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DANS L'ACTUALITÉ

Francine Charest

Théories et pratiques des relations publiques dans l’écosystème numérique

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Texte intégral

1Les médias sociaux (MS) ont profondément transformé les Arts de faire1 des professionnels en relations publiques (RP) en ce début de XXIe siècle. À quelle logique de communication les professionnels doivent-ils adapter leurs pratiques dans cet univers en constante évolution ? Quelles stratégies déployer avec tous ces outils émergents des diverses plateformes Web 2.0 ? Quelle en est l’incidence sur l’e-réputation des organisations ? C’est ce à quoi a tenté de répondre l’Observatoire des médias sociaux en relations publiques (l’OMSRP) dans le cadre de ses travaux de recherche menés depuis sa création en 2010, dont elle fait état dans le présent texte.

Les repères théoriques de la pratique des relations publiques

2Conceptualiser une « théorie des pratiques » a toujours représenté un projet cher au père de l’approche de l’appropriation, Michel de Certeau (1990/1980). Bien qu’il n’ait pu le réaliser totalement, il en a au moins jeté les bases. Issu de la sociologie des usages, cette approche étudie les « manières de faire » ou comment les « gens ordinaires » utilisent les nouveaux objets qui leur sont prescrits. Elle s’intéresse particulièrement à l’écart qui se produit lors de l’utilisation de ces nouveaux objets entre les « usages effectifs » des utilisateurs et les « usages prescrits » des concepteurs, en positionnant l’usager au centre des préoccupations. Transposée dans l’univers des nouvelles technologies d’information, dont le Web collaboratif et les MS, l’approche de l’appropriation est un terreau fertile pour de nombreux chercheurs comme le démontre les nombreux travaux recensés dans Breton et Proulx (2012).

3En parallèle à ces travaux, apparaissent progressivement des modèles de communication en RP. Dès 1984, les Américains Grunig et Hunt établissent les fondements théoriques d’un modèle de communication représentant l’une des contributions les plus importantes dans le domaine, selon la communauté de chercheurs. Ce modèle précurseur de Grunig aborde deux dimensions incontournables de la profession, soit les « communications » et les « relations ». Il se décline en quatre types de pratiques : la promotion, l’information du public, la communication bidirectionnelle asymétrique et la communication bidirectionnelle symétrique ; cette dernière pratique est reconnue la Théorie de l’excellence, depuis 2002 (Grunig, Grunig, Dozier, 2002).

4Depuis le siècle dernier, l’évolution des différents modèles de RP appliqués par les professionnels a permis d’établir le constat suivant : la pratique des RP s’est graduellement développée à partir d’une logique unidirectionnelle pour faire place à un modèle de pratique bidirectionnelle telle que préconisée et pratiquée en communication interactive dans les MS. Les façons de faire interpellent davantage le développement de compétences assujetties aux normes et aux valeurs inhérentes qui prévalent dans la logique des MS, soit la fiabilité, la transparence, la participation, l’investissement et l’engagement à long terme, tel qu’établi par Ledingham et Bruning (1998). Au-delà de la technologie et des nouvelles façons de faire des communicateurs s’est donc amorcé un virage progressif vers de nouveaux paradigmes prenant de plus en plus en compte le point de vue des différents publics, favorisant ainsi de nouveaux modes de gestion des relations axées sur les valeurs des MS.

5En dépit de cette évolution, il serait naïf de croire qu’un véritable dialogue authentique entre toutes les parties prenantes est pratique courante dans toutes les organisations (Sauvé, 2010 ; Millette, 2012). Néanmoins, reconnaître les possibilités offertes par les MS et en saisir toutes les occasions d’échange afin de tenter de créer et de maintenir des relations de confiance entre les publics des organisations, demeure le rôle fondamental et l’objectif idéal à atteindre par les professionnels en RP (Maisonneuve, 2010 ; Charest, Lavigne et Moumouni, 2015).

Les processus d’intégration des médias sociaux

6L’émergence des médias sociaux et ses nombreuses possibilités de « faire autrement » a poussé divers auteurs et professionnels à proposer des démarches de communication avec ces nouveaux moyens de communication (Balagué et Fayon, 2012a et b ; Boussicaud et Dupin, 2013 ; Charest, Gauthier, 2012). De son côté, l’OMSRP a proposé une démarche stratégique d’intégration des MS en dix étapes pour les organisations soucieuses de développer de nouvelles pratiques de RP avec ces nouveaux outils comme suit : effectuer de la veille ; analyser les besoins ; identifier des objectifs, des clientèles ; choisir des plateformes et outils ; prévoir et créer des contenus pour chaque cible ; adopter des outils de gestion ; former et mobiliser des ressources ; engager la conversation (interagir) ; créer une communauté d’intérêts et enfin, évaluer, ajuster et établir une veille permanente (Charest, Gauthier et Grenon, 2013). Toutes ces étapes doivent être développées en collaboration, au besoin, avec des professionnels en RP extérieurs à l’organisation, puis intégrées et coordonnées à l’interne par l’organisation elle-même afin de créer des interactions constantes et de proximité avec ses publics dans la mesure du possible.

7À partir des travaux recensés dans la littérature par l’OMSRP, un trait commun se démarque. Exercer une veille préliminaire en continu sur les MS s’avère un exercice essentiel et recommandé par tous. Même si les organisations sont plus ou moins prêtes à intégrer les MS, effectuer la veille demeure une étape préalable et incontournable à tout processus d’intégration dans les MS, quel que soit le niveau d’intégration à atteindre, la taille ou le domaine d’activités de l’organisation.

8Outre les recommandations pour une appropriation et une intégration réussies dans les MS, d’autres éléments sont à considérer. Il importe d’éviter les écueils suivants : l’absence d’une planification stratégique adéquate, l’utilisation similaire de toutes les plateformes en dédoublant notamment les contenus, le recours au mauvais outil pour la clientèle spécifique à rejoindre, ou encore la création de contenus axés essentiellement sur sa propre organisation sans égard, partage ou collaboration avec d’autres. Une fois ces considérations prises en compte, il est recommandé d’adopter une stratégie fondée sur le paradigme des interactions, la prise en compte des usages prescrits et effectifs, l’adoption des valeurs associées aux MS et enfin, le respect de l’écosystème numérique de l’organisation (Charest, Bédard, 2013).

9Outre le questionnement de l’appropriation, de la planification et des processus d’intégration dans les MS, s’est rapidement imposé celui de la personne-ressource susceptible de gérer ces outils et de susciter les conversations avec les divers publics des organisations.

Les animateurs de communauté et les enjeux sur l’e-réputation

10Depuis l’explosion d’outils de partage sur les plateformes Web 2.0, les animateurs de communauté se sont révélés des plus pertinents pour gérer les diverses activités de communication émanant des MS (Stenger et Coutant, 2011). Gardiens de l’image des organisations, les professionnels des RP ont naturellement continué à assumer ce rôle dans l’écosystème du Web 2.0, en gérant les relations et l’e-réputation des organisations. Appelée « image numérique » d’un individu ou d’une organisation, l’e-réputation se définit comme « l’acte d’agir sur la perception […] et de la légitimer auprès d’un large public, ceci par la maîtrise des comportements individuels et collectifs des internautes dans la société de l’urgence à l’heure des réseaux sociaux » (Heiderich, 2009). Elle représente l’expression et l’évaluation des opinions d’internautes par le biais des outils Web (Domenget, 2015). Occasion pour certains, menace pour d’autres, l’e-réputation est à la fois polymorphe et polysémique (Alcantara, 2015). C’est la visibilité de ces opinions accumulées qui impactent l’image et l’e-réputation d’une organisation. Pour Merzeau, « l’e-réputation organise un système de valeurs, sur un axe qui va de la visibilité à la confiance. Notoriété, popularité, crédibilité, influence ou autorité, ce qu’elle mesure emprunte à des domaines relevant de cultures différentes, qui s’enchevêtrent » (Merzeau, 2015, p. 21). Compte tenu de l’importance de ce phénomène dans les MS, il importe d’en analyser les enjeux.

La gestion des relations et la communication bidirectionnelle symétrique

11Le recensement de travaux menés dans le domaine des RP a permis d’observer les diverses façons dont ces professionnels mènent leurs activités, notamment en situation sensible et de gestion du risque, voire en gestion de crise (Libaert, 2016 ; Heiderich et Maroun, 2014 ; Bloch, 2012). L’OMSRP s’est particulièrement intéressé au point de vue des animateurs de communauté pour procéder à ses observations et analyses.

12D’observations en analyse d’entretiens semi-dirigés menés auprès d’animateurs de communauté de différentes organisations publiques et privées, les résultats de travaux (Charest et Doucet (2014) ; Charest et Bouffard, 2015) montrent notamment l’importance accordée aux notions de « transparence » et de « fiabilité ». Les données recueillies démontrent la pertinence d’au moins deux des cinq indicateurs soulignés par Ledingham et Bruning (1998, 2003) dans la théorie de la gestion des relations ; les trois autres étant la participation, l’investissement et l’engagement à long terme. La plupart des animateurs ont aussi affirmé que bâtir une communauté solide est plus important que d’avoir une grande notoriété dans les MS. Ce qui démontre encore une fois une volonté de « connecter » avec les utilisateurs (Solis, 2011). On notera toutefois que certains animateurs provenant d’administrations publiques ne cherchent pas à établir ce type de relation et préfèrent utiliser les MS comme fil d’actualité, démarche plus adaptée à la mission de leur organisation.

13Par ailleurs, la pratique professionnelle des animateurs faisant preuve d’ouverture et d’honnêteté dans leur gestion des relations démontre aussi qu’ils tendent à appliquer le modèle bidirectionnel symétrique de Grunig et Hunt (1984) correspondant également aux valeurs inhérentes des MS. Les animateurs qui ont le mieux géré les situations sensibles sont ceux qui ont mis en place, au préalable, des mécanismes d’écoute et de recherche afin de développer un rapport d’égal à égal avec leurs publics (Bloch, 2012). Ce rapport d’égalité entre les deux parties communicantes est primordial dans une communication dite symétrique, et l’on suppose qu’en s’adaptant à l’internaute et en étant à l’affût des signes avant-coureurs d’une crise (Roux-Dufort, 2003), l’animateur de communauté peut remédier au rapport de force vécu avec l’internaute, voire l’influencer de façon favorable envers l’organisation et ainsi protéger des réputations.

La gestion des communications en situation sensible

14Par contre, les résultats de l’étude de Charest et Doucet (2014) démontrent aussi le peu d’efforts généralement faits au niveau de la recherche sur les communautés des organisations, ce qui devient rapidement problématique lorsque survient une situation sensible. Souvent, les animateurs de communauté naviguent à vue, ce qui est corroboré par le fait que la plupart des participants à l’étude n’avaient pas d’objectifs précis quant à leur utilisation des MS et encore moins en situation sensible, à l’inverse de ce que suggère la pratique des MS. N’ayant pas d’objectifs précis, plusieurs animateurs de communauté ont choisi de ne rien faire et d’ignorer des commentaires, en espérant que la situation sensible ne s’envenimerait pas. Cependant, ne rien faire envoie tout de même un message aux internautes et l’on peut s’interroger sur l’utilité à long terme de cette pratique (Stenger et Coutant, 2011). Selon le processus de gestion des commentaires mis au point par Charest, Gauthier et Grenon (2013), les commentaires négatifs devraient être utilisés comme point de départ pour engager la conversation avec l’internaute. En cas d’échec, l’animateur doit appliquer la NETiquette de son organisation si cette politique existe et si elle est affichée sur la page d’accueil des plateformes de l’organisation. Advenant le non-respect de cette entente, l’animateur peut, dans ces cas extrêmes, supprimer des commentaires injurieux ou blasphématoires desservant les deux parties communicantes.

15Dans les situations où la recherche concernant les profils et les besoins d’information et de communication de sa communauté est faite au préalable, elle permet aux animateurs d’identifier les leaders d’une situation sensible et ainsi, tenter de dialoguer avec eux. Ce sont généralement dans ces cas précis que la situation se règle rapidement et de façon satisfaisante pour les deux parties. Ce qui démontre notamment le pouvoir d’influence que les animateurs de communauté peuvent exercer sur leurs publics, voire l’influence que la gestion de leurs relations avec leurs publics peut exercer sur l’e-réputation d’une organisation (Proulx et Choon, 2011). Ces ouvrages récents, faisant référence aux leaders dans les MS a amené l’OMSRP à examiner cette dynamique dans l’écosystème numérique, et à tenter d’identifier les indicateurs qui caractérisent les leaders d’opinion et leur e-influence possible, à partir du point de vue des animateurs de communauté.

Les caractéristiques de l’e-influence dans les médias sociaux

16Selon Fayon et Alloing (2012) l’e-influence est une « partie intégrante de l’e-réputation et permet de gérer de manière offensive l’image de l’entreprise sur la Toile ». Dès lors, est soulignée la dimension proactive de la gestion de l’e-influence et de son incidence possible sur l’e-réputation des organisations. Pour Fillias et Villeneuve (2011), l’influence et la réputation vont de pair, car une réputation maîtrisée permet l’exercice de l’influence spontanée. Ces mécanismes s’appliquent également en ligne. De plus, tout internaute a la faculté de devenir créateur de contenu en échangeant des messages sur Internet. Cela pose le problème de la gestion de l’e-réputation, voire le fondement même de ce qu’est l’entreprise et de ce qu’elle veut devenir. Le thème de l’e-réputation s’inscrit ainsi dans « une forte part de communication puisque le monde actuel se construit autour des problématiques de communication, d’image et de réputation » (Boistel, 2013, en ligne 4e paragraphe).

17Compte tenu de l’importance de l’e-influence et de son incidence sur l’e-réputation des organisations, il s’avère intéressant de s’interroger sur les caractéristiques de cette e-influence.

Le leader d’opinion dans les médias sociaux

18Selon Heiderich et Maroun (2014), l’influenceur ou le leader d’opinion dans les MS est celui qui participe au contenu et aux conversations sur diverses plateformes en apportant une valeur ajoutée à un propos, service ou produit dont il se réclame avoir des compétences en la matière. Répondant à un besoin d’information et de communication d’une communauté intéressée, c’est ainsi qu’il exerce une influence dans un réseau. Depuis les travaux menés par Katz et Lazarsfeld (2008/1955), nous savions déjà que les leaders d’opinion jouissent de conditions socioéconomiques plus élevées que la moyenne, qu’ils voyagent beaucoup et qu’ils exercent une influence sur le processus décisionnel de leur réseau. Or, Heiderich et Maroun vont au-delà de cette définition en insistant sur la valeur ajoutée de ces leaders, issue de leur expertise. Ce qui élargit la notion de l’influenceur lorsqu’elle est adaptée aux MS.

19Charest et Bouffard (2015) ont aussi soulevé cette notion d’influenceurs et leur rôle dans les MS en identifiant cinq critères les caractérisant : la personnalité, un contenu substantiel, l’omniprésence sur diverses plateformes sociales, la création d’une communauté d’intérêts et la crédibilité. Ces caractéristiques se démarquaient à partir d’une recherche exploratoire qui faisait ressortir douze indicateurs de l’e-influence susceptibles d’exercer un effet sur l’e-réputation des organisations auprès de leurs publics. Or, le plus étonnant était cette dernière caractéristique qui s’était manifestée au dernier rang de l’étude, soit celle du nombre d’abonnés. Elle se révélait non significative si elle n’était pas jumelée avec une caractéristique qualitative telle que la personnalité du gestionnaire de communauté.

20Les résultats de cette dernière étude empirique ont également fait ressortir une faiblesse et parfois l’absence d’une planification stratégique en amont dans les MS. Ce qui a mené l’OMSRP à analyser plus en profondeur la question de la planification dans les MS, et ce, à partir cette fois du point de vue des gestionnaires des MS à des niveaux hiérarchiques supérieurs.

La planification stratégique dans les médias sociaux

21La revue de littérature récente et la recherche exploratoire menée par Charest, Bouffard et Zajmovic (2016) auprès de cadres supérieurs dans les organisations confirment une évolution de la pratique des gestionnaires dans les MS. Ils n’improvisent plus leur présence dans les MS comme c’était le cas lors de l’apparition de ces nouveaux médias dans le milieu des années 2000. Cette évolution se traduit notamment par une planification stratégique, et ce, en amont par l’ensemble des stratèges interrogés. L’établissement d’objectifs généraux de leur présence dans les MS est mieux défini même s’il reste des efforts à déployer du côté des objectifs particuliers. Les stratèges intègrent de mieux en mieux ces nouveaux outils en les adaptant à leurs différents publics tel que prescrit dans la littérature et la pratique observée.

L’ambidextrie organisationnelle

22Sous un angle théorique, le fait que les gestionnaires planifient de plus en plus en amont leurs activités dans les MS et qu’ils restent à l’écoute des « aléas de l’actualité » en intégrant ces pratiques au plan stratégique global, démontre une tendance ambidextre de la pratique (Bodwell et Chermack, 2010). Ce concept se caractérise par le mode de pensée building mode qui signifie qu’un groupe d’acteurs guidés par des buts prédéfinis participent à des efforts communs dans le but d’atteindre des objectifs. De l’autre côté, on retrouve le mode de pensée dwelling mode qui se caractérise par des acteurs ayant pour but de surmonter des obstacles immédiats. Cette façon de prévoir, de s’approprier et de reconfigurer des actions quotidiennes représente le cœur même de la « fabrication » d’une stratégie qui permet aux entreprises d’intégrer de nouvelles pratiques professionnelles de planification et facilitent ainsi l’adaptation aux changements organisationnels. L’intégration de ces deux modes de planification rejoint l’approche de Michel de Certeau (cité dans Chia et Rasches, 2011) qui insiste sur la nécessité d’intégrer ces deux façons de faire afin de favoriser une vision et une compréhension plus globale des stratégies.

La planification stratégique en trois niveaux

23Outre cette vision globale idéale à développer par les gestionnaires, Ertzcheid, Faverial et Guéguen (2010) proposent un modèle de planification stratégique applicable aux MS dans le but d’établir et d’atteindre les objectifs de communication des organisations. Issu de la pyramide de Maslow, qui intègre les besoins de confiance, d’attachement et de collaboration d’un individu, le modèle de planification proposé fait appel à trois niveaux hiérarchiques : 1) développer le capital de confiance de l’organisation en travaillant sur l’identité et la réputation de celle-ci ; 2) développer un sentiment d’attachement et de transparence afin de faire émerger des ambassadeurs de l’organisation qui deviendront des vecteurs de diffusion des idées de l’organisation ; et 3) agréger une communauté autour d’un projet commun selon la nature et les objectifs de l’organisation, par exemple, viser la cocréation de contenus. Toutefois, les auteurs nuancent leurs propos quant à l’atteinte de ces niveaux et surtout le troisième ; ils ne peuvent être adoptés par toutes les organisations dans les MS qu’à la condition d’y consacrer les ressources humaines, matérielles et financières appropriées.

24La revue de littérature récente, jumelée aux différentes études menées par l’équipe de l’OMSRP, démontre cette tendance de la part des gestionnaires à mieux planifier les processus d’intégration et leurs objectifs de présence dans les MS. On constate effectivement que les organisations élaborent des stratégies de veille et de contenu de mieux en mieux articulées et axées de plus en plus vers les publics. La pratique observée révèle aussi que certaines organisations collaborent de plus en plus entre elles et avec leurs publics en participant à des projets communs, notamment en stimulant des échanges, favorisant ainsi la visibilité de différents contenus sur les MS.

25En plus de cette pratique collaborative, une tendance innovatrice s’est démarquée dans les façons de faire des organisations, l’utilisation des influenceurs.

L’utilisation stratégique des influenceurs et le cycle d’engagement

26De récents travaux (Charest, Zajmovic, Bouffard, 2016) ont permis d’identifier une tendance des plus significatives dans l’évolution de la pratique des RP dans les MS, soit l’intégration des influenceurs au cœur même de la stratégie. On constate effectivement une volonté d’utiliser ces catalyseurs dans le but d’interagir avec les publics, et ce, afin de mieux adapter les contenus à leurs besoins. Ce qui favorise notamment la participation de la communauté sur les plateformes de l’organisation, des employés et des collaborateurs et les incite ainsi à participer aux projets communs des organisations, tel que recommandé par Ertzcheid et al., 2010.

27En outre, cette tendance à intégrer les influenceurs dans les stratégies de communication dans les MS, s’avère déjà fructueuse sur le plan de la communication bidirectionnelle avec les publics, révèle l’étude. Elle se traduit entre autres par le développement d’une relation plus étroite entre les internautes et l’organisation. Cette relation plus étroite développée dans les MS rejoint le modèle conceptuel du « Cycle de l’engagement », développpé par Peterson (2006). Le cycle regroupe les quatre composantes suivantes : l’implication, l’interaction, l’intimité (ou affinité) et l’influence. C’est l’enchaînement de ces actions qui représente le cycle complet de l’engagement des internautes sur les plateformes et que les organisations doivent tenter de développer pour susciter des conversations avec leurs publics. Peterson décrit l’activité continue du cycle ou des « 4 I » comme suit : l’implication des professionnels et des publics concernés mène à des interactions meilleures, en qualité et en quantité ; toutes ces interactions favorisent l’intimité (ou la proximité) entre l’organisation et ses publics, et développent ainsi des affinités entre eux ; une fois cette implication, interaction et proximité établies, c’est alors qu’ultimement, l’organisation peut tenter d’influencer sa communauté de façon favorable envers son organisation, un produit ou un service.

28À la lumière de stratégies récentes déployées par les organisations, force est de constater le raffinement des pratiques professionnelles des gestionnaires dans les MS en ce qui a trait à la planification stratégique, l’intégration des influenceurs dans leur stratégie et le renforcement des liens développés entre les organisations et leurs publics.

Conclusion et piste de réflexion

29Les travaux recensés dans la littérature de l’approche de l’appropriation issue de la sociologie des usages, et les études empiriques menées par l’OMSRP dont les analyses des entretiens effectués auprès d’animateurs de communauté et de gestionnaires des MS à des niveaux hiérarchiques supérieurs dans les organisations, témoignent des tendances observées.

30Les pratiques professionnelles dans les MS se planifient de plus en plus en amont des activités quotidiennes menées sur les différentes plateformes. Les outils et les plateformes se raffinent. Les contenus sont mieux adaptés aux besoins d’information et de communication des clientèles ; ce qui suscite un nombre croissant d’interactions et d’engagement entre les organisations et leurs publics.

31Quant à l’intégration des influenceurs dans les stratégies représentant la tendance la plus significative observée dans la pratique, elle s’avère une solution intéressante spécifique des RP qui vaudrait la peine d’être intégrée dans les pratiques professionnelles de façon éthique et professionnelle pour améliorer la communication et la visibilité des organisations. ; sans compter l’incidence que ces influenceurs exercent sur l’e-réputation des organisations étant, rappelons-le, l’un des enjeux majeurs à gérer par les professionnels en RP.

32Enfin, sur le plan théorique, bien que les travaux présentés portant sur les influenceurs aient émergé de notre étude, force est d’admettre que cette dimension est très peu documentée dans la littérature. Compte tenu de l’importance d’intégrer les influenceurs dans une stratégie globale dans les MS, des recherches plus approfondies portant sur ces vecteurs communicationnels mériteraient d’être faites afin d’étudier davantage cette dimension dans les pratiques, voire de poursuivre les travaux conceptuels nécessaires au développement d’une « théorie des pratiques ».

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Notes

1 Expression consacrée par Michel de Certeau en 1990 depuis la parution de L’invention du quotidien. 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 350 p.

Pour citer ce document

Francine Charest, «Théories et pratiques des relations publiques dans l’écosystème numérique», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 14-Varia, DANS L'ACTUALITÉ,mis à jour le : 05/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=213.

Quelques mots à propos de : Francine Charest

Département d’information et de communication, Université de Laval. Directrice OMSRP