CARTE BLANCHE AUX JEUNES CHERCHEURS
Les travaux des jeunes chercheurs en SIC à l’université des Antilles et de la Guyane
Table des matières
Texte intégral
Cet article est issu des réponses à un appel envoyé à tous les chercheurs en SIC de l’université des Antilles et de la Guyane en octobre 2013.
Des spécificités, caractères propres et idiosyncrasies et de leur lien avec la recherche en SIC
1Les caractères propres sont, dès qu’il s’agit des Antilles, et de la Guyane, un critère obligé dans tous les domaines. On parle en ce sens et sans cesse d’identités, de particularités, de spécificités. Il s’agit avant tout de territoires dont l’idiosyncrasie est déterminée par des facteurs géopolitiques (territoires insulaire ou isoles -la Guyane- français sur le continent américain à 7 000 km de l’hexagone), historiques (populations en majorités issues de la traite esclavagiste), linguistiques (micro territoires francophones et créole phones sur un continent qui, a l’exception du lointain Québec, parle espagnol, anglais ou brésilien), voire économiques (territoire ou l’euro a cours et dont le niveau de vie est beaucoup plus élevé que celui de leurs voisins, situes à quelques encablures). Au plan culturel et politique, cette idiosyncrasie explique l’importance des discours et problématiques identitaires, puisque l’histoire, l’insularité, la langue, l’économie, la démographie, en font des êtres uniques (mais existe-t-il autre chose que des êtres uniques ?). Les idiosyncrasies locales orientent une grande partie de directions de la recherche, que celle-ci porte sur la forêt Amazonienne, le récif corallien, le créole, l’agriculture tropicale ou les adaptations du droit communautaire dans les régions ultra périphériques. De manière logique, la recherche en sciences humaines et sociales s’attache donc souvent fondamentalement aux particularités plus qu’à la recherche de ressemblances ou d’universaux.
2L’université des Antilles et de la Guyane est une université multipolaire, qui compte environ 12 000 étudiants répartis sur des campus situés à une distance moyenne de 7 000 km de l’Hexagone, dans l’archipel de Guadeloupe (5 600 étudiants), l’île de la Martinique (4 600 étudiants) et sur le continent sur américain en Guyane française. Historiquement, les lettres et sciences humaines se sont développées d’abord en Martinique, ou l’UFR LSH est située. Les formations en SIC ont commencé au début des années 2000, sous la forme d’une Licence professionnelle, puis d’une licence et d’un master. Les premiers doctorats en SIC y ont été soutenus il y a 6 ans seulement.
3La discipline des SIC est donc très récente, notoirement sous-encadrée (3 enseignants chercheurs dont un seul HDR) et, pour des raisons de ressources et ressources humaines, elle limite ses formations à la Martinique. La recherche se réalise dans le cadre d’une UMR CNRS, le Centre de Recherches sur les Pouvoirs Locaux en Caraîbe (CRPLC, UMR 8305), qui réunit au départ des chercheurs en droit et sciences politiques.
4Cette UMR développe ainsi des recherches sur la dimension identitaire et les aspects historiques des Caraïbes, mais aussi, dans les disciplines anthropologiques, juridiques, économiques et politiques, sur les spécificités des territoires.
5Le développement des sciences de l’information et de la communication n’a pas totalement dérogé à cette particularité qui consiste a étudier les particularités territoriales. La perspective identitaire, omniprésente dans les discours et les médias fournit ainsi un premier objet de recherche. Mais la nature interdisciplinaire des SIC, si elle se nourrit de la problématique territoriale, explique sans doute pourquoi les SIC aux Antilles Guyane, ce n’est pas seulement la problématique communicationnelle appliquée aux territoires des Antilles Guyane et à leurs particularités.
Le tableau des recherches ouvertes par les jeunes chercheurs en témoigne de manière très claire.
6Les recherches menées en SIC prennent en compte cet axe fondamental, mais aussi d’autres directions comme le montre cet article.
Identités caribéennes et d’ailleurs
7Certaines des recherches menées portent sur des perspectives régionales.
8Ainsi la thèse de Salaura DIDON, soutenue en novembre 2013, étudie la pratique et le rôle des journalistes dans les Caraïbes, espace multi-linguistique et multiculturel, fragmenté en diverses entités politiques, qui présente une base historique commune1. Cette thèse de doctorat porte sur la contribution des journalistes caribéens au processus démocratique à travers le traitement des événements socio-politiques majeurs dans la presse nationale et régionale. Sont étudiés le Trinidad Guardian (1917), Trinidad Express (1967) durant les six jours de la tentative du coup d’état de juillet 1990 à Trinidad-et-Tobago et et France-Antilles Guadeloupe (1965) pendant les quarante-quatre jours du mouvement social de 2009 en Guadeloupe.
9Trinidad-et-Tobago est un État-nation indépendant, anciennement colonie britannique, la Guadeloupe est à la fois un département français d’Amérique (DFA) et une région ultrapériphérique (RUP) qui fait partie de l’Union européenne. Ce sont toutes les deux des îles des Petites Antilles.
10L’étude comparative vise à vérifier que les journalistes sont de véritables acteurs du processus démocratique quel que soit leur lieu géographique. On étudie donc la relation entre les journalistes et la démocratie du point de vue du principe de la liberté de la presse et dans les discours journalistiques produits au quotidien pour contribuer au processus démocratique particulièrement dans une situation de crise dans les Caraïbes. Les journalistes ont le devoir de fournir aux citoyens une information leur permettant « de dialoguer, de converser, d’exiger, de débattre sur ce qui les concerne » dans l’espace public. Le journaliste est considéré comme « l’instrument humain de la démocratie, à la fois le moteur et le carburant de la vie démocratique » et il « se doit à la fois d’apporter une information complète sur l’actualité, et de donner celle qui correspond aux besoins des citoyens. Principe qui peut avoir des effets pervers lorsque le journaliste, oubliant sa fonction veut assumer le rôle de représentant de l’opinion des citoyens face au pouvoir politique » . Les journalistes organisent et construisent leur perception de la société autour de l’information. Ils accèdent à la connaissance du réel par l’information qui est « un fait social qu’un ou plusieurs journalistes choisissent de mettre en évidence, en fonction de divers critères qui reflètent leur conception du journalisme. (...) Il est « construit » par les journalistes sur la base de données qui sont elles-mêmes, dépourvues d’intelligibilité (...) ». En science politique, l’information est un ensemble de faits et d’opinions portés à la connaissance d’un public. Le journaliste rend donc l’information intelligible par la mise en forme des données du réel. Thomas Ferenczi affirme que « le journalisme est l’un des moyens qui concourent à la connaissance de la société » .
11S’appuyant sur une étude de terrain qui a duré cinq mois et demi à Trinidad-et-Tobago et six mois en Guadeloupe pour consulter les archives des journaux et réaliser des entretiens semi-directifs avec les journalistes, le travail a consisté à analyser 30 articles de Trinidad Guardian (15) et Trinidad Express (15) sur le coup d’état à Trinidad-et-Tobago et 221 articles de France Antilles Guadeloupe sur le mouvement social de 2009 en Guadeloupe pour montrer comment les journalistes contribuent au processus démocratique. Des entretiens avec trois journalistes de Trinidad Express et quatre journalistes de France-Antilles Guadeloupe visent à éclairer leur pratique professionnelle et leur concept de liberté de presse. Le logiciel d’analyse de contenu CLIP (Compilation logique de l’information et de la partialité) basé sur la méthode Morin-Chartier de l’Université du Québec à Montréal a été utilisé pour effectuer l’analyse de la presse et celle d’entretiens semi-directifs avec les journalistes.
12Les journalistes trinidadiens ont condamné le coup d’état et se sont prononcés en faveur du respect des institutions démocratiques dans leurs articles. Dans les entretiens, ils mettent en évidence la mission relative à la contribution de la démocratie. Les propos recueillis dans les entretiens sont positifs, soit 7+ pour le poids-tendance. En période de conflit, la recherche et la protection de la liberté d’expression sont considérées presque comme de l’autodéfense et elle s’exprime plus fortement. En Guadeloupe, le mouvement social est traité négativement. Et dans les entretiens les journalistes ont relevé des problèmes liés à la liberté de la presse. Le discours émanant des entretiens est négatif, soit -17,3 pour le poids-tendance. Cela traduit toutes les difficultés rencontrées dans la pratique quotidienne et une frustration dans l’exercice du métier. Cette thèse devrait trouver un prolongement dans des recherches futures visant à recenser les journalistes et les médias caribéens, à établir leur profil socio-démographique, à aborder l’état de la liberté de la presse dans les Caraïbes. Aucune étude ne renseigne sur la sociologie et le droit du journalisme dans les Caraïbes. La thèse a amené à publier deux articles : un sur l’histoire et l’évolution de la presse quotidienne régionale France Antilles Guadeloupe entre 1965 et 2013 ; l’autre sur l’ascension politique des Indo-Trinidadiens dans les élections législatives de 1995 dans Trinidad Express et Trinidad Newsday.
13Jessy PATRICE, Doctorante en Information et communication, travaille de son côté sur les Identités et les pratiques culturelles autour de la migration et elle étudie le cas des martiniquais installés en France hexagonale depuis plus d’une décennie.
14Durant l’esclavage, un nombre important de Noirs s’est concentré à Bordeaux. C’étaient notamment des domestiques accompagnant les colons. La plupart avait été envoyée en vue d’être formés aux professions de cuisinier, perruquier ou encore tonnelier. Après les lois sur la départementalisation des Antilles, l’aviation émerge dans les années 1950. Néanmoins, la traversée en bateau et le trajet en avion restaient concurrents.
15Le voyage reliant les Antilles à la métropole était très couteux pour les plus pauvres. À cet effet, un organisme d’état, le BUMIDOM (Bureau pour le développement des migrations intéressant les départements d’outre-mer)créé le 26 avril 1963, est entré en scène pour aider ces voyageurs. À cette époque, la capitale métropolitaine manquait de main-d’œuvre, ce qui attirait la population antillaise. En 1981, le BUMIDOM disparaît, mais les chiffres révèlent que durant son existence, la population venue des Antilles a quintuplé et ce seul organisme aura fait venir ou maintenu en métropole près de 84 000 Antillais. Selon Alain Anselin (La troisième île), à la disparition du BUMIDOM, un antillais sur trois vivait en France.
16L’objectif de la thèse est de comprendre comment fonctionne l’intégration à travers l’étude de l’identité. Il s’agira, pour ce faire, de partir à la rencontre de migrants martiniquais installés en France hexagonales, depuis plus de dix ans, avec leurs spécificités sociales et culturelles, pour comprendre comment cette population maintient, construit ou reconstruit à travers les différents outils de communication son identité, compte tenu des différentes cultures qu’elle côtoie sur ce territoire situé à plus de 8 000 km de l’île natale.
17Elle vise à analyser le processus identitaire qui transforme les valeurs, les comportements ou encore les attitudes de ces acteurs, ainsi que les pratiques culturelles adoptées ou maintenues dans l’espace métropolitain.
18Il s’agit donc de travailler à partir des concepts de migrants, de communauté et d’identité, de manière à observer une culture et des pratiques culturelles.
19Si on entend par migrants les individus résidant en France et nés hors de ce territoire, en sociologie, le sens premier de l’immigration est l’ « entrée dans un pays de personnes non autochtones venant chercher un emploi ». Au départ, le migrant tendait à être défini à travers « une série de ruptures et d’oppositions inhérentes à son destin comme un principe organisateur de toute une réflexion théorique sur les populations en mouvement. »
20Le terme de communauté quant à lui, renvoie à Tonnies qui, dans Communauté et société, a proposé d’analyser les formes d’appartenance aux groupes en distinguant la société traditionnelle de la société modern et oppose la Gemeinschaft (la communauté) à la Gesellschaft (la société).
21L’identité est un construit social dans lequel les représentations jouent un rôle important. Selon Bruno Ollivier, dans l’acception qui nous intéresse, elle : « Crée, que ce soit dans une famille, une entreprise, une organisation, un groupe social restreint ou une population plus large, un sentiment d’appartenance. » C’est alors ce que des individus ont en commun et qui les diffère des autres. D’autre part, l’identité personnelle est le fruit de la socialisation permettant la constitution du « soi » (self). En effet, dans le domaine de la psychologie, l’identité prend forme premièrement, lorsqu’un enfant comprend qu’il est distinct de sa mère et ensuite des autres.
22En revanche, les processus d’identité ne fonctionnent pas qu’individuellement, ils impliquent des processus de communication. Bruno Ollivier, dans Identité et identification, affirme que les phénomènes identitaires impliquent non seulement la création, mais également le partage et la transmission des significations partagées. Ce travail convoque donc également la théorie de trivialité culturelle. Pour Yves Jeanneret, il y a trois façons d’aborder la circulation des idées : la propagation, la mise en évidence de l’aspect matériel de la culture et la sémiotique.
23Dans le domaine des sciences humaines et sociales, la culture est l’un des concepts les plus employés et possède un caractère polysémique. Elle peut être définie comme l’ensemble des représentations et pratiques d’un groupe social déterminé. Ainsi, toute culture évolue dans le temps, mais également dans l’espace. L’anthropologie culturelle dont le fondateur est Frantz BOAS s’est focalisée sur les conséquences des migrations liées à leur nouvel environnement en comparant les premières et secondes générations de migrants aux populations d’origine. L’intégration culturelle, le processus par lequel les individus participent à la vie commune du pays d’accueil, est un autre concept clé pour étudier ces migrants.
24Le concept de la « représentation de soi » de Goffman servira pour observer l’usage et l’appropriation des espaces de socialisation virtuelle comme Facebook. Cette représentation de soi des usagers débouchera sur l’analyse de cette identité virtuelle que chacun défend et expose pour promouvoir sa propre image. Enfin les identités seront abordées du pont de vue du genre .
25Partant de ce cadre théorique, quelles sont les transformations subies par l’identité culturelle de la population native de la Martinique, installée en région parisienne, depuis plus d’une décennie. Cette culture identitaire domine-t-elle sur l’identité nationale ? Peut-on parler d’une identité collective regroupant les acteurs sur lesquels repose cette thèse au travers de leur type de logement, leurs goûts culinaires, musicaux ou encore de leur style vestimentaire ? Comment et à travers quoi ces acteurs communiquent-ils cette identité ? L’identité de ces Domiens immigrés serait-elle une affaire de genre ?
26Elle vise à vérifier quatre hypothèses de départ :
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Les acteurs s’approprient davantage l’identité nationale que leur identité régionale.
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La femme martiniquaise, en situation de célibat, maintient les traditions de sa culture d’origine.
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Les pratiques culturelles des acteurs étudiés sont liées à l’âge, au sexe, au niveau d’instruction et au milieu socio-professionnel.
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Les TIC favorisent le maintien voir la reconstruction des liens familiaux avec les proches vivant aux Antilles.
27Cette recherche se fait à travers une immersion. Des conversations ethnographiques complèteront les observations, ainsi qu’une vingtaine de récits de vie, menés en veillant à disposer d’une part égale entre hommes et femmes interrogés. D’autre part, des questionnaires seront mis en ligne afin de recueillir quelques données statistiques autour de la thématique.
28L’observation participante (dans le cadre de vie des sujets) sera la méthode utilisée afin de relever les pratiques culturelles des acteurs, mais également d’analyser leur comportement à partir duquel une partie de leur propre identité se manifestera. Une étude de l’appropriation de l’espace sera également menée (dans l’espace de l’habitat).
29Pour terminer, on convoquera une approche communicationnelle, en analysant un corpus constitué de discours recueillis, mais également de profils Facebook (commentaires, photos, partage de contenu) qui feront l’objet d’une analyse sémiotique, thématique et lexicale, relevant les significations et les indicateurs formels.
30L’identité envisagées du point de vue des SIC est aussi l’axe central de la thèse préparée par Fabienne BOSC.
31Celle-ci porte sur la question de la représentation « cinématographique » endogène des peuples autochtones et vise à mieux cerner ce qui s’affirme comme un mouvement de renaissance culturelle autochtone à travers l’une de ses composantes, la production et la diffusion de films. Le choix a été fait de limiter l’aire géographique du corpus étudié à deux pays d’Amérique du Nord, les États-Unis et le Canada, en incluant tant les films de fiction que les documentaires. Cependant l’affirmation d’une production audiovisuelle autochtone concerne aussi des pays tels que la Nouvelle –Zélande, l’Australie, la Finlande, le Brésil, la Russie ou le Chili… Depuis les années 70, des Autochtones amérindiens, (Alanis OBOMSAWIN, Abénaqui, Québec, Canada) ou Victor Masayesva (Hopi, Arizona, Etats-Unis) pour citer deux réalisateurs parmi les plus connus), se sont saisis de la caméra pour filmer leurs communautés. Après une première vague essentiellement centrée sur les documentaires, on assiste peu à peu à l’apparition de fictions en courts et même longs métrages. D’autres réalisateurs ont suivi (Chris Eyre, Kevin Papatie…), des festivals leur sont réservés (ImagineNative, Red Nation Film Festival…) et divers programmes sont développés sur les réserves ou auprès des communautés pour sensibiliser ou encourager la création audiovisuelle avec plus ou moins de succès et de pérennité (Challenge for Change, Wapikoni et Reel to Real mobile au Canada ; Native Lens, Outta your Backpack, In Progress aux Etats-Unis). Cet essor de la production cinématographique amérindienne est accompagné par l’émergence de maisons de production autochtones indépendantes et la création de chaines ou réseaux de diffusion réservés (APTN, Isuma TV, FNX First Nation Experience TV). Les pratiques artistiques telles qu’elles sont aujourd’hui développées s’adressent à un double public. D’une part, il existe un certain nombre de productions destinées à la population communautaire dans un esprit de préservation voire de transmission de la culture ; elles sont aussi le support de messages d’éducation. D’autre part, un nombre non négligeable de productions visent un public extérieur et s’affirment comme une modalité d’expression identitaire. En offrant au monde des films documentaires ou de fiction écrits et réalisés par eux-mêmes, les peuples autochtones racontent l’Histoire de leur point de vue, du point de vue de « ceux qui étaient sur le rivage » comme le dit de manière imagée Barry Barclay. Ils prennent le contrôle de leur propre image et redéfinissent leur identité culturelle brimée et étouffée, s’appropriant cette fois par un choix volontaire certaines données et technologies de la culture occidentale. Les recherches réalisées portent principalement sur les contextes d’émergence des médias autochtones, les réseaux de production et les stratégies de diffusion. Ce cinéma est étudié dans sa fonction sociale et politique, dans son rapport aux autres formes de production - dont le film ethnographique – et à l’espace public, médiatique ou pas, dans lequel il nait et circule. Plus rarement sont évoquées l’esthétique et les thématiques développées dans ces productions. La déclaration en 2002 de Barry Barclay, réalisateur métis maori décédé en 2008, sur la nécessité de créer une catégorie regroupant le « Indigenous Cinema » est arrivée dans ce contexte fécond de productions aborigènes, amérindiennes ou maories et de premières réflexions critiques sur le sujet. Au premier abord, cette catégorie, qu’il a alors nommé « Fourth Cinema », semble refléter une approche géopolitique, une stratégie d’existence - par le biais de la différenciation - au sein de l’arène médiatique. C’est le Manifeste des réalisateurs argentins, Solanas et Getino, « Vers un troisième cinéma » diffusé en 1971 qui est à la source de cette terminologie. En se raccrochant à cette typologie, Barry Barclay vise à distinguer les films qu’elle rassemble de ceux de l’industrie cinématographique hollywoodiennes ou 1er cinéma, de ceux des films d’auteurs et films d’art et d’essais qui cherchent à s’éloigner des conventions commerciales hollywoodiennes (2ième cinéma) et enfin de la catégorie parfois dénommée 3ième cinéma, qui réunirait les créations de quasi militantisme politique à visée clairement anticolonialiste et anticapitaliste issues principalement des anciens pays colonisés d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie. Barry Barclay précise que pour entrer dans la catégorie du « Fourth Cinema » il ne suffit pas d’être un réalisateur autochtone, car il est toujours possible de proposer des créations qui appartiendraient à l’une ou l’autre des trois autres catégories. Il n’en donne pas pour autant clairement les conditions. Ce “Fourth cinema” « seek to re-work the ancient core values to shape a growing Indigenous cinema outside the national orthodoxy ». On voit émerger la volonté de s’extraire des conventions communément acceptées par les instances officielles et les audiences nationales pour puiser au cœur de la culture autochtone ce qui façonnera ses films. Peut-on constituer un « espace de communication » cohérent avec ses contraintes spécifiques, rassemblant les productions du « cinéma autochtone » ? Selon Barry Barclay, ces films du « Fourth cinema » seraient définis non par leur « exteriority », ensemble de caractéristiques telles que le sujet, le décor, les acteurs, le rapport à la terre et même la langue mais bien plus par leur « interiority », termes qu’il emprunte au Professeur d’histoire de l’Art, Rangihiroa Panoho. C’est ce qui mène à se demander si l’on peut, du point des Sciences de l’Information et de la Communication, parler d’une catégorie « cinéma autochtone ». Cette proposition de Barry Barclay, essentiellement reprise jusqu’à présent par des anthropologues (Faye Ginsburg, 2013 ; William Lempert, 2012) ou des professeurs de Lettres et d’Art (Steven Leuthold,1998 ; Joanna Hearne, 2012) représente un point de départ. La comparaison des deux films, Danse avec les loups et Skins, a permis précédemment de mettre en évidence un champ de différenciation qui porte sur des processus de production de sens souvent transparents aux yeux du spectateur. En énonçant cette condition d’« Interiority », il semble que Barry Barclay ouvre la porte à une définition du « Indigenous cinema » qui intégrerait des critères tels que les processus de production de sens. Y-aurait-il une « manière autochtone » de filmer, de raconter ou transcrire une histoire à l’écran ? Est-il possible d’en repérer les (des) caractéristiques sémiopragmatiques ? Certains auteurs défendent l’idée d’une « Visual Sovereignity » (Dowell, 2006 ; Raheja, 2007) définie comme la manière dont les Autochtones utilisent les productions cinématographiques pour contrecarrer la circulation des stéréotypes et dans le même temps proposer une re-définition de leur identité. Comment cette « visual sovereignity » se traduit-elle dans le film ?
32La recherche menée pose qu’en s’intéressant aux modes de production de sens (Odin, 2000 et 2011) qui apparaissent dans ces films autochtones, il est possible de faire émerger des pistes de réponse. Il s’agit donc, dans un premier temps, de vérifier si ce que Barry Barclay a nommé « Interiority » ou « essence » subtile pourrait se traduire dans une (ou des) combinatoires spécifiques de processus de production de sens. Cette « Interiority » est-elle une émergence des interactions entre certains processus de production de sens ou certains facteurs extérieurs ? Certains auteurs citent parmi les facteurs extérieurs l’attitude du spectateur et même les relations entre les équipes de tournage et les divers participants, les sources de financement… Le cadre théorique est donc celui de l’approche sémiopragmatique et en particulier du champ ouvert en son sein par Roger Odin, sans choisir entre approche immanentiste et approche pragmatique ; entre, d’une part, une production de sens inscrite dans le texte et qui serait ainsi placée hors d’atteinte de tout contexte et, d’autre part, une co-production continue du sens qui ne résulterait que d’un va-et-vient entre les actants émetteur, récepteur, contexte. Dans cette approche, la production comme la réception sont présentes. Il n’y a donc pas de détermination rigide entre une représentation et son référent. Il s’agit de dégager les indices qui orientent le travail d’inférence interprétative du spectateur, ce que Roger Odin a appelé les contraintes (parmi lesquelles les processus de production de sens adoptés). Une combinatoire particulière de ces contraintes donne un mode de production de sens. En choisissant le modèle sémiopragmatique développé par Roger Odin on vise, entre autres, à son application à notre sujet de la notion d’espace de communication défini par son propre « faisceau de contraintes » permettant de circonscrire l’interprétation autour d’un « axe de pertinence ». D’autre part, la recherche est amenée à évoquer les frontières entre les genres de la fiction, du documentaire et du film ethnographique, frontières remises en cause par les productions médiatiques autochtones, selon Faye Ginsburg. IL est prévu d’analyser un certain nombre de productions à partir de deux approches, d’abord une synthèse des travaux existants (ce qui permet de structurer les premiers axes de l’analyse), puis une analyse comparative des productions cinématographiques.
De l’impensé médiéval, un pont entre sémiotique, histoire et communication des entreprises et des institutions
33D’autres champs, non liés directement aux problématiques locales, sont aussi travaillés à l’Université des Antilles et de la Guyane comme celui de la communication des organisations et des entreprises, questionnés depuis la sémiotique.
34Le sujet de cette recherche théorique, résolument interdisciplinaire et exploratoire, est la rencontre entre ce que Martine BOCQUET - qui a soutenu sa thèse en 2013 - nomme la médiévalité et la sémiotique de la communication des entreprises et des institutions publiques. Partie de l’idée que les champs d’étude liant approche historique et phénomènes communicationnels offrent des potentialités, car les processus communicationnels sont des processus de mémoire, cette thèse s’est attachée à expliciter les résurgences de la médiévalité dans la communication des entreprises et des institutions publiques, pour dire que celle-ci est traversée par des pratiques, des conduites, des concepts qui ont parcouru les siècles, dans la perspective d’un long Moyen Âge.
35Dans sa théorie de l’espace public, Jürgen Habermas avait dénoncé une possible reféodalisation de la société. Selon lui, cette reféodalisation gagnait la sphère publique, empruntant à l’époque médiévale les éléments d’une société de la représentation. Dans le sens habermassien, le concept de société de la représentation est entendu comme celui désignant une société où l’apparence, le paraître, la réputation, l’image..., jouent un rôle primordial.
36Le Moyen Âge se vend bien. Il se décline dans la littérature, les films, les jeux... Pourtant le médiéviste Joseph Morsel (2007) souligne que c’est moins le Moyen Âge qui plaît, qu’une certaine ambiance conçue comme typiquement médiévale : le poids des muscles, le choc des épées, les sortilèges, le merveilleux... Il constate que, dès qu’il s’agit d’imaginer un monde totalement différent du nôtre, ce sont des signes prétendument médiévaux qui sont le plus souvent mobilisés. La communication des entreprises et des institutions publiques n’a pas échappé, elle aussi, à cette mode.
37Les travaux de Gérard Chandès (2007) ont porté sur un champ d’investigation culturel large, depuis l’expert jusqu’au grand public et à tous les sous-produits socioculturels. Mais alors même que les phénomènes culturels qu’il a décrits en général continuaient, s’amplifiaient, ces manifestations, tout au moins dans la communication des entreprises et des institutions publiques, justement s’éclipsaient, comme si la mode était en quelque sorte passée. Cette coexistence de continuation, dans certains domaines, et d’absence visible, dans d’autres, a conduit à rechercher des indices plus subtils.
38En sorte que l’hypothèse de résurgences est posée, laissant une large place aux approches sociopolitique (Bruno Ollivier, 2000) et sociosémiotique (Andrea Semprini, 2007).
39A l’exception d’éléments exposés dans la thèse, les systèmes de communication médiévaux sont cependant encore mal connus et très complexes. D’où le choix de privilégier l’analyse de la structure, ainsi que les processus qui la façonnent, par rapport aux comparaisons entre les modes de communication actuels et ceux du Moyen Âge, ce qui ne retire pas à leur intérêt. Evidemment, tout ne vient pas du Moyen Âge, mais cela a transité par cette époque qui lui a laissé son empreinte.
40Cette recherche se situe dans une forme de continuité et de complémentarité des travaux de Gérard Chandès (2007), mais aussi de Nicole d’Almeida (2001, 2005, 2007), David Douyère (2009, 2010), Stéphane Dufour (2011), objectifs préconisés par Yves Jeanneret (2007) et Dominique Wolton (1997, 2004). Dans le même temps, elle se base sur les travaux de médiévistes faisant autorité tels que Jacques Le Goff, Jérôme Baschet, etc… Ce dernier relève que c’est de ce côté de l’Atlantique qu’il avait su le mieux appréhender ce qu’avait pu être la période médiévale. Vision lointaine, mais pas autant que cela, puisque c’est au Mexique qu’il a trouvé des traces culturelles médiévales encore vivantes, bien que datant de la conquête du Nouveau Monde. « […] les effets d’une société encore majoritairement rurale, dont les valeurs sont imprégnées, selon des modalités diverses, par la revendication de la tradition et l’attachement à la terre. ». Il fut aussi frappé par un christianisme prégnant, et par « un temps lent et flexible, en partie insensible à la tyrannie de la mesure horaire et de ses contraintes pressées. […] un court-circuit des temps […]. »2.
41L’entrée par le Moyen Âge est quadruple : épistémologie, étude des processus d’ordre politique, économique et culturel structurant le terrain, manifestations de la médiévalité dans la communication des entreprises et des institutions publiques, sémiotique médiévale et manifestations de la médiévalité dans la sémiotique contemporaine de cette même communication.
42La première partie s’attache à une relation au Moyen Âge d’ordre épistémologique : le débat entre positivisme et constructivisme trouve ses racines dans la scholastique médiévale, à travers la querelle des universaux et le nominalisme. Ces questions épistémiques essentielles ont encore des répercussions aujourd’hui. Puis, partant d’un positionnement compréhensif - car rien n’est sûr sur au Moyen Âge, les matériaux sont épars et présentent beaucoup de lacunes -, et de la théorie des processus de communication (Alex Mucchielli, 2001), la sociosémiotique est abordée par l’utilisation des approches heuristiques, mais aussi des approches fractales. Les approches historiques diachroniques, intégrées dans les approches fractales, sont mobilisées dans le cadre d’une méthode de l’hypertexte réduit3.
43Ceci dit le Moyen Âge est mort, mais le passé ne s’efface jamais complètement. Il s’enfonce dans le sous-sol culturel, selon une vision sédimentaire, qui est celle que pratique l’historien du droit et psychanalyste Pierre Legendre. À condition cependant de tenir compte des registres de temporalités discontinues mis en évidence par Fernand Braudel (1966) et des différents types d’actualités dont parle Alain de Libéra (1991). Dès lors, la thèse s’efforce de comprendre, dans les phénomènes communicationnels contemporains, ce qui relie chacune des ces temporalités ou actualités, sachant qu’elles sont liées entre elles et en évolution constante de manière quasi fractale.
44La méthode adoptée est celle utilisée par Pierre Legendre. Celui-ci considère la société comme un Texte, entendu comme la traduction de la vie de la représentation à l’échelle sociale. Pour Pierre Legendre, l’unité des mécanismes institutionnels est basée sur l’usinage du même matériau humain, qu’il résume par la trilogie de l’image, du corps et du mot. C’est le terrain de la sémiotique. Cette trilogie est celle des matériaux de la communication que sont l’image, l’écrit, et la parole, c’est-à-dire les représentations par lesquelles la société fonctionne à l’instar du sujet humain. Il a fallu partir de l’idée d’un puzzle et cheminer au fur et à mesure de la découverte d’indices.
45Un concept de la médiévalité a émergé, détaché d’une réduction à la seule féodalité et à son aspect pittoresque, mais sans nier celle-ci, au bénéfice de grandes axiologies, dont les principes sont susceptibles de ressurgir dans le monde contemporain : la féodalité entendue comme système politique - où l’on peut trouver des fondements contractuels -, mais aussi comme univers symbolique de représentations, la subsidiarité comme principe politique empirique d’origine médiévale, dont l’essence est historiquement liée à la féodalité, une normativité d’essence juridico-canonique, pratiquée et opératoire, se muant en système politique antinomique aux deux premiers - où l’on peut trouver des fondements institutionnels -, et comme système rationnel de gestion (Pierre Legendre, 2009, Joan Le Goff, 2010), la justice en tant que principe à la fois politique et éthique, non pas une justice égalitaire, mais la justice au sens chrétien, qui veut que chacun reçoive selon son dû, entendue comme la norme suprême par excellence, insufflée par la divinité.
46La deuxième partie traite des processus d’ordre politique, économique et culturel, qui structurent, de nos jours, le terrain de la communication des entreprises et des institutions. La troisième analyse les manifestations de la médiévalité dans la communication des entreprises et des institutions. La quatrième approche l’outil d’analyse médiéval qu’est la sémiotique (Stephen Meier-Oeser, 2011) puis examine la sémiotique de la communication contemporaine des entreprises et institutions et les manifestations de la médiévalité qui l’imprègnent.
47La thèse est parcourue par la recherche du noyau médiéval de la modernité. Cette mise en perspective historique de la modernité permet de donner de la pertinence à la référence médiévale, et mène à rechercher sous quels masques la médiévalité peut continuer d’agir dans les discours de la communication des entreprises et des institutions publiques.
48Cette recherche a permis de faire certaines rencontres. La responsabilité sociétale des entreprises paraît procéder d’une façon très ancienne de concevoir la manière dont il fallait gérer les affaires marchandes. Au-delà de la filiation aristotélicienne du carré sémiotique, apparaît la filiation logique et ontologique de Saint Anselme de Canterbéry (XIe siècle), ainsi que les liens qui peuvent être tissés avec l’approche laïque de Algirdas Julien Greimas, les logiciens théologiens du Moyen Âge apparaissant comme des sémioticiens. Dès lors, ce carré, très utilisé dans la pratique de la communication des entreprises et des institutions publiques, apparaît comme de facture très médiévale. Enfin, une rencontre d’ordre iconographique et sémiotique émerge sous la forme de la dichotomie entre thèmes et motifs relevée par Erwin Panofsky dans l’iconologie médiévale d’avant la Renaissance. Dichotomie que l’on retrouve, par exemple, à travers l’étude des logos des régions de France.
Sciences de l’information et de la documentation
49Dans ce domaine aussi, le croisement entre des problématiques de recherche développées ailleurs et les particularités locales explique en large part la structuration du travail des jeunes chercheurs. Ce champ de recherche est exploré en liaison avec des préoccupations locales et régionales, sans pour autant que la préoccupation locale soit exclusive. Il a été initié par la thèse de Maryse PIERREVILLE, réalisée sous la direction de Bruno OLLIVIER et soutenue en 2012, qui portait sur l’histoire des politiques publiques de lecture en Guadeloupe.
50Denise TASSIUS travaille sur la formation et pratiques documentaires numériques dans les bibliothèques universitaire. Ses travaux se situent dans le cadre des recherches sur la formation et les pratiques documentaires numériques dans les bibliothèques universitaires françaises. Bibliothécaire au SCD de l’université des Antilles et de la Guyane, elle s’interroge sur l’évolution de son métier face au développement des technologies de l’information et sur l’adaptation de ces changements à sa mission de formation.
51Elle envisage d’une part la relation entre université et bibliothèque dans la formation documentaire numérique en tant qu’espace conjuguant les savoirs disciplinaires et les savoirs informationnels, de l’autre le rôle de la formation documentaire dans la transformation de l’enseignement supérieur dans une société de plus en plus tournée vers l’accès au savoir en ligne. Comment les politiques publiques menées par l’institution et les acteurs de l’information-documentation répondent-elles aux objectifs de la formation documentaire numérique ? Il s’agit d’une recherche-action dans le domaine des Sciences de la documentation.
52La première partie de ce travail présente un cadre théorique positionnant la formation documentaire dans le champ des sciences de l’information et de la communication (SIC). En nous appuyant sur des auteurs tels que Suzanne Briet, Jean Meyriat, Melvil Dewey etc. bâtisseurs de l’info-doc, elle offre un panorama des actions marquant l’organisation de la documentation : la bibliothéconomie, la documentologie, la normalisation. Le caractère pluridisciplinaire de notre objet de recherche conduit dans cette première partie à présenter les différentes approches disciplinaires de la formation documentaire :
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La sociologie pour l’étude des acteurs (bibliothécaires/formateur, étudiants, chercheurs)
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Les sciences de l’éducation dans l’acte de formation (se former et s’informer)
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La psychologie pour l’apprentissage et l’acquisition des connaissances et compétences.
53L’information et la documentation apparaissent finalement étroitement et singulièrement liées aux savoirs, aux compétences et aux connaissances informationnelles. Ce diptyque a forgé la construction identitaire des professionnels de la documentation et incité à l’émergence de discours d’associations, centres de formation ou de publication de la littérature scientifique. Participant à la réflexion sur la recherche du domaine des sciences de l’information, de la communication et de la documentation, les concepts information et documentation entrent aussi en résonance avec les technologies dont la dimension planétaire influe sur leur représentation chez les usagers (étudiants, chercheurs, enseignants).
54Par ailleurs, la dimension stratégique de la bibliothèque au sein de l’université, dans une approche communicationnelle de l’information conduit à s’interroger sur sa visibilité en tant que structure de formation et de production documentaires.
55Placer la bibliothèque dans le fonctionnement de l’université lui permet de s’affirmer sur le long terme dans une logique de formation et d’éducation. Un ancrage nécessaire pour mettre en avant ses atouts et asseoir sa légitimité au côté des autres services de l’institution. « La bibliothèque ne peut évoluer sans être l’objet d’une collaboration entre les équipes de la bibliothèque et celle de la tutelle »[1].
56C’est dans une démarche stratégique inscrite dans la politique de l’université et menée dans le cadre des politiques documentaires que les projets autour du numérique deviennent possibles. L’entrée des médias sociaux numériques dans les bibliothèques universitaires bouscule les pratiques professionnelles des bibliothécaires qui n’ont pas réagi très vite au développement des outils induits par le numérique. A l’inverse, les usagers de plus en plus jeunes se sont emparés de ces espaces pour en faire un usage quotidien et effréné. Dès lors, la question de la formation se pose pour interroger la formation documentaire jusque-là dispensée par les bibliothécaires-formateurs sous des appellations différentes [Méthodologie documentaire, passeport documentaire, formation à la recherche documentaire etc.].
57Mais ces formations ne prennent pas en compte les médias sociaux numériques (Guegen[2]), de plus en plus utilisés et exploités par les professionnels dans leur métier. Ces mêmes outils sont réinvestis dans une stratégie communicationnelle pour établir une médiation promotionnelle des services. Les compétences à maîtriser par les usagers sont occultées alors qu’elles sont nécessaires pour provoquer une meilleure réception des messages communiqués afin d’interagir sur un enfermement consumériste de l’information.
58Partant de cette interrogation, la deuxième partie de la thèse est consacrée au positionnement de la bibliothèque dans l’université. Le questionnement s’oriente sur l’aspect numérique de l’information et porte sur l’introduction des réseaux socionumériques dans le champ de la formation, car on peut relever un usage régulier de ces outils par les usagers et de plus en plus par les institutions. Quelle est la portée de ces outils comme un moyen d’atteindre les usagers dans la découverte de la bibliothèque et de leur pertinence pour un usage critique et responsable dans l’accès à l’information-documentation ? Quelle est la formation dispensée aux professionnels en charge de cette médiation documentaire auprès des usagers et son approche du numérique ?
59Une troisième et dernière partie de ce travail, en cours de rédaction, permettra de vérifier à partir d’un questionnaire, le point de vue des professionnels-formateurs dans les bibliothèques universitaires par rapport à une éventuelle formation aux médias socio- numériques.
60Cette démarche devra permettre, d’une part, de comprendre les représentations des usagers sur la formation documentaire numérique et d’autre part, le regard des bibliothécaires sur leur rôle de formateurs/médiateur. Trois questions nous interpellent dans cette recherche : Bibliothécaires quel métier ? Usagers quelle formation ? Institution quelle politique ?, face au développement de l’information numérique et des nouveaux outils communicationnels.
61Thierry BELLANCE travaille de son côté sur les Stratégies documentaires, les usages des dispositifs pédagogiques en ligne, et leur lien avec la réussite universitaire.
62La question de la réussite dans l’enseignement supérieur est souvent rattachée à celle de la fréquentation de la bibliothèque universitaire, et des ressources et dispositifs pédagogiques qu’elle met à disposition des étudiants. Fort de travaux antérieurs[1] réalisés dans ce même cadre, il veut examiner les déterminants de la réussite (ou non) des étudiants, ainsi que la non moins importante question liée au devenir des universités, et à leur capacité à demeurer un pôle de transmission du Savoir efficient.
63La réussite est ici entendue comme une étape permettant de franchir un seuil. Sans pour autant arborer une posture élitiste, elle est le gage d’un bagage (intellectuel ou de compétence) jugé suffisant par les autorités compétentes (corps professoral) pour accéder à un palier ou un grade supérieur, symbolisé par le passage à l’année suivante ou l’obtention d’un diplôme universitaire.
64Cette quête conduit à approcher les pratiques liées à l’usage de l’internet, des stratégies de recherche mises en place, au tri et à la pertinence des informations sélectionnées. À cet effet, un important volet sera consacré à l’Université des Antilles et de la Guyane, dont le récent classement des universités françaises pointait du doigt les carences. Celle-ci pourra éventuellement faire l’objet de comparaison avec d’autres aires géographiques.
65Sur le sentier de la réussite, outre la question des stratégies individuelles, celle des politiques documentaires et éducatives des universités mérite analyse. L’UAG par la voie de sa bibliothèque universitaire se veut un organe participant « à la réussite des étudiants »[2] selon une médiation du savoir physique (ouvrages) et immatérielle (ressources documentaires et pédagogiques en ligne).
66Le sujet est traité selon trois axes essentiels : le sens (les messages et documents), la technique (dispositifs pédagogiques), et le social (les acteurs). En interrogeant les déterminants pédagogiques, techniques et dans une moindre mesure, sociaux, en jeu dans la réussite ou non des étudiants, cette thèse entend mettre en lumière les défis de demain et produire un savoir propice à servir les missions que poursuivent les universités, et singulièrement l’Université des Antilles et de la Guyane. En vue d’offrir un panorama des plus détaillés, elle analysera l’ensemble des UFR composant cette université selon une méthodologie interdisciplinaire.
67Elle utilisera le concept de « problématique situationnelle » d’Alex Mucchielli qui propose une grille de lecture des actions rationnelles des acteurs, saisissables à la lumière d’un ensemble de situations données, qui éclairera l’agir des acteurs vis-à-vis des dispositifs pédagogiques en ligne proposée par la B.U, ainsi que l’usage ponctuel (en période d’examen) de l’Internet dans les tâches documentaires.
68Le concept de « schèmes d’utilisation » proposé par Pierre Rabardel, qui le définit comme l’organisation d’action répétitive (d’ordre technique), observable dans un ensemble de situations rencontrées sera également convoqué. La notion de « digitales natives » énoncée par Mark Prensky, sera utilisée mais en la questionnant sur sa prétendue unité générationnelle. Loin d’y adhérer aveuglément, il s’agit de la confronter à la disparité des usages et des compétences observés chez les étudiants. Le concept de capital culturel de Pierre Bourdieu sera mis à contribution pour comprendre la question de « la réussite » en milieu universitair. Enfin, les concepts de compétence (technique) et de stratégie (documentaire) seront utilisés, la compétence désignant une capacité d’action ou de compréhension mise en œuvre dans une pratique donnée, ici la capacité à faire usage de ressources pédagogiques en vue d’un objectif assigné : « une » réussite, et la stratégie (Michel Crozier) désignant un comportement systématiquement orienté vers une finalité particulière. Les acteurs adoptent des stratégies documentaires dont la nature a été approchée au niveau microsociologique lors des travaux de Master de Thierry BELLANCE qui envisage dans sa thèse de cerner l’acteur au niveau méso-sociologique (Mucchielli, 2006), c’est-à-dire en prenant en considération les traits constitutifs de sa personne et de son environnement rapproché.
69Cet appareillage conceptuel entend répondre aux questions suivantes :
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Existerait-il une interaction logique entre stratégies documentaires et réussite universitaire ?
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Les politiques documentaires mises en œuvre sont-elles suffisamment adaptées face aux compétences et aux différents profils étudiants ?
70Les orientations mises au jour durant son travail de Master sur l’utilisation des dispositifs informatiques et des ressources pédagogiques sont prolongés en trois nouvelles hypothèses qui interrogent les enjeux éducatifs, techniques et sociaux :
71Il s’agira de savoir d’une part, si l’usage assidu des ressources pédagogiques mis en ligne par la bibliothèque universitaire favorise la réussite des étudiants qui les utilisent. En d’autres termes le type de stratégies documentaires détermine-t-il la réussite universitaire ?
72D’autre part, si comme tendent à le montrer les résultats recueillis lors des travaux de master l’usage des ressources pédagogiques dépend du niveau d’étude, cette fluctuation serait-elle une conséquence de la politique documentaire de la bibliothèque universitaire ?
73Au plan de la méthodologie plusieurs modalités de récoltes de données complémentaires sont utilisées.
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une analyse de contenu des outils pédagogiques mis en ligne à disposition des étudiants par la bibliothèque universitaire sur sa plateforme en ligne, ainsi que les formations éducatives proposées online (passeport documentaire/OIM/C2i) ainsi que la réception que font les étudiants des offres mis à leurs dispositions, à l’aide d’un questionnaire massivement diffusé par le webmail étudiant, ainsi que par le biais des réseaux sociaux (connaissances, associations étudiantes, etc.).
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des entretiens semi-directifs avec les acteurs clés : les étudiants (et anciens étudiants), les professionnels de la documentation (B.U), ainsi que certains professeurs. L’objectif est d’extraire les discours et les représentations de chacune des catégories.
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une phase d’observation participante ponctuelle, auprès des postes informatiques de la B.U (identique à celle des travaux de master), lors des périodes d’examens de fin de semestre.
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des suivis longitudinaux d’acteurs. Comprenant des entretiens semi-directifs semestriels, ce type d’approche doit fournir une vision d’ensemble, évolutive et non figé, à l’image de l’axe précédent. Ces suivis longitudinaux n’excluent pas des réajustements dans les stratégies documentaires des uns ou des autres. Enfin, pour éviter que les suivis ne s’arrêtent de manière précoce, les étudiants seront sélectionnés en fonction de leurs projets d’études, à l’aide d’un tri de pertinence.
Conclusion
74La recherche en SIC est récente aux Antilles- Guyane. Elle est encore naissante, peu structurée mais elle est prometteuse. Marquée profondément par les problématiques locales, elle ne leur est toutefois pas entièrement soumise et se nourrit d’approches interdisciplinaires que les jeunes chercheurs, malgré un éloignement géographique qui rend toute participation à un colloque hors de prix, font vivre avec motivation et parfois acharnement.
75Dans un paysage qui, tant au plan institutionnel de l’université qu’au plan de la discipline des SIC, n’est pas exempt de nuages, ces indices et cette production sont des raisons pour penser que, quels que soient les aléas institutionnels nationaux et locaux, la recherche a de beaux jours devant elle aux Antilles et en Guyane et qu’une relève sera assurée.
Bibliographie
BATS Raphaëlle. Travailler avec le service de communication de la tutelle : actions, discours et pratiques en commun in Faire connaître et valoriser sa bibliothèque : communiquer avec les publics. Villeurbanne : Presses de l’Enssib, 2012, p. 142
GUEGEN Éric. Guide pratique des médias sociaux numériques à l’usage des bibliothèques & centre de documentation. Mont-Saint-Aignan : Rd ; Klog, 2011
Notes
1 Il s’agit de l’ensemble des territoires insulaires des Grandes et Petites Antilles qui forment l’arc antillais de plus de 3 500 kilomètres carrés de long qui s’étend depuis les Bahamas et Cuba jusqu’au large du Venezuela. Composée de 31 États et territoires, la superficie totale de ces îles caribéennes représente 235 000 kilomètres carrés de terres émergées. « Caraïbe » est le nom donné à ce continuum spatio-temporel, un vocable hérité de la population amérindienne Karibs (Caribs ou Caraïbes).
2 Jérôme Baschet, La civilisation féodale : de l’an mil à la colonisation de l’Amérique, Collection Champs, Flammarion, 2006, p. 14.
3 Epistémologie et méthodologie : Martine Bocquet, « Dynamiques sociosémiotiques : compréhension, processus, diachronie et fractales », in R.F.S.I.C. n° 3, La vie des signes au sein de la communication : vers une sémiotique communicationnelle, dossier coordonné par Jean-Jacques Boutaud et Karine Berthelot-Guiet, 2013, 16 p. http://rfsic.revues.org/449.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Thierry Bellance
CRPLC, UMR 8305
Quelques mots à propos de : Martine Bocquet
CRPLC, UMR 8305
Quelques mots à propos de : Fabienne Bosc
CRPLC, UMR 8305
Quelques mots à propos de : Salaura Didon
CRPLC, UMR 8305
Quelques mots à propos de : Bruno Ollivier
CRPLC, UMR 8305
Quelques mots à propos de : Jessy Patrice
CRPLC, UMR 8305
Quelques mots à propos de : Denise Tassius
CRPLC, UMR 8305