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DANS L'ACTUALITÉ

Jérôme Ibert

Le bilan de 5 années de licence professionnelle des métiers de l’entrepreneuriat

Article

Texte intégral

Historique du projet

1Une enquête menée en 2009 sur 300 nouveaux entrepreneurs TPE dans la région Nord/Pas-de-Calais (Boutillier et Kizaba, 2009) a montré qu’en majorité, ils ont créé dans la région, le département, voire la ville où ils sont nés. Les statistiques en matière de création d’entreprise permettent d’écarter toute hypothèse d’attractivité particulière de la région. Pour les auteurs de l’étude, les nouveaux entrepreneurs ne sont pas des innovateurs schumpétériens, activant une destruction créatrice par de nouvelles combinaisons de facteurs de production (Schumpeter, 1912), ni des investisseurs kirznériens, détectant des opportunités (Kirzner, 1997). Les nouvelles entreprises ont été créées dans des secteurs d’activités traditionnelles : le bâtiment et les travaux publics, ainsi que les services à la personne, activités dont le démarrage ne nécessite pas de gros investissements. De plus, environ la moitié d’entre eux étaient demandeurs d’emploi avant de créer leur entreprise. Ces résultats illustrent l’intérêt de la création d’entreprise comme voie de l’insertion professionnelle. La création de son propre emploi, par la création d’une organisation, mais également par la reprise ou par la transmission d’entreprise, ou encore par la participation active au développement d’une nouvelle activité dans une TPE ou une PME, est devenu l’une des réponses aux difficultés actuelles d’insertion professionnelle rencontrées par les jeunes et les moins jeunes. Dans la conjoncture de désindustrialisation et de réduction des débouchés professionnels salariés dans notre région, la nécessité de développer non seulement l’esprit mais aussi la capacité d’entreprendre devenait une évidence.

2L’offre de formation au niveau licence professionnelle n’existait pas dans le domaine de l’entrepreneuriat en Région Nord/Pas-de-Calais. Les besoins n’étaient pas couverts notamment sur la métropole lilloise et le bassin minier, où la population est la plus dense. Proche du bassin minier, le Lycée Voltaire de Wingles mettait alors à profit le dispositif de coopération Lycées/Universités sur les licences professionnelles, pour solliciter l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) de l’Université de Lille1. Son objectif était notamment de faire gagner en visibilité, très en amont sur le public lycéen, la possibilité d’une spécialité professionnalisante à l’Université : la création ou la reprise d’entreprise.

3Du point de vue de l’IAE, une licence professionnelle dédiée à l’entrepreneuriat s’inscrivait en complément du Master 2 Entrepreneuriat et Mangement de l’Innovation, ouvert en 2003, dont l’orientation se voulait très nettement technologique avec la valorisation de la recherche universitaire en sciences et techniques. L’accès à une formation en entrepreneuriat restait soumis aux prérequis du diplôme de Master 1 ou d’ingénieur ou encore d’une équivalence de même niveau. L’ouverture d’une licence professionnelle offrait l’opportunité d’exploiter l’expertise pédagogique et les compétences en accompagnement de projet, construites dans le cadre du master. Elle comblait le manque de formation au niveau des projets « techniciens » de création, de reprise et de développement d’entreprise. La licence Professionnelle ouvrait un débouché naturel pour les diplômés de formations courtes en deux ans (DUT, BTS), non seulement pour les jeunes diplômés mais aussi pour les plus anciens qui souhaitaient réorienter ou reconvertir leur activité professionnelle. La spécialité « entrepreneuriat » permettait aux étudiants d’être opérationnels sur le marché de l’emploi en étant, pour la plupart d’entre eux, les initiateurs de leur propre emploi. Dans une démarche de professionnalisation, elle complétait les autres formations de niveau licence de l’Université, dès lors que la maturation d’un projet individuel pouvait se substituer à la continuation d’études en master ou à la recherche d’un emploi. Enfin, du point de vue universitaire, les petites et les moyennes entreprises ont des logiques de fonctionnement et de développement différentes de celles des grandes entreprises. Trop longtemps négligées par la « Doxa managériale » de sciences de gestion (Marchesnay, 2008), la petite et la moyenne taille économique s’inscrivent dans le nouveau paradigme de l’émergence de l’économie entrepreneuriale (Audretsch, 2006). L’université peut contribuer à la connaissance en management des petites et moyennes entreprises, à sa diffusion sur le territoire régional et à l’accompagnement des projets d’insertion ou de conversion des diplômés dans une économie de proximité en lien avec le territoire.

4La licence professionnelle des métiers de l’entrepreneuriat et du développement de la PME (LP MED PME) a vu le jour en 2011. Le partenariat entre l’IAE de Lille et le lycée Voltaire de Wingles a conduit à l’élaboration d’un programme de formation pluridisciplinaire, non seulement spécifique à la création, à la reprise, à la transmission de TPE/PME dans les domaines du commerce, de l’artisanat et de la petite industrie et à l’intrapreneuriat (gestion de projets novateurs de création de valeur dans l’entreprise) mais comprenant également des objectifs de formation au pilotage et à la gestion généraliste des PME/PMI et des TPE, pérennité du projet oblige. Chaque partenaire a apporté son réseau de professionnels et d’enseignants spécialisés.

Tableau 1. Résultats d’activité des diplômés

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Un dispositif alternant articulé à la dynamique de projet

5La spécialité « entrepreneuriat » s’appuie sur une pédagogie articulée sur les projets individuels des étudiants. Le dispositif s’inscrit dans la logique d’une alternance atypique entre des activités professionnelles et activités académiques. Sa centration forte sur les projets individuels met en perspective les parcours individuels et les enseignements professionnels programmés (Boudjaoui et Ibert, 2017). Les attentes se font plus fortes, l’écoute exigeante et avec un besoin d’accompagnement, en vertu d’une mise en situation préprofessionnelle.

6Côté académique, les enseignements commencent par une journée d’intégration qui permet d’introduire la démarche entrepreneuriale, de présenter les objectifs et le déroulement du cursus, les enseignements, les modalités d’évaluations des connaissances et les modalités de présentation de leur projet par les étudiants-entrepreneurs. S’amorce également lors de cette journée, le partage de la dynamique de projet par les étudiants entrepreneurs ou intrapreneurs : chacun présente son projet à l’ensemble de la promotion. La posture des enseignants est de faire partager par toute la promotion, l’analyse des projets.

7Les enseignements visant à la construction de compétences préprofessionnelles représentent 450 heures. Ils se subdivisent en unités d’enseignement.

8Celle des métiers de l’entrepreneur vise à l’intégration du processus entrepreneurial et intrapreneurial : démarche entrepreneuriale (rapport entre l’individu et le projet), gestion de projet, constitution du réseau de l’entrepreneur (partenaires et alliances nécessaires), financement du projet entrepreneurial, management d’équipe et motivation (spécifique dans le cas des start-up).

9Les autres unités d’enseignement visent la maîtrise d’outils généralistes de gestion de la PME ou TPE avec une orientation marquée sur les projets (business model, business plan, statuts de la future entreprise).

10La démarche stratégique en PME mobilise les enseignements suivants : l’analyse stratégique du projet et la construction d’un modèle économique viable, la gestion des ressources humaines et le droit social, la gestion de l’innovation et la démarche de qualité du système d’offre.

11Les enseignements dévolus à la stratégie commerciale sont l’intelligence des marchés et la méthodologie d’étude de marché, la communication, la gestion de la relation client et la négociation commerciale.

12Les outils de gestion comptable et financière comportent la comptabilité financière et de gestion, la fiscalité de la PME, la construction du business plan et la gestion prévisionnelle

13L’approche juridique de l’entreprise embrasse le droit civil, le droit commercial et le droit de la propriété industrielle.

14D’autres enseignements visent la construction et le développement de compétences additionnelles liées à l’action d’entreprendre. Initialement, il s’agissait de l’anglais des affaires et du développement du e-business. À la lueur de l’expérimentation du dispositif, nous avons ajouté deux autres enseignements : la reprise d’entreprise (audit d’entreprise à racheter) et l’intrapreneuriat (gestion de projet novateur dans une entreprise). Selon le dispositif prévu dans l’habilitation de la spécialité « entrepreneuriat », les étudiants-entrepreneurs doivent choisir deux de ces quatre enseignements optionnels.

15Côté professionnel, les candidats étudiants ont l’obligation de porter un projet. Ils doivent convaincre le jury de recrutement de sa pertinence et sa faisabilité. C’est La condition d’entrée dans la spécialité « entrepreneuriat ». Ce projet doit être un projet de création, de reprise ou de développement novateur d’entreprise. Le cas de la transmission d’entreprise est envisagé sous l’angle du développement. En effet, la logique successorale exige compétence et légitimité, toutes deux érectiles lors du portage et de la réalisation d’un projet. La spécialité accueille donc des projets de transmission d’entreprise sous condition d’un volet intrapreneurial conséquent. Les projets d’intrapreneurs peuvent être encadrés par un contrat de professionnalisation. Chaque porteur de projet est accompagné par un enseignant de la formation selon les ressources et expertises requises pour le suivi de son projet. L’accompagnement du projet tuteuré s’inscrit dans la construction de compétences préprofessionnelles. D’une durée de 150 heures, il est évalué par trois fois au long du cursus avec la restitution d’un rapport écrit et une soutenance orale devant un jury d’accompagnants chargés du suivi. La dynamique prescrite comporte donc trois phases : chaque porteur de projet est amené dans un premier temps à réévaluer son idée entrepreneuriale ou intrapreneurial en tant qu’opportunité d’affaires (rapport d’étape en décembre). Il doit ensuite construire son business model, c’est-à-dire valider un modèle économique viable pour la pré soutenance en mars. Enfin, il doit élaborer son business plan, la structuration de l’ensemble du projet et sa traduction financière à destination des parties prenantes sollicitées, pour la soutenance finale de juin. Ce suivi très soutenu permet de maintenir et de cadrer l’effort constant requis par la réalisation du projet. Les étudiants développent leur capacité de rédaction ou de synthèse, leur expression orale, leur capacité argumentaire, leurs compétences en matière de recherche documentaire et de conduite de projet.

16Cette pratique professionnelle permet à l’étudiant entrepreneur de construire des compétences transversales. Il ne faut pas perdre de vue l’aléa entrepreneurial et la nécessaire capacité à rebondir et à réarticuler un autre projet en cas d’obstacles insurmontables. Pour contrer la solitude du porteur de projet face à son destin, ancrer les vertus du collectif car un entrepreneur ne peut travailler seul, faire évoluer et alimenter son cadre de référence, il est nécessaire de susciter et de renforcer constamment un état d’esprit fondé sur le partage. Le travail en équipe, réalisé dans le cadre des enseignements et des activités connexes, apporte aussi des compétences transversales. À l’intégration verticale des savoirs acquis dans l’interaction avec le corps enseignant, s’ajoute l’intégration horizontale des savoirs, des habitus, des postures professionnelles : le partage et l’accompagnement des pairs libèrent la créativité et produisent des apprentissages majeurs (Boudjaoui et Ibert, 2017).

17Les dispositifs les plus efficaces repose sur une pédagogie qui favorise l’intégration des savoirs dans les projets et un accompagnement individualisé mais aussi sur des fortes interactions entre la formation et son territoire (Béchard et Bourdeaux, 1995). La spécialité « entrepreneuriat » développe des partenariats avec des incubateurs ou des structures d’accompagnement à la création, à l’innovation ou au développement (Nord France Innovation Développement, Chambre de Commerce, Chambre des Métiers, Délégation Régionale au Commerce et à l’Artisanat, Euratechnologie de Lille, La Plaine Image de Tourcoing, APUI Ecole des mines de Douai, Institut National de la Propriété Industrielle, Direccte Nord-Pas-de-Calais1…). La plupart des intervenants professionnels proviennent de ce réseau construit autour de la spécialité « entrepreneuriat ». Les porteurs de projet de création peuvent également faire des stages en entreprise dans une logique de familiarisation avec les activités envisagées dans le projet. Si on ajoute la possibilité d’intégrer un incubateur, le dispositif permet d’aménager une alternance dans un milieu préprofessionnel transitoire (Boudjaoui et Ibert, 2017).

Résultats : le bilan entrepreneurial et économique de 5 années de mise en œuvre

18La formation ayant été créée en 2011, il est enfin possible de mesurer son impact. Le tableau 1 rend compte du devenir et de l’insertion des diplômés sur les 5 premières années d’activité. Les porteurs de projet ont été très divers, avec une forte représentation de l’entrepreneuriat au féminin, une ouverture constante sur les projet de conversion professionnelle dans le cadre de la formation tout au long de la vie, une diversité sociale également, acquise par notre positionnement de formation publique mais aussi de préparation à la transmission d’entreprise.

19Si nous observons les créations effectives d’entreprises ou d’organisation, les 4 créations issues de la première promotion, 2011-2012, sont locales, (crèche rurale intercommunale, bar à cocktail créé par un intrapreneur, association d’accompagnement à la création, conseil en affaires) ; idem pour la promotion 2012-2013 (création paysagère, commerce de véhicules, ébénisterie médiévale), à une exception près (société de négoce international, créée par un intrapreneur). La promotion 2013-2014 a surtout été soutenue par l’intrapreneuriat, peu de projets de création et surtout une seule réalisation toujours locale (conciergerie d’entreprise).

20La promotion 2014-2015 a vu 11 projets de création dont 3 se sont réalisés (analyseur de site internet, confection de robes de mariée, services à la personne). Cette promotion voit la première entrée en incubateur (La serre numérique de Valenciennes) d’une start-up issue de la licence (analyseur de site internet), récompensée à plusieurs concours (Lille Management Innovation, Pepite TIC 2015, Serre numérique). Cette incubation a créé 5 emplois. À noter qu’un projet d’intrapreneuriat (méthanisation) a été abandonné mais que son porteur a réalisé la reprise avec rachat d’une exploitation agricole. Un autre projet de reprise de café-restaurant a été réalisé.

21En 2015-2016, 8 projets ont été préparés dont un seul a été mis en œuvre à ce jour (bureau d’études) mais dont un autre (aide à la navigation aérienne pour particulier) est entré en pré-incubation à Euratechnologie avant la fin du cursus, pour être ensuite écarté compte tenu de l’écart entre les coûts de développement et le marché potentiel.

22Il s’agit d’un bilan provisoire, notamment sur les dernières promotions qui comptent chacune encore 5 projets en cours.

23Bien que le dispositif n’y soit pas destiné, certains étudiants parviennent à des poursuites d’études en master de marketing, en master de management général, master d’entrepreneuriat ou encore dans le domaine professionnel envisagé par le projet. Ainsi l’activité de négoce international a été rendue possible par une poursuite d’étude en master 1 de management logistique et portuaire à Dunkerque puis un master 2 du même domaine à Rotterdam.

Tableau 2. Délais pour les créations d’entreprises issues de la formation

Promotion

Immédiat

1 an

2 ans

3 ans

5 ans

2011-2012

2

1

1

2012-2013

2

1

1

2013-2014

1

2014-2015

2015-2016

3

2016-2017

1

24Reste qu’en matière d’entrepreneuriat, le temps se dilate face aux obstacles, aux délais et aux complexités. Le projet le plus ambitieux de la première promotion vient enfin de voir le jour en octobre 2016 : une crèche rurale intercommunale d’économie mixte, pour un investissement total de 1 600 000 €, avec un apport individuel de 40 000 €, générant 10 emplois salariés selon un modèle d’économie de proximité écologique. Difficile de satisfaire au desirata de notre agence d’évaluation d’avoir une visibilité du devenir des diplômés à six mois. Si nous regardons les délais de création pour chaque promotion sur le tableau 2, nous observons des délais très variables qui témoignent pour autant pour chacun, du succès du dispositif. En effet, les délais sont en général corrélés à l’ampleur et à la complexité du projet, notamment au nombre d’externalités qu’il induit. De plus la licence professionnelle s’adressant pour grande partie à de très jeunes entrepreneurs, un effet de maturation est à attendre. L’expérimentation corrobore la difficulté à évaluer des dispositifs à partir de leurs seuls effets directs sur les créations d’entreprises. Il se produit un biais : les différences de contexte externe Fayolle (2011). Un constat rassurant : en cas de contexte hostile au projet ou d’intention de créer retardée, la probabilité d’insertion en tant que salarié est forte, à l’instar des autres licences professionnelles de l’IAE de Lille,

Réflexions et ajustements

25Le dualisme entrepreneuriat et intrapreneuriat du dispositif permet de réguler des flux d’entrée très variables. Avec le temps, les projets se concrétisent et le dispositif commence à trouver sa légitimité. L’intention d’entreprendre peut intervenir en cours de cursus comme observé chez plusieurs intrapreneurs devenus créateur ou repreneurs d’entreprise. C’est ici que les options prescrites en fin de cursus par la maquette initiale, avec notamment l’option intrapreneuriat, deviennent un non-sens. S’il est nécessaire d’avoir un fléchage selon les types de projet, la dynamique de l’intention entrepreneuriale nous échappe ensuite considérablement. L’idée d’un processus linéaire, qu’induit l’existence d’options selon les types de projet, est fallacieuse. Création, reprise et intrapreneuriat peuvent alterner dans le parcours d’un entrepreneur.

26Avec la montée en charge de la licence, nous pouvons observer plus d’entrées en incubation, voire en pré-incubation pendant le cursus : il y a une progression qualitative de la synergie avec les autres actions régionales en faveur de la création d’entreprise, qui contribue à l’immersion en milieu préprofessionnel. Mais il s’avère également que le dispositif crée des conflits de temporalité entre le temps de la maturation des projets et l’organisation académique contrainte de l’université. La double finalité de la formation diplômante et accompagnante génère pour ces apprentis entrepreneurs des tiraillements identitaires entre un comportement d’étudiant et une posture professionnelle de porteur de projet.

27C’est l’occasion d’interroger la règle d’airain du projet. Faut-il qu’il se réalise tel que prévu ou que la transformation de son porteur conduise à envisager une autre voie ? Il est assez fréquent que le projet ne surmonte pas les premières phases analytiques, que l’idée ne soit pas transformable en opportunité d’affaires ou en perspectives satisfaisantes pour l’étudiant-entrepreneur. D’autant que le recrutement des candidats ne s’appuie pas uniquement sur la faisabilité des projets présentés (laquelle doit intégrer l’hypothèse d’amélioration au cours du cursus) mais aussi sur les qualités individuelles des porteurs de projet. Il est alors crucial pour l’équipe pédagogique et accompagnante d’aider et d’habiliter l’étudiant-entrepreneur à reformuler un projet pour se réinscrire dans la dynamique de la formation. L’accompagnement est donc déterminant. Mais c’est au travers de l’accompagnement que nous découvrons qu’en matière de création d’activités, nous atteignons rapidement les limites des usages prescrits par le dispositif de formation (Rabardel, 1995). Après tout, que savons-nous réellement de la faisabilité du projet, du contexte de création et des façons qui en découlent de le réussir ? De fait, pour s’approprier la formation, chaque apprenant repense, réorganise et transforme en partie le dispositif en fonction de ses singularités et des contingences de la situation. Dans ce sens, l’apprenant n’est pas simplement usager, mais il est bel et bien le concepteur de fait d’une alternance encadrée par le dispositif (Laot et Orly, 2004). Le caractère professionnalisant de notre spécialité « entrepreneuriat » repose sur la proximité entre l’ensemble des dispositions d’usage induites par le dispositif et les dispositions professionnelles attendues par le milieu de travail, (Boudjaoui, 2011). L’accompagnement doit donc faciliter l’émergence de ces dispositions d’usages et la prise en main par l’usager du dispositif de formation au point de pouvoir en découvrir de nouvelles fonctionnalités, voire de l’instrumentaliser, de le détourner de son usage prescrit (Rabardel et Samurçay, 2006).

28À ce titre, nous avons pu observer cette émergence des dispositions en interaction avec l’accompagnement entre pairs, le processus de socialisation professionnelle et de transaction identitaire, et enfin avec l’activation d’un milieu préprofessionnel transitoire via la participation aux concours de création, la familiarisation avec le réseau du territoire et l’intégration dans un incubateur. Sur le plan pédagogique, la maquette initiale n’a pas prévu d’aménagement de cette dimension. Il serait nécessaire de prévoir un espace dans le cursus pour l’intégration et son animation, pour faire suite aux enseignements « démarche entrepreneuriale » et « construction du réseau de l’entrepreneur » et prolonger sur toute la durée des enseignements. Il peut paraître paradoxal d’aménager dans le dispositif prescrit, cet espace pour l’émergence des dispositions entrepreneuriales issues d’un milieu préprofessionnel construit par chacun des porteurs en rapport avec son propre projet. En référence à l’interactionnisme symbolique (Weick, 1995), nous l’envisageons comme un lieu de réflexivité collective par rapport à l’action de chacun, de construction identitaire par la confrontation entre les différents itinéraires entrepreneuriaux semés d’embûches et de succès, de production sociale et d’élaboration du sens commun par d’intersubjectivité permettant la conceptualisation des différentes situations, de montée en compétences envisagées non pas comme la reproduction de conduites apprises, mais comme des possibilités d’inventer des réponses en situation, de faire face à des situations évolutives (Roure-Niubo, 2011).

29Gageons que le travail de mise en œuvre mené jusqu’ici, porte ses fruits avec une forme d’institutionnalisation de la formation dans le réseau régional de la création et de l’innovation, alimentant notre dispositif d’alternance atypique dans son versant professionnel. Plus professionnelle et moins académique, la licence a été rebaptisée Création, Reprise, Transmission et Développement d’entreprise, pour traduire l’action et se distancier de l’entrepreneuriat, vocable renvoyant à une certaine discipline académique.

Bibliographie

Audretsch, D. (2006), L’émergence de l’économie entrepreneuriale, Reflets et perspectives de la vie économique, n° 1, Tome XLV, 43-70.

Boudjaoui, M. (2011). « Enseignement supérieur et dynamiques professionnalisantes : étude comparée de deux dispositifs français », Les sciences de l’Éducation, Pour l’ère nouvelle, vol. 44, n° 2, p. 49-69.

Boudjaoui, M. et Ibert, J. (2017) [à paraître], “L’alternance atypique d’une formation universitaire à l’entrepreneuriat”, in. Philippe Chaubet et al. (dir.), Apprendre et enseigner en contexte d’alternance : vers la définition d’un noyau conceptuel propice à l’exploration de problématiques et d’objets diversifiés ? Presses Universitaire du Québec.

Boutilier, S. et Kizaba, G. (2010), “Cartographie de très petites entreprises (TPE) de la région du Nord-Pas de Calais. Étude exploratoire.” Colloque international Territoire et entrepreneuriat Qu’est-ce qu’une ville entrepreneuriale ? Forum annuel de la création et de l’innovation du littoral (FACIL10) Université du Littoral Côte d’Opale – Dunkerque 20-21 janvier.

Fayolle, A. (2011). « Enseignez, enseignez l’entrepreneuriat, il en restera toujours quelque chose ! », Entreprendre & Innover, n° 11-12, p. 147-158.

Lao, T. F. et P. Orly (2004). Éducation et formation des adultes, Paris, Institut National de Recherche Pédagogique.

Marchesnay, M. (2008), La « doxa managériale » en crise, Finance & Bien Commun, vol. 1, numéro 30, 107-114.

Kirzner, I. (1997), Entrepreneurial discovery and the competitive market process : an austrian approach, Journal of Economic Literature, vol. 35, 60-85.

Rabardel, P. (1995). Les hommes et les technologies, Paris, Armand Colin.

Rabardel, P. et R. Samurçai (2006). « De l’apprentissage par les artefacts à l’apprentissage médiatisé par les instruments », dans J.-M. Barbier et M. Durant (dir.), Sujets, activités, environnements. Approches transversales, Paris, Presses Universitaires de France, p. 31-60.

Roure-Niubo, (2011), Les dispositifs de professionnalisation par alternance sous contrat de travail : vers quelles transformations des pratiques pédagogiques dans l’enseignement supérieur ? L’exemple de l’apprentissage en France, Thèse de doctorat, mention européenne, Université de Lleida (Espagne).

Schumpeter, J. (1912), Théorie de l’évolution économique. Recherche sur le profit, le crédit, l’intérêt et le cycle de la conjoncture, trad. Française 1935, Paris, Dalloz.

Weick, K.E. (1995), Sensemaking in organizations, Thousand Oaks, Ca : Sage Publications.

Notes

1 Direction Régionale des Entreprises de la Concurrence de la Consommation du Travail et de l’Emploi.

Pour citer ce document

Jérôme Ibert, «Le bilan de 5 années de licence professionnelle des métiers de l’entrepreneuriat», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 13-Varia, DANS L'ACTUALITÉ,mis à jour le : 08/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=317.

Quelques mots à propos de : Jérôme Ibert

IAE de Lille, Université de Lille 1