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> Axe 4

Jacques Perriault

Les modalités de l’interdisciplinarité : conventions terminologiques

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Texte intégral

1Les incertitudes de vocabulaire sont nombreuses dans la liste des termes qui va de inter- à transdisciplinarité. Une approche grossissante aiderait peut-être à préciser la nature du travail que font ensemble sur un objet ou sur une thématique des chercheurs relevant de disciplines différentes, même si la composante numérique (ou digitale ?) leur est commune. Parler de cela en général serait une gageure. Je me bornerai donc à des cas que j’ai observés dans les années soixante-dix à la section d’automatique documentaire du CNRS, dirigée par Jean Claude Gardin, où je me trouvais. Je ferai appel pour cela à des notions relevant du domaine sociocognitif qui explorent les modes d’interaction entre deux ou plusieurs personnes. Nous nous situons là au niveau le plus proche du fait observé. J’aborderai sur exemples dans les modes de relations interdisciplinaires les types de relations suivantes : la coopération, la collaboration, la coconstruction et l’intersubjectivité.

  • La coopération. C’est souvent une relation générale, institutionnelle, souvent pro forma, par laquelle des entités diverses s’engagent sur des projets communs. La section du CNRS sus nommée avait ainsi entamé une coopération avec le Musée de l’Homme, sans que de véritables programmes de travail en aient résulté, sinon des créations d’entités, tel le Centre d’Analyse Documentaire pour l’Archéologie.

  • La collaboration. Là, l’interaction se fait plus précise. C’est le cas de Jean Claude Gardin, archéologue, épistémologue et de Jean Louis Laurière, spécialiste en intelligence artificielle. Gardin veut soumettre ses raisonnements interprétatifs en archéologie à la rigueur insensible d’un système expert1. Lequel montra des failles dans la logique de Gardin. Le résultat de la recherche, de grande portée épistémologique, un peu oubliée, est véritablement interdisciplinaire.

  • La coconstruction. Dans ce cas, on bâtit ensemble un objet ; en venant de disciplines différentes. Le cas de la construction d’un lexique pour la documentation automatique est un bon exemple de coconstruction interdisciplinaire. Quand l’équipe de Gardin travaille sur le langage documentaire SYNTOL, elle construit un lexique expérimental en neurosciences. En présence : un archéologue devenu spécialiste du traitement de l’information et Radmila Zygouris, biologiste2. Une expérience analogue a eu lieu entre le Centre de Calcul de la MSH et une équipe de leucémologues, animée par Jean Paul Lévy, de l’Hôpital Cochin. Les deux équipes bâtirent ensemble un lexique pour la formation sur ordinateur au diagnostic de la leucémie. Les échanges eurent lieu dans les deux sens et peu à peu un sens commun se construisit. C’est là qu’intervient le quatrième facteur, l’intersubjectivité.

  • L’intersubjectivité. Travaillée depuis Kant, mis à jour dans le domaine sociocognitif, notamment par Lev Vigotsky, cette notion désigne le rapprochement des points de vue des protagonistes au cours d’une action commune3. C’est là un thème de recherche passionnant et difficile : chacun se met un peu à penser à la manière de l’autre. Dans le cas de l’hématologie cité plus haut, les biologistes avaient bien précisé qu’ils ne voulaient traiter que de concepts ou d’entités observables ou mesurables sur des bases matérielles bien définies. Un jour ils proposent d’intégrer dans le graphe des notions, celle de « mort de la cellule ». Ce furent les collègues de l’autre discipline, non biologistes, qui firent remarquer que, dans la logique adoptée, la cellule morte se définit non par un terme mais par les produits résultant de sa décomposition4.

Notes

1 J.-C. Gardin, O. Guillaume, P.O. Herman, A. Hesnard, M.S. Lagrange, M. Renaud, E. Zodoro-Rio, Systèmes experts et sciences humaines, Paris, Eyrolles, 1987.

2 R.C. Cros, J.-C. Gardin, J.-P. Lévy, L’automatisation des recherches documentaires, un modèle général, le SYNTOL, Paris, Gauthier-Villars, 1964.

3 Vygotsky, L., Mind in society : the development of higher psychological processes, Cambridge, MA : Harvard University Press, 1978.

4 Consulter à ce sujet : Enseignement programmé, tendances actuelles. Actes du colloque OTAN, Nice mai. 1968, Paris, Dunod, collection « Sciences du comportement », n° 8, 360 p.

Pour citer ce document

Jacques Perriault, «Les modalités de l’interdisciplinarité : conventions terminologiques», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 9-Varia, DOSSIER, > Axe 4,mis à jour le : 22/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=770.

Quelques mots à propos de : Jacques Perriault

Paris Ouest Nanterre la Défense, ISCC. Courriel : jacques.perriault@gmail.com