Enseignement et communication
Le cours magistral chahuté par les outils et médias numériques ?
Table des matières
Texte intégral
1À travers cette question, nous voudrions rendre compte de la dimension communicationnelle du cours magistral dans son histoire, comprendre sa remise en question accélérée par des médiatisations diverses en analysant les formes alternatives qui en découlent.
2En d’autres termes, nous nous proposons de considérer les médiations et les médiatisations1 à l’œuvre dans le phénomène du « cours magistral » et d’analyser l’évolution de leurs relations. Nous pourrions formuler ainsi la question posée : dans quelle mesure les avancées de la médiatisation du cours magistral, dans leur diversité, transforment-elles les médiations depuis longtemps à l’œuvre dans cet objet multiséculaire et multiforme ?
3Nous traiterons cette question en trois parties. Après avoir évoqué les origines du cours magistral, nous tenterons de voir pourquoi il est si décrié aujourd’hui. Nous évoquerons quelques alternatives possibles, notamment celles des MOOC ou la classe inversée, le plus souvent présentées comme prenant le contrepied du cours magistral.
D’où vient le cours magistral ?
Le cours magistral est d’abord une réalité universitaire
4Si le cours magistral est évoqué à tout propos, quels que soient les ordres d’enseignement, il est bon de rappeler pour commencer que le cours magistral est d’abord une réalité universitaire2. Selon la définition qu’en donne Annie Bruter (2008), il est un « mode d’enseignement dans lequel le professeur expose son savoir devant un auditoire ». Durant tout le 19e et une partie du 20e, on parle du cours magistral pour l’université tandis que, durant la même période, l’on évoque davantage l’enseignement collectif et simultané pour le primaire et le (début du) secondaire.
5Plus récemment, soulignons que la majorité des références au cours magistral renvoie à l’enseignement supérieur : dans les années 1960, en France le cours magistral est réputé universitaire et il s’oppose aux travaux dirigés et aux travaux pratiques3.
6Le cours magistral se caractérise donc par sa dimension orale et son caractère synchrone comme l’on dirait aujourd’hui, même si, bien avant les techniques d’enregistrement que nous connaissons depuis quelques décennies, il y a un auditoire mais aussi des publics différés : que l’on songe à la publication du cours sous forme éditée ou, plus simplement, sous la forme de polycopiés.
Distinguer cours magistral et enseignement simultané
7Comme nous venons de le voir, le cours magistral est souvent confondu avec le mode d’enseignement simultané. Ce dernier peut désigner occasionnellement des formes magistrales, mais pas nécessairement, puisque (au contraire) l’un des principes des promoteurs de l’enseignement collectif et simultané était de favoriser les interactions par un jeu judicieux de questions-réponses.
8À l’inverse, l’enseignement magistral n’est pas forcément collectif et simultané. Des « pédagogues » de la formation continue et de l’enseignement à distance prônent un enseignement magistral (une vidéo mettant en scène un professeur parlant de face par exemple) pour des sessions individuelles et en différé… On retrouve d’ailleurs souvent ce dispositif dans les MOOC, nous y reviendrons plus loin.
9Un exemple éclairant, que chacun a vécu, peut illustrer cette différence : la dictée, exercice roi de l’enseignement collectif et simultané, ne peut être assimilée à un cours magistral. Cet exercice fut inventé par l’école au XIXe siècle à mesure que se fixait l’orthographe et que se généralisait le mode simultané. Pour l’apprentissage de l’orthographe, la dictée a définitivement pris le pas sur la cacographie à partir de 1850 (on cachait alors des fautes dans les textes).
10On mesure bien ici la différence entre le collectif et le participatif : si le maître dicte pour l’ensemble des élèves de la classe, l’exercice est évidemment individuel, de nombreuses générations d’élèves l’ont appris à leurs dépens !
11La dictée est même devenue un genre pour adultes. Est-il besoin de rappeler la fameuse dictée de Prosper Mérimée commandée par l’Impératrice Eugénie en 1857 ?
Des liens entre les ordres d’enseignement
12Si cours magistral et enseignement simultané doivent être distingués, des liens existent entre les deux. Dans l’article consacré à l’enseignement simultané dans son Dictionnaire de pédagogie4, Fernand Buisson (1887, réédité en 19115) y fait référence : « Les savants et populaires professeurs qui, au Moyen âge, sur la Montagne Sainte-Geneviève, se voyaient entourés de nombreux disciples, firent de l’enseignement simultané. Ceux qui leur succédèrent dans les chaires des collèges de l’université en firent à leur tour. » L’allusion au cours magistral sert ici de justification historique au mode d’enseignement simultané que l’on cherche alors à imposer au détriment de l’enseignement mutuel6.
13Si le cours magistral nous semble davantage caractériser la forme universitaire tandis que l’enseignement simultané davantage la forme scolaire7, notons que les ordres d’enseignement ne sont pas étanches : ce qui se passe dans l’enseignement supérieur n’est pas sans influencer l’enseignement scolaire et inversement… Certains auteurs insistent même sur la nécessité de considérer l’école de la maternelle à l’université comme un système. Dans l’ensemble de ce système, le cours magistral – souvent dans une forme mal définie – sert de référence ou de contre-modèle à d’autres formes de pédagogie, comme nous le verrons plus loin.
Tentative de définition
14L’historienne Annie Bruter (2008) s’est intéressée au cours magistral comme lieu de production du savoir. On l’oppose un peu trop radicalement, selon elle, à la recherche qui produit le savoir et à l’enseignement qui le transmet à l’université. Elle souligne les profondes transformations du sens du mot « cours » : d’abord « études suivies » (1331), puis « recueil de texte de textes servant à l’enseignement d’une matière » (1606), « leçon » (1694), « établissement où l’on reçoit un enseignement » (1882) voire « degré de l’enseignement suivi » (1887) : on parle ainsi de « cours élémentaire ». Cette appellation existe toujours pour les classes de l’enseignement primaire.
15Le mot « cours » est donc employé concurremment avec « classe » ou « leçon ». Cependant A. Bruter essaie de les distinguer en rappelant, qu’en France au XIXe siècle, la classe de collège ou de lycée n’est pas un cours : « L’ancienne pédagogie secondaire reposait sur des exercices des élèves : l’étude était le moment essentiel, et la classe se mettait au service des devoirs (Prost, 1968) ». En somme la classe inversée avant l’heure…
16Elle propose donc de prendre « cours » dans son sens originel : parcours complet d’un domaine du savoir. Dès lors, les définitions de leçon et de cours en découlent : si la leçon correspond à une séquence d’enseignement, le cours nécessite une suite de leçons.
17La même ambiguïté existe pour « magistral » qui ne désigne pas nécessairement un dispositif pendant lequel la parole du maître exposant le savoir serait omniprésente. Mais on fait le plus souvent référence à une pédagogie magistrale pour désigner un mode d’enseignement sans interaction et/ou une présentation d’éléments théoriques qui trouveront leur application ultérieurement.
18On mesure que les jugements portés sur le « cours magistral » ne s’encombrent pas de telles nuances et ne correspondent pas toujours à la réalité. S’agissant des médiations, Annie Bruner (op. cit., p. 16) note à juste titre que « le cours magistral est une forme de travail, parmi d’autres, qui permet l’établissement de liens verticaux – entre professeurs et élèves – aussi bien qu’horizontaux – entre élèves –, démultipliant ainsi la circulation du savoir. » Mais qu’importe…
Pourquoi est-il considéré comme inadapté aujourd’hui ? Ne l’était-elle pas moins avant ?
19La critique n’est pas nouvelle
20Comme le rappelle A. Bruter (2008), le déclin des universités au début du XIXe siècle en Europe se traduit par une baisse du nombre d’étudiants et un fort taux d’absentéisme aux cours. « L’auditoire des cours de faculté n’est pas nécessairement nombreux et, quand il l’est, n’est pas nécessairement composé des étudiants qui se présenteront ensuite aux examens. Les universités françaises ne sont qu’une illustration d’un phénomène plus général, qu’on retrouve dans les autres pays d’Europe : les professeurs, quand ils se donnent la peine de faire cours (ce qui n’est pas toujours le cas), parlent souvent aux murs. » (Bruter, (op. cit., p. 7).
21En dehors de toute médiatisation, le cours magistral n’est pas jugé apte à répondre à la massification de l’enseignement supérieur à partir des années 1960. Cette massification s’accompagne, on le sait, d’un fort taux d’échec dans les premiers cycles attribué, en partie, à l’inadaptation des médiations proposées par le cours magistral à des publics qui n’en maîtrisent pas les codes.
Aujourd’hui, une condamnation unanime ?
22La crainte de l’absentéisme présente dès le XIXe siècle semble aujourd’hui exacerbée par la médiatisation du cours magistral. De nombreux enseignants craignent que les étudiants ne se donnent plus la peine de venir si leurs cours sont en ligne.
23Plus précisément, donnons quelques exemples – que l’on pourrait multiplier – d’une condamnation sans appel du cours magistral. Le processus de médiatisation, bien que souvent implicite ou mal défini, semble jouer un rôle majeur dans cette opération de disqualification.
24En 1997, dans une célèbre allocution de Claude Allègre contre les professeurs d’université qui entendent continuer à jouer au « prêtre dans la ziggourat d’Ur », le ministre met face à face le cours magistral réputé oral (le cours du maître seul) et le cours qui s’appuie sur les outils et médias.
25En 2012, Thôt8 s’interroge dans un billet en ligne « Pourquoi le cours magistral existe-t-il encore ? ». Le sous-titre est encore plus éloquent : « Le cours magistral constitue une technique d’enseignement acceptable quand il s’agit seulement de transmettre de l’information. Pour ce qui est d’apprendre, il faudra trouver autre chose. »
26En 2014, Clioweb sur son blog9 fait le procès du cours magistral dont la survie tiendrait au conservatisme des enseignants.
27Le blog Défis d’amphi10 se demande en 2016 si « L’amphi, c’est fini ? » face à l’ubiquité des ressources éducatives et au big data en mesure de proposer une personnalisation de l’enseignement. Le billet conclut d’ailleurs par une réponse négative en affirmant que d’autres manières de faire cours sont possibles, « y compris en amphi ».
Un constat à nuancer
28Le constat doit en effet être nuancé. Une enquête réalisée auprès de 1 640 étudiants de L1 suivant simultanément des enseignements en présentiel et préparant le C2i11 sous une forme hybride (Papi, Glikman, 2015) tempère ce constat : « Loin d’une vision de jeunes très à l’aise avec le numérique en toutes circonstances, force est de constater que, en matière de formation, la communication instrumentée ne va pas de soi ». Les auteures soulignent l’ancrage des étudiants dans les pratiques éducatives traditionnelles « faisant du cours le lieu de transmission des savoirs et du travail à domicile le lieu de leur appropriation et de leur application ».
29Les étudiants de L1 ont donc visiblement des attentes façonnées en grande partie par ce qu’ils ont vécu dans l’enseignement secondaire. En somme, les étudiants ne rejettent pas tous le cours magistral mais réclament davantage d’interactions entre pairs et avec les enseignants pendant le cours magistral.
30Anaïs Loizon et Patrick Mayen (2015) parlent du cours magistral en « amphi » comme d’une « situation d’enseignement chahutée par les instruments ». Ceux-ci sont multiples : ceux que les institutions aimeraient voir entrer dans l’amphithéâtre, ceux qui composent l’espace de travail, ceux que les enseignants utilisent, ceux qu’apportent les étudiants, etc.
31Dès lors, selon eux, « le cours magistral n’apparaît pas comme une forme dépassée qu’il faudrait supprimer mais comme un dispositif instrumenté à rééquilibrer ».
Quelles alternatives possibles ?
Une expérience très observée
32Il nous a été donné d’accompagner (Lamine, Petit, 2014) une expérience menée à grande échelle en Licence de physique à l’université Pierre et Marie Curie (800 étudiants, 20 enseignants). Les objectifs visaient à favoriser l’acquisition en profondeur des concepts-clés de la physique par l’utilisation de boîtiers de réponses (au-delà de l’aspect ludique) et à rendre les étudiants plus actifs dans l’acquisition de leur savoir grâce à un diagnostic en temps réel de leur compréhension.
33Le transfert d’information ne se faisait plus dans l’amphithéâtre mais était déplacé à la maison : les étudiants devaient lire le polycopié de cours avant de venir en cours. L’enseignement en amphi se faisait par questionnement à partir de séquences de rappel de cours très courtes, inférieures à 5 minutes. Des questions de plusieurs types étaient posées aux étudiants (conceptions courantes, calculs, intuition physique, logique, lien avec des expériences de cours) et donnaient lieu à des votes anonymes.
34L’enseignant – qui ne donnait jamais la bonne réponse – réagissait par rapport au taux de réponses justes/fausses : si le taux de bonnes réponses avoisinait 80-90 %, il n’y avait pas de deuxième vote. Si le taux était inférieur, il procédait à un second vote avec un préalable : si le score s’établissait entre 50 et 80 % de bonnes réponses, il était demandé aux étudiants de discuter entre eux, si le taux était inférieur à 50 %, l’enseignant avait la possibilité d’apporter des éléments d’information supplémentaires.
35Cette expérimentation a fait l’objet d’une double analyse, quantitative et qualitative.
36Sur le plan quantitatif, un questionnaire à choix multiples a été administré en « entrée/sortie », c’est-à-dire avant et après le cours (au sens où nous l’avons défini d’après A. Bruter ci-dessus) sur plusieurs échantillons d’étudiants. S’y sont ajoutés deux questionnaires de satisfaction, l’un à destination des étudiants, l’autre des enseignants. Les données recueillies n’ont pas permis de noter de différences sensibles dans les résultats obtenus aux examens. En revanche, une amélioration de la compréhension des concepts fondamentaux de la physique a été mise en évidence.
37L’analyse qualitative a fait l’objet d’observations et d’un suivi par un groupe mêlant praticiens et chercheurs en sciences de l’information et de la communication et en sciences de l’éducation. Un changement de posture de l’enseignant a pu être observée : dans ce nouveau dispositif, son rôle consistait moins à assurer une « bonne prestation » ou à « tenir son amphi » qu’à s’assurer de la progression effective de ses étudiants. Ce changement de posture est tout sauf évident et nécessite du temps et de l’accompagnement.
38Il s’est avéré que le dispositif contribue à rendre les étudiants actifs. Les entretiens auprès des étudiants ont montré que certains se sentaient d’ailleurs plus fatigués à l’issue d’un cours magistral de ce type dans lequel il est plus difficile de se contenter de n’être qu’un « passager clandestin ».
39En somme, ce dispositif nouveau permet de transformer le cours traditionnel en un nouveau genre, l’enseignement de masse interactif en amphithéâtre, empruntant à la fois au cours magistral traditionnel et au TD en opérant un mixte des deux. Il propose des médiations repensées, voire tout simplement pensées lorsque les médiations traditionnelles relevaient le plus souvent de l’implicite.
La classe inversée en opposition au cours magistral
40Le cours magistral semble avoir trouvé avec la classe inversée son antonyme en même temps que son antidote.
41Celle-ci est tantôt présentée en opposition au cours magistral tantôt à un enseignement dit traditionnel sans que celui-ci soit toujours clairement défini.
42Ainsi Le Monde titre le 27 août 2015 : « La classe inversée : se libérer du cours magistral ».
43La même opposition frontale est présente dans le principe de la classe inversée tel que repris par Wikipédia : « Le modèle traditionnel d’enseignement repose sur des cours magistraux, où l’enseignant explique un sujet, suivi par les devoirs à la maison où l’élève fait des exercices ».
44Le site de promotion de la classe inversée (www.classeinversee.com) l’oppose à la classe traditionnelle, peu décrite, mais où l’élève semble s’ennuyer ferme.
45Marcel Lebrun (2016), reprenant une définition plus précise de l’université Vanderbilt, insiste lui aussi sur la rupture avec l’enseignement « traditionnel » : « Le concept de classe inversée décrit un renversement de l’enseignement traditionnel. Les étudiants prennent connaissance de la matière en dehors de la classe, principalement au travers de lectures ou de vidéos. Le temps de la classe est alors consacré à un travail plus profond d’assimilation des connaissances au travers de méthodes pédagogiques comme la résolution de problèmes, les discussions ou les débats. »
46Ces approximations nous imposent de réfléchir à une définition plus précise…
Recherche en généalogie
47Une recherche en généalogie de la notion nous fait remonter au pédagogue belge Ovide Decroly (1871-1932) qui, pour adapter l’école à un enseignement de masse, préconisait l’éclatement des lieux d’apprentissage : la cuisine, l’atelier, les magasins, la rue… où il s’agissait de mettre en œuvre un concept de base de l’école : « du concret vers l’abstrait » et non l’inverse.
48La leçon de choses qui fit les beaux jours de l’école primaire procédait, plus artificiellement, de la même manière. Elle fit son apparition à la fin du XIXe siècle lorsque, après la défaite de 1870, les Français se sont intéressés à l’école allemande – c’est-à-dire prussienne à l’époque – et l’ont trouvée plus concrète que son homologue française, jugée trop abstraite.
49Selon Ferdinand Buisson (1911), la « bonne » leçon de choses est avant tout basée sur l’intuition et la sollicitation des cinq sens. Il est d’ailleurs intéressant de noter que cette approche se retrouve chez les tenants de l’audiovisuel à ses débuts selon le postulat que l’apprentissage par les yeux complèterait celui par l’ouïe, qui complèterait celui par le toucher, etc.
50On ne trouve pas d’allusion aux sens chez les tenants de la classe inversée mais une inversion de même nature dans des dispositifs construits en opposition à des approches jugées trop théoriques et trop abstraites.
D’où vient un tel succès aujourd’hui ?
51La classe inversée procède de l’idée selon laquelle l’enseignement par le professeur doit apporter une réponse à des questions que l’élève ou l’étudiant a commencé par se poser. Dans les meilleurs des cas, l’élève est donc confronté à un problème (une situation réelle, une étude de cas) mais plus souvent un simple contenu à assimiler dont la manière (définitive) de le résoudre lui est donnée (confirmée, sanctionnée ou validée) par le professeur et/ou ses pairs.
52Il est clair que les progrès de la médiatisation rendent cette « inversion » beaucoup plus aisée aujourd’hui mais nous faisons l’hypothèse que, dans la vaste panoplie des outils et médias numériques aujourd’hui disponible, le phénomène des MOOC a joué un rôle majeur dans cette réinvention de la classe inversée. Pierre Mœglin (2014) établit que trois courants donnent leurs orientations aux MOOC naissants : le connectivisme, la classe inversée et l’éducation populaire. On n’en retient le plus souvent que la modalité la plus immédiatement visible – la classe inversée – que les MOOC n’ont pas inventée mais à laquelle ils donnent un élan et une nouvelle légitimité dans le sillage de réalisations antérieures, comme l’opération Open Course Ware du MIT en 2001, ou la Khan Academy en 2006, dispositifs de mise en ligne de cours gratuits à grande échelle.
53Mais paradoxalement de nombreux MOOC ne rompent pas avec le cours magistral. Beaucoup proposent des séquences vidéos courtes mettant en scène un enseignant en situation magistrale. D’après Olivier Aïm et Anne-Lise Depoux (2015), le MOOC « redéfinit les contours de la magistralité en inscrivant sur un autre support son format ». En revanche, le MOOC rompt plus sûrement selon nous avec le mode d’enseignement collectif et simultané, la rupture se situant davantage dans la possibilité d’un usage asynchrone et individuel de la parole magistrale qui, si elle n’est pas complètement nouvelle, est aujourd’hui démultipliée par la technique.
Conclusion
54Le cours magistral a mauvaise presse mais le vise-t-on toujours vraiment lorsqu’on lui adresse certaines critiques et qu’on lui attribue la responsabilité de tous les maux du système d’enseignement ?
55Quoi qu’il en soit, il est certain que les progrès de la médiatisation mettent au jour une demande sous-jacente de nouvelles médiations allant dans le sens d’une individualisation de la prestation éducative quelles que soient les modalités pédagogiques et techniques retenues.
56Soulignons enfin l’interdépendance des phénomènes : il serait illusoire de chercher à comprendre les transformations de l’enseignement supérieur sans faire référence à l’enseignement scolaire et vice-versa. S’il en fallait une illustration, la question de la pédagogie inversée mise à l’agenda de l’enseignement scolaire via les MOOC (qui touchent essentiellement l’enseignement supérieur) en serait une bonne.
57Dans ces interactions, l’évolution du statut de la parole magistrale présentielle nous semble être au cœur des transformations des formes universitaire et scolaire, à la fois indice et vecteur de celles-ci.
Bibliographie
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Perrenoud, Philippe (2004) : « Les Hautes écoles pédagogiques suisses entre la forme scolaire et la forme universitaire : les enjeux » in Tardif, Maurice et Lessard, Claude, dir. (2004) : La profession d’enseignant aujourd’hui, Bruxelles, De Boeck, pp. 115-138.
Notes
1 Nous désignerons ici par médiation les aspects communicationnels à l’œuvre (notamment les relations enseignant/enseignés, les relations entre pairs) et par médiatisation les aspects techniques qui transforment le dispositif ; nous nous référons à la distinction opérée de longue date par Peraya (1999) mais en la simplifiant fortement.
2 Voir Nguyen (2013).
3 Voir le numéro spécial de la revue Esprit sur l’université en 1964.
4 Ce Dictionnaire de pédagogie, contrairement à ce qu’indique son nom, n’est pas vraiment un dictionnaire au sens moderne du terme, mais davantage un manuel de pédagogie destiné aux enseignants et aux cadres.
5 C’est cette deuxième édition, numérisée, que l’on trouve en ligne : http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/
6 Sur les modes d’enseignement dominants au XIXe siècle (individuel, mutuel et simultané), voir Mœglin (2005) et Lesage (1975).
7 Sur les aspects de formes universitaire et scolaire, on consultera Perrenoud (2004) et Peraya (2018).
8 https://cursus.edu/articles/20968#.WtdeVn8uAqM
9 http://clioweb.canalblog.com
10 http://defisdamphi.blog.lemonde.fr/2016/09/14/lamphi-cest-fini/
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Laurent Petit
Sorbonne Université (ESPE-GRIPIC), laurent.petit@sorbonne-universite.fr