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Marcin Sobieszczanski

Dispositif vs effet

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Texte intégral

1Parmi tous les médias, c’est le média cinématographique qui bénéficie aujourd’hui de la théorie de dispositif la plus aboutie. Essayons de retracer la genèse de ces études. Jeremy Bentham écrit en 1780 dans Le Panoptique : « the field of inspection might be dilated to any extent. » (Bentham, 1995, p. 29-95). Le bâtiment circulaire imaginé par son frère à l’usage des manufactures éprouvant les problèmes de surveillance de la qualité de produits et de prévention des accidents professionnels, peut également servir de prison, d’école ou d’hôpital. L’omniprésence de l’inspection visuelle est sa première caractéristique, et elle reste en étroite relation avec les panoramas circulaires dans le domaine des arts visuels de la même époque. Cette inspection a les attributs suivants :

  • la couverture maximale du champ de vision,

  • la circularité conjuguée à la cinétique corporelle et à sa kinesthésie, et spécialement l’ensemble de mouvements et de sensations qui servent à l’exploration des espaces perceptifs : visuel, auditif, olfactif voire gustatif et tactile,

  • le contrôle de la distribution des pôles d’activité et de passivité perceptive, - on y retrouve les techniques cognitives présentes dans toutes les réalisations historiques de type immersif : (monitoring/vision),

  • la possibilité de déclenchement d’interventions physiques,

  • la possibilité de contrôle psychologique des agents/patients,

  • la possibilité de l’autocontrôle de l’agent individuel et social, conséquence qui découle du contrôle précédent.

2Cette unité de pensée de Bentham revêtant simultanément plusieurs formes : architecturale, morale, étatique et pragmatique. Michel Foucault, dans Surveiller et punir : Naissance de la prison, la généralise et la scelle d’un seul concept, celui de dispositif (Foucault, 1975, p 328). La même année 1975, Jean-Louis Baudry propose, sur le plan des médias et des techniques artistiques, la définition des pratiques cinématographiques en tant que dispositif appelé appareil à simulation et visant à produire un effet psychologique global chez le spectateur.

3Les effets réalisants du dispositif de Bentham vont plus loin que les effets cinématographiques de Baudry, sans doute parce que la psychologie de la fin du xviiie siècle n’était qu’une discipline préscientifique, restant fortement entachée de l’amalgame de la religion, de la proto-psychologie d’observation à la Franz Joseph Gall, de la morale, des idéologies et de la pragmatique sociale. Mais ce qu’on sait aujourd’hui de la pratique cinématographique issue de l’acculturation au cinématographe à l’échelle mondiale depuis plus de 100 ans, confirme assez bien les intuitions de Bentham, prononcées un siècle plus tôt, concernant le régime social de la vision panoptique. Là, où la reprise du dispositif benthamien perpétrée par Baudry prône un effet onirique, proche des effets observés et théorisés par Freud à l’époque des balbutiements du cinéma, les résultats expérimentaux obtenus depuis les années 1990 (Bordwell, Carroll, 1996) constatent chez les spectateurs du cinéma différents effets inverses, au niveau, à la fois, de la cognition « centrale » (top-down) et de la perception périphérique (bottom-up). Ces résultats sont confirmés aujourd’hui par le chercheur canadien Bernard Perron (Perron, 2002, p. 7-202)

4Tous ces effets relèvent de différentes stratégies perceptives et de différents types de traitement cérébral. Ils peuvent converger momentanément, à une étape donnée de l’évolution des techniques de la réception et produire un effet massif, mais peuvent aussi bien apparaître séparément, les uns parallèlement aux autres, ou se produire momentanément, les uns après les autres, et disparaître.

5Comme le dit le théoricien hollandais d’apparatus (l’équivalent anglais du mot dispositif), Frank Kessler (Kessler, 2003, p. 21-34), il faut rendre le dispositif susceptible d’historicité. Effectivement, selon cette critique, les théoriciens du dispositif voulaient le voir en tant que générateur des effets psychologiques absolus, ce qui les oblige à constater ses différents états de maturation, jusqu’au déclin. À ce titre il faut lui substituer un autre terme, plus fondamental, comme l’est effet de média, le mécanisme qui conserve l’efficacité de la transmission bilatérale, émetteur/receveur et receveur/émetteur, du message et apparaît à la jonction outil/sujet, à la jonction de plusieurs caractéristiques techniques et perceptives.

Bibliographie

BENTHAM, J. (1995), The Panopticon Writings. Ed. Miran Bozovic (London : Verso, 1995). p. 29-95

BORDWELL D., CARROLL, N., (dir.) (1996), Post-Theory : Reconstructing Film Studies, Madison : University of Wisconsin Press

BORDWELL D. (1985), Narration in the Fiction Film, Madison : University of Wisconsin Press.

FOUCAULT M. (1975), Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard.

PERRON B., 2002, « Faire le tour de la question », in Cinémas : revue d’études cinématographiques/Cinémas : Journal of Film Studies, Cinéma et cognition, Volume 12, numéro 2.

KESSLER F. (2003), « La cinématographie comme dispositif (du) spectaculaire », Cinémas : revue d’études cinématographiques/Cinémas : Journal of Film Studies, vol. 14,

Pour citer ce document

Marcin Sobieszczanski, «Dispositif vs effet», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 10-Varia, DOSSIER, > Axe 3,mis à jour le : 20/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=653.

Quelques mots à propos de : Marcin Sobieszczanski