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Benoît Lafon

AXE 1
Une réactualisation incessante d’enjeux autour des processus d’industrialisation de la culture, de l’information et de la communication

Éditorial

1L’axe 1 du Gresec, intitulé « L’industrialisation de la culture, de l’information et de la communication », est aux fondements de l’unité de recherche. Il consiste à questionner les structurations du champ de l’information-communication, ainsi que celui de la culture, en adoptant un point de vue hérité de la tradition critique et de l’économie politique de la communication. Initialement fondé autour des travaux d’Yves de la Haye (cf. Dissonances, recueil de textes écrits entre 1977 et 1982, parus en 19841) et de Bernard Miège (cf. Capitalisme et industries culturelles, 1978) relatifs aux enjeux socio-économiques et socio-politiques des moyens de communication, le Gresec a depuis quatre décennies développé ses approches en se structurant autour d’axes de recherches. Ainsi, la question centrale du « statut des industries culturelles dans le capitalisme contemporain » est-elle devenue le point nodal de l’axe scientifique 1, qui cherche à saisir les logiques sociales de la communication par des approches méthodologiques pluri-dimensionnelles. La présentation institutionnelle de l’axe souligne bien ces enjeux2 :

« L’évolution de l’information comme celle de la culture est abordée par plusieurs aspects (culturels, socio-politiques, sociaux et économiques) afin de dégager des logiques sociales de fonctionnement qui orientent plus ou moins les stratégies des acteurs sociaux sur une longue période. Un intérêt particulier est accordé à l’émergence progressive de puissants réseaux de communication qui accélère le mouvement d’industrialisation et le marque en profondeur ainsi qu’au développement des outils de communication, qui constituent un puissant vecteur de l’industrialisation des deux champs envisagés. »

2L’accent est ainsi mis à la fois sur la multi-dimensionnalité des enjeux communicationnels et sur les logiques de temps long, dans l’optique de saisir les logiques d’industrialisation de la culture, de l’information et de la communication. La mise en évidence des stratégies d’industrialisation au sein de filières a de ce fait constitué un trait constitutif de la théorie des industries culturelles, que les chercheurs de l’axe ont contribué à produire3. Au cours des dernières années, les programmes de recherche de l’axe 1 ont porté sur une série de questionnements scientifiques relatifs aux nouvelles stratégies mises en place par les industries de la culture, de l’information et de la communication (ICIC), aux plans national et international. Il s’est agi d’éclairer les dernières évolutions du mouvement d’industrialisation, aux plans national et international, étant entendu que les stratégies des acteurs industriels du secteur des ICIC s’appuyaient alors sur de nouveaux référentiels structurants tels que la « création » et la « créativité » ou, dans une moindre mesure, la « diversité culturelle ».

3Le point commun de ces diverses questions de recherche a été l’élucidation des nouveaux positionnements des acteurs industriels, institutionnels et territoriaux sur les référentiels émergents de « création », de « convergence », voire de « diversité culturelle ». Ainsi, les différents programmes menés au sein de l’axe 14, et en particulier le programme « mutations des industries culturelles », ont permis de montrer que les acteurs privés et publics de la communication n’ont pas au cours des dernières années donné corps à de nouvelles structurations – ni nouvelles filières culturelles créatives, ni nouvelles configurations internationales sur le plan de l’information – mais ont tout au contraire conforté leurs positions. Ainsi, la résistance des filières existantes a pu être mise en évidence dans un contexte d’internationalisation poussée, dans lequel la notion de « diversité culturelle » joue un rôle de référentiel stratégique pour les entreprises et les Etats, tandis que la création joue un rôle de stratégie de production hors du champ de l’art pour dans des environnements industriels, scientifiques et techniques en pleine mutation.

4Loin de constituer de nouveaux paradigmes scientifiques ou techniques, la « création » et la « diversité culturelle » sont bien des registres d’action usuels pour les acteurs institutionnalisés, aptes à drainer investissements privés et financements publics.

5Ainsi, le procès d’industrialisation de l’information et de la communication renforce la pertinence de la théorie dite des industries culturelles5, l’enrichit, et remet en cause son assimilation à un nouveau modèle des « industries créatives ». Les différentes recherches menées au sein du Gresec, en lien avec le LabSIC, ont bien démontré les différences – et par voie de conséquence la distance – existant entre « les filières des industries culturelles et quelques autres industries présentées comme créatives » (Bouquillion, Miège, Moeglin, 2013, p. 120). De même, la notion de « convergence » (Miège & Vinck, 2011) a été fortement remise en question : discours social à déconstruire, la convergence apparaît comme un concept complexe pour les sciences humaines et sociales, en même temps qu’il est largement construit par les acteurs du social à des fins stratégiques visant à attirer des partenaires davantage qu’à converger avec eux.

6En définitive, l’axe 1 du Gresec permet de mesurer combien les questions d’industrialisation de la culture, de l’information et de la communication reste déterminante pour comprendre les enjeux contemporains de l’information, de la communication et de la culture. La question des filières, de leurs spécificités actualisées, des régulations nationales et de leurs évolutions reste nécessaire pour replacer dans le temps long les mutations des entreprises privées et publiques de l’audiovisuel, comme du livre et des télécommunications. De fait, au sein de ces filières résistant dans le contexte actuel, se développent des stratégies intra- et inter- filières, dont le transmédia semble être l’un des derniers avatars (question abordée par l’action de recherche 1 en cours au Gresec). Dans une logique similaire, les chercheurs de l’axe ont abouti au constat que les questions communicationnelles internationales relèvent davantage de ce type d’approche critique du redéploiement des filières des industries culturelles que d’un questionnement en termes de « diversité culturelle ». Ainsi, les notions de création et d’industries créatives sont à resituer dans l’approche scientifique des enjeux de communication (professionnels, étatiques, nationaux et internationaux) menée par le Gresec depuis les années 1980 et réactualisée dans la période récente (Bouquillion, Miège, Moeglin, 2013) en lien avec les autres axes de l’unité de recherche, d’où un resserrement actuel des préoccupations de recherche de l’axe sur la question de l’industrialisation et de l’internationalisation des filières et structures – notamment médiatiques – de communication.

7Les logiques d’industrialisation dans les champs de l’information – communication et de la culture sont des tendances de fond, profondément ancrées dans le social : « Il est essentiel de relier, de façon fine, les développements de la communication aux mouvements des sociétés, en articulant les niveaux micro- et macro-sociaux, temps court et temps long. Il est manifeste qu’actuellement une proportion importante de chercheurs s’intéresse seulement au court terme et aux interactions de la vie sociale quotidienne ; ce «réductionnisme» doit être critiqué » (Miège, 2004, 18).

8Il convient en effet de continuer à rechercher, par-delà les mouvements de surface du social, les structurations profondes, historiquement ancrées, des processus d’industrialisation et de filiérisation des industries culturelles. L’analyse croisée des filières et des modes de valorisation des produits culturels (approche socio-économique) ne peut se passer d’une réflexion sur les produits eux-mêmes et sur leurs modes de consommation (analyses des pratiques, de l’ethnographie des publics aux diverses sémiopragmatiques), ces approches se devant d’être articulées dans une méthodologie résolument processuelle et historicisée. Les questions actuelles relatives aux évolutions de la filière audiovisuelle – et à la télévision en particulier – illustrent parfaitement cette nécessité. Les approches centrées sur l’observation d’une offre (Bullich et Guignard, 2014) soulignent ainsi des mutations en cours, « la montée en puissance de la fonction d’intermédiation dans les dispositifs numériques », sans pouvoir toutefois mesurer l’implication du phénomène, ne parvenant pas à resituer dans le continuum des pratiques télévisuelles les évolutions mises en évidence. C’est pourquoi les enjeux d’explicitation des mutations sont aussi à rechercher dans les multiples situations quotidiennes de consommations et de productions médiatiques, replacées dans le temps long des pratiques sociales traversées de logiques politiques autant qu’économiques, comme le montrent par exemple les cas de l’utilisation de photographies amateurs par les médias (Schmitt, 2013), ou de la télévision de service public et de ses « positionnements incertains » à l’égard des techniques numériques (Lafon, 2013).

9Ainsi l’axe « industrialisation de la culture, de l’information et de la communication » voit-il ses questionnements sans cesse renouvelés par la réactualisation des enjeux de l’industrialisation des biens culturels et la logique de filiérisation qui prévaut, les filières déjà constituées résistant et tissant des ramifications toujours plus denses dans le social. La compréhension de ces lentes transformations (par-delà les illusions d’immédiatetés et de dématérialisations) nécessitant l’étude de productions placées à l’articulation des filières et leurs circulations, qui redessinent progressivement le contour des filières préexistantes.

Bibliographie

Bouquillion Philippe, Miège Bernard et Moeglin Pierre, 2013, L’industrialisation des biens symboliques : les industries créatives en regard des industries culturelles, Grenoble : PUG.

Bullich Vincent, Guignard Thomas, 2014, « Les dispositifs de «TV connectée» », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n° 15/2a, 2014, p. 5 à 19, consulté le vendredi 19 décembre 2014, [en ligne] URL : http://lesenjeux.u-grenoble3.fr/2014-supplementA/01-Bullich-Guignard/index.html.

Huet A., Ion J., Lefebvre A., Miège B., Péron R., 1978, Capitalisme et industries culturelles, 1978/2e édition revue et augmentée, 1984, Grenoble : PUG.

La Haye, Yves de, 1984 Dissonances. Critique de la communication, Grenoble : la Pensée sauvage.

Lafon Benoit, 2013, «Les services publics de radio-télévision à l’orée du xxie siècle. Entre (non)conceptions politiques, industrialisation et techniques numériques», in Lafon Benoit (coord.), Les services publics de radio-télévision à l’orée du xxie siècle, revue Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n° 14/2, 2013, p. 3-14, consulté le vendredi 19 décembre 2014, [en ligne] URL : http://lesenjeux.u-grenoble3.fr/2013-dossier/Lafon-intro/index.html.

Miège, Bernard, 2004, L’information-communication, objet de connaissance, Bruxelles : De Boeck-INA (Médias recherches Études).

Miège Bernard et Vinck, Dominique 2011, Les masques de la convergence Enquêtes sur sciences, industries et aménagements, Paris : éditions des archives contemporaines.

Mœglin Pierre, 2012, Une théorie pour penser les industries culturelles et informationnelles ?, in Revue Française des sciences de l’information et de la communication, n° 1, http://rfsic.revues.org/130.

Schmitt Laurie, 2013, Quand les médias utilisent les photographies des amateurs, Bordeaux : Le Bord de l’eau.

Notes

1 Yves de la Haye s’est ainsi intéressé à ce qu’il a appelé une « analyse matérialiste des médias » dans la lignée critique : « de phénomène périphérique et hasardeux dans la société féodale, le système de communication devient, à mesure du développement du mode de production capitaliste, un nerf essentiel » (de la Haye, 1984, 26).

2 http://gresec.u-grenoble3.fr/version-francaise/axes-de-recherche/presentation-des-axes/

3 Sur la question de la théorie des industries culturelles, on pourra se reporter au n° 1 de la revue de la SFSIC : Miège, Bernard, dir., La théorie des industries culturelles (et informationnelles), composante des SIC, Revue de la SFSIC, http://rfsic.revues.org/75

4 Centrés respectivement sur : les mutations des industries culturelles, sur l’internationalisation de la communication et sur les processus d’innovation dans les domaines de la création.

5 Cf. Action de recherche 1 : De la création à la consommation de productions culturelles et médiatiques industrialisées : entre mutations et continuités.

Pour citer ce document

Benoît Lafon, «Une réactualisation incessante d’enjeux autour des processus d’industrialisation de la culture, de l’information et de la communication», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 11-Varia, DOSSIER, > Axe 1,mis à jour le : 17/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=513.