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DANS L’ACTUALITÉ

Pascal Lardellier

Quelques considérations critiques sur les « pseudo-sciences du décryptage du non-verbal »1

Article

Texte intégral

1Tout discours se réclamant de la science se doit d’être mesuré. Il en va de son acceptation dans une sphère académique rompue à des codes rhétoriques intangibles et à des protocoles méthodologiques vérifiés et partagés.

2Or, à côté de l’université, instance de production et de légitimation de la science, prospèrent des pseudosciences dans la sphère des relations interpersonnelles. Dans la formation continue, le management et le coaching, celles-ci font commerce de recettes et de prescriptions censées permettre de “lire” infailliblement dans autrui, simplement en décryptant sa gestuelle. Se plonger dans la lecture de cette littérature nécessite une bonne dose de patience, afin de démêler les inepties jargonnantes de ces simili-théories.

3Ceci pose sinon problème du moins question à notre interdiscipline. Concrètement, mon enquête sur ces dérives de “l’analyse du non-verbal” est partie de la découverte des ressources trouvées en ligne par mes étudiants, quand les cours portaient sur la communication interpersonnelle, précisément. Résultant édifiant, si l’on fait une rapide recherche avec les mots-clefs “gestuelle” ou “non-verbal”…

Aux sources de l’interaction

4Au plus près des acteurs sociaux – entre eux, même  – il y a l’ordre des interactions. Les relations prennent naissance dans des formes sociales – dont les rites – et tirent leur sens du contexte, autant que de ce que co-produisent et interprètent les acteurs sociaux in situ. En situation d’interaction, on s’efforce de “produire de la prévisibilité”, en se réadaptant en permanence. On tient aussi compte du « regard social », des représentations de la relation et de ses propres sensations et impressions in situ. En clair, une approche empirique, contextuelle et conjecturale des gestes et mimiques d’autrui semble donc prévaloir.

5Les relations interpersonnelles constituent un objet théorique que les sciences de l’information et de la communication (SIC) se doivent de réinvestir sans cesse. Ces relations, qui incarnent l’expérience de communication, relèvent autant de notre interdiscipline qu’elles ressortissent à la linguistique, à la psychologie, à la sociologie ou à l’anthropologie. Toutes se sont penchées, avec leurs concepts et leurs méthodes, sur l’insondable complexité de l’interaction.

6Dans la perspective de l’interactionnisme symbolique et de la micro-sociologie, on pourrait commenter longuement l’apport d’Erving Goffman, véritable « entomologiste du social » (expression de Pierre Bourdieu). Selon lui, les individus viennent aux formes sociales, préexistantes à certains égards. Cependant, « rien n’est écrit ». Et l’individu joue sur une gamme ample et fine de rôles, de cadres, de situations, sur sa perception de la nature des interactions et de ce qui est en train de se jouer/nouer dans la relation. Une « intelligence du social » très forte est à l’œuvre, portée par les acteurs eux-mêmes. Les uns et les autres préservent leur « face » et celle d’autrui en toutes circonstances, tout en perpétuant la sacralité diffuse du lien social.

7Cette vision subtile et profondément sociologique des relations sociales est à mille lieues de celle des « obsédés du décodage de la gestualité » dont il est question dans ces pages, qui fétichisent le « non-verbal » et déshumanisent les relations sociales, toujours à l’affut du “délit de sale geste”.

8Au détour d’une phrase qui devint célèbre, le linguiste américain Edward Sapir évoquait « le code secret et compliqué, écrit nulle part, connu de personne, entendu par tous », qui régit l’ordre des interactions. Nous « fonctionnons » socialement car nous avons intégré l’intelligence de ce code, et parce que nous avons « incorporé » la double dimension prévisible et aléatoire de la communication. En situation, chacun procède en permanence à une interprétation intuitive de « ce qui s’échange », tout en s’efforçant de rester présent à l’autre. Car il est difficile d’être « dans » une interaction, et « au dessus » de celle-ci. Et nous prêtons aussi attention à ce que nous disent nos interlocuteurs, le langage n’étant pas accessoire quand on communique.

9Depuis quelques décennies, les spécialistes académiques du « champ communicationnel » ont contribué à publier une masse conséquente d’études s’attachant à cerner théoriquement cette dimension interpersonnelle de la communication. Les ouvrages consacrés à l’Ecole de Palo Alto ont initié des générations d’étudiants à la dimension « orchestrale » des relations interpersonnelles. Pour ce courant, celles-ci doivent être considérées du point de vue des processus, avec une part belle laissée à la culture, au contexte, aux formes sociales (dont les rites d’interaction), et aux rôles des représentations dans les rapports sociaux.

Les « chiromanciens du décodage du non-verbal »

10Ignorant royalement cette somme de travaux, mais frayant thématiquement dans le même champ, une tendance éditoriale d’un autre ordre est montée en puissance depuis quelques années : il s’agit de la vogue des ouvrages « grand public » proposant des « modes d’emploi » des relations interpersonnelles. Celles-ci auraient une dimension implicite, inconsciente – cela est su et a été fort bien dit – mais pour tout dire secrète. Les « secrets de la communication », nous y voici. Ces manuels, rangés en « Développement personnel » ou « Psychologie », se présentent comme des « grammaires du non-verbal » et des stratégies relationnelles cachées. Une « communication efficace », telle est bien l’obsession de tous les signataires de cette prose, qui inscrivent les relations amoureuses, familiales et professionnelles dans une perspective stratégique et même balistique. En fait, tous ces « bonimenteurs » fondent leurs « analyses » sur un soubassement libéral, au sens économique du terme : car il faudrait attendre un rendement et une rentabilité des rapports sociaux. Et pour atteindre ses objectifs (cachés), il conviendrait d’appliquer des stratégies qui ne sont plus argumentatives mais « non-verbales », en « décodant » nos interlocuteurs afin d’arriver à une mythique (mais illusoire) transparence dans les relations, et à une « lisibilité » de l’autre. Les relations interpersonnelles sont entrées dans une nouvelle ère du soupçon, pour ces « obsédés du décodage de la gestuelle ». Car il s’agit toujours – implicitement – de manipuler autrui et d’instrumentaliser les relations sociales. Sont posées comme préambules les inévitables maladresses et les dommageables « gaffes » de ceux qui ne connaîtraient pas encore les secrets. Et la finalité, c’est prétendument une meilleure compréhension et une « communication enfin efficace ». Pourtant, il semble qu’« il y a problème dès que la communication devient la solution à tout ; en revanche, on se rapproche de la solution lorsque la communication est appréhendée comme un problème »2.

11À l’avenant, « les manipulateurs seraient parmi nous ». Des titres d’ouvrages l’affirment, édités dans la nébuleuse de publications consacrées à la « manipulation » faisant de la paranoïa un fond de commerce. Car prétendument, pas d’alternative : on manipule ou on est manipulé. Donc, le premier principe relationnel est de se méfier des collègues, des amis et même des conjoints. « Prenez garde à ne pas vous faire abuser ». Et pour cela, on y revient circulairement, « apprenez à lire autrui », « à décrypter ce qu’il vous cache ». Cela transparaît et « parle » à l’œil averti. Une guerre froide d’un nouveau genre caractérise les relations. Observer et analyser autrui, « le calibrer », dirait la Programmation Neuro-Linguistique, décoder ses faits et gestes, et ne pas donner trop de crédit à ses paroles, forcément partiales, et même délibérément trompeuses la plupart du temps…

12Affectant les domaines de la formation continue (leur cheval de Troie), troublant les habituelles définitions de la psychologie, jouant sur la confusion des genres, ces « nouveaux gourous de la communication » – non plus spécialistes de la rhétorique mais experts autoproclamés du « décryptage du non-verbal » – bénéficient d’une réelle complaisance médiatique. Depuis une quinzaine d’années environ, ils se sont adossés à l’incroyable « psychologisation » des discours sociaux et des institutions, pour asseoir leur succès et tenter de capter une légitimité médiatique et éditoriale ensuite bien monnayée en entreprise. Paradant pour certains dans des émissions à large audience, ayant colonnes ouvertes dans certains magazines, ces « bonimenteurs » pérorent en décodant les prestations publiques des hommes politiques. Tous, formateurs, coachs et consultants, considèrent qu’un passage sur BFM ou une interview dans VSD ou Closer vaut onction académique. Bien sûr, leurs démonstrations incertaines « révèlent les dessous de la communication ». Pour cela, ils énoncent des lieux communs éthologiques, fétichisant Desmond Morris (mal lu de surcroît par eux3), le tout mâtiné d’un zeste de psychologie comportementaliste et d’un peu de neurosciences.

13On est face à une vraie tendance éditoriale et médiatique, et la récente série policière Lie to me, voyant le docteur Lightman, pétri des théories de Paul Ekman, voler au secours du FBI en « décryptant la gestuelle » des suspects, légitime encore ces pseudosciences, en leur offrant crédit et visibilité.

14Mais qui sont-ils ces « experts » autoproclamés ? Joseph Messinger, décédé en 2012, polygraphe infatué et redondant, « père de la grammaire gestuelle », Philippe Turchet, « inventeur » de la « synergologie », qui fait patiemment école, en vendant fort cher formations qualifiantes et certifications, ou encore les « inventeurs » d’incertaines « disciplines » préfixant la « morpho » et suffixant la « gestuelle ». Par extension, il y a tous les auteurs publiant des écrits autour du « non-verbal », qui prétendent avoir inventé des disciplines alors que la plupart du temps, ils font leur terreau de théories existantes, détournées et édulcorées par eux. Mais mettons encore dans cette liste tous ceux qui proposent de « fournir des clefs pour lire autrui », ou vendent du « mieux-être relationnel ». Demandez les expressions « non-verbal », « communication inconsciente », « décodage gestuel » à votre moteur de recherche et vous verrez « remonter » sans coup férir quelques dizaines de ces « gourous » (souvent des Américains vendant des « méthodes infaillibles » traduites à la va-vite), qui tous proposent leurs « œuvres théoriques » à la vente « en ligne ». Business is business…

15Loin des mille précautions de principe et de méthodes de la plupart des sciences académiques, toutes ces « simili-théories » du « décryptage gestuel » se piquent de cataloguer les individus qu’elles passent à leur crible, comme on épinglerait des papillons. Elles analysent à tort et de travers, vont jusqu’à conseiller ce qu’il faut penser des autres, quoi leur dire et comment se tenir en toutes circonstances, tout cela à travers le seul prisme de la gestuelle. Les cadres supérieurs sont de plus en plus nombreux à se conformer à leurs diktats, via les séances de média-training et autre coaching relationnel imposés comme de nouveaux rites de passage par le management, pour accéder au statut de « décideur ». « Comment se tenir comme il faut », expliquaient les manuels de savoir-vivre ; « comment se comporter efficacement », surenchérissent désormais les « gourous de la relation », en une impitoyable et fallacieuse entreprise de « dressage des corps » ; comme si la réussite d’une négociation ou d’un entretien se réduisait à leur seule dimension comportementale et gestuelle. Selon Roland Gori, « toutes ces techniques d’accompagnement psychologique ont valeur d’initiation sociale à une civilisation néo-libérale ». Et de poursuivre : « en réalité, c’est autrui qui nous aide à déchiffrer notre monde intérieur. Alors tous ces déchiffrages du non-verbal et d’autrui, ce sont des « délires sectorisés ». Là, d’un point de vue social, on inscrit la relation dans une logique de soupçon. On est bien loin de l’empathie. Quant au coaching, il exige qu’on utilise ce que l’on est à des fins d’utilité professionnelle. En fait, il est chargé d’initier aux idéaux de l’idéologie libérale. On perçoit aussi la porosité entre la sphère privée et la sphère publique. Maintenant, la sphère privée est structurée comme le monde de l’entreprise »4.

16Notons que ces « chiromanciens du non-verbal » n’ont aucune légitimité scientifique et universitaire. À l’avenant, ils n’ont aucun cadre théorique ni assise épistémologique, aucune méthode de travail reconnue. Argumentation et démonstration résident dans leurs seules assertions d’autorité. Et leur prose fourmille de références mystico-ésotériques et « anti-rationalistes ». Car que penser d’ouvrages se disant scientifiques, et convoquant Charles de Gaulle, le mime Marceau ou Isabelle Adjani en notes de bas de page, pour « nous parler » du sens des gestes ? Comme s’il suffisait de rechercher des citations ayant pour thème « geste » et « gestualité » dans un dictionnaire, et de juxtaposer celles-ci indistinctement pour faire autorité…

17Pour tous ces pseudo-scientifiques, qui se sont affranchis des fourches Caudines académiques, exit la complexité : la chose humaine est chose simple. Le business, plutôt lucratif, est à ce prix. Leurs typologies sont manichéennes, leurs grilles de lecture discutables et leur idéologie d’un cynisme assumé.

18En butte au système académique et à ses us et coutumes, ces « gourous » desservent aussi la « cause psy », en donnant à penser que celle-ci est la science de la manipulation mentale et du contrôle exercé sur autrui. Tous ces auteurs-formateurs, qui se vantent d’être psychologues, se situent aux antipodes de la posture éthique de cette profession. « Et aux antipodes de l’approche analytique, où l’on part du principe que l’on ne sait rien de ce que la personne peut penser, rêver, sentir, avant qu’elle ne l’ait dit. Dans l’approche corporelle, a contrario, on est censé avoir tout compris sans qu’autrui ne dise rien. Du coup, la personne pense que ce n’est plus la peine de parler. Le risque, c’est que notre interlocuteur ait l’impression qu’il est totalement dominé, et surtout, que quoi qu’il fasse, il sera dominé. Il n’a donc pas d’autre possibilité que de s’abandonner à un pouvoir supérieur au sien »5 : celui de la personne sachant ; ou disant savoir.

19Pour comprendre le succès de ces « gourous du non-verbal », peut-être faut-il essayer de prendre en considération les effets que peut produire leur lecture. Les auteurs dont il est question ici profèrent pour la plupart d’entre eux une parole qui se dit vérité. Ils promettent une vie meilleure et une compréhension plus fine des réalités humaines. Ils invoquent un pouvoir que leurs lecteurs acquerront, celui de « lire autrui », pour peu que leurs préceptes soient suivis. Ils ont surtout créé un système autoréférentiel qui exclut tout ce qui pourrait les contredire. Lire leurs quatrièmes de couverture est édifiant : ainsi, Joseph Messinger expliquait sans sourciller sur celle des Gestes qui séduisent que ses lecteurs pourront « à coup sûr connaître le langage du corps de leur interlocuteur et lire en toute transparence dans leurs pensées les plus secrètes ». À ce titre, ce sont des « gourous », au sens littéral et pas seulement métaphorique. Ne conviendrait-il pas finalement d’apprendre tous leurs préceptes, et toutes leurs grilles de conseils directifs et autres « trucs infaillibles à appliquer « avant d’entrer en relation » » ?

20Car à la différence des gens ordinaires et de tous ceux qui, au quotidien, font sans savoir, sans comprendre, au risque de subir, de souffrir, d’échouer dans leurs pratiques de communication, le gourou conçoit la communication dans sa totalité, de la pratique au symbolique, de la mécanique au mystique. Une vision globale capable de parcourir tous les degrés, tous les niveaux de la communication, du plus discret et du plus humble (un battement de cil, un croisement de jambes) au plus entier dans le comportement du sujet (son rapport à soi, aux autres, au monde). Ayant une vision sinon totalitaire, du moins totalisante de la communication, le gourou, porteur de révélations et d’une Révélation, peut délivrer des messages aussi bien en faveur de la paix intérieure que de la performance sociale. Fétichisant à outrance les « signaux faibles », comme Cal Lightman dans Lie to me, il en fait science, et sa parole, d’autorité, souffre peu de contradictions, de la part de celles et ceux de ses lecteurs non dotés du capital académique pour débusquer la supercherie.

21Et sans cesse, la promesse est faite par eux d’une « communication totale », et de relations enfin transparentes. Mais totalité, transparence et finalement toute-puissance de façade. Car ces « bonimenteurs » ont une vision de la communication interpersonnelle réductrice, manichéenne et sectaire. Et pourtant, ces analyses, qui interrogent les sciences académiques, sont à la mode, comme en témoignent les milliers d’exemplaires de ces ouvrages vendus, mais aussi le nombre de stages appliquant ces préceptes dans la sphère de la formation, et vendus sans vergogne par de grands organismes. Que nous disent-elles sur le fond ? Les mots et les discours n’ont plus d’importance, puisque seule compterait désormais la gestuelle.

22Toutes ces pseudo-sciences prennent en compte la seule dimension non-verbale des échanges, mécanisant outrageusement sous forme de procédures simples et linéaires des processus complexes et symboliques. Le langage, si important, se trouve évincé, le sens interactionnel n’étant ni construit ni partagé. Il faut juste prendre en compte des logiques neurologiques prétendument profondes (des « câblages » en quelque sorte !) qui font qu’on agit et réagit « comme ça ».

23Tous ces « pseudo-scientifiques » jouent de la vogue entourant la communication pour procéder à des captations d’héritage et à des détournements de légitimité, ou plutôt, de scientificité. Car « la communication demande, pour être analysée, une grande rigueur, qui pose des problèmes théoriques extrêmement compliqués. Tous ces gourous en font l’économie, car ils prennent la physique comme seul modèle. Que proposent-ils, finalement ? Non pas une analyse des pratiques de communication en tant que telles, mais un modèle mimétique des théories scientistes. Une fois que ceux qui analysent les processus communicationnels ont été disqualifiés, (« car pas assez scientifiques, un comble !), eh bien ils produisent une théorie du geste, mesurable, modélisable, prédictible ».

En guise de conclusion…

24Nul combat personnel dans ces pages, ni croisade contre tel ou tel usurpateur qu’il s’agirait de dénigrer coûte que coûte. Nous souhaitions simplement rappeler qu’à côté de la science instituée (qui a ses principes, ses limites et ses ambiguïtés, aussi), des « pseudo-théoriciens » jouent de la confusion des genres et profitent de la vogue sociale et médiatique de la communication pour faire commerce de leurs analyses infaillibles et autres préceptes guerriers. Et il ne s’agit nullement d’ethno-méthodes, qui seraient tout à la fois pratiques, modestes, éprouvées. Ces « gourous » détournent cyniquement les codes rhétoriques de la science afin de gruger le « prospect ».

25Ces « bonimenteurs » me semblent être dangereux pour la science, en tout cas pour son image auprès du grand public. Car ils s’en réclament et la singent, un anti-intellectualisme les caractérise souvent. Ils sont les porte-étendards d’une idéologie outrancièrement libérale. Sous couvert de décryptage systématique, ils démoralisent les relations, au double sens du terme : celles-ci doivent se passer de la morale, puisqu’il est question de manipuler et d’instrumentaliser autrui. Et à quoi bon être spontané, puisque les paroles mentiraient presque toujours, et que les corps nous trahiraient sans cesse ?

26Les relations interpersonnelles sont éminemment complexes, dès lors qu’on les considère raisonnablement. On revient alors à la mesure qui doit habiter tout discours scientifique, faisant de la raison et de la méthode l’étalon d’appréhension du social.

27Est-il raisonnable de plaquer sur ces relations comme objets de sciences des notions de performance, de rendement, de réussite, de succès, et d’infaillible lisibilité ? Et considérer les choses ainsi, n’est-ce pas regarder les relations comme un combat à gagner à tout prix, au détriment d’autrui ? C’est ainsi que raisonnent tous les gourous évoqués ici, qui rêvent d’arraisonner autrui, afin de triompher de lui. Beau programme théorique et humain…

Bibliographie

COSNIER J., BROSSARD A., La communication non verbale, Neufchâtel, Delachaux et Niestlé, 1984.

GOFFMAN E., La mise en scène de la vie quotidienne. 1. Les rites d’interaction, Paris, éditions de Minuit, 1973.

LARDELLIER P., Arrêtez de décoder. Pour en finir avec les gourous de la communication, Lausanne, L’Hèbe, 2008.

LARDELLIER P., (dir), Actualité d’Erving Goffman, de l’interaction à l’institution, L’Harmattan, Paris, 2015.

LE BRETON D., L’Interactionnisme symbolique, Paris, PUF, 2004.

WINKIN Y., La Communication n’est pas une marchandise, Bruxelles, Labor, 2003.

Notes

1 Une partie de cet article est tiré de l’ouvrage Arrêtez de décoder. Pour en finir avec les gourous de la communication (L’Hèbe, 2008), ainsi que de quelques articles publiés entre 2008 et 2010 dans des revues académiques francophones. Cette vaste enquête sur les “pseudo-sciences du décodage du langage non-verbal” sera rééditée sous une forme actualisée en 2015.

2 Yves Winkin, La Communication n’est pas une marchandise, Labor, Bruxelles, 2003, p. 15.

3 En 1984, Desmond Morris avait publié un ouvrage explicitement intitulé Le Langage des gestes, dans lequel il s’attachait à analyser les gestes conventionnels, ayant un sens dans un contexte culturel précis. Dans d’autres textes, il évoque davantage les gestes indiciels, non pas rattachés à un sens social déterminé (comme le « au revoir » avec la main), mais produits « involontairement ». Eh bien les « pseudo-scientifiques du décodage non-verbal » ne prennent jamais (source) cette distinction, élémentaire et primordial, en compte.

4 Roland Gori, psychanalyste, Professeur émérite de psychopathologie à Aix-Marseille-Université, entretien avec l’auteur, novembre 2007.

5 Serge Tisseron, pédopsychiatre et psychanalyste, entretien avec l’auteur, novembre 2007.

Pour citer ce document

Pascal Lardellier, «Quelques considérations critiques sur les « pseudo-sciences du décryptage du non-verbal »1», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 11-Varia, DANS L’ACTUALITÉ,mis à jour le : 15/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=492.

Quelques mots à propos de : Pascal Lardellier

Université de Bourgogne,CIMEOS/3S, pascal.lardellier@u-bourgogne.fr