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Mondes professionnels

Marion Trommenshlager

Posture de chercheur(e) en sciences sociales. Récit personnel

Article

Texte intégral

01 janvier 2023

85-89

1Je m’appelle Marion, j’ai 33 ans, je me suis lancée dans la recherche en information et communication il y a bientôt huit ans, et ce n’est que récemment que les enjeux autour de la posture de chercheur ont commencé à questionner ma propre démarche. Il m’a été proposé d’écrire quelques lignes sur mon parcours au sein de la communauté scientifique et sur mes expériences professionnelles en tant que docteure. J’ai dit oui. Mais, plutôt que de dresser une liste chronologique qui composerait un curriculum, il m’a semblé plus intéressant de colorer cet article d’un autre sujet, plus universel, plus transversal (du moins au sein de la Société française des sciences de l’information et de la communication). Ce sujet est celui de la conscience de la posture. Nul doute que chacun d’entre nous nous sommes un jour posé ces questions : pourquoi fais-je de la Recherche ? De quoi suis-je responsable en tant que chercheur ? Et plus encore, quelle vision ai-je de la place de la recherche en sciences sociales dans le monde aujourd’hui et comment je viens œuvrer pour ce en quoi je crois ? Il y a huit ans, ces questions m’étaient encore complètement étrangères.

Phase 1 : comment fait-on de la Recherche ?

2Le jour où l’on m’a dit « Tu devrais faire une thèse », je me souviens, c’était en 2014. Jamais alors l’idée de me lancer dans un doctorat n’était entrée dans mes plans. À ce moment-là, je commençais une expérience en tant que « responsable communication » au sein d’une association rennaise, avec pour envie profonde de repartir en voyage.

3Faire une thèse. À première vue, inconcevable. Pourtant, plus je repensais à cette affirmation, plus l’idée devenait familière, avec un goût de pourquoi pas. Les échanges avec celui qui allait devenir mon directeur de thèse devenaient de plus en plus récurrents. Mon mémoire, je l’avais réalisé sur la démarche performative des Métropoles en quête de symboles. Le sujet de la ville m’intéressait depuis quelques années déjà. Rien de tellement rationnel, un intérêt qui s’est intensifié par la suite. Alors que ce poste de communicante m’offrait un terrain de recherche indéniable, puisque je me trouvais au cœur de l’écosystème rennais, la rédaction d’une proposition de sujet autour de l’évolution des centres-villes à travers nos usages numériques auprès de l’ANRT est devenu le plan A.

4Une Cifre. Encore un mot qui ne faisait pas partie de mes plans à court terme. La Mongolie, Hawaï, la Colombie… Non Marion, pour toi, là, maintenant, ce sera une Cifre. Même si l’aborder de façon légère, ce que me permet le recul des années passées, pourrait laisser croire à une forme de détachement, je peux le dire aujourd’hui, sans cet équilibre permis par la Cifre, je n’aurais certainement pas continué et mené à bien ce projet de recherche. Les étapes administratives lancées, validées, auprès de l’ANRT, et le contrat signé avec l’association de centre-ville, tout pouvait commencer. J’allais faire une thèse.

5À cette étape de lancement, concret et officiel, une question pris, soudain toute sa place. Une question essentielle, fondamentale, inévitable : Comment devient-on chercheur ? Évidemment, les bancs de la faculté éveillent à certaines postures de recherche, de réflexion, de problématisation, de rédaction, de méthodologie. Le tout, qui, associé à une forme de pathologie autour d’un amour inconditionnel pour le questionnement permanent, semble être un bon début. Cependant, comment incarner la posture de chercheur ? Le mot était posé. La posture. Pourtant, à ce moment-là, je ne l’ai pas vraiment considéré. Ma quête se trouvait davantage dans la « bonne » méthodologie, la « bonne » problématique, bref, la « bonne » façon de faire. Une quête qui m’a rapidement éloignée d’un vrai questionnement sur la responsabilité de chercheure qui pourrait être la mienne.

6Parfois, il m’arrive d’imaginer la liste des softskills du profil idéal du chercheur. Elle pourrait ressembler à ça : « passionné par les questions sans réponse », « patient : je ne crains pas de passer des heures devant mon propre reflet dans l’écran d’ordinateur », « (ultra)pointu et écologique, je sais tenir un sujet durant des années », « caméléon : j’écris comme personne ne parle », etc. Finalement, quelques années après le début de cette aventure, quelqu’un m’a partagé sa propre définition, qui à ce jour, me semble être la plus réaliste, il m’a dit : « Tu sais Marion, faire de la recherche n’est rien d’autre que de passer des heures derrière son ordinateur ».

7Le doctorat aura duré quatre années durant lesquelles j’ai pu mener une vie délicieusement schizophrénique entre ma posture de « responsable communication » et celle de doctorante. D’autant plus schizophrénique que j’avais décidé dès le début de mon contrat, de ne pas laisser entrevoir mon statut de doctorante au sein de la structure d’accueil. La vie d’une association pouvant être parfois très enveloppante, avec par ailleurs des collaborateurs commerçants souvent animés de leurs « combats ». Cela me semblait être un danger relatif pour des entraves éventuelles à ces recherches. Ce qui s’est finalement révélé être la meilleure démarche dans le cadre de ma Cifre. La suite, vous la connaissez, une soutenance, un jury, quelques remises en question de dernière minute et un verdict. Félicitations, j’étais docteure.

Phase 2 : quelle vision de la Recherche ?

8Toujours dans un fonctionnement de « suite logique », et après m’être accordée un très beau voyage de quelques mois, attendu et nécessaire, je me suis familiarisée avec la Galaxie. Si vous évoluez au sein de la communauté scientifique, ce mot ne porte plus aucune poésie pour vous non plus. Galaxie, pour nous chercheurs, c’est la plateforme de recensement des annonces de recrutement pour tout le corps enseignant des Universités (Maîtres de conférences, professeurs, etc.). Me ferais-je bannir de la communauté en osant dire que, bien qu’elle soit des plus utiles, c’est très certainement la plateforme la moins intuitive qu’il m’ait été donné d’utiliser. Après quelques semaines à intégrer sa logique, j’ai commencé, comme beaucoup de néo-docteurs, à répondre à des contrats d’ATER. Le statut d’ « attaché temporaire de l’enseignement et de la recherche » est pensé comme un temps de pratique de l’enseignement et de préparation aux qualifications de Maîtres de conférences, de deux années maximum. Après une Cifre, ne m’ayant permis de consacrer suffisamment de temps à l’enseignement, ce poste d’ATER s’est révélé être des plus formateurs. J’enseignais désormais à l’Université. Une première année au sein du département des sciences de l’information et de la communication de Nantes, puis à l’IUT de Rennes 1. Durant cette période, mes activités de recherche ont commencé à se diversifier. J’ai intégré une équipe de recherche, travaillant sur le concept de Smart City. Toujours la ville. Une collaboration avec différents chercheurs, à laquelle je reste attachée aujourd’hui, puisqu’elle permet un ancrage réel des travaux de recherche actuels sur le terrain, tout en venant confronter des enjeux et des analyses auprès d’acteurs de ces territoires. Une fois encore, après l’ancrage de la thèse sur le terrain permis par la Cifre, cette équipe et sa démarche revenait faire écho à un besoin fondamental dans mes activités de recherche, qu’à ce moment-là je ne parvenais à formuler que de cette façon : la phobie de l’enfermement dans un entre-soi des travaux de recherche. Cette conscience des risques de conditionnement a d’ailleurs clairement motivé mon projet de (ré)écriture de ma thèse sous forme d’essai. Même si, il faut le dire, ce projet a également été une façon de garder la tête hors de l’eau pendant le premier confinement. Le thème de l’évolution des villes touche autant les acteurs du territoire publics et privés, du numérique, et plus encore, les citoyens que nous sommes. Aussi, il me semblait évident que l’aventure de la thèse ne s’arrêterait pas à la soutenance, mais bien à une publication plus large de ces réflexions.

9Après ces deux années entre enseignement et recherche, j’ai donc passé les qualifications de Maître de Conférences. Pourtant, malgré cette nouvelle étape franchie dans le parcours universitaire, mon âme de communicante m’a rappelée. Je sentais le besoin d’exprimer ma créativité, d’investir des stratégies, d’imaginer de nouveaux concepts au service d’enjeux et de projets. Dans cette période de volonté de changement, au printemps 2021, je reçois un appel. Un cabinet de conseil, intéressé par mon profil et mes sujets de recherche, me propose un échange. Échange qui se termine en série d’entretiens avec différents membres dudit cabinet. Après quelques semaines, je signais pour une nouvelle expérience : celle du monde du Conseil. Dans cette nouvelle vie, je tenais à préserver mes activités de recherche. Autour de la ville intelligente, des GAFAM comme nouveaux maîtres d’ouvrage, de l’éditorialisation des territoires, etc. Ces travaux se sont ainsi poursuivis. Très rapidement, cette nouvelle expérience professionnelle s’est révélée être également l’occasion d’investir le milieu du Conseil et de tenter de comprendre, pourquoi, aujourd’hui, un cabinet recrute des chercheurs, et plus encore, quelle place pour ces chercheurs au sein des logiques d’intervention d’une telle organisation ? Une question qui arrivait certainement comme la pièce manquante du puzzle dans ma réflexion quant à la conscientisation de ma propre posture.

Phase 3 : peut-on être communicante et chercheure en sciences de l’information et de la communication ?

10Rappel, selon Wikipédia, la recherche s’est professionnalisée au xixe siècle avec l’apparition des premiers chercheurs. Souvent, je me pose cette question quant à notre façon d’aborder cette discipline : pourquoi aujourd’hui encore la distinguer du « monde professionnel » ? Pourquoi dit-on « recherche et mondes professionnels », comme si la recherche n’était ni professionnelle, ni un métier en tant que tel ? N’est-ce pas là le début d’un non-sens qui participerait à la déconnexion d’une certaine réalité, souvent rappelée par « les autres professionnels » ? Dans cette recherche-action, évoquée précédemment et réalisée au sein d’un cabinet de Conseil pour comprendre pourquoi ces organisations recrutent des chercheurs (outre la compensation du CIR [Crédit impôt recherche]), la question de la distinction de ces deux « mondes » est omniprésente. Les analyses et les résultats de ce travail attestent d’un leurre profond quant à une réelle compréhension entre posture de chercheurs et posture de consultants. Ces derniers, rattrapés par des enjeux divergents, peinent à créer une forme d’enrichissement commun.

11Ce sujet, telle une nouvelle composante de mes recherches, n’a pas épargné ma propre posture. De façon tout à fait personnelle, j’ai ressenti à nouveau cette impression, celle d’être perpétuellement entre deux mondes, à travers ma posture de chercheur et celle de communicante. De répondre à des normes, des perceptions, souvent incompréhensibles l’une pour l’autre.

12Je me dis alors qu’il s’agit indéniablement de notre responsabilité de chercheur, d’œuvrer à l’intégration, plus forte encore, des sciences sociales au sein d’autres « mondes professionnels ». De revendiquer l’utilité publique de ce métier. D’ouvrir les sphères. De collaborer, de communiquer, de diffuser, sans arrêter de préserver les méthodes nécessaires aux travaux de recherche. Arrêter de cultiver une forme d’impénétrabilité de ce monde ô combien nécessaire et ô combien passionnant.

Bibliographie

De l’évolution de mon parcours, je dirais aujourd’hui que plus que mêler les théories aux réalités, l’idée d’utilité de la recherche est le point d’ancrage de ma posture de chercheure. Aussi, je suis attachée à ce que chaque projet entrepris porte désormais la conscience de cette posture. Rejoindre la communauté de la SFISC et particulièrement la dimension « relations professionnelles » est l’un de ces engagements.

Pour citer ce document

Marion Trommenshlager, «Posture de chercheur(e) en sciences sociales. Récit personnel», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 18-Varia, Mondes professionnels,mis à jour le : 13/02/2023,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=967.

Quelques mots à propos de : Marion Trommenshlager