Aller la navigation | Aller au contenu

HOMMAGES

Brigitte Chapelain

Hommages

Article

Texte intégral

1Beaucoup de disparitions ce premier semestre 2017 parmi les intellectuels et les créateurs français. Nous avons choisi d’évoquer la mémoire de certains d’entre eux dont les productions, les travaux et les activités intéressent notre discipline.

Tzvetan Todorov (1939-2017)

2Tzvetan Todorov, né en 1939, arrive à Paris en 1963 laissant derrière lui le communisme bulgare. Désigné comme un « humaniste insoumis »1 il est d’abord un théoricien de la littérature. Traducteur des formalistes russes il fréquente Jakobson et Barthes. Il fonde avec Gérard Genette la revue Poétiques en 1970.

3« Je suis allé vers le monde, vers le sens et un peu ver le Je ».2 Ses recherches vont évoluer, d’un intérêt pour la forme à des perspectives anthropologiques, puis à la morale politique et à la condition humaine. Du structuralisme il conservera la rigueur et la précision méthodologique qu’il transférera dans sa réflexion scientifique. Avec Critique de la critique en 1984, il montre que pour lui désormais la littérature est autre chose que le rapport à la forme « c’est le discours, tant pis pour ceux qui ont peur des grands mots, orientés vers la vérité et la morale ». L’humanisme, l’altérité, l’exil, la démocratie sont les concepts qui nourrissent à partir des années quatre-vingt-dix la réflexion de ces principaux ouvrages. Le progrès technique, la défense de la liberté individuelle et le populisme constituent des périls internes pour la démocratie : « Les combattre et les neutraliser est d’autant plus difficile qu’elles se réclament à leur tour de l’esprit démocratique et possèdent donc les apparences de la légitimité. »3. Il développe une analyse originale du siècle des lumières avançant que la philosophie de cette époque fait une confiance assez aveugle dans le progrès et dans la nature humaine. Ce regard critique l’amène à penser que l’être humain est un homme de compromis et que le progrès en particulier celui des technologies est plus à craindre qu’à espérer.

4« Ce qui l’intéressait n’était pas tant les idées en soi que les idées incarnées par des femmes ou des hommes à qui il avait décidé de rendre hommage » écrit Catherine Poitevin dans le livre d’entretiens qu’elle a eus avec lui4. La question de la résistance en particulier considérée comme un acte d’insoumission, qu’il s’agisse de personnages politiques, ou de grandes figures telles celle de Germaine Fillon, en est l’exemple5. Pour Todorov notre époque apporte également son lot d’idéologies contraignantes et dangereuses pour les artistes et son dernier ouvrage La Révolution des artistes6 qui paraîtra une semaine après son décès rappelle et analyse le rapport à la révolution d’octobre et les relations avec le parti communiste de certains artistes russes entre 1917 et 1941.

Jean Christophe Averty (1928-2017)

5Jean Christophe Averty confie à Bouillon de culture7 : « Je n’ai pas ouvert mon poste depuis dix ans, j’aime bien la poussière sur l’écran. De temps en temps je fais des dessins avec mon doigt. » Les propos de cet homme de radio et de télévision disparu en février 2017 illustrent la part d’humour, de provocation et d’innovation qui caractérisent son œuvre.

6Jean Christophe Averty rentre à la télévision française le 14 novembre 1952 après avoir fait l’IDHEC dont il ne garde pas de bons souvenirs. Grand lecteur, cinéphile averti, passionné de jazz, pianiste, amateur de bandes dessinées, il commence comme marionnettiste dans Martin Martine émission hebdomadaire pour la jeunesse de 1953 à 1957. À la télévision il se frottera à tous les genres, « réalisateur de tout pour ne pas devenir zinzin »8. Sa rencontre avec de techniciens « qui cuisinaient des trucages dans les régies »9 comme Jacques Chenard, Mr Charrier et Max Debrenne est décisive. Les Raisins verts en 1963 révolutionnent le genre variétés. Fortement influencé par le surréalisme et la pataphysique Jean Christophe Averty développe une nouvelle écriture télévisuelle basée sur l’incrustation et le trucage électronique : « Le trucage électronique est une manière de poétiser la télévision ».10 L’écran est la surface d’une nouvelle mise en page sur laquelle s’inscrivent des images différentes nourries par sa culture et ses goûts. « Pour moi, la télévision, c’est comme un journal : je suis chargé de la mise en pages – une mise en pages étalée, à plat, très graphique, très lisible tout de suite. Je dois présenter quelque chose d’immédiatement visible à l’œil, qui soit agressif ou captivant, mais du premier coup. »11 Il invente les bases de l’art vidéo, « Chaque chanson est un travail de laboratoire, me permet de roder, de peaufiner un trucage différent. La télévision a été créée pour s’exprimer par l’électron »12. Il réécrit la variété en inventant le clip, long13 ou court, qui modifie le montage. Traduire visuellement un disque donne une plastique nouvelle au titre14. Avec les adaptations d’Ubu roi en 1965 et Ubu enchaîné en 1971 il reprend son idée d’abstraction tentant de réduire les personnages à des signes ou des idées dans l’esprit du réalisateur Robert Bresson. JeanChristophe Averty ne perd jamais de vue le public, la télévision n’est pas un véhicule à théâtre ou à cinéma, elle doit secouer le téléspectateur chez lui. Il ne comprend pas l’évolution de la télévision et des pratiques spectatorielles. « C’est une machine célibataire, la télévision. Il faut la regarder seul. Faut pas la regarder en famille. Faut pas qu’il y ait d’enfants. Faut pas qu’il y ait d’appels téléphoniques […] Les gens qui regardent la télévision en mangeant, c’est quelque chose d’inimaginable. C’est comme si vous vous mouchiez dans les pages d’un livre que vous lisez ; c’est d’un irrespect… »15. La multiplication des chaînes et le zapping heurtent son idée du média.16

7Les rapports de Jean Christophe Averty avec la radio sont plus apaisés. France Inter et France musique programmeront alternativement pendant plus de trente ans Les Cinglés du music-hall, émission culte et « véritable entreprise de réhabilitation du patrimoine de la chanson française »17, dont le genre est également renouvelé par le ton, la célérité et la richesse documentaire.

Éliane Victor (1918-2017)

8C’est Hélène Lazareff qui incite Éliane Victor à écrire dans Elle et à rejoindre l’équipe de Cinq colonnes à la une l’émission phare de Pierre Lazareff, Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet et réalisée par Igor Barrère. Éliane Victor par la suite prend l’initiative de produire une émission destinée aux femmes de tous les milieux et traitant des questions liées à la condition féminine. Les Femmes aussi sera diffusée de 1964 à 1973. La seule référence était Le magazine féminin de Maïté Célerier de Sanois d’une ligne éditoriale plutôt traditionnelle. Des reportages, des entretiens et des débats vont permettre ainsi aux téléspectatrices de mieux connaître leurs réalités, leurs préoccupations et leurs besoins. Jamais militant, le ton des Femmes aussi reflète et encourage l’évolution de l’indépendance de la femme des années soixante et soixante-dix. Éliane Victor est un symbole à deux titres : une écriture de femme dans un nouveau genre de la programmation télévisuelle, et l’intégration des femmes au cœur des organisations de la presse écrite et de la télévision comme le montrent les responsabilités qu’elle assume jusqu’à un âge avancé.

Évelyne Sullerot (1924-2017)

9Évelyne Sullerot la résistante, l’enseignante, la co-fondatrice du planning familial, l’analyste de la presse féminine, de la condition féminine et de l’égalité homme-femme opère dans ses luttes et sa réflexion un tournant en soutenant le combat des pères désavantagés dans la garde des enfants dans l’association SOS Papa et en se montrant opposée à la PMA, GPA et aux dons d’ovocyte. Cette évolution personnelle interroge ces questions actuelles et brûlantes qui alimentent de grandes controverses sociétales.

Notes

1  Philippe Douroux, Libération , « Tzvetan Todorov humaniste insoumis », 7 Février 2017 [En ligne]

2  «  Hors Champ », Laure Adler, France culture, 1993. [En ligne]

3  Les ennemis intimes de la démocratie, Robert Laffont, 2012.

4  Devoirs et délices ,une vie de passeur, Le Seuil, 2012.

5  Insoumis, Robert Laffont, 2015.

6  La révolution des artistes. Le triomphe des artistes. Russie 1917-1941, Flammarion, 2017.

7  24 mai 1996

8  « Jean Christophe Averty à propos de son métier de réalisateur », Au delà de l’écran, 13 octobre 1963.

9  La boîte à malices, 30 septembre 1973.

10  La boîte à malices, 30 septembre 1973.

11  Sylvie Pierre, « Jean Christophe Averty, Méliès du petit écran », The Conversation, 5 mars 2017.

12  Bernard Merigaud, Télérama, 28/01/2017.

13  Histoire de Melody Nelson, Jane Birkin, Serge Gainsbourg.

14  Micros et caméras, 16 mars 1968.

15  Aude Dassonville, « Jean Christophe Averty, A voix nue », Télérama, 23/11/2015.

16  Bouillon de culture, 24 /05/1996.

17  Culture box, 5/03/2017.

Pour citer ce document

Brigitte Chapelain, «Hommages», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 14-Varia, HOMMAGES,mis à jour le : 05/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=199.