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Hommage

Bernard Miège

Hommage à Enrique Bustamante (1949-2021)

Article

Texte intégral

1La vie d’Enrique Bustamante, éminent spécialiste espagnol de la communication médiatique, tant sociale-politique que culturelle, s’est arrêtée le 20 juin dernier dans sa 72e année, laissant dans une profonde tristesse ses amis comme ses collègues, et plus largement encore, car sa réputation comme son influence avaient débordé le monde universitaire. Et cette notice que publie la SFSIC n’entend pas seulement, comme il se doit, lui rendre hommage, mais également porter à la connaissance de ceux d’entre nous qui le connaissaient peu ou pas du tout, notamment les plus jeunes, ce que fut pendant 40 ans son activité universitaire, sa production scientifique et plus largement son influence dans la société espagnole. Universitaire et chercheur reconnu, Enrique Bustamante n’a cessé en effet d’être concerné de près par la res publica.

2Ses études engagées dans les dernières années fort troublées du fascisme, il achève en 1981 son Doctorat de sociologie, préparé à l’Université Complutense de Madrid sous la direction du Professeur Jose Vidal Beneyto, une figure alors connue en Europe, tant dans la sphère politique que dans le monde universitaire. Et c’est dans la même université qu’il devient Professeur catedratico en Communication audiovisuelle et publicité où il ne ménage pas ses efforts pour former des générations d’étudiants, et en particulier des Docteurs, qui deviendront ses collègues un peu partout en Espagne et ailleurs. Comme en France, les études de communication sont alors naissantes ; leur élaboration et leur construction supposent beaucoup d’efforts et de créativité, et Enrique fait preuve de beaucoup de détermination tout au long de ces années fondatrices. Dans son Université et bien au-delà, l’organisation des enseignements universitaires de communication doit ainsi beaucoup à ses initiatives. Et il convient de rappeler qu’il ne limite pas ses activités à la seule Complutense : c’est ainsi que de 1993 à 1997, il a été Secrétaire Général et Vice-Recteur de l’Université Internationale Menendez Pelayo, dispensant des cours d’été à Santander ; et qu’en 1997 il devient le premier titulaire de la Chaire UNESCO en Communication internationale à Grenoble (Université Stendhal) et en Rhône-Alpes, inaugurant une longue liste de professeurs invités chaque année dans cette Université, aujourd’hui au nombre de 25.

3Parallèlement à ses activités d’enseignement universitaire, Enrique Bustamante poursuit ses travaux de recherche, et ce dans deux directions principales, et une perspective critique : d’une part les changements affectant les médias audiovisuels, notamment sous l’effet des mutations techniques d’autre part les développements des industries culturelles. Il me suffit de faire référence à quelques titres parmi d’autres de ses ouvrages ou publications : Los amos de la informacion en Espana (Akal, 1982), Las industriales culturales en Espana (avec Ramon Zallo, Akal, 1988) ; La television economica. Financiaction, estrategias y mercado (Akal, 1999) : Comunicacion y cultura en la era digital. Industrias, mercados y diversidad en Espana (Gedisa, 2002) ; Hacia un nuevo sistema mundial de comunicacion- Las industrias culturales en la era digital (Gedisa, 2003 puis 2004) ; Radio y television en Espana. Histora de una asignatura pendiente de la democracia espanola (Gedisa, 2006) ; Industrias creativas. Amenazas sobre la cultura digital (Gedisa, 2011). Au final, une production scientifique, exprimant bien ses préoccupations, régulière (complétée d’ailleurs par de nombreux articles), conçue pour être diffusée au-delà des milieux universitaires et connue en dehors de son pays d’appartenance (beaucoup plus en tout cas en Amérique latine ou en Italie qu’en France ou en Grande-Bretagne).

4Ceci me conduit à souligner trois autres aspects essentiels de ce que fut son activité, durant quatre décennies. D’abord les multiples contacts et échanges internationaux qu’il avait su nouer ou développer. Enrique Bustamante n’a cessé de circuler pour faire des cours, participer à des colloques ou organiser des partenariats universitaires. Et de ce fait, il a acquis une compétence étendue des questions info-communicationnelles ainsi qu’une reconnaissance élargie. Si on a beaucoup fait appel à lui en Argentine, au Mexique, en Colombie et au Brésil, il avait aussi des contacts suivis avec des universités et organisations, italiennes, etc. mais également françaises : c’est ainsi qu’il est venu à Grenoble en plusieurs occasions et que la mission de présider le comité international d’évaluation du laboratoire Gresec lui avait été confiée, responsabilité qu’il assuma à la satisfaction générale. À signaler d’ailleurs que la Revue française des sciences de l’information et de la communication (RFSIC) avait publié un article de lui dans sa première livraison (2012, N° 1) : « En Espagne et en Amérique Latine : l’économie créative du divertissement ».

5Ensuite, Enrique Bustamante ne s’est jamais satisfait de publications qui se limitaient au monde universitaire et se réduisaient à la satisfaction interne des enseignants-chercheurs. Pour lui, populariser (ou vulgariser), faire connaître et mettre en discussions ont toujours été des objectifs qu’il s’assignait. C’est ainsi que de longues années durant, précisément les années 1985-1997, il fonda puis fut le directeur de publication-animateur de la revue Telos, publiée avec le soutien de la FUNDESCO, activité qui se prolongea sous d’autres formes avec le concours de la Fundacion Telefonica. L’intérêt de cette revue, assez exceptionnelle par elle-même, était d’être ouverte, plurielle et d’un intérêt esthétique appréciable (elle reproduisait dans des cahiers centraux des reproductions d’œuvres plastiques ou de photographies d’art). Ce fut beaucoup plus qu’une expérimentation ; et celle-ci est entièrement redevable à celui qui en fut le principal animateur.

6Enfin, ainsi que déjà évoqué précédemment, il s’est toujours intéressé de près aux évolutions portant sur le système de radiotélévision ainsi qu’à la participation citoyenne à la sphère de la communication culturelle ; en dépit des mutations techniques et des changements provenant du régime de la propriété des différents médias, ces questions, pour lui, n’étaient pas devenues secondaires, elles restaient d’une grande actualité politique et culturelle. C’est ce qui l’a conduit en février 2005 à accepter de participer à un groupe très restreint d’experts, chargé d’élaborer en quelques mois, un projet détaillé de réforme de la radiotélévision espagnole ; il y joua un rôle de premier plan, reconnu dans la presse, et si les retombées ne furent pas à la hauteur de ses espérances, ses mérites propres furent mis en valeur et une décoration officielle lui fut même décernée. Et l’avancée continue des techniques numériques ne le conduisit pas à laisser de côté les questionnements mis en évidence à cette occasion. Il prenait encore part récemment à des échanges sur ces questions, avec des collègues italiens par exemple.

7On aura compris qu’Enrique Bustamante était pour moi un collègue proche qui était devenu un ami cher, que je n’avais malheureusement guère revu depuis qu’il était retourné s’installer dans sa région natale de Malaga, une région qui lui tenait beaucoup à cœur. L’annonce de son décès a provoqué chez moi une profonde tristesse qui ne m’a pas quitté depuis. Malgré mon « implication », je pense avoir gardé la distance nécessaire pour le présenter aux chercheurs en information – communication de France qui ne le connaissaient pas, et ainsi lui rendre hommage. Car effectivement, sur un nombre important de thématiques, son activité a été essentielle, parfois décisive, et jamais contrainte au strict cadre universitaire. C’est un grand universitaire européen, spécialiste de la communication médiatique (au sens large), qui nous a quittés.

8P.-S. Je me dois d’ajouter à l’attention des adhérents de la SFSIC, qu’Enrique Bustamante avait régulièrement joué dans son pays un rôle certain dans les « regroupements » académiques de chercheurs en communication, quand il n’en était pas à l’initiative. Il prenait part depuis sa fondation à Séville en 2006 aux activités de AE-IC (Associacion Espanola de Investigacion de la Comunicacion), dont il fut d’abord pendant deux mandats le Vice-Président, puis le Président à partir de 2016. La SFSIC, à mon sens, aurait tout intérêt à engager des contacts avec AE-IC.

9Été 2021

Pour citer ce document

Bernard Miège, «Hommage à Enrique Bustamante (1949-2021)», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 17-varia, Hommage,mis à jour le : 04/04/2022,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=891.