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> Axe 1 | Culture, tourisme, patrimoine et interculturalité(s)

Nguyet Nguyen Minh

Évolution communicationnelle des effets produits par quatre monuments français à Hanoï sur la ville et sa population au fil du temps

Article

Texte intégral

1La colonisation française a existé entre 1857-1945 au Vietnam, le pays faisant partie de la Fédération indochinoise (1887-1954) dont Hanoï était la capitale. Nous choisissons comme objet de recherche quatre monuments français à Hanoï : la cathédrale de Hanoï (ancienne cathédrale Saint-Joseph de Hanoï), le pont Longbien (ancien pont Doumer), l’Opéra municipal de Hanoï et le lycée Tranphu (ancien lycée Albert Sarraut). Trois raisons expliquent ce choix :

2Ces monuments correspondent à quatre aspects différents de la vie spirituelle, économique, culturelle et éducative de la capitale. Jouant leur rôle primordial et symbolique dans quatre domaines différents, ils révélaient la société coloniale tonkinoise dans le passé et marquent encore par leur originalité un certain nombre des lieux patrimoiniaux français importants de la ville de Hanoï actuelle.

3Nous essayons de voir sur le plan global des stratégies réalisées par les Français afin de créer une société colonisée dans la capitale de l’Indochine comme Hanoï. En effet, les Français avaient commencé leur diffusion religieuse au Vietnam bien avant la colonisation de l’Indochine. La diffusion du christianisme français avait commencé dans le Tonkin depuis 1679 dans les deux premières zones de Đông (Hanoï) et Đoài (Sontay) (Nguyen Minh Hoang (trad.), 2013 : 45). La cathédrale de Hanoï n’a été mise en fonction qu’en 1886, deux cents ans plus tard. Par conséquent, la stratégie pour dominer l’Indochine des Français avait été conçue depuis longtemps mais elle avait été initialement réalisée par la voie de diffusion religieuse. Ensuite, le pont Longbien a été, pendant un certain temps, parmi les ponts les plus longs du monde. Il constituait sans aucun doute une preuve de la technologie française contemporaine qui gagnait entièrement la confiance et le respect de la nation vietnamienne. L’Opéra de Hanoï était vraiment une merveille artistique et culturelle à sa construction et le lycée Albert Sarrault a existé comme le seul lycée pour les enfants des Français et des cadres vietnamiens à l’époque de la colonisation. Ces quatre monuments peuvent donc être considérés comme des stéréotypes de l’époque colonisée française au Tonkin.

4Enfin, notre choix vise une chronologie historique selon les dates de la mise en fonction de ces quatre monuments pour donner à cette recherche une suite temporelle historique correspondant également à l’ordre de la stratégie globale de l’administration coloniale contemporaine dans les années 1886-1919. En effet, la cathédrale Saint-Joseph de Hanoï a été mise en fonction en 1886, le pont Doumer en 1902, l’Opéra municipal de Hanoi en 1911 et le lycée Albert Sarraut en 1919.

5Ces quatre monuments font partie actuellement des vestiges de l’époque française et des symboles de la ville de Hanoï parmi d’autres stéréotypes connus de celle-ci.

Problématique

6Le fondement social d’une culture provoque de façon incontournable des changements de cette culture. Nous faisons allusion aux changements des structures sociales vietnamiennes au fil du temps à travers des étapes historiques du pays. La mise en place de la cathédrale de Hanoï avait vraiment marqué une époque d’or du catholicisme dans la colonisation indochinoise. Il est arrivé que l’on détruise des pagodes pour la construction des églises. Par contre, quand le pouvoir est revenu au gouvernement vietnamien, le catholicisme n’a occupé qu’une certaine position parmi d’autres religions au Vietnam.

7Dans l’ouvrage L’Indochine chinoise, le Fleuve Rouge était présenté comme profond et dangeureux pour le trafic d’une rive à l’autre. Un grand pont qui assurait le trafic du train liant Hanoï à Yenbai, Laocai, Conminh (en Chine) dans le Nord-Ouest et à Haiduong, Haiphong, Quangninh dans le Nord-Est constituait un besoin indispensable. Dès le début de son mandat de gouverneur de l’Indochine en 1886, Paul Doumer a conçu l’idée de ce grand pont métallique enjambant le Fleuve Rouge. Cependant, aujourd’hui, parallèlement au développement de la ville de Hanoï, plusieurs ponts modernes ont été construits tout au long des années pour faciliter le passage d’une rive à l’autre du Fleuve Rouge et le pont Longbien devient donc ancien et peu utilisé.

8Le besoin de détente apparaît sans doute dans toute société, surtout pour les Français (Nguyen Thuy Kha (dir.), 2011 : 14). Avant la construction de l’Opéra municipal, les cadres, dirigeants et officiers français à Hanoï ne profitaient que des activités de loisirs indigènes telles que chants et spectacles folkloriques vietnamiens qu’ils ne comprenaient pas bien et qui ne leur convenaient pas vraiment. En plus, avec un nombre considérable de Coloniaux français et leurs familles, la détente dans un théâtre du style occidental pouvait alléger la nostalgie de la France et leur donner du plaisir de se réjouir de spectacles de leur pays natal. Néanmoins, avec un nouveau régime politique à compter de 1954, à part sa fonction d’être un lieu d’interprétation des pièces du théâtre classique vietnamien, l’Opéra de Hanoï servait encore à la réception des délégations étrangères et à des événements municipaux importants.

9Avant la fondation du lycée Albert Sarraut, le Tonkin n’avait eu aucun lycée pour les enfants des dirigeants, officiers français et vietnamiens. Le besoin d’un système éducatif métropolitain entier pour les enfants français aux colonies et ceux de parents vietnamiens était devenu urgent. Ce lycée a été ouvert pour les enfants entre 11 et 17 ans. À partir de 1966, ce lycée a complètement cessé son activité.

10Ainsi, la mission historique de chaque monument a changé. Néanmoins, à travers les documents tirés des médias et des réseaux sociaux, nous voudrions clarifier des résultats et impressions créés par ces monuments sur la ville et ses habitants, en tentant de comprendre quelle était l’évolution de la communication des effets produits par ces quatre monuments sur la ville et sa population au fil du temps ? Notre recherche vise donc à commencer à mettre au jour un processus d’évolution continuel d’un certain nombre d’éléments patrimoniaux de l’Indochine française au sein de la Hanoï actuelle.

Méthodologie de recherche

11Notre corpus de données s’est d’abord appuyé sur d’anciens documents et archives de la période de colonisation française à la Bibliothèque nationale de Hanoï. Nous avons essayé de recueillir des éléments avec chiffres, dates et événements-clés dans toute sorte de documents qui restent malheureusement rares à l’heure actuelle. Nous avons également recueilli des informations dans les journaux, revues et magazines vietnamiens de nos jours. Par ailleurs, nous devions faire une recherche documentaire sur Internet, malgré les sources nombreuses et compliquées de celui-ci. Il pourrait contenir des informations précieuses que nous ne pouvions pas trouver dans des documents en papier au Vietnam. Dans le cadre de cet article, nous avons donc utilisé des informations, des synthèses réunies par des Français ou Étrangers contemporains sur Internet. Puis nous avons traité ces données en utilisant les techniques d’analyse structurelle et analyse du récit relatives à l’analyse de contenu (Bardin L., 2007 : 276, 286).

Évolution des effets créés sur la ville et sa population au fil du temps

12Nous essayerons de voir les étapes historiques par lesquelles ces quatre monuments français sont passés. Pour chaque étape, nous pourrons constater l’évolution de la communication des effets que ces monuments ont produit sur la ville et sa population.

La cathédrale de Hanoï

13Depuis la première mission d’Alexandre de Rhodes (1591-1660), un prêtre jésuite français, linguiste et missionnaire en Cochinchine et au Tonkin qui assurait la mission de la diffusion religieuse et de la création du quoc-ngu (écriture nationale), on connaissait le christianisme comme une religion nouvelle. Cependant, sous les dynasties des empereurs Minh Mang, Thieu Tri et Tu Duc, le catholicisme avait été considéré comme négatif et destructeur pour les hommes. Ces empereurs avaient renoncé à la diffusion du christianisme durant deux siècles. En 1825, l’empereur Minh Mang avait déclaré que « la religion perverse des Européens corrompt le cœur des hommes. ». Ce n’était qu’à partir de 1858, après la prise de Tourane (aujourd’hui Danang) par l’amiral Rigault de Genouilly, la liberté de culte des chrétiens était en principe garantie. Mais ce n’était qu’en 1886 que la cathédrale Saint-Joseph a été achevée après plus d’une décennie de construction. C’était ainsi avec beaucoup d’efforts physiques et moraux que des Français et Vietnamiens pouvaient réaliser la construction de cette cathédrale.

14Finalisée en 1886 et inaugurée à Noël 1887 par les Français sous l’épiscopat de Monseigneur Paul-François Puginier (1835-1892), c’est l’église-mère de l’archidiocèse de Hanoï. Située sur une grande place qui conduit à la rue de la Cathédrale en face et au couvent sur la droite, elle constitue un complexe paysager religieux entier au milieu de la ville. Son style néogothique représente un type architectural contemporain de l’époque coloniale complètement remarquable. La cathédrale est presqu’une copie de Notre-Dame de Paris mais le matériel et la construction ont été adaptés au climat et au paysage municipal. Elle portait le nom de Saint-Joseph qui protégeait le Vietnam et ses pays voisins. Elle avait 64,5 m de long, 20,5 m de large et deux tours de 31,5 m d’altitude, une croix en pierre à son sommet. Cette cathédrale avait un ensemble de cloches occidentales dont quatre petites et une grande qui valaient 20 000 francs de l’époque. Devant la cathédrale, sur la place au milieu d’un jardin, il y avait une grande statue de la Mère Marie en métal. La construction de cette cathédrale a marqué un repère important pour l’ensemble des catholiques français et vietnamiens à Hanoï, même dans tout le Tonkin. La cathédrale, une merveille architecturale, était le lieu fréquenté par des Français coloniaux, leurs familles, des catholiques hanoïens et ceux des alentours. Ils y faisaient des activités religieuses telles que baptêmes, mariages, messes, etc.

15En retour à l’histoire catholique vietnamienne, nous constatons deux moments où la fuite des catholiques du Nord du Vietnam s’est produite pour des raisons politiques. Le premier moment après les accords de Genève en 1954, « 800 000 Vietnamiens du Nord fuient vers le Sud dont 600 000 catholiques. Il ne reste plus que 400 000 catholiques au Nord. Tous les prêtres du Nord sont incarcérés ou interdits de ministère (soit 375 prêtres), sauf trois prêtres »1. Puis, suite à la libération du Sud du Vietnam, il y a eu des boat-people du Sud et du Nord avec de nombreux catholiques. Un grand nombre d’entre eux ont fui aux États-Unis, au Canada, en Australie ou dans certains pays d’Europe.

16Les Hanoïens au centre ville avaient l’habitude d’écouter les sons des cloches de la cathédrale chaque jour, pendant les week-ends et les fêtes religieuses notamment. La cathédrale devenait un lieu connu dans la ville et entrait dans la littérature, la poésie et les arts des auteurs contemporains comme un phénomène quotidien de la ville. Elle était liée à des souvenirs des gens de la ville notamment pour des jeunes : c’était un de leurs lieux de rendez-vous. En 1990, la cathédrale de Hanoï a accueilli l’arrivée d’un nombre énorme de personnes de tous horizons à voir le corps du défunt, Monsieur le cardinal Trinh Van Can, qui y était déposé. C’était vraiment un grand événement social non seulement pour les catholiques mais aussi pour les Hanoïens.

17La cathédrale de Hanoï est toujours parmi les sites touristiques incontournables de la ville car elle se trouve au centre ville ayant de nombreux restaurants, hôtels et près du lac Hoankiem, un site touristique à ne pas manquer de la ville. Les touristes admirent encore l’architecture coloniale au milieu des rues typiquement hanoïennes, même si elles sont plus ou moins modernisées. Cet endroit devient encore un des lieux les plus fréquentés des jeunes pendant des fêtes dont le Noël par sa décoration religieuse originale. On va à l’église pour la visiter, contempler ce qui se passe en messe comme un mode de vie contemporain. En outre, sur sa place ou à ses alentours, on peut se retrouver dans un café, un restaurant ou une galerie.

18Récemment, en raison de l’emplacement de l’église forcément réduit par des établissements, la réaction de l’Église contre le pouvoir municipal ou national a attiré l’attention des gens et provoqué des opinions sur les médias et les réseaux sociaux. Beaucoup de personnes, quelles que soient leurs religions s’exprimaient pour défendre la réputation des religieux de la cathédrale de Hanoï. Cela montrait nettement une vraie influence positive de la cathédrale et ses religieux sur la population de la ville et celle sur tout le pays.

Le pont Longbien

19Conçu par Gustave Eiffel et construit entre 1898 et 1902 par la Maison Daydé et Pillé, de Creil (Oise) suite à un concours ouvert en janvier 1898, entre les constructeurs français (Doumer P., 1902 : 200), le pont Doumer avait constitué un succès inédit en Extrême-Orient. Pour imaginer la situation de la ville de Hanoï avant la construction du pont Doumer, nous disposons de la description suivante dans le rapport effectué par le Gouverneur général de l’Indochine :

« La ville de Hanoï est séparé des provinces de la rive gauche par le lit du fleuve, large de 1700 mètres, obstrué de bancs rapidement formés et détruits. La traversée est, pour les indigènes, difficile et couteuse toujours, dangeureuse parfois. L’atterrissage, sur les deux rives, se fait en des points obligatoirement marqués par le fleuve, mais qui varient d’une saison à l’autre et se trouvent fréquemment fort loin des routes et des rues qu’il faut rejoindre à grand’peine. » (Doumer P., 1902 : 26)

20Le besoin d’un grand pont enjambant le Fleuve Rouge avait donc été indispensable, voire urgent. C’était également pour ce besoin que la conception et la construction de ce grand pont métallique avaient été rapidement menées à bien. Dès l’apparition des piles et des travées d’acier sur le fleuve, l’attention des indigènes avait été attirée :

« La vue seule des piles sortant de l’eau dans les mois suivants, du montage des travées d’acier qui commençaient, put les convaincre.

– « Cela est prodigieux, disaient-ils, les Français font tout ce qu’ils veulent »2.

21La description du travail de construction du pont prouvait une volonté ferme et une conscience vraiment sérieuse des personnes qui assuraient la responsabilité de la technique et l’établissement du projet :

« Les travaux de maçonnerie des vingt piles ou culées, exécutes à l’air comprimé à une profondeur moyennne de 32 mètres, le montage de la gigantesque masse de fer qui constitue le tablier métallique ont été conduits d’une façon parfaite. Exécutés par des ouvriers annamites et chinois, sous la direction d’ingénieurs et de contre-maîtres français, ils ont pu être menés à bien en un peu plus de trois années » (Doumer P., 1902 : 26)

22En plus, ce travail admiré par l’ensemble des gens a aussi marqué un grand succès de la technologie française et affirmé une conquête morale complète des Français à l’égard de l’Asie :

« La rapidité de cette construction est exceptionnelle vu l’éloignement géographique de la France et la faiblesse de la sidérurgie locale de l’époque. Ce fut donc une véritable prouesse logistique. Il était alors l’un des 4 plus longs ponts du monde et le plus marquant en Extrême-Orient, un grand symbole de la révolution industrielle imposée en Asie » (Le Courrier du Vietnam, 14 juillet 20103).

23La mise en place du pont Doumer avait aussi été un grand moment dans l’histoire indochinoise et hanoïenne. Ce pont a donné un paysage magnifique et magique à sa ville. En plus, il avait été bien investi par le gouvernement français contemporain :

« Trois années après le commencement des travaux, le pont géant était achevé. Vu de près, sa charpente de fer était formidable. La longueur en paraissait indéfinie. Mais quand, du fleuve, on contemplait le pont dans son ensemble, ce n’était qu’un treillis léger, une dentelle qui se projetait sur le ciel. Cette dentelle d’acier nous coûtait la bagatelle de 6 millions de francs. »4

24Dans son ouvrage L’Indochine française, Paul Doumer avait insisté sur l’admiration incontournable des Vietnamiens contemporains pour la France ainsi que ses possibilités technologiques formidables qui avait contribué à la conquête morale d’une nation reconnue comme résistante et indomptable sur le front :

« L’établissement du pont d’Hanoi, auquel on a bien voulu donner mon nom, a frappé de façon décisive l’imagination des indigènes. Les procédés ingénieux et savants qui ont été employés et le résultat obtenu leur ont donné conscience de la force bienfaisante de la civilisation française. Notre génie scientifique, notre puissance industrielle ont conquis moralement une population que les armes nous avaient soumises »5.

25En effet, la mise en place du pont Doumer n’avait désespéré personne en Orient. Le pont a fait partie des plus longs ponts dans le monde entier contemporain :

« Le pont sur le Fleuve Rouge est l’ouvrage le plus considérable et le plus remarquable qui ait été exécuté jusqu’ici en Extrême-Orient. » (Doumer P., 1902 : 27)

26Le pont Paul Doumer a assuré le trafic en train qui liait Con-minh (en Chine), Laocai (à la frontière vietnamochinoise), Yenbai, Hanoï à Haiphong, Haiduong, Quangninh (au bord de la mer de l’Est). Il constituait le moyen de traverser le Fleuve Rouge le plus rassurant que jamais pour les passants, commerçants vietnamiens et étrangers contemporains.

27Pendant la guerre contre les Américains (1955-1968 et 1970-1972), le pont Longbien a été un lieu visé par les pilotes de guerre américains. La stratégie militaire des Américains était de couper le trafic de la ville de Hanoï avec certaines autres provinces. Dans la première guerre destructive du Vietnam du Nord (1965-1968), le pont avait été bombardé à 10 reprises. 7 travées et 4 grandes piles avaient été endommagées. Dans la seconde guerre des Américains, ce pont avait été bombardé à 4 reprises, 1500 mètres de pont et 2 piles ont été complètement cassés. Pour défendre le pont, les soldats vietnamiens ont installé deux rampes d’artillerie de 11,5 m d’altitude pour la défence antiaérienne sur l’île en plein Fleuve Rouge. Les soldats vietnamiens avaient donc la tâche de défendre le pont Longbien pour assurer le trafic continuel entre les deux rives du Fleuve Rouge. Ce pont avait un rôle incontournable dans les objectifs militaires vietnamiens. De ce pont, des soldats pouvaient tirer les avions américains lors de leur envahissement dans le ciel de Hanoï ainsi que pour la défense de la ville et du pont. Ainsi, le pont Longbien figure parmi les lieux les plus remarquables de la ville liés à la douleur ainsi qu’au courage des Hanoïens et Vietnamiens. Il représente la volonté de lutte, de défense et d’exploit des soldats et gens à Hanoï. Nous le trouvons encore dans des chansons, poèmes, peintures et photos produits à cette époque-là.

28Avant les années 1980, le pont Longbien était le seul pont enjambant le Fleuve Rouge. Actuellement il a plusieurs ponts nouveaux sur ce fleuve : le pont Thanglong à environ 11 km au nord de Longbiên, un des symboles de l’amitié vietnamo-soviétique, construit pendant les années 80, Chuongduong, troisième pont, ouvrage important qui a beaucoup contribué au développement de la capitale, Thanhtri, le plus grand pont qui a résulté d’une coopération entre le Vietnam et le Japon et a contribué à la réduction du trafic sur le pont Chuongduong, le pont Vinhtuy ouvert à la circulation en septembre 2009 qui joue un rôle important dans le renforcement du développement socio-économique des 2 rives du Fleuve Rouge ainsi que de la région économique du Nord, et, enfin, Nhattan, premier pont à haubans de la capitale, ouvert au trafic en 2012, le plus moderne et le plus long du pays qui relie le centre de Hanoi à l’aéroport Noibai. Le trafic sur le pont Longbien a donc maintenant beaucoup diminué et les gens préfèrent utiliser les ponts nouveaux que le très ancien pont Longbien.

29Toutefois, à l’occasion du Millénaire de la ville de Hanoï en 2010, le Journal de Sports et culture a organisé un concours des articles de blog intitulé « Le pont du Dragon raconte la légende millénaire ». Nous avons constaté combien le pont Longbien a laissé des impressions, émotions et souvenirs chez les Hanoïens et les personnes amoureux de ce pont. Avec deux centaines d’articles sous forme des entrées de blog, les auteurs de différentes régions du Vietnam ont partagé avec beaucoup de plaisirs et émotions leur amour du pont lié à leurs souvenirs, histoires et impressions de tous moments de leurs vies. Il est arrivé qu’un auteur fasse deux articles sur le pont. Il semble que leur amour pour ce pont n’est jamais épuisé.

30Récemment, en septembre 2011, une architecte française d’origine vietnamienne Nga Nguyen a conçu un projet de reconvertir le pont Longbien en musée. Ce projet s’est confronté à des opinions contradictoires des gens et reste toujours à l’état de projet. C’est ainsi un des lieux de nostalgie pour les personnes plus ou moins âgées, celui de pause photographique pour les jeunes et celui de promenade pour les passants. Il est devenu un des symboles de la ville de Hanoi.

L’Opéra municipal de Hanoï

31À partir de la fin du XIXe siècle (1891), Hanoï était devenu la capitale du Tonkin ainsi que celle du Nord de l’Indochine. En 1905, la population de Hanoï était 80 844 habitants dont 2 655 Français, 380 métis, 2 289 Chinois, 37 Hindous de nationalité française, 74 Hindous de nationalité anglaise et une agglomération vietnamienne aux alentours de 28 000 habitants. Donc, la population hanoïenne totale comptait 110 000 personnes. (Nguyen Thuy Kha, 2011 : 176). Mais il manquait à Hanoï un théâtre municipal tandis que, à Saigon, l’Opéra avait été mis en fonction depuis 1900 (Nguyen Thuy Kha, 2011 : 197). Avec un nombre considérable d’habitants dont les Français qui connaissait un vrai besoin de détente dans un théâtre municipal du style occidental, d’autres Vietnamiens et des Étrangers en avaient envie également.

32Il n’y a jusqu’ici pas de recherche officielle convaincante sur l’architecture de l’Opéra municipal de Hanoï. Toutefois, il y a deux opinions : son architecture prend le style baroque (d’après des chercheurs en architecture) et est une « copie » de l’Opéra Garnier de Paris (Nguyen Thuy Kha, 2011 : 268). La construction de l’Opéra a duré plus d’une décennie à cause des difficultés des sources de matériel : on utilisait des matériaux rares et précieux comme pierres précieuses, ardoises et tuaux de décor en zinc, il était vraiment difficile d’en trouver au Vietnam et cela prenait beaucoup de temps pour en transférer de France. Le bâtiment se situait sur une superficie de 2 600 m2. Il avait 87 m de long, 30 m de large. Sa grande salle pouvait recevoir 598 personnes. Le budget total de sa construction était 2 000 000 francs qui a bien dépassé le budget prévisionnel de 800 000 francs.

33L’apparition et le fonctionnement de l’Opéra ont marqué une nouvelle époque dans la vie culturelle municipale. Désormais, les Hanoïens avaient la chance d’appréhender un nouvel espace théâtral occidental. Ils s’habituaient au fur et à mesure à un mode de vie français, c’était d’aller au théâtre. L’Opéra municipal était aussi le lieu de l’organisation des événements importants de la ville et le lieu de rendez-vous, de promenade des jeunes issus des familles aisées qui vivaient à la française. On l’appelait le théâtre occidental.

34Beaucoup de grands événements organisés sur la place et au sein de l’Opéra. Sur la place de l’Opéra, le 17 août 1945, le meeting pour la fondation du Front Vietminh s’est tenu et la population de Hanoï y a assisté à l’apparition du drapeau rouge à étoile d’or au balcon du deuxième étage de l’opéra. Le 29 août 1945, l’armée de libération du Vietbac est entré à Hanoï et a convergé vers la place de l’Opéra de Hanoï. Les Hanoiens se souvenaient encore de la Semaine d’or offerte par les bourgeois nationaux à l’Opéra municipal le 16 septembre 1945. Au début d’octobre 1945 la Journée de la résistance du Nambo a été organisée. Le 2 mars 1946 la première session de l’Assemblée nationale de la République démocratique du Vietnam s’est tenue au sein de l’Opéra de Hanoï. Le 2 septembre 1946 la cérémonie de célébration d’une année de gouvernement de la République démocratique du Vietnam s’est solennellement tenue en présence du Président Hochiminh. Du 28 octobre au 9 novembre 1946, l’Assemblée nationale a adopté la Constitution de la République démocratique du Vietnam lors de sa 2e session. Il n’y a eu heureusement aucun bombardement américain sur l’Opéra. Sur son toit, on a mis une sonnette d’alerte pour signaler les habitants au cas où les avions américains envahissaient le ciel de Hanoï. Celle-ci avertissait également le moment sécuritaire revenant à la ville. Il y avait également des meetings ou des cérémonies d’engagement du mouvement des « Trois volontés » pour les jeunes Hanoïens. Pendant la guerre, l’Opéra municipal était donc l’un des lieux importants de la ville ayant des objectifs révolutionnaires. En 1997, il a été rénové grâce à un financement du gouvernement français à l’occasion du Sommet de la Francophonie. Effectivement, selon un chercheur vietnamien :

« Si l’on est à la recherche au sein de Hanoï actuel la plus typique empreinte du transfert historique du Vietnam d’une société traditionnelle en une société moderne, ce monument portant le nom du Théâtre municipal que les Hanoïens ont l’habitude d’appeler le Théâtre occidental, est digne le choix le plus convaincant » (Nguyen Thuy Kha, 2011 : 139).

35Le complexe paysager français composé de l’Opéra municipal de Hanoï, l’hotel Métropole, le parc du Crapeau, la Banque d’État, le Palais du Gouverneur et le parc Chilinh donnent un charme extraordinaire à la ville à l’heure actuelle. Il est devenu le lieu préféré pour les artistes vietnamiens et étrangers qui travaillent ou ont une tournée à Hanoï. En plus, l’Opéra est en même temps le lieu d’interprétation, entraînement et répétition du Théâtre national vietnamien de musique, danse et opéra qui y ont déjà présenté de multiples pièces de théâtre nationaux et internationaux célèbres.

36Aujourd’hui, pour les habitants de Hanoï, l’Opéra de Hanoï est non seulement un des lieux favoris des jeunes mariés pour se faire produire leurs vidéo et photographie de rêve, mais encore un des sites touristiques importants de la ville. Il n’est pas difficile de trouver l’image de celui-ci sur les cartes postales de la ville de Hanoï et il constitue lui-même un des symboles de la ville.

Le lycée Albert Sarraut

37Avant la fondation du lycée, à Hanoï, il n’y avait qu’une seule école secondaire, l’école secondaire de Hanoï, une sorte de petit collège municipal, instituée à base identique que celle du collège Chasseloup-Laubat à Saigon. Il manquait un lycée pour les enfants des dirigeants, officiers, cadres français à cette époque-là. Même les collèges n’étaient que deux :

« Elle date de l’année 1900 seulement. C’est le plongement d’une école de garcons, qui était entretenue par la municipalité, ainsi qu’une école de filles. Toutes deux reçoivent des enfants français et des métis » (Doumer P., 1902 : 101).

38À cette époque, le lycée Albert Sarraut était le plus grand lycée de l’Indochine qui accueillait des enfants français, étrangers et vietnamiens dont les parents étaient cadres, dirigeants et officiers travaillant à Hanoï ou dans le Tonkin. Il a été inauguré en 1919 sous le nom de « lycée de Hanoï » avec le grand lycée situé dans le boulevard Rollandes (rue Haibatrung actuelle). En 1923, le grand lycée (équivalent au lycée actuel) est renommé lycée Albert-Sarraut et sa façade a été rehaussée. Le lycée suivait le même enseignement que la métropole avec des professeurs français agrégés et licenciés10. Cet enseignement a constitué une évolution remarquable et bouleversante pour l’éducation à l’époque. Une culture d’Albert Sarraut issue de ce lycée se distinguait des autres écoles indigènes. C’était pour cela qu’il existait le souci de la formation des professeurs indigènes successeurs des Français mais qui ne s’adaptaient pas à cet enseignement nouveau :

« S’il est supprimé, par quoi le remplacerons-nous dans nos écoles ? Par la morale française, la morale des braves gens, basée sur le sentiment du devoir, de l’amour de la patrie, de la solidarité humaine ? Mais le professeur, forcement indigène, appelé à l’enseigner, ne pourra lui-même la comprendre. Que sera-ce alors des élèves ? » (Doumer P., 1902 : 102)

39Des hommes de politique, scientifiques, écrivains vietnamiens célèbres des princes laotiens et d’autres tonkinois étudiaient aussi dans ce lycée. Après les accords de Genève de 1954, une convention culturelle a été signée le 7 avril 1955 qui transformait le lycée Albert Sarraut en établissement privé gratuit géré par la Mission laïque française. L’enseignement suivait le programme imposé par les autorités vietnamiennes du Nord et se faisait désormais en vietnamien, le français devenant la principale langue étrangère enseignée dès le primaire. La plupart des professeurs français ont quitté le lycée en 1955. Il y avait 590 élèves pour l’année scolaire 1955-1956 ; le maximum a été atteint en 1959-1960 avec 1 420 élèves. Le lycée a cessé son activité en 1965 pour devenir un établissement scolaire public géré directement par les autorités vietnamiennes et a changé de nom (lycée Tranphu).

40L’empreinte que le lycée Albert Sarraut a laissée dans le passé ainsi qu’à l’heure actuelle est indéniable. Ses élèves figuraient souvent parmi ceux de haut de gamme dans la société. La culture Albert Sarraut a été reconnue par la société contemporaine.

Conclusion

41La cathédrale de Hanoï, le pont Longbien, l’Opéra municipal et le lycée Tranphu (l’ancien lycée Albert Sarraut) construits dans la période de colonisation française et adaptés aux conditions climatiques tropicales du Vietnam marquent des empreintes d’une époque historique du Vietnam en général et celle de la ville de Hanoï en particulier. Ce sont des lieux originaux admirables et donnent du charme à la ville. En effet, selon des documents archivés dont des journaux et magazines contemporains, ils marquaient des repères historiques dans les domaines religieux, économiques, culturels et éducatifs de la ville de Hanoï et du Vietnam.

42Ces monuments sont la preuve du développement d’architecture, technologie, art et éducation de l’époque colonisée au Tonkin ainsi qu’ils produisent des stéréotypes et symboles de la ville de Hanoï à l’heure actuelle. Autrement dit, ils ont déjà créé leurs effets matériels et immatériels sur la ville et ses habitants. Ils contribuaient et continuent à contribuer à des effets positifs qui développent les valeurs spirituelles, économiques, culturelles et génèrent de nouvelles valeurs sociales, esthétiques et touristiques. Ils font partie pour toujours du patrimoine de l’époque de colonisation française de la ville et restent inoubliables dans la mémoire des gens en gagnant leur admiration, leur respect et leur amour. Quoi qu’ils soient dans une telle ou telle époque, quelle que soit l’évolution de leurs valeurs, ils méritent l’entretien, le maintien et la défense de l’État et de l’Humanité. Ils méritent aussi, sans aucun doute, des recherches complémentaires sur leur circulation communicationnelle à travers les médias de tous ordres (Internet, chansons, photos des visiteurs) pour mieux appréhender la manière dont des objets patrimoniaux entre dans les cultures : vietnamienne mais aussi française et universelle.

Sitographie

Bibliographie

Chenevez Alain et Novello-Paglianti Nanta, 2014, L’invention de la valeur universelle exceptionnelle de l’Unesco, Paris, L’Harmattan.

Doumer Paul, 1902, Situation de l’Indo-Chine (1897-1901), Hanoï, F.-H. Schneider, Imprimeur-éditeur.

Nguyen Minh Hoang (traducteur), 2013, Thư của các giáo sĩ thừa sai (Lettres édifiantes des missions de la Chine et des Indes Orientales), Documents de références, Nhà xuất bản văn học (Éditions littéraires), Hanoï.

Nguyen Thuy Kha (chủ biên), 2011, Nhà hát lớn Hà Nội vẻ đẹp tròn thế kỷ, Nhà xuất bản Hội nhà văn, Hà Nội (L’opéra municipal de Hanoï, une beauté millénaire, Hanoï, Les éditions de l’Association des écrivains, traduction de l’auteure du présent article).

Quoc Van, 2010, 36 ngôi nhà Hà Nội, Nhà Xuất bản thanh niên, Hà Nội (36 maisons de Hanoï, Hanoï, Les éditions de la Jeunesse, traduction de l’auteure du présent article).

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https://vi.wikipedia.org/wiki/Nh%C3%A0_th%E1%BB%9D_L%E1%BB%9Bn_H%C3%A0_N%E1%BB%99i

Notes

1  https://fr.wikipedia.org/wiki/Catholicisme_au_Vi%C3%Aat_Nam

2  http://belleindochine.free.fr/hanoiPontDoumer.htm

3Le Courrier du Vietnam (Journal francophone), paru le 11 juillet 2010, “La capitale et ses ponts enjambant le fleuve Rouge”, [En ligne], http://lecourrier.vn/la-capitale-et-ses-ponts-enjambant-le-fleuve-rouge/42220.html (page consultée le 4.01.2017).

4   http://belleindochine.free.fr/hanoiPontDoumer.htm

5  Ibidem

6  Traduction de l’auteure du présent article.

7  Traduction de l’auteure du présent article.

8  Traduction de l’auteure du présent article.

9  Traduction de l’auteure du présent article.

10  https://fr.wikipedia.org/wiki/Lyc%C3%A9e_Albert-Sarraut

Pour citer ce document

Nguyet Nguyen Minh, «Évolution communicationnelle des effets produits par quatre monuments français à Hanoï sur la ville et sa population au fil du temps», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 13-Varia, DOSSIER, > Axe 1 | Culture, tourisme, patrimoine et interculturalité(s),mis à jour le : 08/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=362.

Quelques mots à propos de : Nguyet Nguyen Minh

Docteure en SIC- Enseignante senior en FLE. Université de Hanoï - Hanoï, Vietnam. Courriel : minhnguyetn_fr@yahoo.fr