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QUESTIONS DE RECHERCHE

Bernard Miège

Éléments en vue de la connaissance de l’édification des SIC dans les années 80 et 90
Sur les rôles respectifs de la 71e section du CNU et de la SFSIC

Article

Texte intégral

1Les premiers temps des SIC commencent à être connus, et particulièrement les rôles respectifs de Robert Escarpit, de Jean Meyriat et de quelques autres initiateurs, ainsi que l’activité des premières formations et des premiers centres universitaires dispensateurs des formations. Mais la suite ne fut pas un long fleuve tranquille, d’autant qu’au tout début des années 80, une Secrétaire d’État aux Universités, assez représentative du statu quo ante universitaire remit brutalement en question certaines habilitations de diplômes (en particulier de 3e cycle), pourtant décidées depuis peu ; ce qui se jouait là c’étaient en réalité les fondements et les fondations scientifiques de la nouvelle inter-discipline : l’establishment universitaire était disposé à accepter une petite section, confinée dans l’accompagnement des filières professionnelles et professionnalisées, mais certainement pas une section à part entière, appelée à s‘édifier institutionnellement mais aussi scientifiquement. C’est dire l’importance de la période suivante.

2Les enjeux étaient capitaux, mais ce diagnostic était loin d’être partagé par tous, beaucoup se montrant préoccupés avant tout par leurs spécialités et environnements immédiats ; le cloisonnement était fort et les échanges assez réduits. Pourtant çà et là des discussions se déroulaient et l’idée prenait corps qu’il fallait se fixer des objectifs forts mais à moyenne portée (critiques de fait de l’ambition antérieure de certains des fondateurs envisageant la communication comme une super-science) : on trouve formulée cette idée dans des contributions, rétrospectivement assez lucides, à l’important Colloque « Recherche et Technologie » en novembre 1982. Pourtant, le contexte changea progressivement, et le facteur déterminant est sans doute à rechercher dans la croissance des effectifs étudiants, surtout à partir de la fin des années 80, et ceci plus nettement en communication qu’en information.

3Comment faire la part des rôles respectifs de la 71e section et de la SFSIC ? En fait, selon les périodes, ils sont soit difficiles à démêler, soit bien différents. Et ce pour une raison clairement politique, en fonction des aléas de la dite « cohabitation politique ». Pendant longtemps – presque deux décennies – l’alternance politique gouvernementale a eu des conséquences jusque dans les majorités de la section du CNU, la droite (à la tête de laquelle les dirigeants du CELSA étaient très actifs), régulièrement minoritaire aux élections universitaires face aux alliances syndicales, se retrouvant tout aussi régulièrement aux commandes de la section par le biais des nominations qui lui étaient favorables. Et cette caractéristique, à peine tempérée par les élections de quelques candidats « intermédiaires » (C’est seulement avec le nouveau siècle que le phénomène des listes montées par des personnalités têtes de listes en vue de… leur propre élection, a pris son essor !), a fortement marqué l’activité de la 71e section. On y reviendra ci-après.

4Mais au préalable, il convient d’insister sur le caractère très personnel de cette contribution, ce que je ne saurai taire. J’ai été mêlé de près aux phénomènes que je vais présenter (à partir de 1984, élu pendant 14 ans à la 71e section, dont un mandat de Co-Président ; et à partir de 1982 élu pendant 12 ans au Bureau de la SFSIC, dont deux mandats de Vice-Président, un mandat de Président suivi d’une… activité de Président d’honneur). Si l’on raisonne en fonction des normes aujourd’hui admises, incontestablement, cela fait de moi un « cumulard », mais ce « cumulard » aura eu au moins l’avantage de connaître de près les deux instances. En outre, si mon implication introduit des biais (difficilement évitables) dans les informations que je vais mettre en avant, ces biais ont toutefois été atténués par les recherches que j’ai faites dans la documentation (notamment à la Bibliothèque Yves de La Haye de l’Université de Grenoble Alpes). J’ajouterai que l’épistémologie de l’Information – Communication est depuis longtemps l’un de mes axes de recherche ; et cet axe (à propos duquel je peux faire état de diverses publications1), n’est pas sans relation avec ce qui va être envisagé et qui est centré sur 4 aspects.

Les contours de l’inter-discipline et sa publicisation

5La question a été posée dès le début, et se sont confrontées les positions théoriques de quelques-uns des fondateurs (ce fut manifeste lors du 1er Congrès de Compiègne) mais on doit rappeler que la section (52 devenue rapidement 71) était ouverte à ceux, en poste, qui en faisaient la demande et qu’elle avait aussi expressément pour but d’accueillir ceux des enseignants des filières professionnalisées d’information et de communication de 1er et de 2e cycles qui se trouvaient mal à l’aise, ou étaient rejetés dans les disciplines en place. D’où une approche assez pragmatique, et bien des hésitations, surtout au niveau des établissements universitaires, par exemple sur l’inclusion ou non dans la section des techniques d’expression qui offraient alors de réelles possibilités d’engagement dans les Universités ou dans les IUT, en formation initiale ou continue. Cet enseignement, ouvert au départ à des littéraires, a d’ailleurs donné lieu à des évolutions personnelles divergentes, certains prenant le « tournant communicationnel » et se trouvant même à l’origine de plusieurs filières ou départements de communication, d’autres se rapprochant des sciences du langage, d’autres enfin se concentrant sur leurs enseignements.

6La Lettre d’Inforcom (la L.I.), dans ses premières livraisons, accorde une grande place à cette préoccupation, en donnant la parole à des représentants de spécialités. C’est ainsi que l’on peut y lire des articles sur la filmologie, la graphique, la publicité, la science politique de l’information, la bibliologie et la schématisation, la documentologie, la communication de masse, les systèmes d’information, la communication sociale : peu de discussions, et encore moins de conflits s’y expriment, sauf à propos de cette dernière expression, il est vrai très en faveur dans les universités pontificales et chez les catholiques spécialistes des médias dont l’influence était d’autant plus manifeste qu’ils furent des pionniers. Cette juxtaposition était évidemment dommageable, mais elle reproduisait assez fidèlement un cloisonnement alors observable : les spécialistes du livre ignoraient les travaux en histoire de la presse, tandis que sémiologues de la publicité et spécialistes de la socio-dynamique de la culture travaillaient séparément. La L.I. publie également des textes de présentation des principales formations et des quelques UFR en fonctionnement, ainsi que des listes des Thèses soutenues ou inscrites ; à supposer que les titres soient suffisamment expressifs, cette investigation dans le Fichier national des Thèses, sis alors à Nanterre, peut être tenue comme une première approche du champ, et la dominante est incontestablement littéraire ou relevant des humanités littéraires. Le Conseil Supérieur des Universités (l’une des instances qui a précédé le CNU) a également son mot à dire : il intervient en effet directement dans les concours pour l’accès au rang magistral, et il décide de l’inscription sur les listes d’aptitude.

7C’est en fait en 1985, soit dix ans après la création de l’inter-discipline, que la section du CNU, renouvelée en 1984, publie ses réflexions sur le champ (connues improprement sous la dénomination de « Périmètre Meyriat », car l’accent est mis non sur des frontières , mais sur les pratiques, processus et stratégies d’information et de communication, et ce pour tenter de limiter les candidatures sortant manifestement du cadre de l’inter-discipline ; cela revient à se positionner vis-à-vis de diverses autres disciplines, notamment les sciences du langage, la sociologie et la psychologie des interactions sociales, les sciences de l’éducation, les sciences économiques et de gestion, etc. ; la tentation du mapping autour d’une liste et de domaines et sous-domaines, n’en existe pas moins, on la trouve par exemple dans un article très complet du même Jean Meyriat de juin 1983 (L.I. N° 14), mais elle fut en quelque sorte dépassée. Il est à noter que ces diverses prescriptions concernent surtout la communication alors en pleine expansion, et assez peu l’information documentaire et professionnelle ; s’y ajoute une liste précise des critères qui seront pris en compte pour les promotions et les admissions. C’est en ce double sens que ce texte est un texte fondateur qui contribua à pérenniser l’inter-discipline ; malgré des clivages profonds et des tensions toujours vives entre les tendances et sensibilités, son orientation est largement partagée et in fine son influence s’avère décisive. On remarquera également qu’à partir de là, la SFSIC intervient peu ou plus du tout dans cette question des contours, sauf dans la publication (très suivie) des résultats des travaux de la section ; il est vrai que la SFSIC accueille encore en son sein, y compris dans son bureau, nombre de professionnels ou d’universitaires non impliqués dans la 71e section. Ce n’est en effet qu’à partir des années 90 que l’identification quasi-totale des SIC et de la 71e section deviendra effective.

8Au tournant des 90’, se produit comme un changement d’échelle : afflux d’étudiants surtout dans des filières généralistes (de 1er et surtout de 2e cycles), ouverture de postes d’enseignants-chercheurs, renforcement des études doctorales, élargissement de la carte des formations à de nouvelles Universités. Dès lors, les candidatures à la qualification se multiplient (plus de 600 en 1992 !), à peine découragées par les faibles espérances de réussite (de l’ordre de 1 sur 4 pour les PR, et de 1 sur 3 pour les MCF). La section est donc amenée à préciser et à compléter le texte de 1985 dans un texte paru en 1993 sur les « domaines de compétences des SIC ». Est affirmée la perspective qui ne consiste pas dans «…l’étude spécifique de l’interaction langagière et sociale mais dans celle des processus d’information et de communication relevant d’actions organisées, finalisées, prenant ou non appui sur des techniques, et participant des médiations sociales et culturelles. » Sont également prises en compte « les approches communicationnelles de phénomènes non communicationnels. » Et le texte détaille ce que cela signifie dans les relations avec les diverses sciences sociales, les sciences du langage, les disciplines artistiques, l’informatique et les sciences de l’ingénieur. Les prescriptions actuelles, plus de 20 ans après, sont dans la continuité directe de ce deuxième texte, l’essentiel a très peu varié. Encore convient-il d’ajouter que le tarissement des « candidatures inconsidérées » et hors cadre ne fut pas immédiat ; pour beaucoup de postulants l’interdisciplinarité se confondait avec la pluridisciplinarité, et les fondements méthodologiques de la 71e section demeuraient incompris quand ils n’étaient pas inconnus. La décennie allant de mi-80 à mi-90 a donc été essentielle à l’affirmation des contours de l’inter-discipline, et le CNU, à cet égard, a eu un rôle primordial : c’est cependant dans la L.I. N° 42 de mi-93 qu’on trouve un premier bilan argumenté de cette évolution par l’un des Co-Présidents de la section.

La circulation des informations

9Dans toute discipline, mais particulièrement dans une discipline en formation, la circulation des informations revêtait (revêt toujours, même avec le développement des sites d’information et des réseaux sociaux-numériques où le surcroit d’information ne garantit pas sa pertinence), une importance toute particulière. L’édification des SIC imposait en quelque sorte que les éléments-clés, marquant l’évolution de la section, soient portés à la connaissance des membres et de l’environnement universitaire. Les canaux d’information potentiels étaient alors peu nombreux et peu réactifs. C’est à la Lettre d’Inforcom (L.I.) que ce rôle incomba principalement, surtout quand la majorité contrôlée par le syndicat autonome était majoritaire (par le biais non des élections car elle ne le fut jamais par cette voie, mais grâce à l’adjonction des nominations allant toutes dans son sens dans les périodes de cohabitation politique avec un gouvernement de droite) ; et l’auteur de ces lignes, alors élu minoritaire, se donna pour tâche, par le moyen de comptes rendus publiés dans la L.I., de mettre en lumière les agissements de la majorité très conservatrice du syndicat autonome, peu accoutumée à la transparence des travaux, notamment dans des décisions concernant la gestion des carrières et tout spécialement des promotions de professeurs sans guère de fondements scientifiques, ce qui lui valut d’être qualifié d’… imprécateur. La publicisation des travaux de la section était alors un enjeu d’autant plus primordial que les moyens de diffusion des informations étaient très réduits (par comparaison avec ce qu’ils sont devenus) et que la croissance des effectifs d’enseignants-chercheurs aidant – ceux-ci-ci se trouvèrent multipliés à peu près par sept en deux décennies et grossièrement doubla seulement au cours des deux décennies suivantes – la composition de la section pouvait être comparée à une double pyramide très écrasée vers le bas, tant chez les PR que chez les MCF ; il y avait donc urgence non seulement à faire connaître les décisions mais aussi à en analyser le sens. En tout cas, pendant toute la période de référence prise en compte ici, la L.I. reproduit des informations en provenance de la 71e section ainsi que des comptes rendus de sessions, au point de provoquer des protestations de certains élus en place et peu favorables à la diffusion des informations.

10Dès le milieu des 80’, la SFSIC organisa des groupes d’études se réunissant régulièrement, ce qui permit de développer les échanges entre membres rattachés à des établissements différents et qui n’avaient aucune habitude du travail en commun. Ces groupes d’études, dont le nombre varia au fil du temps, étaient d’ailleurs plus nombreux que les GER (groupes d’étude et de recherche actuels, qui en sont le prolongement) et leur création s’étendit sur toute la période, et même parfois précéda leur rattachement à la société scientifique ; leur influence fut réelle et on leur doit l’approfondissement et la diffusion de problématiques de recherche, et même la publication d’ouvrages, d’autant plus significatifs qu’ils étaient rares. Il convient d’ajouter que c’est au même moment que se produit ce qu’on doit qualifier de montée en reconnaissance des sciences sociales (quasi-absentes à l’origine de la section) au sein des SIC, et l’accent est donc mis sur la communication située, ce qui antérieurement n’était guère une préoccupation ; mais déjà les approches se différencient, et la SFSIC fait même fonctionner deux groupes d’études, l’un axé sur l’appropriation sociale-individuelle des médias, l’autre sur les stratégies des diverses catégories d’acteurs.

Quatre domaines d’interventions propres à la SFSIC

11Précédemment, dans l’édification des SIC, la 71e section du CNU était en première ligne (et les appartenances syndicales y étaient clairement déterminantes), même si, comme il vient d’être indiqué des coopérations avec la société scientifique fonctionnaient et que celles-ci étaient facilitées par ce qu’on peut qualifier de « double appartenance », y compris consécutivement à des postes de responsabilité importants, sans pour autant que cela conduise à des confusions. La situation peut sembler aujourd’hui paradoxale, car l’une comme l’autre, « couvraient » à elles seules ou presque l’ensemble de l’inter-discipline, sans être complétées par une pluralité (et même une multitude) de séminaires, de groupes spécialisés, de sous-spécialités, d’organisations thématiques, de revues, etc. comme c’est le cas aujourd’hui, ainsi que par d’autres institutions telles la CP-DIRSIC.

12À partir de la fin des 80’, et pendant une décennie, la SFSIC, va se trouver au premier plan dans quatre domaines où elle s’est efforcée de jouer un rôle moteur et de donner un nouvel élan, à la hauteur des changements intervenus alors dans les effectifs étudiants (et enseignants) comme dans la carte des formations, ceux-ci en relation assez étroite avec la… conquête de la société par la communication. On se contentera ici d’aller à l’essentiel, mais cela nécessiterait de plus amples développements :

13S’agissant de la rénovation des diplômes (DEUG Culture & Communication, diplômes de 2e cycle généraliste ou spécialisé) la société scientifique ne se contenta pas d’un rôle de groupe de pression, elle fit des propositions, participa activement à des réunions sollicitées par l’administration universitaire et intervint même publiquement face à une presse nationale trop tolérante, pour endiguer, par voie négociée, l’afflux d’étudiants en 1er cycle. À noter cependant un échec : le maintien de la séparation des diplômes de communication et d’information-documentation, alors qu’il semblait utile de les rapprocher pour rechercher des synergies et anticiper sur des évolutions technologiques prévisibles et déjà annoncées.

14Au sujet de l’offre de formation, et plus spécialement du bilan qui peut/ doit déjà en être tiré, la préoccupation est régulièrement affichée ; on n’en est plus seulement à la présentation des cursus et dès 1987 est organisée à Strasbourg une importante Journée d’Étude sur les formations à la communication (dont les conclusions sont reprises dans les propositions de rénovation des diplômes) ; et cela se poursuit jusqu’à ce long article-synthèse « Les Universités françaises innovatrices dans l’Enseignement des SIC » du printemps 1996 (L.I. N° 50) où sont mises en évidence non seulement l’originalité des filières françaises (à propos desquelles les questionnements sont alors nombreux, surtout de la part de collègues européens) mais également les modalités de régulation des effectifs. La L.I. se fait l’écho à plusieurs reprises des discussions qui sont fréquentes et donnent lieu parfois à des oppositions tranchées. Celles-ci concernent avant tout deux questions : d’une part, en quoi les filières d’information documentaire et professionnelle doivent-elles se différencier des filières de communication ? et la question donne lieu à des échanges parfois vifs, et ce pendant plusieurs années (c’est observable dans l’espace-temps d’une… trentaine de numéros du bulletin, et la question est de savoir pourquoi les responsables des filières d’information font alors régulièrement état d’un certain malaise dans l’interdiscipline, comme si leurs spécificités étaient tenues pour secondaires, et il est vrai que la croissance des effectifs s’est faite très nettement en direction des filières de communication, y compris d’information journalistique ) ; d’autre part, faut-il recentrer l’offre en direction de filières moins professionnalisées ou même seulement professionnalisantes ? C’est ainsi qu’à l’automne 95 (voir la L.I. N° 48), la question oppose deux des principaux responsables de la société scientifique, l’un critiquant le primat (d’après lui) de la professionnalisation, l’autre tout en y étant favorable ouvrant également vers les perspectives allant dans le sens d’une formation aux humanités modernes (ce qui sera réactualisé bien après, mais très différemment sous l’égide du… numérique).

15À propos de la recherche en Information et Communication, la position dominante (mais qui n’était pas partagée par tous les responsables) était qu’on ne pouvait se contenter de quelques avancées significatives ou d’actions individuelles, mais qu’elle restait largement inorganisée, dispersée et insuffisante quantitativement surtout par comparaison avec l’expertise. D’où l’accent mis sur la formation d’équipes et le lancement de programmes, ainsi que sur le développement de coopérations interuniversitaires. D’où également l’insistance sur la publication des résultats. Autour des 80’ et surtout 90’, le risque était grand, au niveau local comme national, de voir une majorité d’enseignants-chercheurs se centrer quasi-exclusivement sur l’enseignement, autant dans les filières professionnelles que généralistes, et ainsi de confiner les SIC dans un statut de discipline non fondamentale, sans appui réel sur la recherche. C’est cette orientation qui est devenue dominante, soutenue comme signalé infra par la politique scientifique de la Direction de la Recherche.

16Quant à l’ouverture à l’international, elle était également d’une grande nécessité, ceci afin d’éviter une certaine autosuffisance (héritée de la tradition d’influence d’une certaine pensée française), de se contenter des emprunts immédiatement disponibles (le fonctionnalisme, la cybernétique, la linguistique, la pragmatique, etc.) et donc de limiter les confrontations et les échanges à partir de travaux de recherche approfondis. C’est ce qui a conduit la SFSIC à orienter ses efforts vers les échanges intra-européens (ce qui n’alla pas sans difficultés, particulièrement avec nos collègues allemands), avec le Brésil (où des relations durables ont été nouées, surtout à l’occasion de plusieurs colloques communs), avec le Québec ainsi qu’avec les pays du Sud. Une participation assidue aux activités de l’IAMCR-AIERI (plus qu’à ceux de l’ICA) fut également encouragée, mais ses effets restèrent limités, et ce jusqu’à aujourd’hui. En outre, il est à remarquer que rares étaient alors les UFR ou les Départements qui s’intéressaient à ce qui se passait hors du cadre national (hormis l’Afrique francophone), et que, dès lors, la société scientifique avait un rôle de suppléance ou de précurseur, ainsi que d’impulsion (ce fut le cas pour les échanges ERASMUS).

Les autres parties prenantes de l’édification des SIC

17L’édification des SIC n’est pas redevable seulement à la section correspondante du CNU et à la SFSIC. D’autres instances ont joué un rôle primordial. D’abord les établissements universitaires qui, pour une partie d’entre eux seulement, ont su faire preuve d’initiative et dans leur majorité ne sont pas restés « ensablés » dans le mono-disciplinaire : au cours de la période considérée leur liste s’est élargie et l’offre de formation s’est considérablement diversifiée, et dès la fin du siècle ceux qui se trouvaient parmi les plus reconnus (avec des filières dans les 3 cycles et une activité de recherche organisée et régulière) n’étaient pas les mêmes qu’au moment de la création de l’inter-discipline. Ensuite, il est une instance dont le rôle est méconnu mais qui s’avère avoir eu une influence assez déterminante : il s’agit de la direction de la recherche au sein de la Direction de l’Enseignement Supérieur (les appellations comme les rattachements administratifs ont varié) : c’est en effet à partir du milieu des 80’ qu’elle lance les premières équipes d’accueil et que des Quadriennaux Recherche sont élaborés ; cette action, pour discrète qu’elle ait été pendant longtemps, a eu des effets aujourd’hui mesurables et qui sont appréciables. C’est incontestablement l’un des avantages de ce système universitaire très particulier (aujourd’hui encore) qu’est le système universitaire français. Sans ce dispositif les SIC, dans leur procès de construction, ne se seraient pas appuyées… sur leurs deux jambes.

18C’est d’autant plus important que, durant la période de référence, et cela s’est poursuivi ultérieurement, le CNRS a superbement ignoré ce qui se mettait en place dans les universités, sauf en soutenant occasionnellement, comme dans certains programmes ou actions thématiques, des projets assez individuels, limités dans le temps et très dispersés thématiquement ou disciplinairement. Oscillant, au moins pour la communication, entre d’une part, une approche très globale et datant des premières réflexions, qui entendait relier les sciences cognitives et les sciences sociales ainsi que les technosciences, et d’autre part, une logique disciplinaire refermée sur elle-même, en particulier dans le cadre de sections attachées avant tout à préserver leurs moyens et leur répartition entre les labos et équipes associées, le grand établissement est resté, pour l’essentiel, en dehors du mouvement innovant engagé dans les Universités.

19Ce caractère innovant a été reconnu dès 1993 par une instance qui faisait alors ses premiers pas : le Comité National d’Évaluation des Universités. Les SIC sont l’une des premières disciplines à se soumettre à l’évaluation de cette instance indépendante de l’administration universitaire. Son rapport final est toujours consultable et fournit des informations précieuses. Dans le N° 43 de la L.I., la SFSIC en donne les principales conclusions sous le titre « Un bilan globalement favorable ».

20Au terme de cette réflexion, nécessairement synthétique, sur une phase fondamentale mais à notre sens trop peu connue de l’édification des SIC (et dont le cadre historique reste imprécis), une interrogation demeure : quelle est la consistance propre de cette inter-discipline que constituent les SIC ? Car aucune inter-discipline n’est semblable ou réductible aux autres, et surtout leur destinée est de devenir, ou du moins d’être considérée, comme une discipline. Pour les SIC, cela n’interviendra que postérieurement.

Le présent texte a été préparé en vue de la Table ronde sur l’édification des SIC (animation : Pierre Moeglin) qui s‘est tenue le 9 juin 2016 au Congrès de Metz de la SFSIC. Si cette contribution s’appuie sur des éléments factuels, combinant souvenirs personnels et étude des documents de l’époque, elle ne fournit que des matériaux pour une histoire, laquelle reste encore à faire.

Notes

1 Voir en particulier les ouvrages « L’information-communication, objet de connaissance » (de Boeck/Ina, 2004) et « Contribution aux avancées de la connaissance en information-communication » (Ina, 2015).

Pour citer ce document

Bernard Miège, «Éléments en vue de la connaissance de l’édification des SIC dans les années 80 et 90», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 13-Varia, QUESTIONS DE RECHERCHE,mis à jour le : 08/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=336.

Quelques mots à propos de : Bernard Miège

Gresec – Université Grenoble Alpes