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CARTE BLANCHE AUX JEUNES CHERCHEURS

Adeline Entraygues

D’un poster à une communication : retour sur une démarche
intellectuelle

Article

Texte intégral

1Doctorante en 3e année en SIC au MICA (Bordeaux Montaigne Humanités), nous travaillons sur le rapport de l’école aux Réseaux Socio-Numériques.

2Notre réflexion questionne le lien entre pratiques prescrites documentaires et pratiques informelles juvéniles, dans un contexte scolaire.

3Comment en fonction des représentations des élèves, prendre en compte les pratiques informationnelles informelles liées aux RSN dans la culture de l’information ?

4Il y a deux ans, nous avons présenté un poster lors des Doctorales : c’était notre premier contact avec le monde scientifique. Aujourd’hui, nous allons participer aux Doctorales de la SFSIC dans le cadre d’une communication pour faire le point sur notre thèse.

5Cet article aura pour objet de montrer l’avancement de notre travail afin de souligner le rôle qu’a joué la présentation du poster dans notre recherche.

Les doctorales : une première expérience scientifique

Vers une communication scientifique

6Communiquer permet la diffusion de nos travaux et apporte une reconnaissance et une visibilité au sein de la communauté scientifique. C’est l’un des objectifs des années de thèse.

7L’appel à poster de la SFSIC a été pour nous l’occasion de répondre à une première offre de communication, réservée aux premières années. Le format de poster, un format accessible oblige à une visualisation globale du questionnement scientifique.

8La première année de thèse consistant à effectuer des recherches afin de récolter lors des lectures de la matière pour l’état de l’art, il nous semblait difficile de nous lancer dans une communication.

9La difficulté résidait dans le fait d’expliciter et de formaliser nos idées au début de notre recherche.

Une rencontre pour un enrichissement personnel

10Lors de ce premier rendez-vous scientifique à Lille, devant notre poster sélectionné, nous avons pu rencontrer d’autres doctorants afin d’échanger et de discuter autour de nos sujets : une première prise de parole pour expliquer, défendre nos idées durant un temps très court, pour préciser les spécificités de notre thème de recherche et clarifier ses idées. Écouter les avis des chercheurs, échanger, se retrouver confronté à sa propre recherche et argumenter, rencontrer d’autres doctorants et découvrir d’autres approches interdisciplinaires, prendre des contacts pour positionner des sujets de recherche connexes : autant de nouveautés qui enrichissent une première année de doctorat.

11Les doctorales nous ont offert un premier positionnement en tant que doctorante dans la communauté des SIC. La réalisation d’un poster m’a permis de comprendre les spécificités de la thèse en me projetant dans son ensemble et de mieux appréhender comment mener une recherche.

Des écueils et des réorientations

12Suite à cette expérience scientifique, nous avons repensé et modifié certains points de notre travail en fonction des conseils et des commentaires reçus lors des doctorales.

13Notre problématique précise focalisait davantage sur des propositions que sur une recherche sur le terrain ; en effet, notre métier d’enseignant documentaliste nous empêchait de prendre du recul et de penser en termes de chercheur. Le sujet s’est avéré trop large afin d’éviter les généralités, notre méthodologie confuse et très difficile à mettre en œuvre. Les hypothèses étaient trop illusoires et mal formulées.

14Il était nécessaire de trouver la spécificité de notre sujet avec un angle nouveau de recherche. En posant les RSN dans la pédagogie documentaire, il fallait resserrer et redéfinir notre approche. À force de lectures et de discussions avec notre directeur de thèse, nous avons choisi les notions de formalité et d’informalité dans le cadre des RSN et de la culture de l’information.

15En termes de pratiques et de représentations, il s’agissait d’étudier les enjeux de la culture de l’information et des représentations des élèves et des professeurs-documentalistes sur les RSN. Nous avons reformulé la problématique vers un recentrage sur une notion en SIC, la culture de l’information et proposé une réarticulation avec la réalité professionnelle scolaire et les tensions existants entre pratiques prescrites et pratiques informelles.

Notre travail de thèse en 3e année

Questionnement et hypothèses de recherche

16Aujourd’hui, notre questionnement de recherche se situe entre les pratiques informationnelles dans la sphère scolaire et dans la sphère privée. Les RSN dans un contexte scolaire étant un champ de recherche peu étudié, nous avons choisi d’analyser leur utilisation dans le cadre des apprentissages scolaires.

17Comment en fonction des représentations des élèves, prendre en compte les pratiques informationnelles informelles liées aux RSN dans la culture de l’information ?

18Nous avons formulé les hypothèses suivantes : la culture de l’information est une culture transversale qui sert à accompagner les jeunes dans leur pratiques informationnelles formelles ou informelles : une approche réflexive est nécessaire pour former des citoyens du numérique. Les RSN sont alors des objets scolaires d’apprentissage. Dans un contexte de formalité et d’informalité, la culture de l’information et les pratiques et les représentations formelles et informelles sont plurielles, impliquant alors un double système de lecture.

Cadre théorique

19Notre cadre notionnel fait apparaître trois objets conceptuels, les pratiques informationnelles venant faire le lien entre la culture de l’information et les RSN.

20Première notion à définir, la culture de l’information est “ce qui traite de l’information documentaire composée d’informations fonctionnelles, d’informations stratégiques et de connaissances” (Jakobiak, 1995). Plurielle aux enjeux cognitifs, communicationnels, économiques et politiques (Liquète, 2014), la culture de l’information, intrinsèquement lié à la société de l’information (Baltz, 1998) développe la pensée critique, la liberté et la capacité de l’individu à se repérer dans un contexte surinformé. (IFLA)

21La Déclaration de Prague émanant de l’Unesco « Vers une société compétente dans l’usage de l’information » ouvre vers une dimension citoyenne, considérant l’information comme une « notion stratégique indissociable de la pensée de «l’apprenant» et de la connaissance » (Bernhard, 2003). Dans un contexte éducatif, la culture de l’information se trouve au centre des préoccupations professionnelles des enseignants-documentalistes.

22Notre deuxième objet d’étude portera sur les RSN, qui “constituent des services web qui :

  • permettent aux individus de construire un profil public ou semi-public au sein d’un système,

  • de gérer une liste des utilisateurs avec lesquels ils partagent un lien,

  • de voir et naviguer sur leur liste de liens et sur ceux établis par les autres au sein du système et

  • fondent leur attractivité essentiellement sur les trois premiers points et non sur une activité particulière. » (Coutant & Stenger 2009). Ces technologies prédominantes du web social investi par les adolescents deviennent des espaces de socialisation où l’expression de soi permet la construction identitaire (Cardon, 2008).

23Pour comprendre le rapport entre culture de l’information et RSN, il semble important d’observer les pratiques et les représentations informationnelles. Les pratiques informationnelles, notre troisième objet de recherche, regroupent « la manière dont l’ensemble de dispositifs, des sources, des outils, des compétences cognitives sont effectivement mobilisés dans les différentes situations de production, de recherche, traitement de l’information. » (Chaudiron, 2010). On distingue deux types de pratiques informationnelles, d’un côté les pratiques formelles, « les pratiques prescrites par l’école, modélisées selon des critères d’efficacité collective, de rendement informationnel mais aussi de légitimité culturelle » et de l’autre les pratiques informelles « pratiques sociales ordinaires, non prescrites ou régulées par une autorité, non structurées de manière explicite, mais efficaces dans la satisfaction qu’elles procurent au quotidien. » (Béguin, 2006).

24Les représentations conditionnent et explicitent les pratiques informationnelles et permettent de formaliser les discours des élèves. Les représentations sont « nécessaire[s] à l’individu pour donner sens au monde et avoir prise sur ce qui l’entoure. » La représentation correspond à des modèles mentaux, les représentations sociales venant informer les représentations cognitives de l’individu. La notion de représentation est particulièrement exploitée au sein du champ didactique, comme « idées » et savoirs que l’élève a inévitablement sur un objet avant même que celui-ci ne soit objet d’apprentissage.» (Cordier, 2011)

Retour sur la méthodologie et le corpus

25Nous avons affiné la méthodologie d’observation de terrain et réfléchi à une approche compréhensive systémique en adéquation avec nos objectifs d’observation.

26Deux catégories de publics différents occupent notre enquête de terrain : les professeurs-documentalistes et les apprenants, élèves des établissements scolaires. Notre protocole d’enquête a pour but d’observer les pratiques et les représentations des professionnels de la documentation et des élèves.

27Ces deux contextes d’études, les pratiques prescrites lors de séances avec des documents de cours et les rendus des élèves et les pratiques informelles spontanées avec les traces écrites des élèves sous formes de photos ou de copies de documents nous permettent d’analyser un double système de pratiques et de représentations.

28Dans une dynamique compréhensive, nous avons voulu recueillir deux types de données qualitatives pour avoir un matériau riche et diversifié : les éléments d’un discours ainsi que l’observation de documents pédagogiques.

29Les entretiens semi-directifs avec les professeurs documentalistes et les élèves portent sur les pratiques prescrites et informelles en rapport avec les réseaux socio-numériques et l’observation porte sur l’analyse de la séance pédagogique.

30Les entretiens avec les professeurs-documentalistes se déroulent sur une heure environ et se divisent en trois parties : commençant par les caractéristiques générales personnelles et professionnelles, leurs pratiques informationnelles sur les RSN, leur perception de la culture de l’information et leur rapport aux RSN dans un contexte pédagogique. Les entretiens avec les élèves, plus courts se découpent en trois parties : leur pratiques informationnelles informelles, leur représentations de l’information et des RSN ainsi que leur rapport aux RSN dans un cadre scolaire.

31Nous comptons neuf terrains d’observation sur tout le territoire national, dans des établissements scolaires diversifiés. La répartition s’avère relativement homogène entre les lycées et les collèges et entre les zones rurales, urbaines et semi-urbaines (4 lycées et 5 collèges). Toutes les classes du second degré sont représentées, de la sixième à la seconde. Nous avons pu mener des entretiens avec une moyenne de dix élèves par établissement ce qui constitue un corpus de 90 élèves.

32Onze documentalistes titulaires dans l’établissement scolaire du projet ont été interrogées.

Quelques tendances en construction

33La phase de terrain sera finalisée en juin 2017, mais nous pouvons donner quelques tendances qui se dégagent.

34Notre première hypothèse concernait la culture de l’information en construction, quelques éléments émergent :

  • Les enseignants-documentalistes s’accordent sur la notion de « culture de l’information ». L’éducation aux médias et à l’information permet un accompagnement des élèves dans la société de l’information. L’apprentissage informationnel concerne également les RSN.

  • Les enseignants-documentalistes considèrent les RSN comme des objets de réflexion ; des freins existent encore pour les intégrer en tant qu’outil d’apprentissage, même si une meilleure motivation des élèves semble évidente, ces derniers exprimant toutefois des réticences.

  • Les projets pédagogiques qui engagent un RSN sont assez rares dans un environnement scolaire compte-tenu des blocages matériels et psychologiques.

  • Les élèves apprécient les projets réflexifs menés en classe : la plupart expriment une demande de comprendre le fonctionnement et les enjeux des RSN avec l’enseignant-documentaliste. Malgré des pratiques personnelles aisées, ils apprécient les échanges sur leurs pratiques avec les enseignants. L’identité numérique et les paramètres de confidentialité les interpellent et remettent en question leur quotidien sur les RSN.

  • Les enseignants documentalistes ont pour objectif d’accompagner les élèves dans leurs pratiques informelles sur les RSN.

35En ce qui concerne notre seconde hypothèse, il apparaît un double système de pratiques et de représentations des RSN, impliquant ainsi une culture de l’information plurielle.

36Les représentations des élèves des RSN sont erronées, les pratiques informelles sont superficielles et liées à leur sphère intime et privée, n’ayant pas de place dans la sphère scolaire.

37Le fonctionnement et les enjeux des RSN sont méconnus des jeunes. Il ressort des entretiens que l’expression « société de l’information » est difficile à définir malgré une prise de conscience de l’importance de l’information dans notre société.

38Pour ce qui se rapporte aux pratiques déclarées, elles semblent relativement homogènes : Snapchat, Facebook et Instagram sont les trois RSN les plus utilisés.

39Les élèves se connectent via des équipements variés : ils ont une tablette, un téléphone et un ordinateur.

40Utiliser les RSN reste facile pour les élèves qui maîtrisent les fonctionnalités premières sans chercher à approfondir leur utilisation. Les pratiques informationnelles sur les RSN sont avant tout pour les loisirs, ce sont également des sources d’information privilégiées. Les RSN deviennent des outils de communication entre pairs remplaçant alors les téléphones portables.

41Les élèves considèrent les RSN comme des espaces dangereux uniquement s’ils diffusent leur propre image ou de l’information intime.

42Après un projet pédagogique, les élèves portent un regard méfiant sur les RSN en accord avec le discours de l’enseignant-documentaliste, le spécialiste d’Internet et des règles de fonctionnements des RSN.

43Notre première analyse du terrain semble montrer que les pratiques prescrites influencent les pratiques informelles amenant une modification des pratiques ou une réflexion sur les représentations.

La culture de l’information en construction : un enjeu épistémologique

44Après avoir présenté le poster aux doctorales en mai 2015, nous avons pu formaliser et faire évoluer dans notre recherche pour trouver notre spécificité. Aujourd’hui la communication en juin 2017 représente aussi une étape dans notre vie de doctorante.

45Ce bilan montre l’évolution du travail en deux années ; nous arrivons au terme de notre travail avec comme objectif l’écriture et la finalisation de notre recherche durant la dernière année.

46Aujourd’hui, nous nous situons dans une dimension propre aux SIC en questionnant l’épistémologie de la culture de l’information.

47Les RSN, se situant à l’intersection entre pratiques prescrites et informelles interrogent le rapport entre la culture de l’information et la pédagogie documentaire qui en découlent et les pratiques informationnelles quotidiennes des jeunes.

Bibliographie

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Pour citer ce document

Adeline Entraygues, «D’un poster à une communication : retour sur une démarche
intellectuelle», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 14-Varia, CARTE BLANCHE AUX JEUNES CHERCHEURS,mis à jour le : 05/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=264.

Quelques mots à propos de : Adeline Entraygues

Doctorante en sciences de l’information et de la communication, Université Bordeaux Montaigne Humanités (MICA) aentraygues@gmail.com