudiants en SIC. Dès lors, comment et à quel niveau de détails pouvons-nous les former à analyser les données, leur sécurisation et leur confidentialité. Sur ce dernier point, les intervenants de l’après-midi ont insisté alors que la loi sur la protection des données (RGPD) devait en vigueur en mai 2018. Il en ressort donc une quatrième question : comment former à tout cela ?

18Des éléments de réponse, du moins nous l’espérons, se trouvent dans les textes qui suivent…

Bibliographie

Adary A., Big ou Bug Data? Manuel à l’usage des data-déontologues, Editions du Palio, 2017.

Cansell P., Desmoulins L., « Intelligence économique et sécurité de l’information : la fonte du secret et des frontières organisationnelles à l’ère du réchauffement numérique », Actes du XIXe congrès de la SFSIC 2014, Penser les techniques et les technologies. Apports des Sciences de l’Information et de la Communication et perspectives de recherches, 3-5 juin 2014, Université du Sud Toulon-Var.

Libaert T., Moinet N., « La communication, clé de voûte de l’intelligence économique », Communication et organisation, n° 42, 2012, p. 5-10.

Paquienséguy F., « Manifeste pour un positionnement des Sciences de l’Information Communication (SIC) vis-à-vis des Digital Studies (DS) et autres mutations du Numérique », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], n° 10, 2017, mis en ligne le 1er janvier 2017, consulté le 27 janvier 2018. URL: http://journals.openedition.org/rfsic/2630.

Mayer-Schönberger V., Cukier K., Big Data. La révolution des données est en marche, Paris, Robert Laffont, 2014 [trad. de Big Data. A Revolution That Will Transform How We Live, Work and Think, Londres, John Murray, 2013].

Rouvroy A., Berns T., « Gouvernementalité algorithmique et perspectives d’émancipation. Le disparate comme condition d’individuation par la relation ? », Réseaux, 1 (177), 2013, p. 163-196.

Webographie

http://binaire.blog.lemonde.fr/2016/01/22/le-sujet-de-droit-au-peril-de-la-gouvernementalite-algorithmique/, consulté le 27 janvier 2018.

http://www.cea.fr/multimedia/Documents/publications/clefs-cea/CLEFS64-BIGDATA.pdf, consulté le 27 janvier 2018.

https://www.lebigdata.fr/marche-big-data-atteindrait-67-milliards-de-dollars-2021, consulté le 27 janvier 2018.

Notes

1  « Dixit le Manifeste pour un positionnement des Sciences de l’Information Communication (SIC) vis-à-vis des Digital Studies (DS) et autres mutations du Numérique » publié par Françoise Paquienséguy dans le n° 10 de la Revue Française des Sciences de l’Information et de la Communication.

2  http://binaire.blog.lemonde.fr/2016/01/22le-sujet-de-droit-au-peril-de-la-gouvernementalite-algorithmique/

3  https://www.lebigdata.fr/marche-big-data-atteindrait-67-milliards-de-dollars-2021

4  http://www.cea.fr/multimedia/Documents/publications/clefs-cea/CLEFS64-BIGDATA.pdf

Pour citer ce document

Laurent Collet et Elise Le Moing-Maas, «Journée formation 2017 de la SFSIC : des datas et des formations en information-communication», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 15-Varia, FORMATION, MONDE PROFESSIONNEL,mis à jour le : 01/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=151.

Quelques mots à propos de : Laurent Collet

Université de Toulon, Laboratoire IMSIC (Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication), laurent.collet@univ-tln.fr

Quelques mots à propos de : Elise Le Moing-Maas

IHECS (Institut des Hautes Etudes des Communications Sociales), Bruxelles, ReSIC - Université Libre de Bruxelles (ULB), elise@maas.cc