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Enseignement et communication

Corinne Roux-Lafay

Le nouveau paradigme de la bienveillance dans le champ de l’éducation : une injonction paradoxale ?

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Texte intégral

1Comment conceptualiser ce nouveau paradigme qu’est la bienveillance dans le champ éducatif ? Nous verrons d’abord la raison d’être d’une telle bienveillance dans les textes officiels, ce qui la légitime, et en quoi elle est héritée de l’éthique du care. Nous en interrogerons ensuite les contours et les représentations. Se posera ainsi la question de la tension entre exigence et bienveillance, au regard notamment de l’autorité éducative. En tant que formatrice en philosophie dans un Etablissement Supérieur du Professorat et de l’Education (ESPE), j’ai en effet pu constater le malaise de jeunes enseignants qui, au nom de la bienveillance comprise comme disposition sentimentale, ne s’autorisaient pas à occuper une place d’adulte référent. Cette problématique appelle alors une formation au sein de l’institution scolaire, à moins d’en faire une injonction paradoxale.

La bienveillance : le maître-mot de la loi sur la refondation de l’École

2Dans la loi pour la Refondation de l’École du 8 juillet 2013, le maître mot est celui de la bienveillance, l’École française étant réputée pour être particulièrement sélective et anxiogène sans pour autant atteindre l’excellence en matière de résultats scolaires, ainsi que l’attestent les résultats de l’enquête internationale PISA publiés tous les trois ans. Lors de la dernière édition 2015, La France se situe à la 27e place sur 72 pays participants, et dans la moyenne des pays membres de l’OCDE. Mais elle est surtout l’un des pays de l’OCDE où le poids des déterminismes socio-culturels est le plus cruel quant aux performances scolaires : près de 40 % des élèves issus de milieu défavorisés sont en difficulté (contre 34 % en moyenne dans l’OCDE). Cette corrélation statistique, d’ores et déjà relevée par l’enquête PISA 2012, appelle certes un certain nombre de précautions méthodologiques (l’indice qui mesure le milieu socio-économique étant construit sur le niveau de vie des parents, leur diplôme et profession) mais n’en est pas moins symptomatique, suffisamment en tout cas pour attirer l’attention des pouvoirs publics et légitimer sa politique de lutte contre l’échec scolaire. C’est pourquoi en 2014 le Ministre de l’Éducation Nationale, Benoît Hamon, dans la lettre qu’il adresse aux membres de la communauté éducative à l’occasion de la circulaire de rentrée, affirme avec force que : « L’écart entre la promesse d’égalité de la République et de son École, et la réalité tenace des inégalités en milieu scolaire, est insupportable », d’où le souhait d’une École bienveillante et exigeante ne laissant personne au bord du chemin. Cet enjeu d’égalité des chances viendrait ainsi compenser une méritocratie sélective n’ayant plus guère aujourd’hui que le statut d’un mythe démocratiquement nécessaire.

3La bienveillance, loin de qualifier le seul souci d’une école plus juste, est aussi corrélée à la notion de bien-être. La récurrence du terme de bienveillance dans les textes officiels et les programmes de l’Education Nationale (2015 et 2016) laisse ainsi présupposer une carence en matière de bien-être, soulignée par le rapport Pisa 2012. Négligence coupable qui se manifeste par le fait que la loi 2013 reconnaît pour la première fois la réalité du harcèlement à l’Ecole. L’institution scolaire semble ainsi traversée, voire contaminée, par une terminologie qui est celle de la santé publique définie par l’OMS en 1946 comme « état de complet bien-être physique, social et mental ». C’est en ce sens qu’est préconisée dans les guides ministériels sur le climat scolaire, 1er et 2d degrés, face aux situations de mal-être des élèves, une approche de bienveillance, d’accompagnement et de dialogue (site Eduscol, 2013). Les effets d’un climat affectif favorable sur les apprentissages ont en effet été démontrés par les neurosciences (Gueguen, 2014) et la recherche internationale (Debarbieux, 2015). L’intérêt de la nouvelle orientation éducative en jeu dans la loi 2013 est incontestablement celle d’une conception systémique et multifactorielle du climat scolaire, mettant en relation 7 facteurs interdépendants : la qualité de vie à l’école, le partenariat, la coéducation avec les familles, les stratégies d’équipe, la pédagogie coopérative et les pratiques privilégiant l’engagement et la dynamique motivationnelle (exemple de l’évaluation positive, qualifiée de bienveillante), la prévention des violences et du harcèlement, et la justice scolaire. La qualification de bienveillance associée à chacun de ces 7 axes recouvre ainsi des centaines d’occurrences. Cette absence de délimitation conceptuelle appelle l’analyse.

La bienveillance est la traduction faible de l’éthique du care

4A la différence du care dont il serait l’expression déguisée, le terme de bienveillance n’a pas encore acquis la dignité d’un concept. Outre Atlantique l’éthique du care inspirée par Gilligan (2008) revient de manière critique sur la théorie du développement moral de Kohlberg, valorisant une morale kantienne de l’autonomie fondée sur un paradigme juridique. Tout l’enjeu critique de la conception de Gilligan tient à la mise en évidence d’un autre mode de pensée, plus proprement féminin, cette « voix différente » donnant à entendre une éthique contextualisée, ouverte à la complexité des relations humaines et faisant appel à la solidarité plutôt qu’à des procédures contractuelles ou à un mode de raisonnement logique et impersonnel pour résoudre des dilemmes moraux. Dans le champ de l’éducation, le care est l’expression de cette sollicitude à travers 4 leviers (Noddings, 1998) : la pratique, soit la mise en œuvre dans la classe et l’établissement de projets à même de favoriser l’entraide et les interactions coopératives, la confirmation des potentialités du sujet apprenant par l’attention portée à ce qu’il y a de meilleur en lui, le modèle donné par l’enseignant lui-même et le dialogue compréhensif.

5En France, les théories du care n’ont guère retenu l’attention dans le champ de l’éducation (aucune traduction des ouvrages de Noddings). Elles ont fait l’objet de représentations caricaturales dans le débat public suite à une déclaration de Martine Aubry : « Il faut passer d’une société individualiste à une société du care, selon le mot anglais que l’on pourrait traduire par “le soin mutuel” » (entretien à Médiapart, le 2 avril 2010). Cette déclaration a suscité nombre de controverses, liées d’une part au transfert d’une notion importée du champ de la santé publique dans le champ politique, et d’autre part à la peur d’un « État maternant » aux antipodes du modèle républicain. Notons que la société du care entend faire droit à tous les individus en situation de dépendance qui ne répondent pas à la fiction économique de l’individu autonome. Pour autant, l’éthique du care élaborée ces dernières années repose sur le paradigme de l’interdépendance et de la vulnérabilité constitutive de l’être humain, du vivant comme de l’environnement, loin d’être réservée à des catégories de personnes déterminées (Molinier, Laugier et Paperman, 2009 ; Brugère, 2011). Le souci et l’attention portés à autrui seraient dès lors non réductibles à des qualités relationnelles « féminines » et s’imposant dans les seules professions du care (métiers du soin et de l’éducation), dépréciées ontologiquement et socialement, mais l’expression d’un positionnement réfléchi fort sollicitant le care comme disposition éthique dont les enjeux politiques méritent réflexion.

6Le terme de bienveillance a ainsi le mérite d’être plus consensuel que celui du care mais recouvre également une polysémie sémantique telle que la dimension affective du terme semble recouvrir l’exigence d’une responsabilité éducative pourtant fondamentale dans le champ de l’éducation. Du fait de sa minorité, tant juridique qu’intellectuelle, morale et affective, l’enfant appelle de la part de l’adulte une attention vigilante. Veiller sur le jeune, c’est moins en prendre soin au sens médical du terme, qu’en avoir la garde. Il s’agit non de le surveiller, terme présupposant une attitude surplombante, que de le bien veiller dans l’attention qu’on lui porte, laquelle ne va pas sans engagement éthique.

La dimension affective de la bienveillance et les risques d’une contagion émotionnelle

7Le paradigme d’une éducation bienveillante s’est imposé socialement depuis quelques années. Il s’agit d’une approche empathique fondée sur la reconnaissance des besoins et émotions de l’enfant, dans la lignée de la psychologie humaniste inspirée par Maslow et Rogers, et qui fait échec à toutes les pratiques éducatives fondées sur la violence et le non respect de l’enfant. Le Conseil National de l’Innovation pour la Réussite Éducative précise en ce sens que « la bienveillance est donc d’abord l’absence d’humiliation » (Lapeyronnie, 2014). Ne pas humilier ne signifie pas pour autant renoncer à poser des limites ou à indiquer des erreurs dans les apprentissages. Certains professeurs stagiaires éprouvent une empathie telle qu’ils ont beaucoup de mal à évaluer objectivement la production médiocre d’un élève (même si cette évaluation est positive). Le risque est alors de confondre la bienveillance avec une attitude peu ou prou compassionnelle, transformant la communauté enseignante en communauté compatissante, confusion entérinée par le fait que la bienveillance éducative en France a d’abord été promue par le courant de la parentalité positive issu des Etats-Unis qui connaît une grande fortune en France depuis la publication du best-seller de Filliozat (2011).

8Certains travaux universitaires n’hésitent pas à parler de l’amour compassionnel de l’enseignant comme une dynamique d’attachement à même de provoquer chez l’élève un sentiment de sécurité affective en répondant avec chaleur à ses besoins, sans pour autant effacer l’asymétrie des positions (Virat, 2014). Dans la thèse qu’il consacre aux effets de la relation affective enseignant/élève (RAEE), l’auteur évoque la nature d’un lien maître/élève doué d’une forte charge émotionnelle, susceptible de se poursuivre au-delà du contenu et de l’année scolaires, ce qui n’est pas sans poser problème au regard du principe républicain de séparation laïque entre les sphères privée et publique. Nous relevons également d’un point de vue psychanalytique, un manque de distance critique de l’auteur lorsqu’il évoque une enseignante comparant la relation maître/élève à une relation d’« amour maternel » (p. 70), là où d’autres comparent leur classe à faible effectif à une grande famille nombreuse (p. 71), au regard des mouvements transférentiels en jeu dans la relation éducative, situant l’enseignant en lieu et place du parent. Dès lors, l’amour altruiste inconditionnel ne se distinguerait plus guère d’une relation d’attachement, théâtre d’affects, d’identifications et projections inconscientes, loin du discernement censé présider à cette disposition du cœur.

9Des raisons philosophiques peuvent également être invoquées. Dans la lignée d’Alain (1932), l’espace de la classe est celui du silence des passions où seule la froide raison règne en signifiant maître. Alain considérait que l’école ne saurait être conçue analogiquement sur le modèle de la famille car elle transmet des valeurs telles que la justice qui se passe d’amour. Le maître qui sanctionne n’est ni offensé ni peiné par l’insolence de l’élève et sa force, « quand il blâme, c’est que l’instant d’après, il n’y pensera plus, et l’enfant le sait très bien », à la différence de ce qui se joue dans les relations familiales (p. 32). La forme scolaire est celle d’une mise entre parenthèses du sentiment, tyrannique en ce qu’il pervertit l’instruction en imposant sa loi, loin de faire droit à la pensée émancipatrice. L’enseignant qui se préoccupe d’aimer les enfants, pire de leur plaire, est un piètre pédagogue. C’est pourquoi « le maître doit être sans cœur » (p. 28).

10Difficile de faire l’économie d’une tradition de l’École républicaine construite historiquement et philosophiquement sur le refoulement de tout processus de subjectivation des liens, ce qui permet de comprendre les résistances de nombre d’enseignants lorsqu’on leur parle des modalités affectives de la relation pédagogique1. N’ont-ils pas entendu au cours de leur formation cette nécessaire défiance à travers l’injonction morale encore de rigueur : « le professeur ne doit pas aimer ses élèves » ? Certes, cette conception est dépassée et les émotions ont désormais toute leur place dans les nouveaux programmes, le développement cognitif de l’enfant s’étayant sur son développement émotionnel. Force est pourtant de constater que les professeurs stagiaires ont souvent du mal à construire une posture professionnelle à équidistance de la proximité affective et du retrait des sentiments. La bienveillance est-elle alors une injonction paradoxale ?

11Comment construire des gestes professionnels faisant appel à la bienveillance sans pour autant convoquer des affects invalidant le jugement ? La représentation stéréotypée de la bienveillance est celle de la contagion empathique, autorisant certains jeunes enseignants à congédier sinon la raison, du moins la différence des places. Une étudiante à l’ESPE m’indiquait que l’exemplarité linguistique requise et exigée par le référentiel des professeurs faisait obstacle à la proximité enseignant-élève. L’amour en jeu dans la relation éducative a ainsi moins souvent le visage de l’altruisme totalement désintéressé que celui de la captation séductrice et risque alors de n’être qu’une complaisance affective profondément ambivalente, contre-productive lorsqu’elle conduit à la colonisation invalidante d’émotions oblitérant le discernement moral. Le problème est ainsi d’amener les professeurs à interroger une disposition affective peu ou prou spontanée qualifiée de bienveillance, notamment à l’égard des élèves qui nous ressemblent, rendant difficile l’exercice du métier. Ou plutôt d’articuler empathie émotionnelle, capacité à entrer en résonance avec les affects d’autrui, et empathie cognitive, capacité à se mettre à la place de l’autre. L’empathie qu’il s’agit de développer chez les enseignants relève ainsi moins d’une compassion (pâtir avec) que d’une préoccupation éthique que l’on pourrait qualifier de sollicitude : capacité d’estime partageable ne situant jamais l’élève en position de débiteur et l’aidant à se construire comme sujet (Ricoeur, 1990). Le maître aurait ainsi moins du cœur que du care, loin d’une « indifférence impossible » (Meirieu, 1991, p. 37), mais à distance également de la détresse empathique pouvant conduire à l’impuissance ou à une confusion des places.

La mise en tension de la communication bienveillante et de l’autorité éducative

12L’aporie de la bienveillance dans le champ éducatif tient à sa conciliation avec des attitudes professionnelles qui pourraient sembler ne pas la solliciter. Dans le guide ministériel sur le climat scolaire dans les collèges et lycées, l’autorité est ainsi soigneusement distinguée de l’autoritarisme qui requiert l’usage de la force ou de la contrainte et appelle de la part de l’élève une obéissance inconditionnelle. L’autorité éducative se construit dans une « relation éducative bienveillante », une confiance réciproque à même de construire l’estime de soi. Il est demandé au professeur de porter désormais attention à la singularité de l’élève, de faire droit à ce qu’il ressent, sans toutefois tenir compte de l’épaisseur historique propre à définir l’Ecole républicaine, la bienveillance ne pouvant simplement se décréter.

13À défaut de clarifier le concept d’amour professoral, nombre de stagiaires risquent ainsi de pervertir l’autorité nécessaire en classe par le désir inconscient de plaire aux élèves. On reconnaît aujourd’hui que « l’oubli de l’inconscient laisse les enseignants, pour paraphraser une formule de Freud, dans la situation de « gens équipés pour une expédition polaire avec des vêtements d’été et des cartes de lacs italiens « » (Imbert, 4e de couverture, 2005). Cette difficulté se mesure à la nécessité parfois incontournable de devoir sanctionner des élèves, en vue de construire leur rapport aux règles et à la loi, afin de faire advenir leur responsabilité (répondre de et répondre à). Mais faute de comprendre cette « éthique de la bonneveillance qui instaure un contenant et une limite à l’enfant pour le protéger de sa propre vulnérabilité » (Marcelli, 2003, p. 307), nombre de jeunes professeurs n’en retiennent que la dimension affective et édulcorée.

14Le guide sur le climat scolaire dans le premier degré préconise ainsi une communication bienveillante fondée sur l’écoute active sans jugement, à articuler toutefois avec la construction d’un cadre protecteur. Dans le séminaire sur l’autorité éducative dont j’ai la charge, un stagiaire avait élaboré son mémoire autour de la communication non violente. Mais faute d’avoir construit un cadre délimitant clairement des obligations en lien dialectique avec des autorisations, les élèves insécurisés ne pouvaient plus reconnaître la légitimité de leur professeur, du coup chahuté, l’autorité se fondant sur la différence générationnelle et l’asymétrie statutaire. La sanction éducative à l’égard de comportements transgressifs récurrents devenait d’ailleurs impossible, en ce qu’elle pouvait être assimilée à une forme de malveillance. Il s’agit d’un cas limite mais nombre de jeunes collègues considèrent la bienveillance seulement au service de la relation et non du savoir à transmettre.

15Si l’autorité bienveillante est spontanément comprise dans sa dimension relationnelle, elle l’est plus rarement dans sa dimension attentionnelle qui exige pour l’enseignant une réponse ajustée aux besoins des élèves, forte disponibilité comprise comme « capacité de veille et de vigilance » (Reto, 2018, p. 14). Or cette capacité de décentrement est essentielle pour caractériser la bienveillance comme disposition d’esprit requérant une forte présence à l’autre mais aussi à soi-même. Il est intéressant de noter le lien de plus en plus fort établi par les étudiants et stagiaires entre autorité et communication non verbale. Lors d’un module corps et voix que j’anime à l’ESPE, je propose un jeu de rôles d’entrée en classe, visant à mettre en exergue le regard, les déplacements, la gestuelle, la tension juste de l’attitude corporelle et des modulations de la voix au regard du climat de travail pacifié à instaurer. Il est tout à fait exceptionnel que le silence soit assumé et que les perturbations jouées n’aient pas d’incidence quant à la stabilité posturale et l’économie nécessaire dans les rappels à l’ordre. Les mémoires sur cette thématique mettent en évidence la faible conscientisation des enseignants qui mobilisent spontanément de tels gestes professionnels. Or la communication bienveillante appelle avant tout une qualité de présence qui n’a rien d’une disposition innée et requiert un entrainement exigeant.

Conclusion : quelle formation à la bienveillance ?

16Dès lors se pose la question d’une formation sans complaisance à la bienveillance. Elle appelle des analyses de pratique requérant d’interroger ce qui se joue à notre insu dans la relation éducative : « comme pour le psychanalyste, un enseignant est invité à faire le deuil d’une position idéalisée où il n’éprouverait aucun sentiment, serait neutre, bienveillant, sans passion et sans histoire » (Cifali, 2007, p. 179). Ainsi la bienveillance, loin d’être spontanée, émergerait à la faveur d’un travail lucide sur soi, à même de faire advenir dans l’après-coup une posture éthique, supposant la réelle mise à distance de tout désir d’emprise, mais sans pouvoir exiger du professeur un altruisme totalement désintéressé. Mais une formation à la bienveillance passe aussi de manière plus pragmatique par un travail sur la posture et les gestes professionnels. Il est d’ailleurs symptomatique que la communication bienveillante soit prônée sans que des formations soient institutionnellement mises en place. On a ainsi affaire à une subjectivation de la notion au détriment de sa dimension institutionnelle. Autre exemple : la résolution non violente des différends entre élèves par la communication bienveillante ne peut résoudre les conflits structurels et organisationnels qui se jouent au niveau d’un établissement. L’intériorisation de la bienveillance comme exigence normative sans réelle efficacité risque ainsi de produire des effets de culpabilisation. Enfin, si la bienveillance est requise pour prévenir les inégalités de réussite et les violences dans les établissements, elle ne saurait se substituer à la mise en œuvre d’une politique courageuse à cet effet. Bref, la bienveillance est d’abord celle de l’institution, à moins d’être une injonction paradoxale conduisant à une inversion des priorités : la finalité de l’école serait d’abord celle de l’épanouissement et du bien-être, au détriment de la finalité émancipatrice par excellence qu’est la formation du citoyen et de l’esprit critique.

Bibliographie

Alain, Propos sur l’éducation. Paris, P.U.F., 1932, http://classiques.uqac.ca/classiques/Alain/propos_sur_education/propos_sur_education.pdf.

Brugère Fabienne, L’éthique du « care ». Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2011.

Cifali Mireille, Le lien éducatif : contre-jour psychanalytique, Paris, P.U.F., coll. Education et Formation, 2007

Debarbieux Eric, « Du “climat scolaire” : définitions, effets et politiques publiques », Education & Formations, n° 88-89, déc. 2015, p. 11-27.

Filliozat Isabelle, J’ai tout essayé ! Paris, J.-C. Lattès, 2011.

Gilligan Caroll, Une voix différente. Pour une éthique du care, Paris, Flammarion, coll. « Champs essais », 2008.

Gueguen Catherine, Pour une enfance heureuse. Repenser l’éducation à la lumière des dernières découvertes sur le cerveau ? Paris, Robert Laffont, 2014.

Imbert Francis, L’inconscient dans la classe, Paris, E.S.F., coll. « Pédagogies », 2005.

Lapeyronnie Didier, « Pour une école innovante », Synthèse des travaux du Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative (CNIRE), 2013-2014, http://cache.media.education.gouv.fr/file/11_Novembre/91/4/2014_rapport_cnire_web_366914.pdf.

Marcelli Daniel, L’enfant chef de la famille. L’autorité de l’infantile, Paris, Albin Michel, 2003.

Meirieu Philippe, Le choix d’éduquer. Ethique et pédagogie, Paris, E.S.F., 1991.

Molinier Pascale, Laugier Sandra et Paperman Patricia, Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité. Paris, Éditions Payot & Rivages, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2009.

Noddings Nel, Philosophy of Education, Dimensions of Philosophy Series, Boulder, Colorado, West View Press, 1998.

Reto Gwénola, « Les quatre dimensions de la bienveillance », Cahiers Pédagogiques, n° 542, janv. 2018.

Ricoeur Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.

Virat Maël, Dimension affective de la relation enseignant-élève : effet sur l’adaptation psychosociale des adolescents (motivations, empathie, adaptation scolaire et violence) et rôle déterminant de l’amour compassionnel des enseignants, Université Paul Valéry, Montpellier III, 2014, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01129076.

Notes

1 Dans un article du Café Pédagogique « Faut-il aimer les élèves ? » paru le 14 octobre 2015, Virat témoigne à ce propos des résistances rencontrées auprès des enseignants. https://goo.gl/qf7Hpg.

Pour citer ce document

Corinne Roux-Lafay, «Le nouveau paradigme de la bienveillance dans le champ de l’éducation : une injonction paradoxale ?», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 15-Varia, QUESTIONS DE RECHERCHE, Enseignement et communication,mis à jour le : 01/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=134.

Quelques mots à propos de : Corinne Roux-Lafay

Université Paul-Valéry Montpellier III. Laboratoire CRISES