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Isabelle Pailliart, Sylvie Bardou-Boisnier et Jean Philippe De Oliveira

Communication publique et construction publique des questions sociétales

Article

Texte intégral

1Les travaux menés au sein de cette action de recherche ont été placés sous le signe d’une recherche1 finalisée consacrée à la politique publique d’information portant sur « le façonnement d’une ville nouvelle, à partir des politiques et des situations d’information » en 1978. C’est à cette occasion que l’expression « communication publique » a été proposée, elle est présentée par les auteurs du rapport de recherche comme « directement au service de l’État », celui-ci recouvre l’ensemble de ses composantes : services administratifs, administrations centrales, entreprises nationales, agences, régies et même certaines associations « remplissant des tâches de service public ». Il s’agissait, pour les trois chercheurs du Gresec, Jean-Louis Alibert, Yves de la Haye, Bernard Miège, d’étudier la politique publique d’information à l’occasion de grandes opérations d’aménagement urbain en prenant le cas particulier de la création d’une ville nouvelle, l’Isle d’Abeau dans l’Isère. Les auteurs élargissent cependant leurs réflexions : ce n’est pas seulement la politique publique d’information qui est traitée mais un ensemble plus large, la « communication publique ». Son émergence ne correspond pas à un effet de mode car elle vise trois objectifs qui correspondent à l’évolution de l’État (p. 42) :

  • « l’organisation du processus de légitimation par lequel l’État met en visibilité sociale ses décisions et maintient la fiction d’une concertation et d’une consultation populaire »,

  • « la gestion de nouvelles contradictions » (« par exemple entre l’extension marchande du secteur des loisirs et la défense de l’environnement »),

  • « une des façons de gérer la crise, c’est-à-dire les contrecoups toujours à redouter ».

2L’étude propose également une démarche spécifique : les auteurs se distinguent en effet du paradigme dominant de l’époque « émetteur-message-récepteur », ils sont moins préoccupés « de la production d’information et de ses effets que de la façon dont peu à peu s’est mise en place une véritable méthodologie de la production d’informations » (p. 200) c’est-à-dire les relations de l’État avec les agences de communication ou de publicité et avec les médias locaux ou nationaux… Les trois objectifs de la communication de l’État, en émergence à la fin des années 70, se sont renforcés progressivement et demeurent encore aujourd’hui présents. Cependant la communication publique se complexifie comme le donnent à penser ses différentes manifestations : développement de la participation et réactivation de la notion de démocratisation (enquêtes publiques, commission nationale, ou autres instances…), diffusion accélérée des données publiques, accompagnement de la « modernisation » administrative, campagnes publiques de prévention ou « d’éducation » sans oublier les activités plus traditionnelles vis-à-vis des acteurs politiques ou de la valorisation des politiques publiques (sectorielles, nationales ou territoriales). Elle se complexifie également par les types d’acteurs qui interviennent : (augmentation du nombre d’agences et de structures publiques ou parapubliques, professionnalisation renforcée, associations ou entreprises prenant en charge certaines formes d’action publique, relations étroites avec le secteur des médias) et par les domaines abordés (développement durable, risques, patrimoine, bioéthique…).

3Dans ce cadre, le Gresec a analysé la communication de l’État et de ses services à travers plusieurs champs sociaux (la santé, la sécurité routière par exemple). Les résultats ont mis en évidence : la localisation de l’action de l’État et l’utilisation de campagnes de « proximité » pour déployer son autorité dans les territoires, l’encadrement par celui-ci des actions locales (gestion de la temporalité des activités, cloisonnement des structures et des services), et l’individualisation recherchée des pratiques de prévention. La communication publique s’inscrit dans une stratégie d’affirmation de l’État : qui se démultiplie (chantier présidentiel, personnalisation du thème, intervention des ministres) dans les territoires, qui favorise les empilements des structures et les partenariats pour imposer une coordination unique et qui assoit toute intervention sur les références régaliennes, devenues indiscutables.

4La mise à disposition de données publiques que mettent en œuvre les services de l’État ou les pouvoirs locaux et la diffusion d’enquêtes (par exemple sur la sexualité des Français2) manifestent des objectifs portant autant sur la normalisation des comportements individuels au sein de la sphère privée comme cela est observé dans le domaine de la prévention médicale que sur les formes de domination et de réassurance de l’État. Elles soulignent également la place que prend la communication publique dans le « hors-média » et plus généralement sa participation au procès d’informationnalisation « un procès qui se caractérise par la circulation croissante et accélérée des flux d’information, autant dans la sphère privative, dans celle du travail que dans l’espace public. L’élargissement effectivement constatable de l’offre de d’information se traduit notamment par l’extension de l’information diffusée, publiée et pas nécessairement éditée, par la publicisation de connaissances et de données privées antérieurement non accessibles3 ».

5Si la communication publique s’inscrit bien dans le mouvement des « relations publiques généralisées » que d’autres organisations connaissent, elle se caractérise par des spécificités : renforcement du processus de légitimation, gestion des contradictions entre extension marchande (et ses acteurs) et actions publiques, production de consensus (à travers des modes de consultation et d’intégration des individus dans des dispositifs), médiatisation accentuée. Mais aussi par des contradictions : affirmation d’une rationalité (expertises, données) qui donne l’impression d’une « a-politisation » trompeuse, construction d’une « citoyenneté » détachée de toute caractéristique sociale ou genrée, transparence de plus en plus soumise à une multiplication de médiations.

Bibliographie

Bardou Boisnier, Sylvie et Pailliart, Isabelle, (coord.) 2012, dossier : Information publique : stratégies de production, dispositifs de diffusion et usages sociaux, Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n° 13/2, 2012, consulté le 10 mai 2015, URL: http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/pageshtml/art2012.html#dossier

Charoud, Marie., 2012, « Acteurs et enjeux de la publicisation de la maladie d’Alzheimer », in Communication, vol. 30, 1.

Lafon, Benoît, Oliveira (de), Jean-Philippe, 2012, « Le cancer et la maladie d’Alzheimer, des chantiers présidentiels. De la gestion moderne des maladies aux stratégies communicationnelles des présidents Chirac et Sarkozy », in Communication, vol. 30, 1.

De Oliveira, Jean-Philippe, 2012, « Quand l’État s’intéresse à la sexualité des Français : le développement d’une information publique à l’appui des stratégies de communication liées à la prévention du SIDA », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n° 13/2, 2012, p. 39-46, consulté le 10 mai 2015, URL : http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/pageshtml/art2012.html#dossier.

Miège, Bernard, 2015, Contribution aux avancées de la connaissance en Information – communication, Ina Editions.

Notes

1 Alibert J-L., de la Haye Y., Miège B., Production de la ville et aménagement du discours. Les débuts de la Communication publique à travers le cas de l’Isle d’Abeau (1968-1978), Éditions du CNTS, 1982.

2 De Oliveira J.-P., «Quand l’Etat s’intéresse à la sexualité des Français : le développement d’une information publique à l’appui des stratégies de communication liées à la prévention du SIDA», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n° 13/2, 2012, p. 39-46, consulté le 10 mai 2015, URL : http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/pageshtml/art2012.html#dossier.

3 Miège B., Contribution aux avancées de la connaissance en Information – communication, Ina Editions, 2015, p. 52.

Pour citer ce document

Isabelle Pailliart, Sylvie Bardou-Boisnier et Jean Philippe De Oliveira, «Communication publique et construction publique des questions sociétales», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 11-Varia, DOSSIER, > Axe 2,mis à jour le : 17/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=520.