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DOSSIER

Larbi Megari

Y a-t-il une théorisation« islamique » de la communication dans le monde arabe ?

Article

Texte intégral

1L’islam est une religion fondée sur la communication, et, pour les musulmans, le grand miracle de l’islam réside dans son extrême éloquence et la sophistication littéraire du Coran, qu’aucun des poètes et orateurs arabes les plus reconnus ne pouvait égaler (Galander, 2002). Cependant la recherche scientifique dans le domaine de la communication invite plutôt à constater le manque flagrant de théorisation de la communication dans le monde arabe.

Théorisation de la communication dans le monde arabe

2Théoriser la communication dans le monde arabe est une mission très difficile, et ce pour deux raisons. La première raison réside dans le manque réel et flagrant de données dans le domaine de la communication dans cette région du monde. Abdurrahman Azzi, universitaire algérien et théoricien de la communication, estime, en effet, que la théorisation (islamique ou séculière) de la communication dans le monde arabe est actuellement dans une étape de collecte de données qui précède la formation des théories (Azzi, 2011). L’assertion de Azzi est très juste au vu des lacunes flagrantes dans la recherche, surtout dans la dimension empirique de la recherche, dans le domaine de la communication en général et de la communication islamique en particulier. L’autre raison réside dans le fait que la communication et l’industrie de l’information ne revêtent pas une importance et ne constituent nullement une priorité dans le monde arabe et musulman. Hamid Mowlana, un auteur irano-américain spécialisé dans la communication internationale, a constaté « Le fait que, jusqu’à présent, il a existé très peu d’associations [de professionnels de la communication] au niveau international illustre la faible priorité accordée à l’information dans les pays musulmans » (Mowlana, 2007). Cependant, des efforts de théorisation sont menés dans ce domaine. Ces efforts sont fondés sur plusieurs principes et causes.

Communication alternative

3La plupart des efforts pour théoriser la communication dans le monde arabe est motivée par une tendance générale, dans cette région, qui consiste à susciter une copie « arabe » ou « islamique » de tout ce qui se passe en Occident. Parmi ces domaines figurent les connaissances et les sciences. C’est ce qui est appelé chez les musulmans « l’islamisation des sciences ». Les sciences de l’information et de la communication font partie des sciences ciblées par l’islamisation. On peut aussi considérer ce processus comme une continuité des efforts de la décolonisation ou de ce qui est appelé en anglais « de-westernization ».

4Hamid Mowlana a insisté sur le fait que les valeurs des médias dans le monde musulman sont différentes, et ce d’une façon considérable, à la fois des valeurs des médias dans le monde non-musulman et, plus spécifiquement, en Occident. Par exemple, pour Mowlana, le concept de « nouvelles » (news), commun dans les médias occidentaux, avec ses « cinq questionnements » (quoi, quand, où, pourquoi et qui), et qui est considéré comme un concept universel, pose un vrai problème pour le monde musulman. Pour Mowlana, aussi, les priorités données aux nouvelles dans les valeurs de l’Ouest, tels que les intérêts humains, la proximité, la nouveauté, et l’importance, sont totalement différents de ceux évalués dans des contextes islamiques (Mowlana, 2007). Dans le même sens, Mowlana fait la différence entre la définition des nouvelles dans les deux contextes, occidental et musulman. Selon l’auteur, les nouvelles, dans le monde musulman, ne font pas partie de l’industrie culturelle, mais elles sont des produits sociaux (Mowlana 2007).

5Pour Mowlana, la communication musulmane est avant tout fondée sur la notion de « tabligh » (propagation), qui est elle-même établie sur quatre principes : le monothéisme (tawhid), la doctrine de la responsabilité, de l’orientation et de l’action (amr bi al-m’rufwa al nahy’anmunkar), l’idée de la communauté islamique (Oumma) et, enfin, le principe de la piété (Taqwa), comme le relève Khiabany (2003).

6Parmi les efforts pour une différenciation entre la communication dans le monde arabo-musulman et l’Occident, on trouve le travail entrepris par l’auteur algérien Abdurrahman Azzi, auteur de la théorie du « déterminisme de la valeur morale des médias ou de l’information ». Le modèle de communication proposé par Azzi prend en considération les valeurs propres à la société musulmane. Dans son livre Etudes des théories de la communication : vers une pensée distincte sur la communication, Azzi a essayé de donner des contours particuliers à la communication « musulmane » (Azzi, 2004).. Toutefois, ses efforts ne sortent pas de l’esprit de la tendance à l’islamisation. Il a fait ses études aux États-Unis, et il se réfère souvent aux auteurs occidentaux, et plus spécialement à Herbert Marshall McLuhan, connu pour sa célèbre formule « le médium c’est le message ».

7Outre ces deux tentatives sérieuses de théorisation de la communication dans le monde arabe, certains auteurs suggèrent que tout contenu communicationnel et médiatique religieux fait partie de la communication islamique. En revanche, d’autres chercheurs nient totalement l’existence d’une théorie ou d’un modèle religieux musulman de la communication.

8En commentant les principes de la communication religieuse musulmane proposés par Hamid Mowlana, Khiabany considère que la vraie question est de savoir si les concepts abstraits proposés nous disent quelque chose sur la dynamique de la culture médiatique dans les pays musulmans. Pour le même auteur, les principes mentionnés par Mowlana ne sont nullement propres à l’islam. Ils constituent des récits communs à toutes les religions (Khiabany, 2003).

La communication comme outil de prédication ou de positionnement politique

9Hamid Mowlana, cité par Gholam Khiabany dans son article « De-westernizing Media Theory, or Reverse Orientalism : “IslamicCommunication” as theorized by Hamid Mowlana » a précisé que la religion (l’islam dans notre cas), à travers les communicateurs religieux, utilise la communication et ses technologies pour se propager parmi les musulmans eux-mêmes (Khiabany, 2003). Dans son livre Les médias islamiques face aux médias contemporains, Abdullah Alkacem Alwachli indique que dans les médias islamiques, l’idée (à transmettre) est très claire : il faut transmettre le contenu du message divin et il faut transmettre ce que veut Dieu de l’Homme (Al-Wachli, 1994).

10Convaincus que la religion est l’argument le plus convaincant dans le monde arabe, les adeptes de l’islam politique adoptent le discours religieux comme une simple tentative de se positionner dans la sphère politique, que ce soit la scène politique nationale ou la scène géopolitique internationale. La chaîne chiite Al-Manar, du parti libanais Hezbollah, est souvent citée en exemple. Selon Victoria Fontan, la chaîne de télévision Al-Manar, service de communication du Hezbollah libanais, se qualifie elle-même comme étant une « station de télévision libanaise [ayant] pour mission [de promouvoir] le rôle civilisateur de la communauté arabe et islamique », et se félicite d’être « le premier établissement à vouer une guerre psychologique contre l’ennemi sioniste » (Fontan, 2005).

Conclusion

11Ces dernières années ont certes vu une explosion de l’offre satellitaire concernant les chaînes appelées religieuses et islamiques, mais il se trouve que la seule dimension religieuse dans ces chaînes réside en réalité dans le contenu religieux musulman. Faut-il alors parler de communication islamique ? Sachant que les règles de travail dans ces chaînes, les techniques, même l’éthique sont les mêmes qu’en Occident, à l’exception des détails de mise en scène et de la présentation comme le code vestimentaire, langage réservé, la présence de la femme…, etc. Sur ce, il est légitime de poser la question suivante : est-il possible de réclamer l’existence des sciences « islamiques » de la communication sans qu’existe une communication qu’on puisse appeler « islamique » ?

Bibliographie

Fontan Victoria, « Le discours d’Al-Manar, vecteur de Glasnost du Hezbollah ? », Questions de communication, Mondes arabophones et médias, 2005, p. 51-66.

Galander Mahmoud M., “Communication in the Early Islamic Era: A Social and Historical Analysis”, Intellectual Discourse, vol. 10, n° 1, 2002, p. 61-75.

Khiabany Gholam, “De-westernizing Media Theory, or Reverse Orientalism: ‘Islamic Communication’ as Theorized by Hamid Mowlana”, Media Culture & Society, n° 25, 2003, p. 415-422.

Mowlana Hamid, “Theoretical Perspectives on Islam and Communication”, China Media Research, 3(4), 2007, p. 23-33.

Pour citer ce document

Larbi Megari, «Y a-t-il une théorisation« islamique » de la communication dans le monde arabe ?», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 12-Varia, DOSSIER,mis à jour le : 11/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=435.

Quelques mots à propos de : Larbi Megari

Université François-Rabelais, Tours, Prim. Courriel : larbi.megari@etu.univ-tour.fr