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DANS L'ACTUALITÉ
Slow Communication
Texte intégral
1L’accélération communicationnelle semble concerner l’ensemble des processus et domaines de la communication des organisations. Elle s’inscrit dans un mouvement plus global qui concerne nos sociétés (P. Virillio, 1995, H. Rosa, 2013, Z. Bauman, 2013) et le monde de l’organisation. Selon Nicole Aubert (2010), celui-ci connaît « un raccourcissement permanent des délais, une accélération continuelle des rythmes et une généralisation de la simultanéité » (p. 38). Norbert Alter (2000) indique que le mouvement incessant au sein des entreprises est devenu sa propre finalité, générant morcellement et des conflits de temporalité, des dyschronies. Cette accélération impacte directement les communicants eux-mêmes et le fait que le premier qualificatif qu’ils utilisent pour définir leur métier soit « stressant » ou que le terme arrivé en première position pour les agences de conseil en communication en Grande-Bretagne était celui de « pompier », indique que ces qualificatifs ne sont pas utilisés par hasard. Pour témoigner de ma propre expérience par mon travail, désormais en entreprise après avoir quitté il y a deux ans le monde académique, je m’étonne encore que le premier compliment que j’obtiens par voie électronique pour avoir répondu à une sollicitation soit un remerciement pour ma réactivité avant toute considération sur la qualité de mon travail.
2Le mouvement slow commence à apparaître dans le monde de la communication des organisations. Nous présenterons un constat de la situation actuelle, tenterons de proposer quelques éléments d’explication à l’accélération actuelle, délimiterons les conséquences et analyserons les facteurs permettant une décélération du rythme de la communication dans les organisations.
Constat
3L’indicateur le plus évocateur de l’accélération du rythme de la communication réside dans le recul de la prise en compte du long terme dans l’élaboration des stratégies de communication. Les plans de communication d’une durée de cinq ans ou plus qui ont existé dans certaines grandes entreprises ont tous disparu et les plans dont l’échéance est supérieure à deux ans représentent désormais moins d’un tiers des plans de communication en entreprise selon le dernier baromètre sur la communication des entreprises (UDA 2013).
4Le plan de communication dont l’objectif était de délimiter les objectifs de communication et les moyens d’y parvenir se confond désormais avec le plan d’action annuel « Suite séquentielle d’instants plus ou moins bien finalisés » (R de Backer 2000), simple document budgétaire réalisé à l’automne de chaque année et destiné à prévoir le budget nécessaire aux opérations de communication à engager sur l’année suivante. En dehors du motif d’imprévisibilité accrue du contexte économique et social, et donc de la difficulté d’y inscrire une trajectoire pertinente de communication, il est symptomatique qu’un argument majeur employé porte sur la contrainte temporelle nécessaire à l’élaboration d’une stratégie de communication. En clair, alors même qu’une stratégie de communication a pour conséquence de permettre au communicant de dégager du temps dans sa prise de décision autour d’axe de communication préalablement déterminé, l’obstacle à ce gain de temps potentiel réside dans le manque de temps nécessaire à sa formalisation. Le cercle devient totalement vicieux, les communicants n’ont pas le temps de se projeter dans un long terme qui faciliterait leur prise de décision autour d’axe stratégique délimité. La stratégie cède le pas à la tactique, l’instantanéité et la réactivité deviennent des objectifs centraux et, en conséquence, la qualité première exigée du communicant est l’agilité.
5Autre élément de ce constat, l’accélération du rythme de diffusion des messages. Alors même que la totalité des spécialistes en analyse réputationnelle (Anne Grégory, 2015) insiste sur l’importance de messages temporellement stables, on assiste à une forme de zapping communicationnel où, au sein de périodes de plus en plus rapprochées, les entreprises évoluent dans leur positionnement et émettent des messages différents de plus en plus rapidement. Si certaines entreprises conservent une stabilité de leur message à l’exemple de Coca-Cola (le plaisir), McDonald’s (la simplicité), Danone (la santé par l’alimentation), d’autres apparaissent dans un renouveau incessant, à l’exemple d’EDF qui aura renouvelé sa signature institutionnelle tous les deux ans en moyenne depuis 1990. L’exemple du Crédit Agricole est également éloquent ; la banque a vécu toute sa communication entre 1971 et 2005 autour de la notion du « bon sens ». En 2005, elle se tourne vers un thème relationnel « Une relation durable, ça change la vie », décide en 2011 de revenir à son positionnement historique « Le bon sens a de l’avenir » pour en changer une fois de plus en 2016 autour de la notion d’offre de service et de relation client « Toute une banque pour vous ».
6Dans le domaine du marketing, elles tâchent de profiter des événement d’actualité, en exploitant les techniques de newsjacking ou de real-time marketing, pour les reprendre et les détourner afin de promouvoir un produit ou une organisation. L’accélération peut apparaître proche d’une frénésie de communication : modification d’identité visuelle, intégration de nouveaux outils, adaptation aux sujets d’actualité comme lors de la grande conférence climatique COP 21 en décembre 2015 à Paris, diffusion accélérée de messages, tout concourt à cette accélération. De nombreuses évaluations existent sur ce dernier sujet, celles-ci estiment le nombre de messages reçus quotidiennement par chaque citoyen en France entre 400 et 3 000. La généralisation du big data et son influence sur l’automatisation des envois publicitaires en fonction des requêtes effectuées par les internautes sur les moteurs de recherche renforcent cette impression d’accélération puisque l’envoi d’un message de publicité adapté au profil de l’internaute en fonction de sa dernière recherche s’effectue ici dans un laps de temps de l’ordre de la seconde.
7Le paramètre de la vitesse intègre les paramètres d’élaboration des postures de communication et la délimitation des parties prenantes de l’organisation. Le caractère d’urgence des demandes adressées (Mitchell 1997) apparaît ainsi aux côtés des conditions de légitimité et de pouvoir, comme un des paramètres déterminants de la relation de l’entreprise envers ses différents publics.
Compréhension
8L’accélération communicationnelle dans les organisations apparaît donc être un phénomène structurel en raison de paramètres causaux solidement ancrés au sein même des processus.
9Le constat de l’accélération des changements de messages institutionnels s’explique largement par la tendance à la généralisation des tableaux de bord de pilotage de la fonction communication. Puisque les entreprises n’ont plus de stratégie à moyen-long terme, l’efficacité est mesurée par des indicateurs de pilotage et notamment les indicateurs clés1. Ces indicateurs d’image sont évalués régulièrement, il suffit qu’une évolution négative apparaisse pour que l’entreprise décide d’engager une mesure correctrice pour endiguer la tendance à la baisse. Ainsi, si l’image de « responsabilité sociale » diminue, il est fort probable que rapidement, les communicants de l’organisation décident d’engager des actions pour revaloriser cet item, et si peu de temps après, une évolution négative se dessine sur les indicateurs de performances financières, une nouvelle campagne sera envisagée. En fait, c’est la professionnalisation même de la communication qui est en jeu dans ce processus d’accélération. À l’instar de tous les autres domaines d’activité de l’entreprise, la communication est aujourd’hui un domaine équipé de multiples outils d’évaluation et ceci pour l’ensemble de ses activités, elle doit rendre des comptes en permanence sur son efficacité. La rencontre d’une stratégie fondée sur des échéances de court terme avec la généralisation d’indicateurs d’évaluation ne peut qu’amplifier le mouvement d’accélération au sein de la fonction communication.
10Les médias traditionnels se sont quantitativement accrus, ils sont devenus plus concurrentiels, plus intrusifs à l’égard des entreprises, les responsables de communication ont ainsi vu leur tâche accrue par l’explosion de nouvelles demandes qu’illustre l’apparition de médias économiques en continu. Qualitativement, la méfiance qui s’est installée entre les journalistes et les directions de communication en raison d’une perception d’un story telling trop lisse sur lequel s’ajoutait une exigence de transparence quasi absolue a renforcé cette tendance en accroissant la pression sur le communicant. Au final, celui-ci voyait sa marge de manœuvre singulièrement réduite entre d’une part la diminution de ses moyens budgétaires et l’apparition de nouveaux interlocuteurs, plus exigeants, et de nouveaux enjeux. L’objectif « Faire plus et mieux avec moins » ne pouvait s’atteindre qu’avec une pression temporelle particulièrement élevée et cela d’autant plus que si informer peut s’effectuer rapidement, communiquer prend du temps.
11La généralisation du digital a également fortement impacté le rythme de la communication puisque celle-ci s’y effectue désormais dans l’instantanéité. Toutes les grandes entreprises disposent dorénavant de cartographie en temps réel concernant l’ensemble de leur métier sur l’espace numérique international. L’entreprise qui connaissait déjà une augmentation progressive de sa surcharge informationnelle, apparaît désormais immergée dans une conversation permanente où les contraintes spatiales et temporelles ont été abolies. Le filtre des médias traditionnels étant fortement réduit, l’entreprise est directement exposée et l’explosion des bad buzz en est une illustration. Internet a également réduit le temps de la production communicationnelle. Alors que jusque dans les années 1990, une dizaine de jours était nécessaire pour la réalisation d’un journal interne, la dématérialisation permet d’éviter les nombreuses phases de réalisation qui étaient la norme. Les relations avec les fournisseurs se sont modifiées puisqu’elles s’effectuent dans un contexte de « juste à temps ».
12En outre, apparaît un élément de nature davantage psychosociologique propre aux organisations et qui repose sur les craintes de ne pas apparaître à l’avant-poste de la modernité. Il faut donc être présent sur un maximum de médias sociaux, développer un grand nombre d’applications pour mobile puisque ces outils symbolisent l’innovation et le progrès, peu importe que pour nombre d’entre eux, ils seront rapidement obsolètes comme l’a pu être Second Life, eldorado des entreprises en quête de virtualité dans les années 2005-2006 et aujourd’hui totalement délaissé.
13Les causes de cette accélération se situent également en dehors même de l’entreprise et du strict champ communicationnel. Ainsi, la judiciarisation et la croissance des normes entraînent tout à la fois une veille accrue et la mise en place d’actions de communication d’influence (lobbying) pour en limiter les effets. Qu’il s’agisse des nouvelles obligations dans le domaine du reporting (loi Grenelle 2 de juillet 2010, loi Warsmann 4 de mars 2012), des nouvelles contraintes réglementaires en matière d’encadrement des messages publicitaires (arrêté de novembre 2006 relatif à la promotion des économies d’énergie dans les messages publicitaires des entreprises du secteur énergétique, arrêté de février 2007 relatif aux messages publicitaires en faveur de certains aliments) renforcement des pouvoirs de contrôle en matière de contrôle publicitaire (création de l’ARPP, juin 2008). Tout ceci interpelle en permanence le communicant, lui demandant vigilance et rapidité d’action, demande assez proche d’une injonction paradoxale.
14Notons aussi que les agences conseils en communication, notamment dans l’événementiel, se plaignent de l’extrême réduction imposée lors des procédures de réponse aux briefs. En 2014, les principales organisations représentatives des agences de communication et l’Union des Annonceurs ont publié un texte commun « La belle compétition » pour reconnaître, notamment, la nécessité de laisser aux agences des « délais cohérents » dans les réponses aux sollicitations des entreprises.
15Le dernier élément d’explication se situe dans la place désormais dominante de la communication financière dans l’ensemble de la communication de l’entreprise. En raison de l’importance des flux financiers, de leurs caractéristiques notamment en matière d’internationalisation et de volatilité, et de leurs enjeux pour l’entreprise, la direction financière impose son rythme à la direction communication. L’un des événements majeurs pour toute entreprise cotée en bourse est celui de la publication annuelle des résultats. Celle-ci s’effectuant traditionnellement au mois de mars, elle est dorénavant effectuée le plus couramment en février. Par ailleurs, la publication annuelle est désormais accompagnée de rapports financiers semestriels qui doivent être publiés dans les trois mois suivant la fin du semestre de l’exercice. Pour les sociétés cotées à New York, l’obligation de communication financière est trimestrielle, ce que le législateur français2 a exclu en laissant toutefois aux émetteurs la possibilité de publier trimestriellement leurs comptes. Tout ceci impacte fortement la communication globale qui se greffe sur le rythme de la communication financière considérée souvent comme le domaine à enjeu majeur de l’ensemble de la communication de l’entreprise.
Conséquences
16L’accélération entraîne de nombreux effets, dont la plupart se révèlent négatifs à terme sur l’image de l’entreprise et la crédibilité de ses discours.
17En termes réputationnels, l’accélération amène deux types de conséquences négatives. En premier lieu, l’image est fragilisée par la succession de nouveaux signes et messages sans lien apparent. Pour se distinguer, une image organisationnelle exige la stabilité, les modifications successives entraînent une absence de lisibilité et de compréhension de la posture et ainsi une perte de sens pour les publics. Cette obsolescence programmée des postures successives devient vite contre-productive. La notion même de marque signifie la mise en place de repères distinctifs, de balise, et c’est elle qui donne sa valeur, notamment financière, à l’image d’une entreprise. Alors même que les dépenses de communication des entreprises restent à un niveau élevé (30 milliards d’euros en 2015), combien de citoyens sont-ils capables de citer les messages et signatures des entreprises ? Le turn over permanent a entraîné une perte de visibilité et l’absence de stabilité a entraîné la perception d’une interchangeabilité des postures de communication.
18Il y a un paradoxe actuel dans le décalage entre une communication des organisations qui est à un niveau élevé de professionnalisation et le constat d’une absence majeure de crédibilité de ses discours. L’exemple de la communication sur le développement durable est assez exemplaire de cette contradiction. Lorsque nous avions proposé l’idée de slow communication (Libaert. 2010), notre propos concernait essentiellement la contradiction entre une volonté organisationnelle de convaincre d’un réel engagement envers les générations futures alors même que les entreprises changent de message tous les dix-huit mois ? La communication responsable ne peut faire l’impasse sur la question de la responsabilité de la communication pour laquelle la crédibilité est liée à la stabilité.
Tendances
19Devant ce constat d’accélération globale, une slow communication est-elle envisageable ? Une slow communication n’est pas une communication moins réactive, mais une communication qui réintègre le long terme dans ses choix stratégiques et qui en conséquence apporte davantage de permanence. Un indice de cette tendance réside dans le retour de la perception du caractère incontournable du plan de communication. L’idée forte est que c’est justement en période d’imprévisibilité que les entreprises ont besoin plus que jamais de se doter d’un cadrage stratégique stable et solide, à défaut, elles favorisent un zapping communicationnel qui fragilise l’image et réduit la valeur financière de la marque.
20De même, la prégnance forte des enjeux RSE et son intégration dans le processus stratégique, la relation avec les parties prenantes qui s’est déplacée de la phase de simple écoute pour se fixer dans une relation de concertation, voire de co-construction ne peut s’opérer qu’autour d’une volonté pérenne de l’entreprise. La communication traditionnelle s’est trop focalisée sur la réputation, elle lui a consacré des budgets importants, développé des nouveaux outils, fourni des critères de mesure. Elle redécouvre aujourd’hui le poids de la relation, pourtant au fondement même des relations publiques. Les enjeux de RSE ont interpellé l’entreprise sur d’autres enjeux que celui de l’image, et pour cela, une relation stable aux parties prenantes est incontournable, ce qui ne peut que relativiser une frénésie communicationnelle autour de l’image qui confine souvent à la fébrilité.
21La slow communication n’est pas synonyme de ralentissement. Elle questionne le processus de communication dans l’ensemble de ses fondements et dans ses objectifs. Il n’y a ici nulle vision idéaliste ou éthique, la communication frénétique telle que pratiquée aujourd’hui n’est simplement pas efficace.
Bibliographie
Albert Norbert, L’innovation ordinaire, PUF, 2000.
Aubert Nicole, Le culte de l’urgence. La société malade de temps, Champs, 2010.
Backer de Robert, « Courir après le temps ou l’habiter ? », Les cahiers de la communication interne. Temps et communication, n° 6, février 2000, p. 16.
Bauman Zygmunt, La vie liquide, Fayard, 2013.
Gregory Anne, Planning and managing public relations campaigns : a strategic approach, Kogan Page, 2015.
Harmut Rosa, Accélération, une critique sociale du temps, La Découverte, 2013.
Libaert Thierry. Communication et Environnement, le pacte impossible. PUF. 2010.
Mitchell K. Ronald, Agle R. Bradley & Wood J. Donna, “Towards a theory of stakeholder identification and salience : Defining the principle of who and what really counts”, Academy of management review, 1999, 22 (4), p. 853-886.
Virilio Paul, La vitesse de libération, Galilée, 1995.