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De la création à la consommation de productions culturelles et médiatiques industrialisées : entre mutations et continuités
Texte intégral
1De 2009 à mi-2013, le programme 1 Mutations des industries culturelles et médiatiques a été conduit régulièrement selon les orientations alors prévues, donnant lieu à des publications directement issues de ce programme ainsi qu’à des publications dans des perspectives complémentaires (cf. références en fin d’article). Ces travaux ont été « portés », pour l’essentiel, par une double coopération sur une longue période : d’une part entre le GRESEC et le LabSIC au sein de la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord (2008-2013), particulièrement dans le cadre du programme ANR « Culture et Création »), qui a donné lieu notamment à la publication de l’ouvrage signalé précédemment L’industrialisation des biens symboliques ; d’autre part entre des chercheurs du GRESEC et du laboratoire PACTE (UMR, Grenoble Alpes) à propos de la notion de « convergence », qui a fait l’objet d’un séminaire pluri-annuel (2009-2012) et conduit à la publication de l’ouvrage Les masques de la convergence. Enquêtes sur sciences, industries et aménagements : Discours social à déconstruire et même à remettre en question, la convergence apparaît comme un concept complexe pour les sciences humaines et sociales, en même temps qu’il est largement construit par les acteurs du social à des fins stratégiques visant à attirer des partenaires davantage qu’à converger avec eux.
2Ces divers travaux ont débouché sur deux propositions majeures :
3Le procès d’industrialisation – et pas seulement de marchandisation- est l’une des mutations marquant en profondeur l’information et la communication. S’affirmant depuis les années soixante-dix, son avancée, depuis le début du siècle, s’est accélérée, en relation avec des phénomènes comme : le développement des Tic et l’émergence de nouveaux médias, la dérégulation – rerégulation, l’élargissement de l’information médiatique et extra-médiatique, l’individualisation tendancielle des consommations et des pratiques et l’internationalisation des flux et des échanges.
4D’un point de vue théorique, la question se pose de savoir si la théorie dite des industries culturelles, à la mise au point de laquelle des membres du laboratoire ont contribué, est remise en cause, par les tentatives provenant d’acteurs politiques et économiques, d’étendre les modes de fonctionnement des filières industrielles et culturelles à l’ensemble des (nouvelles) industries pour en faire des industries «créatives». La question se pose également de savoir si les filières (presse et information, cinéma et audiovisuel, musique enregistrée, édition, etc.) maintiennent leurs spécificités et leurs consistances.
5C’est pourquoi, au cours de l’année 2014, à l’occasion d’une réunion de travail rassemblant de 5 à 10 chercheurs, membres ou non du GRESEC, nous nous sommes interrogés sur les interactions à l’œuvre entre les différentes filières des industries culturelles (plus spécifiquement de l’audiovisuel, de l’édition, des jeux vidéo). Nous différenciant et critiquant les travaux relayant l’idée d’une convergence allant de soi, s’imposant quasi spontanément et dépendant mécaniquement des innovations techniques (convergence annoncée depuis les années 70 et qui pourtant, semble toujours loin d’être effective), nous faisons l’hypothèse que dans le contexte de mutations des industries culturelles, des rapprochements sont à l’œuvre. Ces derniers ne seraient pas forcément synonymes de synergie mais le lieu de rapports de force, de négociations et dans le même temps, de réaffirmation des spécificités de chacune des filières. Ils seraient en effet révélateurs des enjeux présents, pour les industriels, en termes de modalités de création-production, de diffusion, de valorisation-promotion et de consommation des productions culturelles industrialisées.
6Notre positionnement ne considère pas ces interactions comme étant directement et même principalement sous la dépendance de dispositifs techniques (en ce sens, nous critiquons la perspective technodéterministe), mais comme résultant de stratégies d’acteurs prenant appui sur les Tic. Ces stratégies apparaissent de plus en plus pluri-médias et multi-supports et ce, en lien avec le numérique. C’est pourquoi nous entendons nous positionner sur l’ensemble de la/des chaîne(s) de production de valeur (de la création-production à la consommation), en nous focalisant sur la production industrialisée, sur le rôle des usagers-consommateurs mais aussi sur les conditions de production et diffusion (c’est-à-dire sur les nouvelles modalités d’intermédiation, notamment sur des plateformes numériques).
7L’objectif est de s’intéresser non seulement à ce qui émerge en dehors des filières historiques et nouvelles (jeux vidéo, info-médiation), mais également à ce qui prolonge les filières « historiques » selon des modalités renouvelées, de façon à ne pas s’en tenir comme c’est souvent le cas dans les réflexions d’experts ou de médiateurs au « nouveau », supposé advenir quasi ex nihilo (les exemples montrent que c’est parfois le cas, mais qu’on ne saurait généraliser, surtout dans la production de contenus). De ce fait, on ne se limite pas à la filière de l’image-son, ou plutôt images-sons (dénomination désormais plus pertinente qu’audiovisuel et cinéma car plus ouverte aux mutations et aux nouvelles productions sur écran), mais on s’intéresse aussi à l’édition de livres et à l’édition scientifique et technique, à l’information de news et périodiques, à la musique enregistrée, et même au jeu vidéo et à l’info-médiation ; toutefois, il est vraisemblable que comme dans le passé, la filière images-sons sera de fait privilégiée, car elle est, plus que d’autres, au cœur des questionnements retenus.
8D’un point de vue méthodologique, nous nous centrons donc sur la production industrialisée (et les conditions de production), et précisément sur ce qui concourt à la mobilisation de la création, ainsi que sur les transformations de la diffusion (notamment sur les réactions et adaptations des distributeurs et diffuseurs en place face aux tentatives des Big Five pour s’emparer des marchés), en délaissant ou plutôt en laissant à d’autres, plus prompts à traiter cet aspect tout en en surestimant l’importance et la dynamique propre, le rôle des consommateurs-usagers ; on s’y intéresse cependant lorsque cela se relie directement aux préoccupations premières portant sur la production et l’intermédiation (c’est manifestement le cas du crowdfunding). L’analyse envisagée porte sur des plateformes de crowdfunding, des pureplayers de l’édition, des dispositifs multimédia intégrant de la vidéo, etc.
9Actuellement notre objectif est ainsi de mettre en œuvre une approche multi-dimensionnelle, qui articule, autant que possible :
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l’étude de productions placées à l’articulation de filières et de leur circulation (par exemple : webdocumentaires, dispostifs transmédias, webséries, serious games, newsgames, sites d’information divers…) ;
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l’étude des stratégies des acteurs, professionnels d’origines divers et « amateurs » collaboratifs ; néo-diffuseurs, etc. ;
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l’analyse des mutations des modèles socio-économiques, sans se limiter à l’intermédiation ;
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l’étude de l’évolution des professions artistiques et techniques, et du « statut » des auteurs ;
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etc.
10Dans cette perspective, on suivra de près l’évolution des plateformes et particulièrement leur diversification, mais, plus généralement, on s’attachera à analyser les tendances marquantes affectant les logiques professionnelles de conception, production et diffusion, celles-ci semblant bouleversées dans la mesure où des acteurs, issus des différents domaines jusqu’alors séparés, sont incités à coopérer. Ainsi concepteurs multimédias, photojournalistes, journalistes, réalisateurs, documentaristes, créateurs sonores, infographistes, webdesigners, monteurs, développeurs flash, animateurs 2D/3D… peuvent travailler ensemble sur un projet commun. Ce constat interroge à la fois les porosités existantes entre les domaines d’activité et les frontières dressées entre les différents corps de métiers. Au sein des industries culturelles, la création de productions culturelles et médiatiques est une activité collective. Mais quelles sont les mutations ou déplacements à l’œuvre ?
11Il s’agit donc de comprendre les mutations intra- et inter- filières, en nous démarquant et même en critiquant une vision « transmédiatique » qui relève davantage du projet de « nouveaux entrants » voire d’« utopies raisonnées » tardant à se réaliser. Les circulations et échanges entre filières, accrus et densifiés sur fond d’« innovations » revendiquées, engendrent de nouveaux produits culturels aussi marchandisables que les précédents.
Bibliographie
Publications issues directement du programme 1
Miège, Bernard (contribution de), 2009, en collaboration avec Philippe Bouquillion et Pierre Moeglin, « La question des industries créatives en France », revue Economia della Cultura (Revista trimestrale dell’Associazione per l’Economia della Cultura), Roma, N° 1/ 2009, pp. 37-47. Version complétée et remaniée pour l’ouvrage Industrias creativas – Amenazas sobre la cultura digital, Bustamante, Enrique, (coord.), Barcelona : Gedisa editorial, 2011, pp. 97-116, et pour le N° 85, octobre-décembre 2010, de la revista Telos, sous le titre « Un debate significativo en Francia – La situation de la industria creativa », http://sociedadinformacion.fundacion.telefonica.com/seccion=1268&idioma=es_ES&id=2010110309270001&activo=6.do.
Miège, Bernard, 2011, « La ‘théorie des industries culturelles’ : des remises en cause mais des spécificités persistantes et des modalités qui s’adaptent aux enjeux contemporains, Theorizing the Cultural Industries : persistent specificities and reconsiderations », Janet Wasko, Graham Murdock and Helena Sousa, (editors), The Handbook of Political Economy of Communication, Chichester UK : Wiley- Blackwell, pp. 83-108.
Miège, Bernard, 2011, “Principal Ongoing Mutations of the Cultural and Informational Industries”, pp. 51-65, dans l’ouvrage The Political Economies of Media - The transformation of the Global Media Industries , edited by Dwayne R. Winseck and Dal Jong Jin, London and New York: Bloomsbury Academic.
Miège, Bernard, 2012, « La convergence des TIC. Un parcours de 25 ans, déjà », in Les masques de la convergence- Enquêtes sur sciences, industries et aménagements, Paris : éditions des archives contemporaines », pp. 83-96.
Miège, Bernard, 2012, dir. « La théorie des industries culturelles (et informationnelles), composante des SIC », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 1 | 2012, consulté le 21 octobre 2012. URL : http://rfsic.revues.org/80
Miège, Bernard, 2012, « Pour une méthodologie inter-dimensionnelle », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 1 | 2012, consulté le 21 octobre 2012. URL : http://rfsic.revues.org/121
Miège, Bernard, (contribution de), 2009, en collaboration avec Philippe Bouquillion & Pierre Moeglin, L’industrialisation des biens symboliques- les industries créatives en regard des industries culturelles, Grenoble : PUG, collection Communication, Médias et Sociétés, mai 2013, 193 pages.
Publications complémentaires :
Miège, Bernard, 2011, « Un regard attentif sur les usages et les manières de consommer les produits culturels », in Diversité et industries culturelles, Philippe Bouquillion et Yolande Combès (dir.), Paris : L’Harmattan, collection Questions contemporaines/ Les industries de la culture et de la communication, pp. 275-278.
Miège, Bernard et Vinck, Dominique, 2012, « Introduction- Questionner l’évidence des discours sur la convergence », in Les masques de la convergence- Enquêtes sur sciences, industries et aménagements, Paris : éditions des archives contemporaines », pp. 1-22, ainsi que la co-direction de l’ouvrage précité, résultant d’un travail collaboratif Gresec- Pacte durant 4 années (23 co-auteurs, 396 pages).
Perticoz, Lucien, 2012, « Les industries culturelles en mutation : des modèles en question », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 1 | 2012, consulté le 21 octobre 2012. URL : http://rfsic.revues.org/80
Perticoz, Lucien, et Matthews, Jacob. T., 2012, (dir.), L’industrie musicale à l’aube du XXIe siècle - Approches critiques, Paris : L’Harmattan.
Schmitt, Laurie, 2013, Quand les médias utilisent les photographies des amateurs, Bordeaux : Le Bord de l’eau.
Lafon, Benoit, 2012, Histoire de la télévision régionale ; de la RTF à la 3, 1950-2012, Bry-sur-Marne : INA Éditions.