CARTE BLANCHE AUX JEUNES CHERCHEURS
Construction d’un savoir sur la communication : vers l’adoption d’une posture d’ethnologue-amateur
Table des matières
Texte intégral
1Actuellement en quatrième année de doctorat au CELSA, sous la direction d’Yves Jeanneret, et amorçant la phase finale de rédaction, je profite de cet article pour présenter mes travaux qui témoignent d’une conception particulière de la communication. Cette thèse vise à enrichir les travaux sur la communication médiatisée. Dans cette perspective, sont questionnés par une approche communicationnelle, les processus réflexifs engagés lorsqu’un sujet utilise un dispositif médiatisé informatisé qui nécessité des interactions entre les usagers. Le sujet adopte une posture particulière – que je qualifie de posture d’ethnologue-amateur – quant à la manière de communiquer, de se définir et d’évoluer dans son rapport aux autres et au média, générant ainsi un savoir particulier sur la communication. Cette recherche offre également l’opportunité de proposer une méthodologie pour l’analyse des situations de communication médiatisée. Afin de faciliter la compréhension de mes travaux, je présente dans un premier temps la thématique de mon sujet de thèse, revenant sur la naissance du questionnement, la problématique, les hypothèses et la méthodologie. Dans un second temps, j’expose les deux processus réflexifs à l’œuvre dans les activités médiatisées. Dans un dernier temps, j’aborde le lien entre la construction d’un savoir sur la communication et le développement d’une posture d’ethnologue-amateur, dont je détaille les principales caractéristiques.
Processus réflexifs engagés dans les échanges en ligne et leur impact sur la communication
2Le questionnement sur la communication médiatisée a été amorcé par une expérience survenue avant mon entrée en master, via le dispositif de jeu World of Warcraft où ma pratique en tant que joueuse était soutenue. Par conséquent, je fus amenée à côtoyer des joueurs quotidiennement, par le biais d’échanges par écrit via le canal du jeu et vocalement avec le logiciel Skype. Ces deux modalités de communication articulées à la quotidienneté favorisèrent le rapprochement entre ces rapports et ceux que je pouvais avoir lors de loisirs pratiqués en face à face. Toutefois, une des relations développée avec une autre joueuse s’arrêta brutalement, se matérialisant par la disparition de son pseudonyme dans les différents dispositifs, me laissant dans l’incapacité de lui demander des explications. Le rapprochement illusoire entre la communication médiatisée et la communication en face à face m’apparut brutalement. Cette expérience orienta mon mémoire de master qui portait sur « la mise en scène identitaire du joueur dans les jeux de rôle en ligne : le cas de World of Warcraft ». Ce premier travail de recherche montra que les joueurs développaient une conception de la communication, des compétences, et faisaient preuve d’une certaine réflexivité à l’égard de leur pratique, adoptant une posture particulière que j’avais qualifiée en ouverture de mon travail de posture « d’ethnologue-amateur ».
3Cette expression est analysée dans ma thèse, dont la problématique est la suivante : en quoi la réflexivité communicationnelle induite par les échanges en ligne conduit-elle à la production d’un savoir particulier sur la communication ? J’étudie les processus engagés lors d’une situation de communication médiatisée et je mets en évidence les rapports avec des situations en face-à-face. J’ai avancé trois hypothèses. La première questionne les processus réflexifs des sujets. J’envisage que l’internaute, en évoluant dans de nouveaux cadres communicationnels offerts par ces dispositifs et confronté à d’autres internautes qui se mettent en scène et communiquent, modifie sa vision du monde, de la sociabilité et de sa propre identité publique. Par extension je questionne l’élaboration du savoir qui est lié à l’adoption progressive au cours de la pratique par le sujet d’une posture d’ethnologue-amateur, ce qui amène ma deuxième hypothèse : il y aurait une co-élaboration d’une culture partagée quant à la façon d’agir dans les interactions médiatisées, mais également sur la communication en général (en se basant sur une confrontation des relations en ligne versus relations en face-à-face), ou du moins d’une certaine inter-opératibilité des savoir-faire développés dans les interactions médiatisées. Ma dernière hypothèse porte sur la communication médiatisée et sur sa représentation, au regard de la communication en face-à-face. La représentation, la projection et l’anticipation de relations interpersonnelles non médiatisées sont des représentations à travers lesquelles la communication dans le média est vécue et interprétée. Comme le montre l’expérience personnelle évoquée en amont, une pensée imaginaire de la rencontre est en jeu dans l’interaction médiatisée. Il s’agit alors de comprendre comment les sujets sociaux pensent le média : l’expérience vécue est-elle considérée comme une rencontre directe, fantasmée ou confondue avec celui-ci ?
4Pour analyser les processus communicationnels médiatisés, j’ai mobilisé un ensemble méthodologique appelé ethnosémiotique1 qui articule une analyse sémiopragmatique des dispositifs à une analyse interactionnelle de terrain, se composant d’une phase d’observation participante sur une période d’un an et des entretiens menés en auto-confrontation. Cette méthodologie a été appliquée à deux types de terrains : le jeu vidéo en ligne multijoueur League of Legends, où deux équipes de joueurs s’affrontent par l’intermédiaire de personnages pour détruire le camp adverse et le site de discussion en ligne féminin confidentielles.com, où des femmes peuvent discuter entre elles via une panoplie d’outils. Si le jeu est le terrain qui a constitué une première source de questionnement, je considère que la question posée dans ce travail pourrait s’appliquer à l’ensemble des situations médiatisées informatisées qui mettent en relation des sujets. Pour cette recherche portant sur des pratiques volontaires, je postule que les sujets tentent de vivre au mieux leur expérience de pratique, et essayent de ne pas s’exposer à trop de contraintes.
Déconstruction de la réflexivité communicationnelle induite par les échanges en ligne
5J’analyse la réflexivité communicationnelle2 induite par les échanges médiatisés. Constatant que les modalités d’échange diffèrent d’une situation en face-à-face, les sujets sont amenés à réfléchir à leur manière de communiquer, de se mettre en scène dans ces espaces se matérialisant à l’écran. C’est au cours de ces processus réflexifs qu’ils développent un savoir quant aux actes communicationnels, amenant à l’adoption de la posture d’ethnologue-amateur. Deux niveaux de réflexivité vont être présentés successivement. Le premier permet de définir la situation de communication médiatisée, par la dénaturalisation de l’habituelle situation de communication en face-à-face à travers une mise en évidence des processus communicationnels en vigueur. Le second niveau porte sur la mise en jeu de ces processus, qui sont mobilisés afin de permettre au sujet de mener favorablement sa séquence de vie médiatisée.
Un premier niveau de réflexivité pour déterminer les possibilités d’actions et d’échanges
6Le premier processus réflexif vise à appréhender la situation et les possibilités d’actions au regard d’expériences passées. Le sujet apprend tout d’abord à définir la situation de communication dans laquelle il s’engage volontairement. Il détermine le cadre primaire de l’activité (Goffman, 1991, 19) dès sa première confrontation au dispositif, grâce à des éléments sémiotisés à l’écran et aux différents discours des sociétés conceptrices comportant une « ostention d’une intention communicationnelle lisible » (Jeanneret, 2008, 167), c’est-à-dire une intention de communication et une représentation de ce que doit être la communication dans le cadre de l’activité proposée. Ainsi, League of Legends offre un cadre de performance ludique collaborative alors que confidentielles.com propose un cadre de discussions en ligne et d’information-consommation thématiques. La société conceptrice via le discours d’escorte, le cadre de l’activité et les règles exposées propose un rôle que le sujet peut endosser ou s’en éloigner, prenant le risque de passer pour un déviant. Il prend ensuite conscience des architextes qui « organisent les conditions même de la communication » (Bonaccorsi, dans Barats, 2013, 134) mettant en scène les espaces d’énonciation à l’image de la conversation (Patrin-Leclaire, 2011, 16), recréant une sensation de présence propice à l’instauration d’un échange grâce à une « structure à quatre termes […] susceptible de décrire la relation entre les entités », appelée « matrice relationnelle » (Fournout, 2012, 24). Dans la pratique, le sujet s’inscrit d’une manière particulière, orienté par le rôle choisi et laisse des traces3 dans le dispositif qui constituent son éthos médiatisé. J’estime que l’éthos se constitue et s’enrichit à chaque interaction (Amossy, 2010, 6). Pour plus de facilité, je le décompose en facettes : préalable, discursive, comportementale et technique, dont la recomposition permet aux interlocuteurs de savoir comment aborder les éventuelles interactions. L’enjeu devient alors pour chaque participant de se construire un éthos favorable à l’amorce d’une interaction.
7Ce processus réflexif est lié aux caractéristiques spatiales et temporelles des situations de communication médiatisée. À partir d’une application des notions de régions antérieure et postérieure développées par Goffman (1973, 105), je montre que le corps d’un sujet s’ancre du côté extérieur de l’écran tout en agissant sur le dispositif. Cette particularité place le sujet dans une situation où des scènes d’interaction se superposent, ce que je nomme « état de polytopie synchronique » : l’interaction médiatisée, à laquelle peuvent s’ajouter des sollicitations extérieures en face à face ou d’autres situations médiatisées. Le rôle attendu peut alors être difficile à maintenir, compte tenu de l’ancrage du corps du sujet dans le lieu de pratique, impliquant aussi la tenue du rôle quotidien. Je réalise également un parallèle entre la séquence de vie médiatisée du sujet amorcée dès les premiers pas de la pratique, et la séquence de vie quotidienne amorcée à la naissance dans lesquelles évolue chaque sujet au cours de la même temporalité. J’avance l’idée que chacun se soumet à une phase d’apprentissage pour évoluer dans le dispositif médiatisé, à l’image de celle à laquelle se soumet le jeune enfant pour gérer les interactions en face-à-face. L’état de polytopie synchronique a un impact sur le comportement des sujets, provoquant chez eux, un engagement limité dans l’activité, pouvant introduire des doutes quant au maintien de l’échange.
8Ce processus réflexif se retrouve enfin lorsque le sujet se confronte au dispositif, fond commun dans lequel les usagers se confrontent aux mêmes outils et vivent en idiorythmie. Ce vivre ensemble est très prisé par les institutions qui mobilisent un imaginaire social autour de la notion de communauté, instituant des liens entre les usagers, les impliquant dans des règles de vie collectives. Cet aspect communautaire est perçu par les usagers, sans qu’ils s’y sentent intégrés. Ils remarquent qu’utiliser un dispositif ne suffit pas pour devenir un membre reconnu du groupe. Il faut acquérir une visibilité par son inscription où le dispositif hypertextualise ses traces, les convertissant en signes dits « passeurs ». L’aspect médiatique n’exclut pas l’expression des émotions qu’il faut apprendre à gérer. Même si le corps n’est pas visible, des distances sont réintroduites à travers une proximité symbolique, faisant ainsi de la séquence de vie médiatisée le lieu d’expression d’émotions intensifiées, propice à l’extimité (Tisseron, 2001, 52-53).
Un deuxième niveau de réflexivité permettant une intégration prolongée
9Un deuxième niveau de réflexivité s’établit ensuite lorsque le sujet poursuit sa pratique, et développe des interactions avec d’autres, cherchant une intégration au groupe, opération indispensable pour évoluer dans la pratique. Tout d’abord, le sujet apprend à se mettre en scène dans le dispositif afin de gérer son éthos qui s’élabore sur l’écran, reposant sur les traces formatées par le dispositif générant ainsi la facette préalable (pseudonyme, profil, image) qui donnera à tout potentiel interlocuteur des informations avant l’échange. L’éthos du sujet comporte une dimension discursive où des informations sur son identité sociale et son quotidien se trouvent dans la forme et le contenu de ses propos. Un éthos technique du sujet s’élabore à son insu, à travers des traces de la défaillance du matériel ou bien dans la gestion de la relation corps-machine, ce qui aura un impact sur ses échanges, conditionnant l’image que les autres vont se faire de lui.
10L’éthos du sujet évolue par l’adoption d’une succession de comportements permettant de gérer ses interactions, en faisant preuve d’égocentrisme afin de satisfaire ses intérêts et de sociocentrisme, ce qui est attendu par les autres. La participation aux activités médiatisées étudiées implique que le sujet s’engage dans des interactions et cherche à les stabiliser, afin d’éviter le processus de re-présentation, ce qui permet sur confidentielles.com d’approfondir une relation sans devoir revenir sur les informations de contextualisation et sur League of Legends de tisser un lien avec d’autres joueurs pour s’entraîner régulièrement ensemble. Si l’éthos de chacun s’avère satisfaisant, l’interaction sera réitérée. Des techniques sont ensuite appliquées afin de stabiliser la relation, comme la multiplication des interactions pour préserver l’aspect phatique de la relation. J’ai noté que pour conserver la cohésion du groupe l’institution ne s’impliquait pas directement mais déploie des stratégies pour inciter les membres à s’engager dans un phénomène d’autogestion.
11Enfin, la pratique permet d’acquérir des compétences et des connaissances, que le sujet peut souhaiter partager. Pour cela, il doit être reconnu comme partenaire de l’échange ce qui n’est pas inné. On pourrait penser que le dispositif met sur un pied d’égalité les usagers, or, des différences s’imposent, liées à l’âge, au genre ou à un handicap. Une fois reconnu comme partenaire, le sujet doit encore se montrer légitime à partager son savoir, en se plaçant comme ayant une certaine expertise. Pour que les autres soient réceptifs, il doit témoigner de son savoir. Dans les deux terrains étudiés, le sujet se confronte à des figures d’experts avec lesquelles il faut composer pour pouvoir rester légitime à partager son savoir, c’est le cas des internautes désignées comme ayant une expertise dans un domaine sur confidentielles.com ou des joueurs professionnels sur League of Legends.
Vers une posture d’ethnologue-amateur et la construction d’un savoir
12Les processus réflexifs conduisent les sujets à acquérir un ensemble de savoirs sur la communication médiatisée, en adoptant une posture où une attention particulière est prêtée au décryptage des signes, guidé par le désir d’interpréter les phénomènes qui se présentent. Cette posture que je nomme posture d’ethnologue-amateur, favorise leur intégration dans le groupe, et les incite aux cours des échanges médiatisés à comprendre l’altérité pour mieux se comprendre eux-mêmes. Cette qualification est un construit qui relève de mon interprétation de ce que peut être un ethnologue d’une part et un amateur d’autre part. Je me permets d’associer ces deux termes pour produire une métaphore permettant de décrire l’état dans lequel aboutissent les usagers à force de pratique. En effet, cette posture n’est pas innée, elle se développe, se perfectionne et s’affirme avec la pratique du dispositif. Les usagers ne me semblent pas tous égaux devant l’adoption de cette posture : certains finiront par l’endosser totalement alors que certains ne feront que l’effleurer. Je déconstruis cette notion, puis présente son impact sur la vision de la communication et son évolution une fois qu’un sujet met fin à sa séquence de vie médiatisée sur un dispositif.
Déconstruction de la notion de l’ethnologue-amateur
13La notion s’appuie sur ma représentation de ce que peut être un ethnologue. En effet, à son image, les sujets ont un esprit d’exploration, cherchent à comprendre un groupe qui ne leur est pas familier pour mieux se comprendre eux-mêmes. Par la pratique, ils font un aller-retour entre deux mondes qui ne sont pas distants géographiquement mais symboliquement : le monde de la communication médiatisée et celui de la communication en face à face. Ainsi, la pratique se fait sur un temps long mais entrecoupée du quotidien, ce qui rend plus difficile l’appropriation mais plus prégnante la comparaison car on ne peut s’isoler dans ce monde de manière prolongée. L’immersion dans un dispositif médiatisé équivaut à un voyage, un chemin vers l’Autre, pour mieux se comprendre, tout en ayant l’enjeu d’expérimenter les lieux où l’on va, de s’approprier ce que l’on fait pour se construire. Le voyage ici est symbolique, projetant l’usager dans un lieu que l’on pourrait qualifier d’ailleurs, avec des codes propres, des gens différents, tout en sachant qu’il ne quitte pas son lieu de connexion. Le sujet a un double rôle à l’image de l’ethnologue, qui s’immerge dans ce monde et doit essayer de minimiser son rôle de chercheur pour mieux s’imprégner de l’univers dans lequel il évolue.
14La notion s’appuie aussi sur le terme d’amateur, qui permet de prendre de la distance avec ce qu’est un véritable ethnologue. Le savoir construit n’est pas un savoir d’expert mais relève du savoir ordinaire. Les sujets ont conscience de développer un savoir sans pour autant avoir des compétences théoriques pour l’analyser. Cela peut justifier un rapport différent aux objets et aux preuves (matériaux important pour l’ethnologue). J’ai constaté que les sujets conservaient des preuves de leur expérience notamment par le biais de copie d’écran, certains notant même des anecdotes dans un cahier afin de pouvoir les raconter ensuite à leur entourage. Cependant, ces preuves ne sont pas aussi exhaustives que celles de l’ethnologue, et restent souvent à l’état numérique. Il se trouve aussi que le sujet n’a pas les mêmes considérations éthiques qu’un chercheur, ce qui le conduit à accéder avec plus de facilités à un panel varié de comportements, en provoquant parfois volontairement des situations. J’ai rencontré des personnes qui n’étaient pas de véritables déviants mais qui jouaient à l’être sur un laps de temps assez court afin de voir les comportements provoqués en retour chez leurs interlocuteurs.
Évolution de la posture d’ethnologue-amateur et de la représentation de la communication
15Suite à la construction d’un savoir sur la communication médiatisée qui s’articule à l’adoption progressive de la posture d’ethnologue-amateur, j’ai constaté un désir de partager les savoirs acquis par la pratique. Ce partage se fait à travers des discussions et une mise en commun avec les autres, et aboutit à la construction d’une culture partagée. Celle-ci est facilitée par le fait que chacun adopte plus ou moins la posture d’ethnologue-amateur et acquiert donc des savoirs. À l’image de la célèbre formule de Watzlawick « on ne peut pas ne pas communiquer », j’avance l’idée que « on ne peut pas ne pas être théoricien de la communication ». Ainsi c’est par la pratique que se construisent des savoirs participant à la représentation de ce qu’est une situation de communication médiatisée. Cette dernière devient un espace de possibilités, d’expérimentations, que les sujets définissent comme se différenciant de la communication en face-à-face. Ils ne font pas de confusion entre ces deux formes, et font même fonctionner les échanges médiatisés comme un filtre sélectif avant la rencontre en face-à-face.
16Le développement de cette posture est motivé par une fascination du média et de l’activité. Elle cesse en même temps que la séquence de vie médiatisée quand les attentes du sujet ne sont plus satisfaites ou par manque de temps. La posture d’ethnologue-amateur ne disparaît pas totalement, et sera plus facilement atteinte dans un autre dispositif, l’usager bénéficiant des savoirs sur la communication acquis précédemment, son expérience ayant aiguisé son attention. C’est ce qui pousse les sujets à ne pas arrêter leurs expériences de la communication médiatisée. En effet, j’ai constaté qu’une fois leur pratique arrêtée, la plupart se dirigent alors vers d’autres dispositifs similaires, s’engageant ainsi dans un autre voyage médiatisé.
Conclusion
17Pour conclure, ce travail de thèse questionne le savoir sur la communication développé au cours de la pratique médiatisée grâce à des processus réflexifs décomposés en deux temps, le premier induisant un rapport au dispositif et le second un rapport dans le temps de la relation avec d’autres usagers. Le développement de ce savoir s’accompagne par l’adoption progressive de la posture d’ethnologue-amateur. L’originalité de cette recherche réside dans la construction du cadre théorique qui articule deux champs de recherche, celui de la communication médiatisée et celui de la communication en face-à-face, considérant qu’il n’y a pas de réelle innovation dans la pratique médiatisée, et que les manques d’informations liées à l’interaction par écran vont être palliées par des éléments sémiotisés à l’écran. Elle repose aussi sur la méthode d’analyse proposée, qui fait fonctionner en symbiose une analyse sémiopragmatique des dispositifs étudiés à une analyse interactionnelle de terrain permettant d’appréhender les processus sur plusieurs niveaux. Enfin, un dernier intérêt se trouve dans le fait que l’analyse menée sur League of Legends et confidentielles.com, grâce au cadre théorique et méthodologique, peut être transférable à un ensemble d’autres terrains, dans la mesure où ceux-ci impliquent une nécessaire mise en relation des sujets.
Bibliographie
AMOSSY Ruth, La présentation de soi – Ethos et identité verbale, Paris : Presses Universitaires de France, 2010.
BONACCORSI Julia, « Chapitre 6, Approches sémiologiques du web », dans Barats Christine (dir.), Manuel d’analyse du web, Paris : Armand Colin, 2013.
FOURNOUT Olivier, Théorie de la communication et éthique relationnelle, Cachan : Éditions Lavoisier, 2012, p. 24.
GOFFMAN Erving, La mise en scène de la vie quotidienne. Tome 1 : La présentation de soi. Paris : Les Éditions de Minuit, 1973.
GOFFMAN Erving, Les cadres de l’expérience, Paris : les Éditions de Minuit, 1991.
JEANNERET Yves, Penser la trivialité - volume 1 la vie triviale des êtres culturels, Paris : Lavoisier, 2008.
PATRIN-LECLERC Valérie, « Introduction », dans Patrin-Leclerc Valérie, « La communication revisitée par la conversation », Communication & Langages, n° 169, septembre 2011.
TISSERON Serge, L’intimité surexposée, Paris : Éditions Ramsay, 2001.
Notes
1 Le terme est emprunté à Le Marec Joëlle, Babou Igor, « Chapitre IV. De l’étude des usages à une théorie des “composites” », dans Souchier Emmanuel, Jeanneret Yves, Le Marec Joëlle (dir.), Lire, écrire, récrire, Paris : Bibliothèque publique d’information, 2003, p. 237. Je n’ai pas cherché à faire un ersatz des différents outils méthodologiques, mais plutôt à les faire véritablement fonctionner en symbiose.
2 J’ai notamment défini, à partir des travaux de Joëlle Le Marec dans Ce que le « terrain » fait aux concepts : Vers une théorie des composites, H. D. R : Cinéma, communication et information, sous la direction de Baudouin Jurdant, Université de Paris VII, 2002, la réflexivité communicationnelle comme un processus spontané et inconscient où les sujets mobilisent des savoirs sur la communication acquis précédemment et les modulent pour les réinvestir en tant que réalité structurante de la situation de communication.
3 Je retiens la définition de la trace donnée dans Jeanneret Yves, « Complexité de la notion de trace » dans Galinon-Mélénec Béatrice, L’homme trace – Perspectives anthropologiques des traces contemporaines, Paris : CNRS Éditions, 2011, p. 72.