QUESTIONS DE RECHERCHE
Communication et Animal
Présentation
Texte intégral
1Il est des domaines que notre discipline n’a guère investigués, ou qu’elle a investigués puis laissés de côté et repris de nombreuses années après. Ce fut le cas de celui de la religion dans lequel à partir de 2010, en particulier, les activités du réseau Relicom animé par David Douyere, Stéphane Dufour et Odile Riondet relancent la réflexion et la recherche. On assiste à la publication de nombreux travaux. Le dossier1 du numéro 12 des Cahiers de la SFSIC, parmi d’autres nombreux et actuels, en témoigne.2
2Autour de la question de la communication et de l’animal Béatrice Galinon-Mélénec et Hélène Dufour-Rossi avec les chercheurs du CDHET organisent en 2002 le colloque interdisciplinaire « Homme-Animal » qui donnera lieu, comme l’explique Béatrice Galinon-Melenec dans ces pages, à un ouvrage aux Presses de l’Université Rouen-Le Havre et à un numéro de Communication et organisation. Dans ces contributions écrites par de nombreux chercheurs en SIC les principaux angles communicationnels d’analyse de la relation homme-animal sont déjà présents : interactions et action thérapeutique (Hausberger, Gaunet), communication non verbale (Boutaud, Martin-Juchat), animal et organisation (Dufau), animal et relation à l’environnement (Porcher), médiations numériques de la relation homme-animal (Vieira), images, représentations et mythes (Deveze, Hottier, Hénon, David, Plante). Pendant plusieurs années Béatrice Galinon-Mélénec s’est éloignée de cette problématique pour s’attacher à faire émerger et à approfondir la notion de signe-trace3. Elle reprend aujourd’hui sa réflexion sur Communication et animal pour enrichir une approche comparative entre le robot de compagnie et l’animal. Les Cahiers de la SFSIC ont publié dans le numéro 12 un très intéressant article de Stéphanie Cardoso interrogeant sous l’angle du design les pratiques et les scenarii d’usages des robots de compagnie. Une autre équipe de chercheurs4 dans une approche comparatiste et interdisciplinaire poursuit également des recherches sur la communication homme-animal-machine. Drôle de « come back » du tandem animal-machine qui fait songer aux théories spécistes de tradition cartésienne. Mais dans ce cas c’est l’approche réflexive des capacités communicationnelles et relationnelles de l’animal qui sera prise en compte pour concevoir des robots capables de co-exister avec l’homme et de lui rendre également service. C’est un drôle de retour de manivelle pour ces théories qui ont perdu aujourd’hui leur crédibilité : il semble que l’exemple de la relation animal-homme puisse inspirer les comportements des machines, en l’occurrence les robots, pour soutenir l’homme dans des activités et l’accompagner dans certaines situations.
3La question animale aujourd’hui est un fait de société. Apparue en sciences humaines et sociales à partir des années 1970 (Goldblum, Lenormand, 2015) il semble qu’elle convoque actuellement la plupart des disciplines. L’animal en France est reconnu depuis 2015 comme un être vivant doué de sensibilité. À la question du droit s’ajoute la question éthique (Pelluchon, Burgeat, Jeangène Vilmer) posant la question de notre responsabilité à l’égard du vivant (Caron, 2016). Depuis une génération les réflexions posées par la disparition des espèces, l’industrialisation de l’élevage, l’avancée des découvertes concernant les capacités communicationnelles, relationnelles, cognitives des animaux et l’hypothèse d’un cerveau social (Bovet, 2011), le progrès des thérapies animales, le rôle social de l’animal ainsi que celui exercé dans le travail (Porcher, 2016) ont largement surpassé et enrichi les interrogations traditionnelles sur la fonction, l’image et la représentation de l’animal dans la société, la culture et la religion.
4L’apport des Sic à l’analyse homme-animal au début de ce siècle, comme nous venons de le rappeler, reste toujours valable pour investiguer tous ces domaines constitutifs de la question animale telle qu’elle se présente aujourd’hui. Les contributions qui suivent en sont la preuve. Il n’en demeure pas moins, comme Jerôme Michalon le propose pour la sociologie des RAZ (Relations anthropozoologiques), qu’il faudrait rappeler le travail des SIC, répondre aux objections épistémologiques et ouvrir de nouvelles recherches dans des perspectives interdisciplinaires.
5Bernard Faye nous montre que l’évolution du statut de l’animal, en l’occurrence le chameau, traduit celle de l’économie et de la culture de la société africaine et moyen orientale. Joliment qualifié de « vaisseau du désert », le chameau a perdu ses activités caravanières pour devenir produit d‘élevage (lait et viande) ou encore récemment animal « pour le fun », à l’image du cheval chez nous. La fonction utilitariste se joint à la fonction affective. Passant d’une image emblématique à celle d’un animal zootechnique, puis de divertissement, l’animal a dû établir avec l’homme des rapports différents.
6Marine Grandgeorge dans son article sur la relation homme-animal de compagnie rappelle l’importance de la médiation animale reconnue au niveau international. La communication non verbale entre l’animal, souvent cheval ou chien, « puissant stimulus multisensoriel » et les enfants en particulier avec TSA (trouble du spectre autistique) souffrant de « déficit d’interactions sociales de troubles de la communication » est particulièrement efficace. Les animaux leur apportent des stimuli multi-sensoriels et créent avec eux des liens que les enfants peuvent transférer aux êtres vivants.
7Marianne Celka désigne par animalisme tous les mouvements qui incluent la libération animale et la contestation antispéciste aboutissant pour certains à l’hypercritique végane contemporaine. Faisant un historique du développement de l’animalisme par la médiation des réseaux sociaux, elle montre les différents choix de communication des associations et ONG dans lesquelles l’image est prépondérante et particulièrement bien pensée. Les réseaux sociaux avec leurs images à la fois attractives et répulsives montrent une certaine ambivalence de la communication animaliste. La cause végane perd de sa force subversive en développant sur internet des offres communautaires aux allures consuméristes.
8Brigitte Munier en s’appuyant sur la littérature du dix-neuvième siècle témoigne du recours de l’homme à une « animalisation de la machine » pour exorciser l’effroi suscité par les progrès techniques. Ainsi le recours à des peurs anciennes pour atténuer les nouvelles se traduit par l’évocation métaphorique d’animaux ou de créatures mi-animales, mi-humaines effrayantes pour décrire en particulier une locomotive ou une mine.
Notes
1 « Le religieux, le sacré, le symbolique et la communication », David Douyere (Coor.), Mai 2016, p109-209.
2 On peut citer : « Le christianisme en communication(s) », David Douyere (Coor.), Communication & Langages, n° 189, Septembre 2016, p. 25-140.
3 Les publications de B. Galinon-Melenec se trouvent dans la bibliographie de son entretien, dernier texte de la problématique « Communication et Animal ».
4 Céline Jost, Brigitte Le Pévédic, Dominique Duhaut. Interactions et Intercompréhension : une approche comparative Homme-Homme, Animal-Homme-Machine et Homme-Machine – Chapitre « Étude de l’impact du couplage geste et parole sur un robot. » EME éditions, pp. 301-316, 2013, échange, ISBN 978-2-8066-0859-8. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00832075v1. Marine Grandgeorge, Brigitte Le Pévédic, Frédéric Pugniere-Saavedra, Céline Jost. Vers une communication Homme-Animal-Machine ? Contribution interdisciplinaire. France. EME, 2015, ISBN 978-2-8066-3195-4. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01121334.