Aller la navigation | Aller au contenu

DOSSIER

Odile Riondet

De « communication and religion » à « christianism as a public sphere of the digital world »

Article

Texte intégral

1Je propose, dans cet espace offert par David Douyère, de creuser une question de type épistémologique, comme il m’y a invitée. J’ai utilisé comme titre de cet article le premier et le dernier de mes travaux dans le champ Communication et religion. Et ma question sera : comment un champ de recherche s’impose-t-il et comment évolue-t-il ?

2L’article intitulé « Communication and Religion » (Riondet, 2008), dont la version française est disponible en archives ouvertes, est né d’un dialogue avec Jacques Perriault autour des travaux de Pierre Lévy prônant une « anthropologie du cyberespace » et une « athéologie de la communication », suivis des contestations de Philippe Breton, qui lui reprochait d’instituer un « culte de l’internet » de type gnostique. La question religieuse surgissait de la technique. Non qu’elle ait été totalement inexistante antérieurement, mais elle était éparpillée entre quelques auteurs avec des problématiques différentes, voire se résumait souvent à une simple allusion dans des travaux dont ce n’était pas le sujet (Riondet, 1999, 2010).

3La seconde occasion d’interpellation du fait religieux dans notre discipline est venue de notre intérêt naturel pour la communication interculturelle. La résistance du religieux est apparue dans l’importance prise dans nos sociétés par un islam revendiquant une visibilité dans le monde social, contestant la séparation qui nous semblait acquise des univers du spirituel et du temporel. Quant à la face noire de l’islamisme attaquant par des actes de violence les fondements de la démocratie, jusqu’où est-elle de nature religieuse ? Dans tous les cas, ces réalités ne sont pas sans résonance médiatique, voire utilisent de manière particulièrement professionnelle les possibilités des médias. C’est alors la question de la relation de tension entre les religions et l’espace public qui s’impose : pouvons-nous continuer à identifier un univers de toutes les religions unies dans leur archaïsme en face d’une modernité qui se caractériserait par l’expulsion totale des religions de l’espace public ? Ne devons-nous pas, pour comprendre ces phénomènes, chercher à accéder au contenu même des religions, porter sur ces contenus nos méthodes d’analyse (Riondet, 2012) ?

4Pour Jürgen Habermas, les religions sont porteuses de convictions éthiques qui prêtent à débat, mais aussi de « contenus cognitifs » généraux comme une capacité d’indignation, une aspiration à la justice, une volonté de continuité de l’action, qui sont la conséquence d’une perspective de salut. Elles ne se résument pas à une piété ritualiste que l’on accomplit chez soi avant de venir travailler ou vivre en société, mais sont porteuses d’une anthropologie complète, qui gère la vie privée des individus, leur donne aussi des objectifs et des priorités qu’ils porteront dans toutes leurs interactions. Elles participent à la construction d’une représentation de l’Histoire qu’ils manifesteront dans la vie sociale et politique (Riondet, 2012). Cette manière de voir est d’ailleurs proche du protestantisme allemand dans sa branche la plus proche de la théologie dite de la libération. Une expression rituelle, comme une expression médiatique, y apparaît comme un espace où se jouent, se rejouent, se construisent des choix fondamentaux de vie (Riondet, 2014).

5Le choix fait par le journal Le Monde de ne pas avoir de rubrique religion est tout à fait intéressant et nous permet d’aller plus loin dans le raisonnement. Cette décision exclut de fait la logique interne des religions. Mais comme les faits religieux existent, il faudra les traiter. Présenter le salafisme en reportage ou en débat, traiter du voile à l’université dans la catégorie de la France ou de la société, inscrire la démission d’un pape en Europe ou en International, rien de cela n’est anodin. Il y a ainsi une réalité politique des faits religieux qui surgit de leur absence même dans le rubricage (Riondet, 2016). Leur inscription dans une lecture politique amène alors à identifier leurs lignes de tensions internes. Par exemple, le christianisme est-il une religion où la hiérarchie domine ? Peut-on rendre analogues des notions comme le sacerdoce commun des fidèles ou le sens commun des fidèles avec l’opinion en politique ? Le cas n’est pas le même chez les catholiques (organisation hiérarchisée), les protestants (avec la multiplication des sensibilités et même des sectes) et les orthodoxes (avec les Églises autocéphales). Quelles oppositions internes et revendications, repérables sur internet, existent dans le catholicisme en France, l’anglicanisme en Grande-Bretagne et l’orthodoxie en Roumanie (Riondet, 2016) ?

6Récapitulons comment ces éléments que je viens de citer peuvent être raisonnés dans le cadre de la question épistémologique initiale : le choix d’un champ de recherche et sa stabilisation. Il apparaît évident que ce choix s’inscrit dans une historicité : celle du chercheur certainement, mais aussi celle de la discipline avec ses champs habituels et ses champs émergents, celle de la technique, celle de la vie politique et sociale. Il se développe dans une configuration particulière et unique pour chaque chercheur avec ses des auteurs d’appui (Weber par exemple), des concepts (l’espace public), des méthodes (l’analyse de discours) qui impliquent un choix du mode d’écriture, et par la confrontation dans les lieux scientifiques (Archivesic, congrès, revues, livres). Accepter cette dimension d’historicité est un choix en philosophie de la science, choix qui s’inscrit globalement dans la lignée d’auteurs comme Thomas Kühn ou Alexandre Koyré. Il oblige enfin à adopter des hypothèses anthropologiques (Riondet, 2015). Car pour que la question de l’espace de recherche Communication et religion émerge, puis se structure, il faut d’abord l’accepter. Pour l’accepter, il faut considérer positivement le postulat selon lequel il y aura toujours dans l’humanité des formes de religiosité, car la religiosité est irréductiblement humaine.

7Or, cette proposition n’est pas unanimement partagée. Le postulat inverse, selon lequel les formes de religiosité sont – et seront de plus en plus – balayées par la rationalité jusqu’à leur disparition définitive – ou leur marginalisation définitive – a aussi ses partisans et sa juste prétention à validité. Dans ce cas, la fin du religieux est plus évidente que l’intérêt de considérer qu’il peut s’agir d’un champ de recherche. Il faut ensuite décider de vraiment parler de faits religieux et non du sacré. La préférence pour le sacré permet de concéder que l’humanité a besoin de donner un sens et une orientation à la vie, sans traiter la question de la place des faits religieux, qui sont alors considérés comme un des aspects de cette tendance générale au sacré, peut-être même une déviation ou une excroissance un peu monstrueuse du besoin de signification. Le phénomène religieux (ou ce qu’il en reste) est simplement constaté, libre à chacun de lui accorder une place : est-ce une manière en voie de disparition de donner sens à la vie, une propriété de certaines populations moins éduquées, un tour d’esprit spécifique, un dévoiement d’un juste besoin de symbolique ? La réponse peut rester en suspens. Préférer parler du sacré est un choix respectable, bénéficie à la fois de l’efficacité de la parole et de l’innocence du silence, pourrions-nous dire en paraphrasant la définition que donne Oswald Ducrot de l’implicite. Cela ne constitue pas une limite indépassable qui rendrait inutile une autre voie, empêcherait d’autres chercheurs de voir la nécessité d’une confrontation avec la question complexe du religieux. Les événements dramatiques que nous avons vécu en 2015 nous en ont encore plus convaincu.

Bibliographie

Riondet Odile, « Les concepts philosophiques dans les Sic », Annales littéraires de l’université de Franche-Comté, Presses universitaires de l’université de Franche-Comté, 1999, p. 121-135.

Riondet Odile, « Communication and religion », Revista romana de comunicare, n° 13, 2008, p. 103-111 ; version française sur Archivesic : « La célébration communicationnelle », http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00153740.

Riondet Odile, « Les Sic et la philosophie »,17e congrès de la Société française des sciences de l’information et de la communication, Au cœur et aux lisières des Sic, Dijon, 2010, http://www.sfsic.org/index.php/evenements-de-la-sfsic/evenements-passes/congres-2010/17eme-congres-actes-en-ligne.

Riondet Odile, « De la parole aux actes dans la prise de décision. Analyse du lien entre les hymnes et la prise de décision dans le film Des hommes et des dieux », in Lardellier P. et Delaye R. (dir.), Entreprise et sacré, regards transdisciplinaires sur la sacralité dans les organisations, Paris, Hermès-Lavoisier, 2012.

Riondet Odile, « Convictions privées et espace public », journée d’études Relicom, université Paris 13, Villetaneuse, 2012.

Riondet Odile, « Le média dans l’espace public chez Jürgen Habermas et le rite dans la communauté croyante chez Jürgen Moltmann », MEI, Médiation & information, n° 38, 2014, p. 177-188.

Riondet Odile, Enquête sur la communication comme science, Paris, L’Harmattan, coll. « Des hauts et débats », 2015, 120 p.

Riondet Odile, « Analyse du rubricage des faits religieux dans le journal Le Monde ou la dimension politique des religions », in Douyere D., Dufour S. et Riondet O. (dir.) Communiquer le religieux, du rite aux médias numériques, Paris, L’Harmattan, 2016 (à paraître).

Riondet Odile, « Christianism as a public sphere of the digital world », in Diez M. (dir.), Leadership, Global religious authority in a digitalized world, Barcelone, Blanquerna Observatory on Media, Religion and Culture, 2016 (à paraître).

Pour citer ce document

Odile Riondet, «De « communication and religion » à « christianism as a public sphere of the digital world »», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 12-Varia, DOSSIER,mis à jour le : 11/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=439.

Quelques mots à propos de : Odile Riondet

Cimeos/3S, Université de Bourgogne. Courriel : odile.riondet@wanadoo.fr