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> Axe 1 | Culture, tourisme, patrimoine et interculturalité(s)

Nguyet Nguyen Minh

La communication interculturelle dans la coopération en insertion professionnelle francophone

Article

Texte intégral

Contexte

1La recherche porte sur les efforts consentis par les acteurs en vue d’adapter leur moi/soi à l’autre ainsi qu’à leur situation interpersonnelle ou professionnelle dans le cas de recrutement des Vietnamiens par des entreprises françaises. Les acteurs ont tendance en fait à s’adapter le mieux possible aux règles générales et aux circonstances mais les sujets manifestent inconsciemment leurs difficultés à communiquer.

2Selon certains recruteurs français, directeurs des ressources humaines ou directeurs généraux, on peut distinguer une différence nette au niveau socio-psychologique entre deux tranches d’âge, celle des plus de 35 ans, « la génération sacrifiée » et celle des moins de 35 ans, « la génération dorée » au Vietnam. Pour cette recherche, nous avons choisi les candidats de la seconde tranche d’âge. En ce qui concerne les recruteurs, notre public est essentiellement natif ou ayant au moins grandi en France et couvrant les deux tranches d’âge précédentes. Certains habitent au Vietnam depuis plus d’une dizaine d’années, les autres depuis seulement quelques années. Même ceux qui viennent de s’y installer possèdent dans l’ensemble des connaissances sur la société vietnamienne, une expérience de la culture et des gens du pays, soit acquises par eux-mêmes, soit transmises par leurs collègues français et vietnamiens.

3En insertion professionnelle, les deux sujets, recruteur et recruté, essaient de décloisonner leur culture pour une compréhension interpersonnelle et professionnelle maximale. Cependant, ce décloisonnement est délicat à réaliser. La majorité des entreprises françaises confient la gestion et le management à des Vietnamiens ayant une solide expérience professionnelle. Il arrive aussi que les candidats vietnamiens passent deux entretiens d’embauche : avec un recruteur français puis avec un recruteur vietnamien, à moins que la composition du jury ne soit mixte pour saisir au mieux la personnalité du candidat. La question que nous souhaitons poser est alors : Comment peut-on se rendre compte des éléments interculturels favorisant l’insertion professionnelle ?

Problématique

4À travers l’ensemble des entretiens d’embauche ou des entretiens passés avec des recruteurs français, pour un candidat vietnamien, une « bonne figure » est souvent celle qui est « perfectionniste » et conforme à toute situation. Beaucoup de recruteurs français ont découvert la répétition des réponses chez plusieurs candidats à l’ensemble des questions posées par eux-mêmes au cours des entretiens de recrutement. Le recruteur, en revanche, attendait d’eux de l’originalité, de la créativité et surtout la particularité qu’ils apportent. La « bonne image » est donc perçue différemment chez les deux acteurs communicationnels en entretien. Le recruteur cherche un candidat motivé, intéressant ou ayant de personnalité plutôt que des connaissances figées.

5Nous avons remarqué de nombreuses fois à travers les entretiens d’embauche une façon d’avoir un point de vue neutre de la part des candidats face aux questions du recruteur. Il arrive rarement qu’ils posent une question à leurs recruteurs ou qu’ils donnent directement leurs opinions sans emprunter les avis d’une autre personne. Ainsi, lorsqu’ils étaient confrontés à une question, ils sont très hésitants et recherchent en fait un rapprochement de leurs idées avec celles de l’autre ou celles d’une communauté.

6En vue de trouver un poste dans une entreprise, les Vietnamiens pensent immédiatement aux diplômes. Pour eux, ces derniers figurent parmi les plus importants documents pour la recherche d’emploi. Ayant suffisamment de diplômes, le candidat se sent plein d’assurance en entretien. Pourtant, le recruteur veut voir ce que le candidat est capable de faire de façon immédiate et il veut savoir les postes précédemment occupés par le candidat, autrement dit ses expériences professionnelles acquises. Donc, pour prouver sa bonne figure devant son recruteur, le candidat révèle inconsciemment qu’il lui manque des techniques, des expériences malgré ses diplômes acquis à l’université.

7La stratégie d’interprétation du candidat vietnamien est fréquemment réalisée par une expression langagière et comportementale équilibrée, neutre afin de pouvoir complètement maîtriser sa coopération avec son recruteur. Par contre, pour ce dernier, un candidat potentiellement intéressant est une personne qui possède le sens de l’initiative, de l’ambition et de la créativité.

8Partant de ces constats, la question est de savoir comment la coopération permanente des acteurs dans leurs stratégies d’interaction permet à la communication interculturelle de se développer.

Fondement théorique

9Chaque sujet s’exprime et se débrouille en interaction en suivant des rites d’évitement et de réparation (Goffman E., 1974). Dans les deux cas, il est fréquemment conscient de préserver la face et de la défendre en cas de danger. Le sujet mobilise donc inconsciemment ou non ses modèles culturels pour prouver sa déférence et sa tenue. Nous disposons avec l’approche interactionniste, d’une part, d’un cadre de recherche. D’autre part, nous pensons au respect de l’individualisme et à celui du collectivisme chez nos deux acteurs. L’individualisme se construit en se fondant sur la démocratie telle qu’exprimée dans « les deux caractéristiques de la culture occidentale, la science et la démocratie » (Shuming L., 2000 : 27), et le collectivisme occupe le premier rang dans la culture vietnamienne car « la représentation du meilleur ordre d’importance de la culture agricole est la psychologie du respect collectif et communautaire » (Tran Ngoc Them, 2004 : 461).

10Au cours de l’interaction, on constate une suite d’échanges rituels entre les acteurs, une série de séquences « qui sont autant d’unités rituelles relativement fermées qui morcellent le flux d’information et d’activité » (Goffman E., 1974 : 35). L’interprétation de l’acteur est construite par ses connaissances langagières, encyclopédiques, socioculturelles, professionnelles des sujets. Elle est exprimée par la façon de s’engager dans l’interaction, celle de maintenir les échanges langagiers, de réaliser des échanges réparateurs ou de se détacher si nécessaire.

11Tout acteur certain d’avoir une tenue correcte dans sa communauté agira avec naturel. Sinon, il n’est pas motivé ou il n’en a pas envie, surtout quand il s’agit de l’éthique selon laquelle il agit. Les deux personnes peuvent ne pas bien s’entendre, l’un n’est peut-être pas sûr de ce que l’autre a dit. Il arrive que l’un puisse provoquer un choc pour l’autre par les termes qui sont les tabous dans la culture du dernier. C’est généralement une mesure de prudence de reproduire des comportements déjà éprouvés. Obsédé normalement par « les règles d’or » de prudence, de préserver sa face et d’autres règles en raison d’une éducation inspirée du Confucianisme, le Vietnamien a l’air réservé, même timide, tandis que le Français a l’air beaucoup moins réservé que son interlocuteur par ses manières d’expression directe, concrète, descriptive (selon les constats de certains candidats vietnamiens).

12Pourtant, nous ne pouvons pas ne pas aborder la capacité d’expression des acteurs. Dans le cas de la réparation, le Français peut facilement relancer : « Excusez-moi », « Je vous en prie », « Pardonnez-moi », comme d’habitude. Le Vietnamien, en revanche, recourt plutôt à un sourire, à un regard ou à un geste de rapprochement pour les actions de la vie courante. Quand les acteurs n’ont plus de choses à partager ou quand l’interaction penche vers un incident ou un autre noyau d’attention, ils cherchent à se détacher. La notion de mésengagement (Goffman, 1974 : 104) est différemment perçue et manifestée par les sujets culturels. Il arrive que le Français soit étonné par la manière de mésengagement de son partenaire vietnamien ou à l’inverse. Ils ne savent pas si c’est une mauvaise compréhension, un tabou, une vexation ou d’autres. Autrement dit, la manière de se détacher du partenaire vietnamien pouvait provoquer une mauvaise compréhension chez le Français.

Méthodologie de la recherche

13Nous avons récolté des données au cours de 17 entretiens d’embauche authentiques enregistrés dans des entreprises françaises à Hanoï, à Danang et à Hochiminh ville et lors de 9 entretiens de recherche menés par nous-même avec les recruteurs français dans 9 entreprises et organisations françaises au Vietnam, avec 9 candidats vietnamiens à Hanoï. Nous utilisons l’analyse de contenu comme moyen d’analyse des données. Nous appliquons les techniques de l’analyse de l’énonciation dont l’interprétation de l’implicite, l’analyse de l’expression, l’analyse des relations dont l’analyse des cooccurrences et l’analyse « structurale » (Bardin, 2007).

Coopération entre acteurs dans la conduite des stratégies d’interaction

14Nous allons voir comment l’interculturel prend source dans les habitudes culturelles des acteurs et s’exprime au cours de l’interaction. Pour réaliser une stratégie similaire, deux acteurs culturels peuvent avoir des réactions divergentes.

Réalisations des stratégies du maintien d’interaction

15Plusieurs éléments sont indispensables à l’interaction comme les réalisations verbales des interlocuteurs, et les stratégies interactives telles que les rôles, la coopération ou l’agression. À partir de l’idée que « tout au long du déroulement d’un échange communicatif quelconque, les différents participants, que l’on dira donc des « interactants », exercent les uns sur les autres un réseau d’influences mutuelles - parler, c’est échanger, et c’est changer en échangeant. » (Kerbrat-Orecchioni, 1996 : 17), nous essayons donc de voir comment ce processus de « changer en échangeant » se produit.

Blocage des acteurs en interaction verbale

16À cause de la différence de prononciation entre le vietnamien et le français, les candidats ont parfois des problèmes avec certains mots français. Le recruteur doit corriger par trois fois le même mot. La mauvaise prononciation des mots constitue une gêne pour le recruteur, mais elle est surtout problématique pour le candidat embarrassé par cette situation qui aurait pu lui faire perdre la face vis-à-vis de son interlocuteur : il se bloque, perd le fil de ses arguments et, de la sorte, se montre moins convaincant pour cet entretien. Les recruteurs font souvent des remarques sur le niveau de langue des candidats, plutôt faible, certains ne pouvant communiquer ni en anglais, ni en français. Il arrive qu’un candidat demande l’aide d’un interprète vietnamien durant l’entretien ou que l’assistant du recruteur devienne interprète ou même recruteur. Le recruteur insiste encore sur la manière dont les candidats se préparent pour l’entretien d’embauche. Cela consiste à apprendre par cœur des parties de la présentation, des qualités, des propositions, etc. On rencontre ainsi des candidats bloqués par la langue. Une candidate a souhaité détailler ses expériences professionnelles au recruteur mais la barrière de la langue l’a empêchée de le faire. Elle a avoué que c’était son seul point faible lors de l’entretien, les autres ne comptaient pas pour elle.

Prééminence du modèle scolaire

17Répéter une même réponse est fréquent à l’école, et même à l’université. Cela explique donc pourquoi certains recruteurs français reçoivent souvent des lettres de motivations semblables en tous points. La raison de ce fait est l’habitude de maintenir et de reproduire le modèle standardisé enseigné par le professeur. Cela vient également de cette habitude d’apprendre par cœur toutes les leçons pour mieux réciter. Le recruteur attend de la créativité et de la spontanéité de la part du candidat. Il cherche à recruter des personnes ayant le sens de l’humour, une ouverture d’esprit, des personnes en somme qui seraient prêts à s’adapter à la nouveauté, à avancer grâce à sa créativité, à son imagination. Les Français valorisent déjà ces qualités-là à l’école. Les enseignants français encouragent leurs élèves à ouvrir de nouvelles portes sur le monde extérieur tandis que les enseignants vietnamiens ne le font pas. Ainsi, la solution adoptée par beaucoup de candidats ne contribue pas forcément à faire bonne figure. Elle renseigne en revanche le recruteur sur le manque de créativité ou la passivité chez le candidat.

Réalisations des stratégies de coopération

18Durant une interaction, les réactions des sujets correspondent à des rôles préétablis basés sur des rituels, des coopérations et des agressions.

Les rôles rituels du moi

19Concernant les rôles rituels du moi, nous comprenons que chaque sujet est conscient de son rôle dans une situation donnée. Ce sujet peut donc bien jouer son rôle si celui-ci ne lui provoque pas d’inconvénient pour son statut. Dans un échange, la candidate a été déçue car, dans son futur poste, elle occuperait seule un bureau sans pouvoir avoir de contact avec d’autres collègues. Dans son rôle d’employée, selon son recruteur, elle devra avoir des contacts avec des gens, régler des choses en rapport avec son statut et cela ne devra pas inclure le bavardage téléphonique. Dans un autre cas, si la personne occupe un poste qui exige plus de responsabilité, il faut qu’elle soit capable de gérer des employés. Cela implique donc d’être soi-même autonome et responsable.

20Dans un entretien d’embauche, la position du recruteur est haute dans le sens où il domine l’échange et l’oriente dans la direction qu’il choisit. Le rôle du moi de chaque acteur dépend, par conséquent, de la position différente des deux interactants. Ceux-ci doivent créer une atmosphère confortable pour une interaction. Cependant, il arrive qu’un acte de rapprochement du recruteur ou un comportement artificiel du candidat puissent provoquer des malentendus ou des incompréhensions chez l’un et l’autre.

La coopération en matière de figuration

21Chaque sujet réalise qu’il veut coopérer avec l’autre en fonction de ce qu’il possède dans un rite d’interaction mené dans sa propre culture. Pourtant ce que les acteurs consacrent à leurs partenaires n’est pas souvent positif et est déterminé par leurs propres intentions ou leurs perceptions qui sont culturellement déterminées. Ainsi, les gestes familiers d’un recruteur peuvent faire penser à une candidate à un comportement peu sérieux tandis que les sourires permanents du candidat à l’entretien provoquent à son recruteur des idées négatives sur celui-là.

Créer une occasion de coopérer avec son partenaire

22Du fait de son expérience, un recruteur essaie, dès le début de l’entretien, de mettre son candidat à l’aise. Il essaie de créer une ambiance agréable dans laquelle le candidat ne se sentira pas oppressé ou embarrassé. Le stress exerce une mauvaise influence sur la prestation du candidat. Un recruteur accorde de l’importance à l’environnement dans lequel se déroulent les entretiens afin de procéder une évaluation objective. Dans ce cas, le recruteur joue donc un rôle moteur dans la motivation du candidat. Face à une décision à prendre, il arrive fréquemment qu’un candidat vietnamien témoigne d’une totale indécision. Ce trait psychologique semble être quelque chose de permanent car il prend source dans l’enfance. Les enfants vietnamiens sont exposés aux effets négatifs de changements brutaux de la société et recherchent alors équilibre et stabilité. N’étant pas, pour la plupart, très autonomes, prendre une décision leur paraît difficile. En conséquence, une argumentation persuasive du recruteur peut pousser une candidate à pouvoir prendre sa décision. Le rôle du recruteur est donc de mettre fin à l’hésitation et à l’embarras de cette candidate.

Les comportements des acteurs représentant
la coopération

23La peur d’être seul est présente chez plusieurs candidats vietnamiens. Pour ceux-ci, nous avons constaté une volonté permanente de trouver une coopération étroite, une main amicale de la part des recruteurs. Une candidate n’a pas pu s’exprimer comme elle le souhaitait car son recruteur conscient de sa posture asymétrique haute a maintenu une distance entre lui et sa candidate. La candidate avait eu conscience de sa position basse. Le recruteur n’était en fait pas attentif au candidat. Celui-ci voulait expliciter certaines choses et lui prouver sa compétence mais, à cause de sa posture, il n’a pas pu le faire.

24Il arrive que de jeunes recruteurs, travaillant dans le domaine technologique, veuillent que leurs candidats s’habillent d’une façon habituelle, voire décontractée. Cela est assez atypique puisque la plupart des recruteurs ne supportent pas une tenue négligée de la part des candidats. Un jeune recruteur a été agréablement surpris par un des candidats dont il a conduit l’entretien. Se fondant sur ses expériences, il a jugé que le Vietnamien ne se présentait pas avec une allure suffisamment professionnelle. Cependant, le candidat lui a finalement démontré le contraire par rapport à ce qu’il avait pensé a priori : la communication interculturelle leur a apporté à tous deux de la nouveauté et de la surprise. Certaines modifications d’habitude de l’autre peuvent entraîner des émotions positives.

Les effets négatifs des comportements de coopération

25Les rites d’interaction sont des faits qu’on accomplit inconsciemment. Les candidats apprennent en effet durant leurs études que les recruteurs sont naturellement sérieux et distants avec les candidats. Cette croyance a quelque peu dérouté une candidate très étonnée et mal à l’aise face à un recruteur au style décontracté. Pour elle, le sérieux est une qualité essentielle pour un chef, un dirigeant en général. C’est ce qui le valorise. Ce précepte enseigné très tôt dans l’éducation des Vietnamiens participe à la construction d’un stéréotype qui les suivra tout au long de leur vie.

26Certains recruteurs parviennent à cerner de manière assez précise le type d’employé à qui ils ont à faire. Ils peuvent alors attribuer un poste correspondant aux compétences acquises de son candidat. Un recruteur expérimenté peut, en plus, prévoir l’infidélité chez son candidat. Le comportement de l’acteur peut révéler inconsciemment certains éléments sur lesquels son interlocuteur peut baser son jugement. Ce dernier peut ainsi lui attribuer des défauts et le candidat alors échoue à son entretien.

La figuration de l’autre comme un moyen d’agression

27Il est arrivé qu’un recruteur habitant depuis longtemps au Vietnam comprenne bien le système des magasins privés du pays. Il a ainsi voulu insister sur certains points afin que le candidat se rende compte de la différence entre un magasin de ce type avec un supermarché d’envergure internationale. Sans s’attarder à commenter la manière de mener les activités de chaque système, il lui a fallu être direct pour faire comprendre à son recruté, jeune diplômé, que la candidature de celui-ci ne convenait pas du tout à un poste qui exige beaucoup d’expériences.

28Du côté des candidats, malgré leur position basse en entretien d’embauche, nous avons parfois remarqué de leur part une attitude agressive. Influencés par les caractéristiques issues d’un pays agricole qui valorisent l’union et la collectivité, les Vietnamiens ont en général peu de réactions. Ils ne sont habituellement pas agressifs. Mais il arrive que de petites actions impulsives se manifestent dans certaines situations. Les façons d’agresser sont diverses parmi les candidats. Ayant toujours l’habitude de contourner, de ne pas être direct avec leurs interlocuteurs, certains ont des comportements qui ne paraissent pas normaux aux yeux des recruteurs, surtout pour ceux qui ont le sens de l’argumentation logique : au lieu de montrer au recruteur ses compétences et lui demander un salaire qui lui convenait, un candidat a demandé un salaire beaucoup plus élevé qu’un salaire normal. Nous pensons alors à la façon analytique de réfléchir du recruteur et celle, synthétique, du candidat pour comprendre ce phénomène. Il s’agit peut-être d’une bonne raison du côté recruteur. Cependant, c’est peut-être un cas d’agression d’un candidat qui avait envie de montrer au recruteur qu’il était compétent et sûr de lui-même. Néanmoins, il n’a pas eu une bonne stratégie quant à la limite de sa façon de réfléchir et de sa réaction instinctive.

29Nous avons observé maintes fois l’agression du recruteur suite à la figuration de son candidat ou bien comment le recruteur a disposé de l’avis du candidat comme un moyen efficace de découvrir les réactions du candidat. Les Vietnamiens sont indirects, même en situation d’agression. Cette caractéristique a pour origine du fait de maintenir le moi caché, une manière classique de préserver sa face. Si quelqu’un veut attaquer l’autre, il profite d’autres éléments pour exprimer indirectement son avis.

Réalisations des stratégies d’interprétation

30Il est important d’aborder cette question quand on parle d’entretien : « Comment s’exprimer ? » et « comment interpréter ? » font fréquemment partie des préoccupations des candidats et des recruteurs. L’expression et l’interprétation d’un acteur peuvent provoquer des difficultés pour l’autre.

Interprétation convenant au contexte d’embauche

31Certains candidats ayant acquis plusieurs expériences d’embauche en France parviennent à trouver l’attitude adéquate face au recruteur. Cela constitue des expériences précieuses pour le candidat vietnamien car ceux qui n’ont pas eu l’opportunité de passer des entretiens en France ou avec des recruteurs français restent sur les savoirs scolaires acquis tout au long de leur formation et pensent donc que ce qui importera pour le recruteur sont leurs résultats universitaires et leurs diplômes obtenus.

Deux différents modes d’interprétation

32Il est assez aisé d’observer une différence d’interprétation entre un Français et un Vietnamien. Le premier dit « non » facilement tandis que le deuxième le dit de manière détournée. Une recruteuse ayant l’habitude de travailler avec une équipe vietnamienne a fait ce genre des remarques. Certes, le recruteur français n’apprécie guère la réserve ou même la timidité du candidat. De son côté, une candidate n’a pas apprécié le comportement du recruteur lors de son entretien, qui ne lui est pas apparu sérieux. Il arrive que le recruteur veuille pousser le candidat à se montrer naturel et que, à cet effet, il mette parfois son portable en marche. Cependant, cette stratégie a créé un mauvais effet sur le candidat. Celui-ci éprouvait une sensation négative envers son recruteur.

Différentes expressions de l’individualité

33Selon un recruteur, les Vietnamiens de son entreprise adoptent une attitude ambiguë vis-à-vis des autres employés. Personne ne veut exprimer son moi car ils sont obsédés par une force culturelle : l’habitude de ne pas vouloir vexer l’autre, ne pas dépasser l’autre, en somme, par la peur du changement, la difficulté à changer. En plus, à la recherche d’une force collective, la personne est obsédée par la solitude sur son lieu de travail quand elle est seule. La majorité des principes d’éducation vietnamienne influencée par le confucianisme empêchent l’expression. La personne s’efface devant l’autre. Elle se défend d’une façon discrète. Ainsi les candidats vietnamiens sont disposés à la réserve, à l’hésitation et n’osent pas répondre ouvertement « non ». Ils ont des difficultés à affronter les conflits.

Effets négatifs ou positifs à l’origine des comportements des acteurs

34Le recruteur peut être choqué par un certain comportement du candidat quand ce dernier montre une attitude atypique de lui : assis sur la chaise, la main dans la poche, et, quand on l’a salué, il a encore gardé la main dans sa poche. Dans ce cas-ci, sa confiance ne correspond absolument pas à sa vraie compétence. Par contre, dans un autre cas, le recruteur a ressenti une impression agréable quand il a vu un candidat qui a sorti son petit ordinateur portable. Ce candidat ne l’a jamais ouvert mais ce geste laissait entendre qu’il aimait la technologie et qu’il était presque prêt à montrer certains contenus. Il est clair ici que le comportement professionnel du candidat est impressionnant et contribue à persuader le recruteur.

Réalisations en vue de l’adaptation

35En vue de s’adapter à la situation de communication, aux règles de conduite ou aux rituels, on doit diriger son moi vers des pistes adéquates. Ce remaniement du moi dépend des contextes, des règles mais est également la manifestation des réalisations des acteurs.

Réaction à la transmission d’informations à l’oral

36Malgré l’existence de moyens de communication nouveaux comme Internet, l’habitude d’apprendre une information par l’intermédiaire d’une personne reste toujours la plus importante chez l’une des candidats. Nous avons encore rencontré des cas dans lesquels les candidats vietnamiens ne prennent pas en compte Internet et privilégient la parole de la personne. Il leur semble que les informations de vive voix sont plus persuasives. Les recruteurs en étaient étonnés et n’en comprenaient pas la raison. On peut dire que cela résulte de l’environnement dans lequel ils ont grandi, de la vie collective qu’ils vivent.

37Par contre, si l’on envoie sa candidature par e-mail, on ne peut y attacher les documents voulus puisque ceux-ci sont en papier. Beaucoup ont commis l’erreur d’envoyer d’énormes dossiers par e-mail qui n’ont pas été transformés correctement en documents archivés. Ce détail peut pousser le recruteur à annuler dès la réception les documents de candidature. Cela provient sans doute d’un manque de connaissances informatiques chez plusieurs candidats.

Réaction en fonction de la conception et du contexte de métier

38Avant la recherche d’emploi, le jeune diplômé se prépare à son futur métier en constituant dans son dossier tout un stock de connaissances théoriques et pratiques. Pourtant, plusieurs recruteurs français ont trouvé que le concept d’un métier ne semble pas toujours précis comme le candidat le pensait. Un candidat à un poste d’ingénieur a voulu continuer ses études de doctorat. Donc, à partir des conceptions différentes, le candidat peut suivre une piste totalement différente, voire opposée, à celle attendue.

39Certains candidats se sont plaints auprès du recruteur de la monotonie sur l’ancien lieu de travail. Cela a justifié leur volonté de changer d’emploi. Cependant, pour l’employeur, cela n’est pas apparu cohérent. Selon lui, la faute n’est pas à reprocher à l’entreprise, mais à la tâche ou à la manière de travailler la personne. Dans un autre cas, la candidate n’est pas une personne patiente et ne voulait avoir à faire que ce qui la motive. Le nouveau recruteur n’a pas du tout apprécié ce trait de caractère. Il a été surpris, s’est montré presque choqué par cela.

Précautions prophylactiques

40Suivant les expériences de ses anciennes candidatures, une candidate s’est montrée consciente de maîtriser d’une façon active son moi dès le début de l’entretien. Elle avait pris des précautions vis-à-vis des réactions du recruteur. Ayant cette idée en tête, il était sûr qu’elle réagirait de manière prudente. Son moi n’était donc plus naturel. Toutefois, ayant une attention permanente sur la stratégie du recruteur, elle a pu déformer son moi, et même sa compréhension globale.

41Dans un autre cas, le recruteur a appréhendé la situation comme un phénomène anormal. Le candidat a exigé dès le début de l’entretien un salaire trois fois supérieur à un salaire normal pour un ingénieur nouvellement recruté. L’attitude du candidat a largement joué en sa faveur, attitude qui aurait pu étonner un grand nombre de personnes et pas seulement ce recruteur.

Adaptation à l’environnement de recrutement

42Le candidat peut attirer l’attention du recruteur par son humour. Si celui-ci le met à l’aise, il peut alors oser plaisanter. Selon un recruteur, la rencontre de ce type de candidats est rare. En général, les candidats sont tendus et sérieux. Par contre, leur tenue vestimentaire n’est pas souvent correcte : certains s’habillent pour l’entretien comme au lycée. La modification du moi du candidat pour s’adapter au climat de l’entretien est ainsi incontournable. C’est un des éléments qui conduit le candidat à la réussite et qui met son recruteur à l’aise.

Manière de travailler en équipe

43Dans un travail agricole ou artisanal, travailler en groupe est souvent un procédé très utilisé par les acteurs concernés. Ce travail est pourtant différent de celui effectué dans une entreprise étrangère. Une candidate pensait que l’expérience acquise dans un petit magasin privé vietnamien serait suffisante et qu’elle pouvait assurer un travail similaire dans une chaîne de supermarché français. Comme le recruteur connaît bien le Vietnam, il s’est inquiété de l’insertion de la candidate dans une équipe de travail. Elle avait déjà travaillé en groupe dans son ancienne entreprise vietnamienne et pourrait s’adapter facilement à son nouveau poste. Cependant, sa nouvelle tâche serait différente de son ancienne.

44Par ailleurs, un collègue vietnamien a demandé à son chef français de diffuser sa recherche parce qu’il estimait que, ce dernier ayant une certaine réputation, son dossier en serait valorisé. Cela peut mécontenter un Français. Pour ce dernier, cette demande a pu apparaître de l’ordre de la malhonnêteté. La relation personnelle entre les deux personnes ne doit pas intervenir.

Réalisations en cas d’embarras

45Nous nous appuyons sur cette définition : « L’embarras représente un écart regrettable par rapport à l’état normal » (Goffman E., 1974 : 87) pour repérer les cas d’embarras réels où les acteurs devaient modifier leur moi à des fins d’adaptation.

L’embarras pour cacher un secret

46Certains candidats sont fréquemment embarrassés lorsque leurs recruteurs leur demandent les causes de leur changement d’emploi : ils ne veulent pas révéler la véritable raison qui était de gagner beaucoup d’argent. Ils veulent en fait éviter un conflit soit avec leur patron, soit avec leur collègue. Il est arrivé qu’une candidate se montre embarrassée quand son recruteur lui demande comment elle pourrait modérer la négociation des deux partenaires. Pour cette jeune fille, ce n’était pas facile d’intervenir dans un échange interne professionnel en tant qu’interprète. Il y a également des cas où le candidat cache sa volonté de changer fréquemment d’emploi. Il ne veut pas renvoyer une mauvaise image de lui à son nouveau recruteur et montrer son manque de patience, de fidélité ou de compétence.

L’embarras suivi du détachement

47Un recruteur nous a dit qu’il recrutait les personnes en se basant sur leur personnalité. Il retient seulement les personnes dynamiques qui savent argumenter en discussion. Le candidat, en revanche, ne supporte pas la discussion, surtout lorsqu’elle est en sa défaveur. S’il y a quelque chose qui ne lui plaît pas, il recule. Il se détache ne voulant plus continuer l’entretien. Il veut éviter en réalité de maintenir une longue discussion avec son recruteur, car, selon lui, la discussion peut révéler inconsciemment ses points faibles et ne peut lui apporter que des inconvénients.

Conclusion

48Dans les stratégies de coopération, chaque sujet réalise ses rôles rituels du moi. La coopération s’effectue en fonction de chaque culture et n’est parfois pas acceptée par le partenaire. Les stratégies de coopération des acteurs ne sont efficaces que lorsque l’un peut comprendre les lignes de conduite de l’autre (Goffman).

49Concernant les acteurs, les modes d’interprétation différents peuvent provoquer des difficultés au cours de l’interaction. Les stratégies pour s’adapter aux règles générales ou aux situations d’embarras révèlent des problèmes d’interculturalité. Ainsi, les modifications du moi deviennent incontournables en cas d’embarras. Pourtant, si le recruteur constate du recul ou du détachement, il peut en conclure que ce dernier n’est pas capable d’argumenter, et le candidat ne sera pas retenu.

50La communication interculturelle est un processus permanent autorégulateur. Autrement dit, elle corrige elle-même les problèmes tout au long du processus interactif. On ne peut pas éviter les problèmes interculturels, mais on peut en revanche les affronter dans le cadre d’une communication potentiellement d’une certaine durée. Nous pouvons alors nous permettre de proposer aux enseignants-formateurs des cours-formations du Module d’Insertion professionnelle (MIP) quelques pistes pédagogiques :

51Partager ensemble les éléments interculturels mis en commun à partir de leurs propres expériences acquises.

52Gérer les différences d’une façon active construisant une attitude ouverte, autrement dit, prendre conscience de ces différences et choisir l’ouverture à la nouveauté ou se concentrer sur la divergence culturelle.

53Créer des ateliers pratiques dans lesquels ces enseignants-formateurs pourront proposer des exercices de compétence relevant de la communication interculturelle (quels sont les comportements convenant à des situations interculturelles proposées ?).

54La coopération des deux acteurs relevant de deux cultures différentes contribue à développer chaque culture, aide les acteurs à renégocier leurs différences et à gérer leurs changements. Si elle peut empêcher ou encourager la communication des deux acteurs, la conscience de la divergence et la volonté de rapprochement des acteurs appartiennent toujours aux actions actives et efficaces de notre processus actuel de mondialisation au Vietnam.

Bibliographie

Bardin Laurence, 2007, L’analyse de contenu, Paris, Presses Universitaires de France.

Goffman Erving, 1974, Les rites d’interaction, Paris, Les Éditions de Minuit.

Ladmiral Jean-René et Lipianski Edmond Marc, 1989, La communication interculturelle, Paris, Armand Colin.

Le Breton David, 2004, L’interactionnisme symbolique, Quadrige, Paris, Presses Universitaires de France.

Nguyen Minh Nguyet, 2011, La communication interculturelle des Vietnamiens francophones en insertion professionnelle : éthiques culturelles et coopération, Thèse de Doctorat, CIMEOS, Université de Bourgogne, Dijon.

Tran Ngoc Them, 2004, Tìm về bản sắc văn hóa Việt Nam (À la recherche de l’identité culturelle vietnamienne), Nhà xuất bản Tổng hợp Thành phố Hồ Chí Minh, Hồ Chí Minh Ville, Éditions universitaires de Hồ Chí Minh ville.

Schütz Alfred, 1998, Éléments de sociologie phénoménologique, Paris, L’Harmattan.

Shuming Louis, 2000, Les cultures d’Orient et d’Occident et leurs philosophies, Paris, Presses Universitaires de France.

Sitographie

http://www.mfe.org/index.php/Portails-Pays/Vietnam

Notes

1 Traduction de l’auteure du présent article.

Pour citer ce document

Nguyet Nguyen Minh, «La communication interculturelle dans la coopération en insertion professionnelle francophone», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 13-Varia, DOSSIER, > Axe 1 | Culture, tourisme, patrimoine et interculturalité(s),mis à jour le : 08/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=364.

Quelques mots à propos de : Nguyet Nguyen Minh

Docteure en SIC - Enseignante senior en FLE. Université de Hanoï - Hanoï, Vietnam. Courriel : minhnguyetn_fr@yahoo.fr