ENQUÊTES, EXPÉRIENCES
Pour la création d’un festival des SIC. D’une action de recherche à la recherche d’actions en communication des organisations culturelles
Table des matières
Texte intégral
1La création d’un festival des Sciences de l’Information et de la Communication se présente aujourd’hui comme une initiative donnant une suite logique à un parcours de « recherche-action » en communication des organisations culturelles mené depuis 2012 (thèse CIFRE, bénévolat, entrepreneuriat dans le secteur du spectacle vivant). Ce parcours a montré que l’immersion professionnelle et l’exercice d’un métier de communiquant sont des conditions nécessaires à l’approche descriptive et interprétative des formes organisationnelles du secteur artistique et culturel. Ce texte souhaite revenir sur quelques questionnements essentiels de cette formation en entreprise pour présenter la manière dont la recherche, située aux croisements des sciences du langage, de l’information et de la communication, peut accompagner l’action culturelle et la prise en main de responsabilités de services en communication. La mise en œuvre d’un festival dédié aux relations Arts + SIC + Culture résulte aujourd’hui d’une volonté d’engagement pour des formes de recherches incarnées, concrètes, utiles aux acteurs sociaux. Les perspectives d’actions qu’il suppose peuvent permettre d’engager de nouvelles formes organisationnelles servant la valorisation de l’approche scientifique de la culture et de l’approche culturelle des sciences de l’information et de la communication.
Thèse CIFRE au sein d’une organisation culturelle
2Ce travail doctoral, situé dans une approche socio-sémiotique, a cherché à appréhender de manière transversale les formes organisationnelles et pratiques communicationnelles liées au développement de l’action culturelle dans un territoire donné. Le cadre d’une Convention Industrielle de Formation par la Recherche en Entreprise (CIFRE) a permis l’approche empirique du terrain, la Fondation La Borie-en-Limousin, Reconnue d’Utilité Publique.
3Depuis 1984, cette fondation avait vécu une ouverture permanente de son périmètre d’intervention culturelle et de successives recompositions d’ordre juridique, structurelle, social, économique, territorial… Alors en charge de la politique de communication de cette organisation culturelle, j’étais face au constat de l’existence et de la persistance d’une hétérogénéité dont je ne pouvais saisir l’origine : Était-elle due à une « transformation » intense du projet d’entreprise : la métamorphose d’un ensemble baroque à rayonnement régional à une fondation Reconnue d’Utilité Publique à envergure internationale ? Était-elle due aussi ou seulement à une politique de communication qui n’avait pas su accompagner ce développement, le rendre intelligible et lisible auprès des publics, générant contextuellement de successives perturbations de l’image et de la notoriété du lieu ? Plus que la recherche de l’origine de cette hétérogénéité, je fus confrontée au besoin d’en saisir le bien-fondé. En effet, l’expansion et la diversité de l’entreprise était tantôt perçue comme un indicateur de sa réussite et de son défi de « démocratisation de la culture », tantôt perçue comme un indicateur de son errance et de sa dispersion identitaire.
4Préconiser des stratégies de communication impliquait en amont une étude diachronique et synchronique des pratiques communicationnelles ayant accompagné la structuration et la valorisation de cette action locale. L’analyse a révélé l’importance des cadres symboliques dans la conduite d’un programme culturel, dans l’élaboration et la régulation de son hétérogénéité.
5Les cadres idéologiques relatifs à l’ambition régalienne d’une « démocratisation des arts et de la culture » ordonnent de lourdes contraintes organisationnelles pour les acteurs porteurs de projets et communicants. Le fait culturel, sa production, sa réception, sa sociologie, se déploient dans des lieux composites, qui intègrent des langages, des idéologies, des institutions, des politiques culturelles, des productions artistiques et des marchés, des médias et des publics. Comment donc cerner l’horizon de cet « espace culturel » in fine administré par l’État dans le cadre de sa politique culturelle ? Quels sont les secteurs, arts, acteurs, médias qui peuvent se prévaloir d’une culture « légitime », à la fois du point de vue de l’État et de ses collectivités, des créateurs, des diffuseurs, des publics ? Les structures de la création artistique française sont placées au cœur d’un impératif régalien, érigé en système idéologique : le désir de bâtir une culture française multipolaire et de transmettre les arts et la culture au plus grand nombre. Armées d’appareils langagiers et de dispositifs institutionnels puissants, les politiques culturelles encouragent les territoires à s’organiser et à se développer au rythme des valeurs d’interculturalité, de diversité culturelle, de transdisciplinarité, de rencontres et d’échanges. Ces (mi)lieux éclosent puis évoluent en véritables foyers créatifs et multicellulaires où s’imposent à la fois les succès de leur diversification (le développement de la culture, l’avant-garde, la synergie, la créativité, l’éclectisme, l’ouverture) mais aussi les lourdes problématiques qu’elle engage : mutations identitaires, remédiation structurelle et juridique, errance de l’image, multiplication des récits, conflits des temporalités, des formes et des organisations…
6L’analyse du milieu politique et idéologique national en matière de culture permet de rendre compte des enjeux des institutions culturelles et des paradoxes auxquels ces dernières peuvent être confrontées, au risque de disparaitre (cas de la liquidation de la fondation en mars 2015). Engagées dans une course au développement, elles poursuivent le besoin d’une offre culturelle diversifiée, démultipliant les domaines et les fonctions culturelles à exploiter pour satisfaire les publics. Cette offre culturelle territoriale impose ses risques d’asynchronie des pratiques et des dispositifs professionnels réunis, d’une dérive identitaire, placée au cœur du jugement, du contrôle ou de l’évaluation des publics, des partenaires privés et publics, des milieux de la concurrence et des médias.
7Ce travail a cherché à rendre compte des conditions de production de la crise de la culture et de ses effets de sens, tels qu’ils se manifestent dans les lieux dédiés, marqués par de fortes mutations, et de questionner le rôle de la communication dans ce fonctionnement. Les pratiques communicationnelles et le métier de communicant se situent à l’interface entre cette fabrication symbolique et l’organisation concrète d’un dispositif d’action culturelle dans l’espace public : en produisant, écrivant, diffusant réformes et discours politiques, rhétoriques médiatiques, récits d’entreprise et marques institutionnelles, écrits prescriptifs et normatifs, comportements managériaux… autant de formes sémiotiques qui cadrent, produisent, organisent, instituent les collectifs d’action culturelle.
8Ces investigations veulent accompagner les acteurs des arts et de la culture à la prise en compte des enjeux idéologiques actuels, des forces symboliques des discours, des imaginaires et des constructions sociales qui accompagnent pleinement un plan de communication, des logiques collectives et relationnelles dans la mise en œuvre de projets artistiques. Il s’agit d’accompagner les processus de création qui nécessitent, pour naître et se diffuser, un accompagnement fort en structuration et en communication.
Valoriser l’approche communicationnelle de la culture et l’approche culturelle des sciences de l’information et de la communication
9La création d’un festival des SIC est une initiative en cours de lancement au sein de la Société française des Sciences de l’information et de la communication (SFSIC). Ce projet est né de l’envie de promouvoir et développer les relations entre arts, SIC et culture en suscitant des formes de rencontres et de convergences entre nos disciplines scientifiques et le secteur culturel. La SFSIC est une association à but non lucratif créée en 1974. Elle a pour but de contribuer au développement des sciences de l’information et de la communication. Ce projet s’inscrit dans le prolongement des buts associatifs, puisqu’il entend améliorer l’échange d’informations et la coordination des recherches portant sur la question culturelle. Il souhaite favoriser l’implantation et la diffusion des SIC dans la société, en particulier auprès des institutions et organisations culturelles, du milieu des arts et du spectacle vivant, des laboratoires de recherche et équipes pédagogiques axées sur les questions de la culture, des projets universitaires et de territoires dédiés aux enjeux de la communication culturelle… Il cherche également à représenter les SIC dans les diverses instances administratives collaborant sur le projet (services culturels, tissu associatif local, collectivités territoriales, lieux culturels, partenaires institutionnels…), en respectant la dimension interculturelle et internationale de la discipline. Il entend enfin promouvoir et développer pleinement les dimensions et implications culturelles et artistiques de notre domaine scientifique.
10Il semblerait que l’idée de centraliser le festival dans un espace dédié corresponde mal à l’identité de notre communauté, dispersée sur le territoire national et international, mais aussi composée d’une diversité de profils d’établissements, de parcours de formation, d’acteurs investis. Dans le même temps, on ne peut qu’admettre que l’implantation d’un festival qu’elle qu’il soit, nécessite un environnement territorial identifié pour que puissent se créer et se développer des relations de confiance et de travail avec des collaborateurs, partenaires et institutions. C’est pourquoi le projet d’intégrer cet espace festivalier aux évènements SFSIC, tels que les doctorales et les congrès, nous est apparu comme une perspective probante. Il s’agirait de fonder ce festival à partir des principes organisationnels des évènements déjà existants et ayant prouvé leur succès pour notre communauté.
11La programmation culturelle portée par le festival des SIC souhaite intégrer le programme des rencontres scientifiques organisées une fois par an par la SFSIC au sein des universités françaises. Respectant le fonctionnement en biennale et en alternance (congrès en année 1 et doctorales en année 2), ce principe permet de respecter le rythme, les temporalités, l’aspect multi-site et les conditions d’organisation déjà en cours.
12Les congrès sont des évènements vecteurs de rencontres scientifiques mais aussi humaines. Ils autorisent, par le biais d’espace-temps notamment informels (pauses cafés, dîners de gala, cocktails…) des situations propices à une présentation de soi, d’un parcours personnel et extra-universitaire souvent riche et déterminant dans le cursus professionnel. Opter pour une formule dite « festival » permet de renforcer cette dimension inhérente et essentielle aux rencontres scientifiques et d’en inventer de nouvelles formes. Le terme « festival (SF)SIC » pourrait être aussi une appellation, nécessaire à l’identification d’une entité tout autant autonome qu’ouverte aux collaborations avec les institutions culturelles et universitaires existantes. Elle permet en externe de ne pas perturber l’image et l’organisation de projets déjà institués, portés et développés par les universités d’accueil et leur service culturel. Elle entend en interne se distinguer des entités « congrès SFSIC » et « doctorales SFSIC » pour exprimer plus immédiatement la teneur artistique et culturelle de sa programmation, tout en maintenant un lien étroit avec la dimension scientifique que celle-ci revendique.
13Un festival dédié à la relation arts-SIC-culture entend mener des actions de recherche et une recherche d’actions sur les formes de convergence et d’influence entre les arts et les SIC ; questionner la place de la recherche scientifique en SIC dans les processus créatifs ; interroger le rôle des SIC dans la mise en œuvre et le développement des projets artistiques ; valoriser les atouts de la recherche scientifique en SIC pour la connaissance du secteur artistique et culturel, ses pratiques professionnelles et ses usages ; favoriser les modes de transmission des savoirs et des compétences entre les scientifiques et les artistes, qui relèvent tous deux de profils de chercheurs et de pédagogues ; soutenir l’accès à la culture pour les étudiants et les chercheurs en SIC ; promouvoir les SIC dans le paysage culturel universitaire national et international ; construire des projets territoriaux et engager des liens avec les institutions culturelles locales : consolider progressivement un état de la recherche et valoriser des travaux arts / SIC / culture déjà existants au sein de nos universités ; s’ouvrir aux regards et discours des artistes sur nos thèmes de recherche, pour éclairer ou réviser nos propres cadres de pensée (modes de perception, définitions, idéologies) vis-à-vis de la société de l’information et de la communication ; engager avec les professionnels de l’art et de la culture des dialogues concrets, qui permettent de mieux faire face aux défis émergents que rencontrent les organisations culturelles au sein de la société actuelle ; consolider discours et actions autour d’une recherche scientifique capable d’apporter intelligibilité et opérationnalité aux acteurs de terrain en charge de promouvoir et de diffuser la culture dans l’espace public.
14Trois formats de programmation sont pressentis dans la mise en œuvre de cette programmation culturelle et scientifique. Premièrement, des sessions dites scientifiques prenant la forme d’ateliers, de conférences, de tables rondes, d’émissions web ou radios, qui seraient par exemple dédiées à une réflexion autour des relations spécifiques entre les sciences de l’information et de la communication et les arts, notamment le spectacle vivant. Ces temps de discussion permettraient d’abord de réunir des membres de notre communauté autour de cette association SIC/Arts et d’échanger sur son histoire, son évolution, son avenir, sa sociologie, sa médiatisation, son horizon d’action. Ces thématiques d’échange rejoignent une interrogation de fond plus générale et chère à notre domaine d’activités et de recherche : qu’est-ce qu’une médiation scientifique de la culture ? et inversement, qu’est-ce qu’une médiation culturelle de la science ? Ils pourraient être aussi un moyen d’associer des chantiers de recherche existants ou en envisager de nouveaux, de travailler à repérer les périmètres théoriques et conceptuels susceptibles d’accompagner la réflexion et la production de connaissance sur le sujet. Ces temps viendraient proposer enfin des échanges entre professionnels de la recherche et professionnels de la culture, entre enseignants-chercheurs, étudiants et artistes, réunis autour de sujets ou problématiques de terrain.
15Deuxièmement, des interventions artistiques mettant au cœur du discours et de la démarche créative une thématique et/ou un enjeu relatif à notre discipline. Le choix des projets artistiques se fera sur la base d’un répertoire officiellement admis des dynamiques de recherche en SIC. Il s’agit de placer la communauté SIC face à d’autres modes de perception de nos thèmes de recherche et d’enseignement. Comment et pourquoi fait-on théâtre, poésie, littérature, danse, arts plastique, peinture, arts contemporains, street art ou musique avec des sujets SIC ? Quels nouveaux discours ou actes délivrent les artistes sur notre société de l’information et de la communication ? Comment les codes et productions artistiques peuvent-ils confirmer, bousculer, réviser, ouvrir nos propres cadres de pensée ?
16Troisièmement, des interventions festivalières qui apportent le rythme essentiel à tout festival et libèrent des espace-temps hors-les-murs d’amphithéâtres et salles, susceptibles de dynamiser les rencontres entre congressistes. Selon les campus d’accueil ces formes peuvent varier : tremplins de projets étudiants qui se saisissent de ce rapports arts/SIC ; ateliers où artistes et chercheurs créent ensemble une œuvre à partir d’une matière SIC (textes, débats, sujets…) ; stands et/ou expositions pour diffuser les productions SIC ; courts concerts ; collaborations avec les radios campus pour des émissions et podcast ; visites de lieux culturels locaux… Ces temps seront vecteurs d’échanges intra-communautaire, intercommunautaire et interdisciplinaire.
17Chacune de ces sessions est imaginée en vue d’une valorisation de l’identité et de la diversité des SIC. Les sessions scientifiques produiront de nouveaux contenus de recherches spécifiquement dédiés à l’axe Arts, SIC, Culture. Elles réuniront les acteurs de cette recherche et permettront le renouvellement de la programmation scientifique des festivals. Les sessions artistiques valoriseront les œuvres qui se saisissent de nos thèmes de recherche, qui en explorent de nouvelles dynamiques, qui en représentent les contenus. Les sessions « festivalières » soutiendront la vulgarisation de nos productions et conforteront les échanges disciplinaires.
18Beaucoup de défis d’ordre organisationnel interviendront dans la création et la vie de ce projet. Sans être exhaustif, et en nous appuyant sur une réflexion désormais collective, nous pouvons évoquer les questions actuelles qu’il soulève et sur lesquels nous développons aujourd’hui une étude de faisabilité : Comment fédérer notre communauté autour de ce projet pour en accroître les prescripteurs et lancer un appel à des moyens humains et financiers ? Comment gérer ce festival comme un projet à part entière, avec ses temporalités, ses acteurs, son budget, ses sponsors… ? Tout en maintenant bien sûr l’obligation d’accorder ce projet avec les temporalités, plannings, conditions financières d’autres organisations dont ce projet dépend ? Comment envisager la structuration et l’organisation de ce collectif pour que se développe en cohérence un projet désireux d’être participatif ? Comment intégrer pleinement le corps-étudiant dans ce festival et se servir de cette nouvelle forme évènementielle pour développer avec lui des projets pédagogiques efficients ? Quels liens et modes de relations peut-on prévoir entre l’équipe du festival et les institutions SIC ? Toutes ces questions en amèneront d’autres et c’est de cette manière que ce projet peut se constituer comme terrain d’expérimentation, d’action, de réflexion sur les dynamiques organisationnelles et communicationnelles d’un « espace culturel » en cours de formation.
19Pour toutes ces raisons, une opération « test » doit être réalisée pour mesurer les défis d’organisation (moyens humains, moyens financiers, modes de relations avec les équipes universitaires, modes d’intégration du festival dans la programmation, etc.) qu’implique un projet de festival. Avec une ambition très réduite, mais suffisamment représentative pour engendrer un modèle de fonctionnement, une pré-édition permet la construction des premières pierres de l’édifice : la rédaction de textes-cadres, la diffusion de l’information, la rencontre avec les interlocuteurs indispensables, la budgétisation des actions, la planification théorique d’une première édition, la préparation des interventions avec les équipes techniques et artistiques, la coordination avec les bénévoles et la confrontation avec les publics de l’évènement. Elle permet également de faire parler du projet au sein de la communauté SIC afin de fédérer de nouvelles énergies et des volontés d’adhésion, d’amorcer un recensement des projets SIC/Arts existants au sein des universités, de dresser un premier carnet d’adresses pertinent, d’anticiper la préparation de la première édition du point de vue relationnel et programmatique. Ce travail a pour ambition d’ouvrir, pour la préparation 2020, des horizons de soutiens financiers, humains et de partenariats.
20Je souhaite remercier les Cahiers de la SFSIC de contribuer par cette publication à la diffusion de ce projet. Comment ne pas conclure ce texte par un appel à participation ? Aux artistes fondamentalement chercheurs, organisateurs très artistes dans l’âme, directeurs artistiques peu organisés, enseignants-chercheurs très actifs au sein du milieu culturel, artistes doués en production et organisation ou encore des organisateurs furieusement créatifs…
21Créons ce festival des SIC !
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Emilie Bouillaguet
Docteure en Sciences de l’Information et de la Communication. Courriel : bouillaguet.emilie@gmail.com