Enseignement et communication
La médiation par le je(u) pour développer une culture de l’image photographique au collège et au lycée
Texte intégral
1Aujourd’hui, l’image occupe une place importante dans notre société. Si l’image est partout, on y forme très peu. Dans notre système éducatif, l’éducation à l’image est abordée de façon lacunaire et aléatoire au gré de rencontres avec des enseignants persuadés de son importance. Aucun programme n’est défini. Pourtant, au sein des images, la photo a connu une évolution voire une révolution : d’abord innovation technique, travail d’artiste, puis saisie magnifiée de l’instantané par le journaliste, elle est devenue une pratique quotidienne pour des touristes cherchant à immortaliser leurs souvenirs avant de devenir témoin d’un besoin de reconnaissance narcissique, pour de nombreuses personnes. Professeur documentaliste en activité, nous avons rencontré la difficulté de former les élèves et les étudiants à l’image. Nous sommes convaincue depuis longtemps que le jeu peut permettre d’apprendre autrement, consciente comme Roger Caillois qu’il est un témoin d’une civilisation et fait partie de la culture. En croisant ces trois éléments, nous nous sommes posée la question : Qui aura à cœur (au niveau personnel) et la fonction (au niveau institutionnel) d’intégrer la photographie à l’école, de développer une culture de l’image photographique chez les élèves ? Nous y avons répondu par une lecture des textes officiels, en menant une enquête auprès des enseignants et des élèves puis par la création d’outils pédagogiques pour développer une culture de l’image. Nous avons choisi comme terrain d’expérimentation, notre établissement scolaire et le CDI comme lieu de médiation. Nous avons joué la partie en considérant que le professeur documentaliste, chercheur en sciences de l’information pouvait construire et mener un parcours d’éducation à l’image photographique. Nous avons défini un corpus d’images apprenantes pour développer une éducation à l’image par l’image et choisi une médiation par le jeu pour former les élèves. Plusieurs jeux éducatifs ont été conçus et testés pour favoriser l’acquisition d’une culture de l’image photographique chez l’élève : un Timeline des photographies, un hackathon et un escape game. Nos résultats s’organisent autour de deux axes : identifier les acteurs potentiels d’une éducation à l’image dans l’enseignement en France puis proposer une médiation documentaire photographique scolaire nouvelle pour apprendre aux élèves à lire et à comprendre les images qui les entourent.
Qui aura le déclic ?
2Confortée par la tendance actuelle à récupérer ce qui paraissait « distrayant » pour faire passer la science, avec la visualisation de l’information, les serious games, nous n’avons pas voulu laisser au jeu la seule place de sujet d’études, et nous avons souhaité en faire notre média d’explication. Nous avons donc créé « le Dé’clic », inspiré du jeu du Cluedo pour présenter le résumé de nos recherches. Nous avons imaginé un plateau de jeu à l’échelle d’un établissement scolaire, sur lequel nous avons reporté les six lieux repérés dédiés à la photographie : le CDI, lieu d’éducation à l’image photographique et de ressources et d’accès aux ressources photographiques ; la salle de classe pour évoquer la place de la photographie dans les programmes, les cours et les manuels scolaires sous deux formes, l’une évoquant un enseignement magistral, l’autre disposée par ilots, intégrant des ordinateurs, rappelant les pédagogies actives ; la cour, seul lieu où l’utilisation du téléphone portable est admise généralement dans les règlements scolaires, et lieu potentiel d’exposition. Nous y avons ajouté un tableau, symbolisant le tableau d’affichage ou l’intranet de l’établissement donnant des informations sur l’actualité photographique : expositions, concours photos… Figure aussi sur ce plateau, le bureau du directeur ayant une place primordiale pour encourager à la pratique des élèves et la formation des enseignants. Nous avons également fait apparaître un studio photo, évoquant les clubs de photographie existants et pour rappeler qu’à ses débuts la photographie avait plus trait à la physique-chimie qu’à l’art. Enfin, le lieu nommé festival représente les actions possibles hors de l’école encourageant à la fréquentation de musées. Dans le jeu de société traditionnel du Cluedo (créé par A. et E. R. Pratt en 1943) formé sur le mot « to clue » qui signifie « indice », les joueurs doivent découvrir qui est le meurtrier d’un crime commis dans le Manoir Tudor. Pour notre part, nous avons mis à plat les différentes voies pédagogiques pour permettre une éducation à la photographie. Il faut résoudre le problème suivant, problématique majeure de ce travail de recherche : Qui « aura le déclic » d’apprendre aux élèves à lire l’image dans l’enseignement secondaire ? Quels seront l’outil et le lieu de cette « éducation à l’image par l’image » ?
3Ainsi, nous avons répertorié les outils possibles et les ressources disponibles pour mener cette éducation et les acteurs capables de la dispenser.
4Nous avons retenu les outils suivants : la circulaire de mission, le manuel scolaire numérique, l’appareil photographique, le billet d’entrée à un festival, la connaissance et la consultation de banque d’images et la rencontre avec un professionnel.
5Pour les acteurs, que nous avons nommé sauveteurs, nous avons identifié : le ministre de l’Education Nationale, le professeur, le photographe, le professeur documentaliste, le Canopé et l’élève. Ces derniers réunissent les fonctions de médiation et de remédiation, deux mots qui se construisent sur la racine Med qui possède deux origines : « médiation (de mediare, être au milieu) et remède (de mederi, soigner). (Chante, 2016).
6Nous avons pu noter que les textes encadrant l’enseignement de la photographie visaient à la pratique en collège, et à un enseignement optionnel en lycée. Le socle commun des connaissances en collège, la réforme du lycée ont à travers le parcours citoyen proposé des pistes et encouragé une pratique médiatique sans mettre en avant la photographie. Des outils ont mis en ligne pour la formation des professeurs, mais leur appropriation par les élèves et les enseignants demeure insuffisante. La lecture d’images reste sommairement évoquée dans les programmes et très peu prise en compte dans les cours comme le révèle notre enquête auprès des enseignants d’une classe de Terminale L d’un lycée polyvalent en 2017. Et dans une étude sur les manuels scolaires de terminale, nous avons constaté que les photographies étaient présentes mais gardaient une fonction souvent illustrative, observations concordantes avec celles d’autres chercheurs tel que Sylvie Ardon ou Jeanne-Antide Huynh dans son étude sur les manuels de français. (Huynh, 2008).
7L’adolescent a déjà une pratique quasi quotidienne de la photographie. L’engouement pour les selfies en est un exemple fort. Le professeur documentaliste peut proposer un accompagnement pour passer de la prise de photographie amateurpar smartphone à la prise de photographie réfléchie en découvrant la photographie professionnelle. Il est important que l’élève découvre les notions de cadrage, de lumière, de mise en scène, …ce que beaucoup de ressources en ligne permettent, pour une entrée dans la culture de l’information par les usages comme le préconise Pascal Duplessis. (Duplessis, 2009).
8Selon les professionnels de l’image tel que Jean-François Leroy, directeur et fondateur de Visa pour l’image, le levier pour amorcer une éducation à la photographie est la rencontre avec un professionnel, permettant à l’élève de découvrir un métier plurivalent et les différents courants de la photographie. Cette rencontre doit conduire l’élève à se rendre à un festival, ou une exposition que nous avons symbolisée par le billet d’entrée.
9La banque d’images est selon nous l’outil maître pour éduquer à l’image photographique. Les banques d’images professionnelles, éducatives ou culturelles proposent des réservoirs d’images, qui guident voire forment le regard. Leur utilisation permet d’aborder non seulement la question des droits de l’image mais aussi ses circuits économiques. C’est l’occasion pour les élèves de découvrir aussi le métier d’iconographe. Lors de nos entretiens, les professionnels dénonçaient la multiplication des banques d’imagesmais paradoxalement peu d’élèves les connaissent et les utilisent. Ils passent par le moteur de recherche google sans prendre en compte les caractéristiques de l’image (taille, droits…). Cela montre une nouvelle fois qu’une formation est nécessaire.
10Nous avons étudié les médiateurs un à un pour déterminer leur champ d’actions possibles. Les ministres de l’éducation et de la culture peuvent encourager et faire de cette éducation une priorité, comme lors d’un discours en 2010 à l’occasion de l’ouverture du BAL, premier lieu dédié à l’éducation de l’image-document. Vient ensuite le professeur, qui pourrait utiliser davantage l’image photographique. Notre enquête a révélé que les professeurs n’utilisaient pas l’image photographique par manque de compétences et/ou de temps. Le photographe pourrait être invité dans les classes, plus que lors de la semaine de la presse ou comme partenaire dans des dispositifs tels que « des clics et des classes » qui ne touchent que 0,0016 % d’élèves. Les élèves devraient pouvoir avoir accès aux producteurs de ressources pédagogiques sur les médias tels que les personnels du Canopé, ou des membres du CLEMI qui proposent des web documentaires accessibles en ligne et pourraient intervenir dans les classes pour rendre cette éducation vivante. Enfin, l’élève est lui-même déjà un acteur de sa propre formation, par sa pratique qui lui permet d’apprendre intuitivement.
11Dans ce premier tour d’horizon nous avons pu dessiner les chemins possibles pour mener une éducation à l’image photographique, identifier les lieux et les acteurs. Dans une deuxième partie, nous allons proposer le professeur documentaliste comme le médiateur de savoirs documentaires photographiques dans un CDI.
Une médiation documentaire photographique
12La médiation documentaire est un concept défini par de nombreux chercheurs dans différents champs de recherche. Nous allons revenir sur sa définition pour nous permettre de conjuguer ce concept à l’apprentissage d’une culture photographique.
13Le mot médiation prend ses racines dans le substantif medius qui signifie : manière d’être au milieu, entre. Ce terme apparaît dans la langue française au XIIIe siècle selon Alain Rey, linguiste et lexicographe, en charge des éditions le Robert. À partir des années 1970, la médiation prend un sens plus large et se définit comme un moyen de mettre en relation deux choses. Chaque discipline la décline et se l’approprie en construisant son modèle dans son champ d’expertise. En SIC, la médiation est l’un des concepts fondateurs. « La médiation est un champ de recherche important dans les SIC, dans le sens où les types de médiation ordonnent la production, la diffusion et l’appropriation de l’information au sein de l’espace public (Lazimet, 1995) » (Le Coadic, 2006). La médiation structure l’espace social de communication. Sur la médiation documentaire nous avons repris les propos de S. Alava, qui, dans une optique d’enseignement, la définissait comme la fonction principale du professeur documentaliste dans ses cours où le documentaliste doit « aider l’élève à construire des savoirs de référence à travers la médiation du document ». (Alava, 1993). Dans un article « Qu’est-ce qui fait science dans science de l’information ? » (Le Coadic, 2006), Y.-F. Le Coadic propose de compléter cette définition qu’il juge troplimitée au domaine pédagogique. Il rappelle la définition d’A. Beguin-Verbrugge « la médiation documentaire est une médiation qui n’implique pas le rapport personnel direct mais qui implique cependant le recours au langage et la prise en compte d’un niveau de connaissance de l’utilisateur et de ses capacités d’abstraction » (Beguin-Verbrugge, 2002).
14Pour construire la médiation documentaire appropriée, nous avons dressé ce bilan : nous cherchions à transmettre des connaissances sur la photographie à des élèves qui n’en avaient pas, et il nous fallait non seulement intégrer ce média quasi-absent dans la sphère scolaire et l’univers pédagogique de l’élève mais développer en parallèle une médiation des savoirs. Nous ne voulions pas limiter la médiation photographique à un simple accès mais proposer un accompagnement à la construction de savoirs sur l’image. Il ne s’agissait pas seulement d’imaginer un simple processus d’accompagnement de l’élève usager mais de l’élève apprenant. La médiation à construire avant tout était une médiation de l’information.
15Nous nous sommes trouvée devant la nécessité de développer une médiation plus complexe que nous avons choisi de nommer médiation photographique scolaire pour insister sur son objectif : accompagner l’usager à transformer une information en connaissance à partir du média photographique. Il paraît important d’insister sur le professeur documentaliste « catalyseur d’apprentissage » selon la définition d’Isabelle Fabre, mais nous souhaitions conserver l’idée que la médiation documentaire n’impliquait pas un rapport personnel direct, et nous avons imaginé un parcours d’éducation à l’image photographique tout d’abord en recensant les ressources nécessaires à cette éducation, puis nous avons tendu vers une médiation par le jeu pour permettre leur acquisition. Nos recherches illustrent les conclusions de l’article : « Faut-il reconsidérer la médiation documentaire ? » : « Si la médiation documentaire prend appui sur le traitement […] elle s’oriente aujourd’hui vers la mise en place de dispositifs techniques et humains plus complexes qui incluent des réécritures de l’information, revisitant aussi des formes médiatrices dans les pratiques professionnelles. […] les champs d’actions et de discours des professionnels interrogés et observés évoluent progressivement vers une multiplication d’activités orientées autour d’un accompagnement médié des usagers par la production de ressources ». (Liquète, Fabre, Gardiès, 2010)
16Le jeu éducatif s’est imposé comme ingrédient nécessaire dans la médiation documentaire photographique scolaire. Nous avons créé sur le modèle du jeu Timeline dont le but est de reconstituer une ligne du temps, un Timeline des photographies, qui rassemble 26 photographies à classer chronologiquement. Ce jeu peut être également proposé sous forme d’abécédaire. Selon nous, il rassemble les photographies que tout élève devrait avoir vues et étudiées au cours de son parcours scolaire pour posséder les bases d’une culture de l’image. Nous avons imaginé un escape game, intitulé « sauvons la photographie de presse » dont les objectifs sont de faire découvrir l’histoire de la photographie aux élèves, de faire connaitre le métier de photographe et enfin d’apprendre à lire et à décoder une photographie. Enfin, nous avons également conçu un hackathon philo qui illustre toutes les notions au programme de terminale en philosophie pour une meilleure appropriation des concepts philosophiques. Nous avons testé plusieurs fois ces jeux aux cours de séances pédagogiques. En plus de la motivation générée, un réel apprentissage est obtenu, une culture de l’image est construite et des compétences techniques acquises par l’élève.
17Pour résumer en un mode d’emploi ce que devrait être cette éducation à l’image, nous avons essayé d’écrire à la manière de Bertrand Calenge, qui a publié sur son blog un décalogue du bibliothécaire, le décalogue de l’éducateur à l’image et plus particulièrement à l’image photographique. L’éducation à l’image photographique appartient à l’éducation aux médias et plus largement au parcours citoyen développé dans chaque établissement, la déployer permettrait à chaque élève de devenir un citoyen capable de jouer son propre je.
Bibliographie
Alava Séraphin (1993). « Élements pour une didactique de la médiation documentaire ». Documentaliste, Sciences de l’information, vol. 30, n° 1, pp. 14-17.
Beguin-Verbrugge Annette, Kouacs Susan (Dir.) (2011). Le cahier et l’écran. Culture informationnelle et premiers apprentissages documentaires. Hermès Lavoisier, 2011. 336 p.
Béguin-Verbrugge, Annette (2002). « Le traitement documentaire est-il une énonciation ? », in Actes du 13e congrès national des sciences de l’information et de la communication (7-9 octobre 2002 ; Marseille). Les recherches en information et en communication et leurs perspectives : histoire, objet, pouvoir, méthode, Rennes : SFSIC, pp. 329-335.
Chante Alain (2016). « De la contamination étymologique dans le champ de la médiation : Une hypothèse épistémologique ». Ishara, Informations systems& Archives in Algéria, n° 7, pp. 17-32.
Couzinet Viviane, Gardiès Cécile (2009). « L’ancrage des savoirs des professeurs documentalistes en SIC : question de professionnalisation et d’identité ». [En ligne]. Documentaliste-Sciences de l’information, vol. 46, 2. pp. 4-12. https://www.cairn.info/revue-documentaliste-sciences-de-l-information-2009-2-page-4.htm
Duplessis Pascal (2009). « Entrer dans la culture de l’information par les usages ». [En ligne]. Les Trois couronnes, 2009. http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/didactique-information/entrer-dans-la-culture-de-l-information-par-les-usages
Huynh Jeanne-Antide (2008). « L’image dans les manuels scolaires de collège et de lycée : 1990-2006 ». [En ligne]. Le français aujourd’hui, vol. 161, n° 2, 2008, pp. 21-32.https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2008-2-page-21.htm
Langlois Bénédicte (2017). « Sauvons la photographie de presse. » [En ligne]. https://view.genial.ly/5a943490fb1b721fc3b7824b/sauvons-la-photographie-de-presse
Le Coadic Yves-François (2006). « Qu’est-ce qui fait Science dans Science de l’information ? ». [En ligne].https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00067969/document
Liquète Vincent, Fabre Isabelle, Gardiès Cécile (2010). « Faut-il reconsidérer la médiation documentaire ? » [En ligne]. Enjeux de l’information et de la communication, GRESEC - Université Grenoble III. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00795148/document
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Bénédicte Langlois
Université Paul-Valéry, Montpellier, Lerass-Ceric. langlois.b@laposte.net