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Adrian Staii et Dominique Cartellier

Ancrage social des TIC
AXE 3

Éditorial

Ce texte reprend le bilan effectué par Adrian Staii responsable de cet axe jusqu’en septembre 2014.

1Les travaux de cet axe portent sur la technicisation des pratiques d’information et de communication dans les sociétés contemporaines. Ils visent à articuler l’ordre de la technique aux différentes formes de médiations sociales culturelles et politiques, dans des domaines très variés dont l’enseignement et la formation, la santé, les loisirs et le divertissement grand public, la diffusion des savoirs, la culture, l’urbain et les territoires, les organisations diverses.

2Les travaux empiriques de l’axe ont abordé ces questions sous trois angles complémentaires1 : la formation des écritures numériques émergentes sur divers outils (ordinateur, tablette, téléphone portable) ; les stratégies et modalités d’appropriation des Tic dans différents contextes (forums de discussion professionnels, dispositifs éducatifs multimédias, forums de santé) ; la migration, l’hybridation et la diffusion des pratiques communicationnelles entre organisations (entreprises, collectivités, structures de santé, etc.).

Les écritures émergentes des objets communicationnels

3Ce programme a interrogé de manière critique les écritures numériques dans une approche communicationnelle qui va de la pratique des objets, de la conception des interfaces à l’injonction de leurs usages (voir encadré Écritures numériques et pratiques sociales des espaces ; formes, représentations et rapports aux espaces collectifs et personnels). L’objectif scientifique a été de (re)mettre en perspective la critique de l’innovation en lui confrontant le concept de rénovation. La mobilisation de ce concept a permis de rendre compte de la manière dont les pratiques des acteurs et les discours d’escorte des objets communicationnels redessinent les écritures en rénovant leurs procès sociaux.

4Des investigations qualitatives ont été déployées sur une pluralité d’objets (blogs, sites web, téléphones portables, tablettes numériques, etc.), dont les processus de productions mais également les modalités concrètes d’appropriation ont été questionnés. Les résultats ont permis de valider l’hypothèse initiale qui envisageait l’émergence de phénomènes nouveaux à l’intérieur de l’existant, l’observation de pratiques anciennes profondément enracinées à partir desquelles de l’inattendu peut se produire. L’apport central d’une recherche portant sur les écritures (processus de production des images, stratégies des acteurs et du marché, etc.) à une théorie de la rénovation a été ainsi mis en évidence. Au terme de ce programme, « les écritures émergentes » se sont vues requalifiées en « réécritures », car les objets étudiés sont traversés de représentations qui réactivent des enjeux sociaux, politiques et culturels plus anciens.

Stratégies et modalités d’appropriation des Tic

5Les recherches conduites dans le cadre de ce programme ont visé à caractériser le développement accéléré des techniques numériques et leur diffusion massive dans diverses sphères de la vie. L’objectif scientifique du programme a été de relier l’analyse des modalités d’appropriation des Tic dans des situations et des contextes particuliers (université, entreprise, espace public, etc.) à l’analyse des conditions structurantes qui encadrent leur développement social dans la durée (logiques sociales, transformations des pratiques et des normes sociales, etc.). La question centrale qui a traversé les différents terrains explorés (dispositifs éducatifs multimédia, forums de discussion professionnels, forums de santé, etc.), a été celle de l’articulation des échelles d’observation différentes et la théorisation des modalités d’imbrication des phénomènes micro, méso et macrosociaux.

6Les résultats des activités et des travaux réalisés dans le cadre de ce programme confirment l’intérêt d’une approche critique dans les études d’usages et de réception des techniques. Cette approche peut s’appuyer sur la mise à distance des discours qui accompagnent le développement des techniques, sur la prise en compte des incidences du cadre de production des techniques sur les usages et les actions des individus ou sur l’analyse de l’ancrage des usages dans les pratiques organisationnelles, culturelles et sociales des usagers.

Migration, hybridation, diffusion des pratiques communicationnelles entre organisations

7Ce programme s’inscrit dans le champ de la communication organisationnelle et pose la question de la prédominance des modèles issus du marketing dans les pratiques communicationnelles des organisations (voir encadré Entre marketing et communication : diffusion des modèles, hybridation des pratiques ?). Une logique de communication commerciale et gestionnaire irrigue de nombreuses structures organisationnelles. Au-delà des techniques employées, les modèles de structuration de l’action et de l’organisation sont convoqués dans les discours des professionnels.

8Les travaux menés nourrissent la réflexion sur la diffusion, la migration ou l’hybridation de modèles d’action dans la représentation des pratiques auxquelles ils donnent lieu. L’hybridation caractérise différents états qui résultent de processus transitoires d’emprunt ou d’échange voire de négociation entre les univers socioprofessionnels du marketing et de la communication. Ce concept d’hybridation (par rapport aux simples transferts) a permis de rendre compte du caractère croisé des emprunts et de l’inter-influence entre ces champs. Ces hybridations sont observables dans les pratiques professionnelles : les écritures, les techniques, les fonctions ou métiers, les formes d’évaluation. Elles engendrent de nouvelles régulations organisationnelles, terminologiques et procédurales.

Avancées scientifiques

9Les bilans croisés des trois programmes mettent en évidence des avancées scientifiques au niveau du positionnement épistémologique et des savoirs produits.

Appréhender les dispositifs communicationnels

10Les travaux réalisés confirment la pertinence d’une approche globale des situations de communication envisagées en tant que dispositifs. Un dispositif communicationnel est une articulation de techniques, de contenus mis en forme et d’usages. Il s’inscrit dans un contexte organisationnel, social et culturel particulier avec lequel il entretient un rapport structurant/structuré.

11La recherche doit donc envisager la prise en compte de la pluralité des dimensions et des facettes des dispositifs : supports techniques, écritures, contenus, usages et pratiques, etc. Elle doit interroger le rôle de « passeur » des outils qui favorisent la circulation et le mélange de signes et de contenus, de formes et de normes venant d’horizons variés.

12L’approche morphogénétique, liée à la diversité de cet héritage, permet de rendre compte des interdépendances entre les conditions de production et les conditions de réception des dispositifs. Elle permet également de faire ressortir leur inscription dans l’ordre social (infrastructures sociotechniques, stratégies industrielles, logiques marchandes, logiques sociales, etc.).

13Deux contributions transversales majeures se dégagent, au-delà des résultats spécifiques relatifs aux domaines particuliers dans lesquels ont été menés ces travaux : d’une part, la mise en évidence de tendances de normalisation fortes et d’autre part, la caractérisation des logiques sociohistoriques de développement des Tic.

Le déploiement de tendances normalisantes

14Une tension de plus en plus forte entre la diversification des formes de communication médiatisée et le déploiement de facteurs normalisants est ainsi mise en évidence. Cette tension est visible dans les organisations diverses où la multiplication des dispositifs de communication internes et externes (intranets, messageries électroniques, forums et réseaux sociaux, etc.) brouille les circuits et favorise a priori de nouvelles formes de communication. Cette diversité et le potentiel libertaire de ces outils sont contrebalancés par la généralisation de normes de communication issues du marketing et de la communication commerciale qui ont tendance à construire un modèle unifié s’imposant à l’ensemble des communications professionnelles.

15Cette tension apparaît également dans le domaine des écritures et de la production des contenus où la diversité des acteurs, des outils disponibles et des contextes semble favoriser a priori l’émergence de formes originales. Mais, cette originalité est fortement encadrée et orientée par la généralisation des dispositifs de production/reproduction industrielle des signes et des contenus, ainsi que par la diffusion large des formats de la communication publicitaire qui imprègne désormais les pratiques les plus diverses.

16Cette tension accompagne partout la médiatisation de la communication. Les facteurs normalisants à l’œuvre sont d’autant plus puissants que leurs nature et origine sont diverses (logiques sociotechniques, stratégies industrielles, logiques marchandes, etc.). Mais leur action est convergente en ce qu’ils contribuent à asseoir l’idée que la communication est un processus qui peut être ordonné, contrôlé, standardisé. L’image de la « communication efficace », forgée dès l’invention de la communication moderne, se retrouve ainsi prolongée et renforcée par l’action des normalisations actuelles, bien au-delà du champ des médias traditionnels. Elle imprègne désormais l’ensemble des communications sociales médiatisées. Les Tic portent ce processus en raison de leurs capacités d’automatisation et de leur facilité à opérer des transferts grâce au maillage qu’elles tissent avec des techniques similaires.

Les logiques sociales de la communication à l’œuvre

17La seconde avancée transversale est la caractérisation des logiques sociohistoriques de développement des Tic. La progression des Tic s’articule notamment à sept procès d’ampleur qualifiés de logiques sociales de la communication : l’informationnalisation et la médiatisation de la communication, l’élargissement du domaine médiatique, la marchandisation des activités communicationnelles, la généralisation des relations publiques, la différenciation des pratiques, la circulation des flux et la transnationalisation des activités. Ces logiques sociales qui affectent depuis plusieurs décennies les activités et les secteurs informationnels et communicationnels s’inscrivent dans le contexte des transformations sociohistoriques des sociétés développées (autonomisation sociale, refondation du capitalisme contemporain, idéologies technicistes). Les processus identifiés opèrent à des échelles temporelles et sociales plus larges que les Tic et, à ce titre, ils préparent et facilitent leur émergence et leur diffusion. En contrepartie, les techniques numériques contribuent à les renforcer et à élargir leur sphère d’action grâce à leurs capacités d’infiltration dans l’ensemble des activités sociales.

Perspectives scientifiques

18Les orientations des recherches au sein de cet axe, visent à approfondir la compréhension des modalités d’ancrage social des techniques en information-communication en considérant qu’elles accompagnent les changements au sein des organisations et les mutations que connaissent les pratiques socioprofessionnelles, informationnelles, culturelles ou communicationnelles. De plus en plus, les nouveaux outils de communication nécessitent la formation de compétences info-communicationnelles et induisent la généralisation de normes d’action dans les organisations et plus globalement dans les différentes strates de la société. La multiplication des échanges au sein des supports numériques, la sollicitation constante des publics ou la mise en place de groupes de discussion ne se substituent pas à des pratiques plus traditionnelles d’information et de communication. Loin de la nouveauté et de la liberté promues, se constituent des formes subtiles d’intégration des individus ou des collectifs, dans des logiques de rationalisation.

19Les travaux sur la technicisation des pratiques d’information-communication dans les sociétés contemporaines vont être poursuivis dans deux actions de recherche : « Les écrits d’écran : des modalités spatiales des formes » et « Émotions, communications et organisations : les ‘mœurs’ organisationnelles contemporaines ». Elles ont pour objectif d’étudier les modalités concrètes d’appropriation des dispositifs techniques numériques dans des espaces sociaux pluriels (culturels, artistiques, savants, organisationnels) et dans des espaces socio-professionnels. Elles porteront sur les corrélations entre ces modalités d’appropriation et le développement de pratiques sociales, de manières d’être et de faire, pour certaines en cours d’institutionnalisation, mobilisant la sensibilité, les émotions, l’expérientiel ou favorisant l’apparition de réseaux professionnels et d’acteurs porteurs de nouvelles compétences.

Notes

1 Ils ont donné lieu à différents types d’actions : workshops, journées d’études, directions d’ouvrages et de numéros de revue, recherches financées, réponses non financées à des appels à projets.

Pour citer ce document

Adrian Staii et Dominique Cartellier, «Ancrage social des TIC», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 11-Varia, DOSSIER, > Axe 3,mis à jour le : 17/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=524.