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HOMMAGES

Roger Odin

Pour Chantal

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Texte intégral

1Depuis des années qu’elle cumulait les maladies toutes plus graves les unes que les autres, on avait fini par prendre l’habitude de la voir entrer à l’hôpital le samedi et revenir faire ses cours le mercredi (en ayant corrigé toutes les copies des étudiants), participer à une réunion le jeudi et intervenir dans un colloque le vendredi. Difficile de se dire que cette fois-ci ce ne sera pas le cas : Chantal Duchet est décédée le dimanche 27 mars 2016 à l’âge de 65 ans. Dire qu’elle a été exemplaire jusqu’au bout dans l’exercice de ses fonctions est en dessous de la vérité. Entrée à l’Université de Paris III Sorbonne Nouvelle en 1985, après avoir obtenu un Doctorat en Esthétique, à l’Université Paris I, sous la direction de Bernard Teyssèdre, sur le thème « Codage et décodage de l’image photographique dans le mailing », elle a joué un rôle essentiel dans l’UFR Cinéma et audiovisuel où elle a développé, dans un milieu dominé par les cinéphiles qui ne juraient que par le cinéma d’auteur, les enseignements et les recherches sur la télévision, la publicité et les nouvelles images. Alors qu’il était assez mal vu dans le milieu universitaire de défendre la relation université industrie et de s’intéresser au devenir professionnel des étudiants, elle a impulsé une approche articulant recherche universitaire exigeante et application industrielle et a mobilisé les réseaux que sa reconnaissance par le milieu professionnel lui avait permis de constituer au service de l’insertion de ses étudiants. Son implication dans le suivi des étudiants qui lui semblait le mériter était totale.

2Volontiers provocatrice, et aimant à souligner sa différence, elle revendiquait haut et fort son statut de « pubard », ses origines canadiennes (elle s’amusait beaucoup à émailler son langage d’expressions locales : « je m’en bats l’œil avec une patte de canard » disait-elle parfois pour couper court à une question qui ne l’intéressait pas), et plus particulièrement encore ses origines amérindiennes ; elle racontait volontiers qu’elle venait d’une tribu frappée par une allergie totale à la moindre goutte d’alcool, sous peine d’évanouissement : elle faisait très attention à ce problème ce qui ne l’empêchait nullement d’aimer bien manger et surtout d’aimer la convivialité qui règne autour d’une table. Bien que toujours entre deux traitements ou deux opérations, elle était d’une gaîté communicative. On a bien ri ensemble est une remarque qui revient souvent de la part de ceux qui l’ont côtoyée.

3De sa formation plasticienne, elle avait gardé un joli coup de crayon (elle a fait certaines illustrations de mon ouvrage Cinéma et production de sens). Lorsqu’elle s’ennuyait en réunion, cela lui permettait de se distraire en caricaturant ses collègues. Cela ne l’empêchait pas d’intervenir par des prises de position carrées reposant sur des analyses dont la pertinence a souvent frappé ceux qui ont participé avec elle à des réunions de Conseils universitaires ou du CNU. Cette voix frontale, rare dans l’institution universitaire où le détour est plus fréquent que l’expression directe, nous manquera beaucoup.

4C’est la voix de la générosité, du don, de l’engagement sans restriction dans la vie.

5Chantal nous dit qu’être universitaire ne consiste pas seulement à enseigner, à faire de la recherche ou à s’impliquer dans le fonctionnement de l’institution (elle a fait tout cela au-delà de tout ce que l’on peut attendre) : être universitaire est un engagement humain.

Pour citer ce document

Roger Odin, «Pour Chantal», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 13-Varia, HOMMAGES,mis à jour le : 08/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=310.

Quelques mots à propos de : Roger Odin

Université de Paris 3 – Sorbonne nouvelle