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DANS L'ACTUALITÉ
La mobilisation d’informations sur facebook, vers un média collaboratif ?
Étude de cas de la Syrie en crise de 2011
Table des matières
Texte intégral
1La Syrie est parmi les derniers pays dans la région à ouvrir l’Internet au grand public. En 2000, on comptait seulement 18 000 utilisateurs, soit 0,2 % des syriens. Ce chiffre atteint 4 millions en 2011, soit 19,8 %. Le gouvernement syrien exerce un contrôle assez strict de la Toile. Depuis 2006, la Syrie est sur la liste des « pays ennemis de l’Internet ». Concernant les réseaux sociaux numériques (RSN), depuis 2007, Facebook est interdit au grand public, puis, entre 2008 et 2009 ça sera le tour de Youtube, Skype, Maktoob et la version en arabe de Wikipédia. En 2011, après ce qu’on l’a appelé « le printemps arabe », le gouvernement a décidé rapidement de tirer profit de cette technologie de l’information en accordant le feu vert aux RSN en Syrie le 8 février 2011. À partir de ce moment, la stratégie du gouvernement syrien est claire : exploiter les RSN en les mettant au service de sa « machine » médiatique afin de promouvoir ses préférences concernant la crise syrienne.
2Avec le début des manifestations le 15 mars 2011, le gouvernement syrien a dû faire face à ce qui était perçu comme une « faiblesse » de ses médias traditionnels : l’expression de leur point de vue et leur diffusion à l’ensemble des lecteurs et téléspectateurs des sociétés arabes. Par la suite, le gouvernement syrien a pris la décision d’interdire la présence de médias arabes et internationaux, décision prise moins d’une semaine après le début des manifestations dans la ville Der’aa. Les médias officiels et semi-officiels font exception et couvrent les évènements. Cependant, les journalistes n’ont pas le droit de se rapprocher des zones dangereuses. Ainsi, à ce stade de la crise en Syrie, nous nous trouvons dans une situation d’absence totale de médias spécialisés et « objectifs », ou du moins diversifiés.
3C’est dans ce contexte que les RSN ont commencé à jouer un rôle lors de la couverture des manifestations, et de la diffusion de l’information où le citoyen-journaliste est devenu central. Nous étudions dans cet article le rôle de ces réseaux à travers le cas de la fameuse page Facebook « The Syrian Revolution 2011(la page FB) », dans une période qui s’étale du 15 mars au 30 avril 2011. Le choix de cette Page ne se justifie pas seulement par le fait qu’elle était la première à être créée et à avoir lancé des appels à manifestations contre le régime syrien, ou encore, parce qu’elle comptait le nombre le plus élevé d’abonnés. Cette page Face Book va nous permettre de développer notre problématique en sciences d’information et de la communication comme les RSN peuvent constituer des formes de mobilisations d’informations et de productions de parole politique.
4Nous partons du constat suivant : dans le contexte du black-out médiatique imposé par le gouvernement et de la faible crédibilité des médias officiels syriens, les RSN ne constituent pas seulement un espace de fabrication d’un réseau militant, mais ils font partie également d’un modèle de médias collaboratif au sein duquel émerge une sorte d’hybridation entre les médias traditionnels, les RSN et le citoyen- journaliste.
Le journalisme-citoyen, une hybridation entre des pratiques individuelles et des pratiques collectives
5Dès le 15 mars 2011, date de la premier manifestation à Damas, la page FB, en collaboration avec d’autres pages, très peu nombreuses à ce moment-là, a joué un rôle non-négligeable dans le processus communicationnel, à savoir : chercher, collecter, traiter et diffuser de l’information. Sa légitimité est due au fait qu’elle était l’une des premières pages mises en place pendant la crise syrienne. Elle comptait ainsi le nombre le plus élevé d’abonnés. Enfin, cette page a bénéficié du réseau de relations du Mouvement des Frères Musulmans en Syrie, construit entre 2000 et 2011 de différentes façons, et notamment grâce à internet.
6À partir de cette date nous avons pu détecter un changement radical de mode d’opératoire de la page en question. La diffusion de l’information est devenue sa préoccupation majeure. Au niveau du chiffre, la page FB a posté 5 065 posts durant 47 jours (du 15 mars au 30 avril), soit 107 par jour. 52 % (soit 2 672) dédiés à l’actualité. Le nombre d’abonnées est passé de 40 000 le 14 mars à 63 000 le 21 mars pour atteindre 185 000 vers la fin avril 2011. La question qui se pose ici est comment les RSN ont réussi à garantir un flux continu d’information sur les événements. À ce stade, nous avons pu identifier deux circuits différents d’informations :
Premier circuit d’information
7Le premier circuit est lié aux possibilités fournies par Internet au « simple » citoyen en lui permettant de participer directement au processus communicationnel. En effet, « L’Internet accueillit […] de nouvelles formes de mobilisation informationnelle qui se caractérisent par leur spontanéité ainsi que leur nature auto-organisée et décentralisée » (Cardon, 2010). Il s’agit donc d’un circuit spontané, non organisé, où le l’usager dans les RSN devient un informateur qui participe à la recherche, la collecte et la diffusion de l’information. Les participants de la page FB ont diffusé l’information sur les régions où ils sont présents, par le biais de commentaires ou de messages privés, de courriels ou de messages téléphoniques destinés aux Admins. La forme principale que nous avons pu détecter est l’information publiée dans les commentaires. La grande majorité de ces informations était sous la forme de texte écrit. Ainsi, nous avons identifié deux modalités de commentaires sous forme d’informations d’actualités :
8La première modalité, qui est la plus fréquente, est liée aux évolutions des événements sur le terrain en Syrie, Ici, les commentateurs jouent un rôle dans la transmission directe de l’information concernant les régions où ils sont présents, Ces commentaires sont sous plusieurs formes :
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Des informations relatives à l’organisation des manifestations (horaires, lieux, nombre de manifestants, slogans et actions, etc.).
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Des informations concernant la présence des forces de l’ordre.
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Des statistiques concernant le nombre de victimes.
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Des lieux et des dates des funérailles, etc.
9La seconde modalité : Moins fréquente que la première, relève d’une transmission d’informations issues de différents médias et qui est en lien direct avec l’évolution des événements, ou la prise en compte des positions des pays régionaux et internationaux, par des commentateurs. Le plus souvent, elle prend la forme de liens hypertextes qui mènent à des articles (informatifs, analytiques), d’images ou d’informations urgentes, de vidéos, etc. Le but est soit de diffuser l’information, d’œuvrer à la mise en place d’un débat quelconque, ou de « confirmer » une information déjà diffusée sur laquelle des médias, spécialement télévisés se sont penchés à leur tour.
10Les informations circulant à travers les commentaires ne constituaient pas une source essentielle d’informations pour la page FB, dans le sens où elle n’est pas forcément la plus abondante sur la durée. Ce constat peut être confirmé à travers la baisse du pourcentage de l’information dans un échantillon de commentaires qui ne dépasse pas les 13,98 %. De plus, les contenus visuels (photos et vidéos) n’étaient pas présents dans les commentaires de façon suffisante. On comptait 287 photos et vidéos, soit seulement 3,86 %. Nous faisons ici une hypothèse qu’il s’agit d’une information désorganisée, non persistante qui pourrait être liée à la nature même des RSN qui mobilisent « des formes originales de curiosité et d’opportunisme où les raisons de [s’informer] ne sont pas préalables à la mise en relation, mais apparaissent comme une conséquence émergente de l’expressivité personnelle (Cardon, 2008). Chercher l’information ne semble pas constituer une priorité aux yeux des commentateurs, qui privilégie le débat sur l’information, ce dernier constituant la matière de base à « une performativité des individus » (Granjon, 2001).
11Nous pouvons dire que les commentaires constituaient une source limitée d’informations et se résumaient la plupart du temps à des « notifications d’événements » qui offrent aux Admins de la page FB un « signal » sur un événement en cours afin d’assurer sa couverture on comptant sur d’autre sources d’information. Il existe donc, pour la Page FB, d’autres circuits d’information pour acquérir l’information lors de sa couverture des événements en Syrie
Second circuit d’information
12C’est celui le plus organisé et le plus discret. Il compte sur la collaboration et la complémentarité de plusieurs réseaux de militants à l’intérieur de la Syrie comme à l’extérieur. Notre terrain nous a permis de contacter un certain nombre d’opposants, militants ou citoyens qui ont participé aux manifestations dès les débuts, et qui ont joué un rôle primordial dans la collecte et la diffusion d’informations vers l’extérieur du pays. Nous pouvons distinguer essentiellement deux catégories de groupes :
13La première catégorie consiste en un groupe d’opposants et de militants qui utilise l’Internet depuis l’année 2000, bien avant le début de la crise. Ces acteurs appartiennent aux partis d’opposition, aux organisations des droits de l’homme et de la société civile. Les liens d’amitié, familiale ou tribale ont facilité leurs coopérations. Nous citons, à titre d’exemple le témoignage de Soha, pseudonyme, militante de droit de l’homme, vivant en Europe : « Depuis le début des événements, nous avons pu établir des ponts de coopération et de communication avec les militants de l’intérieur, et ce en vertu de notre passé commun que ce soit dans le militantisme pour les droits de l’homme, ou de nos liens familiaux et amicaux, qui nous ont réuni bien avant le début des événements. Nous étions en communication avec eux de façon quasi-constante grâce à Skype ou en utilisant l’Email ou le réseau téléphonique »1.
14Ainsi les militants exilés, ont joué un rôle de non-négligeable dans l’envoi du matériel et des outils technologiques et logistiques nécessaires aux militants en Syrie. Ils sont parvenus à faire passer des modems satellites, des Smartphones et des ordinateurs portables, permettant ainsi de garantir un afflux constant d’informations rapidement et de haute qualité. Nous évoquons l’exemple d’Oussama Monajed, militant syrien né en 1980, titulaire d’un diplôme en économie de l’Université de Damas. C’est l’un des fondateurs du « Réseau d’information Sham », il vit à Londres depuis 2005. Ce dernier déclare qu’il a organisé de nombreuses sessions de formation destinées à la jeunesse syrienne de l’intérieur du pays : « Mes amis et moi, explique Oussama Monajed, avons commencé à faire passer des modems satellites, des smartphones et des ordinateurs portables dès le mois de février. Après la chute de Ben Ali, nous sentions que les Syriens allaient bouger à leur tour. Nous savions que, dans ce cas, Al’assad interdirait toutes les télés étrangères de rapporter depuis la Syrie » (Jauvert, 2011).
15Concernant la seconde catégorie, ce sont les acteurs qui utilisent, pour la première fois, les technologies de la communication à des fins politiques. Le travail des militants en Syrie est fortement lié à leurs réseaux à l’extérieur. Les militants de l’intérieur jouent le rôle de journaliste-citoyen, ils cherchent et collectent les informations et assurent leur cheminement vers l’étranger. Les informations seront traitées, classées et puis partagées sur les RSN et transmis à un maximum de médias traditionnels. Ce travail collectif est tenu dans le secret quasi-absolu, les militants ont recours aux réseaux limités et fermés de personnes. La plupart de mes enquêtés ont confirmé cette idée, à l’instar de Nasser, pseudonyme, jeune militant de la ville de Homs : « J’ai constitué avec quelques amis de mon quartier un groupe de travail. On filmait les manifestations, l’un de nous s’occupait du montage vidéo, ensuite je me chargeais de les transférer au niveau de la frontière Syro-libanaise]. Je casse les clés USB et je reprends la [mémoire flash] puis je la posais sous ma langue, de peur de me faire attraper par les forces de sécurité. Je ne connaissais même pas l’individu qui récupérait les vidéos. Donc, lorsque j’arrive au lieu de rendez-vous, je fais un signe avec l’éclairage de la voiture puis je retourne rapidement à Homs […]. Les informations parvenaient au Liban, les militants les diffusent sur Internet et sur les Pages Facebook, puis on les voyait finalement sur les chaînes de télévision, Aljazeera, Alarabiya. Cela était le plus important pour nous. L’essentiel était que ça soit partagé sur Facebook, sur Youtube et spécialement au niveau des chaînes de télévision »2.
16On voit à travers le témoignage de Nasser, comment, en Syrie, les citoyens se sont retrouvés face à une situation où ils constituaient, eux-mêmes, la principale source d’information. Ces citoyens, ne possèdent pas vraiment d’expérience dans le journalisme et le contexte difficile dans lequel s’est développé leur travail n’a pas contribué à l’établissement d’une relation de confiance à grande échelle entre eux-mêmes. C’est pourquoi le côté « engagement » a souvent marqué le travail de la plupart des journalistes-citoyens pendant cette période.
L’hybridation entre les RSN et les médias traditionnels
17Afin de mieux cerner le modèle de média collaboratif, notre analyse s’est orientée vers deux voies : dans un premier temps, nous avons poussé l’analogie entre la page FB et une Agence de presse ; et dans un deuxième temps, nous avons essayé de suivre la couverture médiatique effectuée par un groupe de chaînes de télévision d’information sur la crise syrienne.
L’analogie entre la Page Facebook et une agence de presse
18Le rôle des agences de presse est axé sur le fait de pouvoir transmettre l’actualité, le plus rapide possible, en temps réel, 24 heures sur 24. Elles s’appuient pour ce faire sur des journalistes professionnels, compétents et bien entrainés, au profil assez particulier : les agenciers (Pigea, Lesourd, 2014). Les caractéristiques fondamentales de travail d’une agence de presse se basent sur la rapidité, la vérité, l’impartialité et le pluralisme (Marthoz, 2012). Pour étudier la similitude entre les deux, nous avons procédé à une analyse à la fois quantitative et qualitative. Tout d’abord, la Page FB se distingue de l’agence de presse de par sa nature sociale et par son offre médiatique gratuite. Le réseau de citoyens et journalistes- citoyens, volontaires permet à la page FB de garantir une couverture médiatique plus large qui touche un maximum de régions en comparaison avec ce que peuvent faire les agenciers. Le coût d’un correspondant américain varie entre 200 000 et 300 000 dollars par an (Marthoz, 2012).
19Afin d’appréhender la couverture géographique ainsi que la vitesse de diffusion des informations publiées sur la Page FB, j’ai analysé les informations publiées pendant trois jours : vendredi 18 mars (jour de grande manifestation), samedi 23 mars, (les funérailles), et le mercredi 13 avril
20L’analyse de ces donnés confirme que l’intensité de la diffusion des informations atteint son maximum le vendredi. Elle atteint environ 8 publications par heure, soit le double du samedi et le quadruple de ce qui est publié les autres jours. Quant à la vitesse de couverture, elle passe à la hausse dès la fin de la prière du midi. Les informations écrites sont publiées en premier, puis suivent les vidéos et les photos.
21Exemple de poste publié le vendredi 25 mars, appelé « vendredi de la fierté » :
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Urgent/ Der‘aa / La police empêche les journalistes d’entrer dans la ville. Posté à 12 h 38.
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Damas/ Une foule énorme de manifestants s’oriente vers la place Almarjah. Posté à 13 h 14.
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Idlib/ : incendie du siège du parti Alba‘th… Les manifestants réclament la liberté. Posté à 13 h 42.
22Sous angle de l’impartialité et du pluralisme d’information, il nous semble difficile d’assimiler les activités de la page FB avec le travail d’une agence de presse où l’objectivité et la neutralité sont considérées comme l’une des préoccupations les plus importantes. Notre analyse nous a permis de dégager l’impact de l’engagement et le parti pris sur la nature de l’information publiée, que ce soit par la sélection d’expressions qui reflètent l’engagement, soit à travers l’exagération et l’amplification de cette information. Ainsi la page FB s’est plutôt focalisée sur l’information concernant les manifestants et les opposants plutôt que sur des points de vue de différentes parties de la crise syrienne. Les informations publiées ressemblent aux dépêches qui répondent à six questions : « Qui ? Quoi ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Elles fonctionnent comme des « alertes d’information continue » sur la crise syrienne. Elles sont des alertes car elles sont en temps réel, et elles sont continues par leur densité, leur mise à jour permanente. Cela a permis aux RSN d’emprunter à l’agence de presse l’une de ces fonctions de base, la « fonction d’agenda ». (Lagneau, 2002). C’est-à-dire, imposer aux médias traditionnels un classement des évènements ou des sujets à traiter en priorité.
La couverture médiatique de la crise syrienne effectuée par des chaînes de télévision
23En fait, les médias traditionnels se sont retrouvés devant un double challenge : d’une part, les événements connaissent une évolution de plus en plus rapide, et ils n’ont pas la capacité de les couvrir avec les méthodes de travail habituelles du journalisme. D’autre part, les RSN effectuent une diffusion constante d’informations, en temps réel. C’est ainsi que s’est dégagée une sorte de « complémentarité » entre les anciens et les nouveaux moyens de communication. Pour mieux cerner cette complémentarité, nous avons mis en pace un protocole d’analyse de la couverture médiatique effectuée par quatre télévisions d’information (Aljazeera, Al arabiya) numéro un et deux en matière de source d’information dans le monde arabe, et les chaînes internationales (France 24, BBC Arabic) qui ont œuvré à la couverture constante de la crise syrienne depuis son déclenchement. Nous avons recensé un échantillon de 89 vidéos (relativement courtes : 15 minutes au maximum), soit des extraits de bulletins d’information ou de reportages réalisés par ces quatre chaînes.
24Après l’analyse de contenu de ces vidéos, nous avons pu constater : d’une part, l’absence quasi-totale d’information transmise par les correspondants de ces chaînes ; d’autre part, une majeure partie du contenu multimédia sous forme de vidéos effectué par des réseaux d’individus et de militants sur le terrain sont diffusées sur les RSN. Dès le premier jour des manifestations, les chaînes de télévision ont repris le contenu médiatique (les vidéos en particulier) diffusé par les RSN.
25Les quatre chaînes ont adopté en partie les sources suivantes pour couvrir la crise pendant cette période : les groupes d’opposition et de militants des Droits de l’Homme sur le terrain, les témoins oculaires (anonyme ou pas) censés être sur le terrain des événements qu’on contacte par téléphone pour qu’ils donnent leur témoignage et leur vécu, les informations diffusées par les trois agences de presse internationales, ou par les associations internationales et arabes des Droits de l’Homme, en plus de tout ce que diffusent constamment les RSN comme informations et vidéos. Toutes les sources citées, à l’exception des RSN, n’ont présenté que des informations écrites. Si les chaînes de télévision n’avaient pas exploité le contenu audiovisuel partagé sur les RSN, elles auraient été privées de la force de l’image, qui fait la différence avec les autres médias traditionnels (presse et radio).
26Dans ce contexte les RSN se sont imposés comme sources primaires d’information, Les médias traditionnels font désormais la chasse aux posts publiés sur ces réseaux. Les chaînes de télévision n’ont pas seulement augmenté la visibilité des RSN en diffusant leurs informations, elles ont aussi donné l’opportunité aux Admins de ces pages d’apparaître sur leur antenne. Fida’ Alssayed, porte-parole de la Page en question a pris part à beaucoup d’interventions sur les chaînes de télévision. D’un autre côté, les chaînes de télévision ont participé à la médiatisation des idées et des propositions des RSN. En plus des vidéos, elles diffusaient les requêtes des manifestants, le nom du vendredi, les lieux, le nombre de manifestants, de blessés et de morts, etc.
Conclusion
27La crise syrienne a été caractérisée durant la période du 15 mars au 30 avril 2011 par l’expansion des manifestations dans de nombreuses régions de Syrie et du black-out médiatique concomitant imposé par le gouvernement. Cela a permis aux RSN, particulièrement Facebook, de remplir certaines fonctions d’une agence de presse en offrant au public et aux médias traditionnels un flux d’information continu sur la crise syrienne, et en imposant à ces médias un agenda d’information tout au long de cette période.
28Cette situation a contribué à l’émergence d’un modèle de média collaboratif alternatif qui a permis à de nouveaux acteurs de jouer un rôle dans le processus informationnel en formant des réseaux des citoyens-journalistes. Ces derniers fournissaient le contenu audiovisuel que les médias traditionnels n’ont pas été capables de tourner. C’est ainsi que les télévisions ont investi le contenu médiatique produit par ces nouveaux acteurs.
29Si le contexte de la crise syrienne pendant cette période a permis aux RSN de monopoliser la diffusion de l’information, en particulier le contenu audiovisuel, les chaînes de télévision ont par la suite développé de nouvelles méthodes de travail qui les ont aidées à trouver de nouvelles sources d’information et à briser le monopole des RSN. En effet, au début du mois de mai 2011, les chaînes de télévision, Aljazeera en tête, ont commencé à envoyer des appareils de communication satellitaires aux militants à l’intérieur du pays qui leur ont permis de communiquer directement et constamment avec eux. Les chaînes télévisées ont ainsi mis en place une transmission directe des manifestations filmées du début jusqu’à la fin avec une meilleure qualité d’image que les vidéos postées sur les RSN. À partir de là, Aljazeera s’est chargée de former à distance des citoyens ordinaires dans la plupart des régions syriennes pour qu’ils deviennent des correspondants qui rapportent l’information et rédigent les rapports de presse. L’absence de correspondants professionnels sur les terres syriennes a été ainsi compensé.
30# Notes
311. Entretien avec Soha, réalisé par skype le 24/02/2012.
322. Entretien avec Nasser, réalisé par Skype le 05/10/2012.
Bibliographie
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Jauvert Vincent, « Syrie : les réseaux secrets des cyberrésistants », le Nouvel Observateur [en ligne], 20 mai 2011.
Lagneau Eric, « Le style agencier et ses déclinaisons thématiques. L’exemple des journalistes de l’agence france presse », Réseaux, vol. I, n° 111, 2002, p. 58-100.
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Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Wissam Alnasser
IEP d’Aix en Provence, Laboratoire Cherpa, wissamalnasser@yahoo.fr