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QUESTIONS DE RECHERCHE

Brigitte Chapelain

De l’incommunication à l’ébauche d’une transdisciplinarité : les relations entre les SIC et les Sciences de la Littérature

Article

Texte intégral

1Peut-on dire encore que la communication est une « nescience1 », ou un impensé de la littérature (Bouchardon, Deseilligny, 2010), alors que depuis les origines la littérature subsume la communication, que les deux utilisent certains concepts communs avec des approches différentes révélant la porosité des frontières et qu’enfin les technologies du numérique ont initié et reconfiguré certaines expressions et pratiques de la littérature, en donnant accès, grâce à des médiatisations nouvelles, à une vaste information dans le domaine et à de nouvelles sociabilités ?

Une vieille cohabitation implicite

2Il a toujours été admis que le texte littéraire interagissait avec le lecteur, que les modalités de lecture développaient des habitudes culturelles et des usages sociaux très diversifiés. La critique littéraire émerge dès le Moyen âge2 dans des ouvrages manuscrits et les premières formes de publicité 3 du littéraire apparaissent avec les premières revues imprimées. La reconnaissance d’une littérature médiatique, « forme spécifique et historiquement déterminée de la communication littéraire »4 faisant suite à la littérature prémédiatique, « fondée sur la dynamique de réseau et les connections interpersonnelles au sein d’un espace public restreint »,5 souligne les liens indissociables entre le texte, l’espace public et la pluralité des médiations.

3Traditionnellement la littérature elle-même génère et développe des processus de communication endogènes et exogènes.

4Le théâtre n’est-il pas un dispositif sollicitant des interactions entre les acteurs/personnages, les spectateurs, la scène et l’action dramatique ? La métaphore théâtrale a été d’ailleurs utilisée par Goffman pour décrire les règles des rites d’interaction sociale et de la représentation de soi. Le caractère pragmatique de la lettre, la structure communicationnelle et la double énonciation font du lecteur des romans épistolaires un partenaire des échanges que l’auteur met en scène entre les personnages.(Calas, 2007). L’adresse au lecteur, l’énonciation polyphonique et la structure souvent dialoguée deviennent des processus d’écriture recherchés par les auteurs du nouveau roman dans la lignée de tentatives que l’on retrouve déjà dans des œuvres comme Jacques le fataliste. Ces nouvelles modalités intègrent le personnage comme être de parole et incitent le lecteur/spectateur à s’investir pour arracher le mystère de celui-ci (Sarraute, 1956) dans une volonté de renouveler le roman, notamment le statut du personnage.

Le contexte scientifique des années soixante

5L’évolution des sciences humaines et sociales des années soixante offre au questionnement littéraire des ouvertures théoriques : l’évolution de la rhétorique inclut désormais non seulement le message littéraire, mais également les codes analysés dans le contexte sociétal qui les produit (Barthes, 1966) et la refonte de certaines problématiques comme celle de la structure communicante de l’objet littéraire, de l’analyse de contenu, des processus génériques, des pratiques de lecture, de l’autonomie d’un champ littéraire et de la médiation de la littérature.

6L’analyse du rôle du lecteur dans le processus de signification va être fortement renouvelée par les approches de Barthes et d’Eco et l’école de Constance, en particulier l’esthétique de la réception de Hans Robert Jauss. La sémiotique vient éclairer le fonctionnement des systèmes de codes et de signes présidant à l’écriture et à la compréhension des textes. Le texte littéraire au même titre que les textes langagiers, iconiques, audiovisuels des medias sont des messages qui constituent des récits, et qui révèlent « l’économie d’information que chaque société assigne à sa littérature (Barthes, 1966). Barthes préfère donner à la rhétorique un caractère informationnel plutôt que fonctionnel. L’analyse du discours va évoluer vers deux axes, la statistique textuelle devenant plus tard la logométrie, et une approche communicationnelle de l’analyse du discours alimentée par les travaux sur l’interactionisme de Goffman et la théorie de l’énonciation d’Émile Benveniste, impulsant de nouvelles approches de l’analyse du texte littéraire.

7Les SIC en constitution assimilent une partie de l’influence de ces courants disciplinaires dont certains, comme nous venons de le voir, renouvellent l’approche théorique et les méthodes d’analyse des sciences de la littérature. C’est en rappelant ces trois objets que sont le lecteur, les codes et le texte que Jean François Tétu (2002) évoque dans le contexte de ces années des traces littéraires dans la composition des sciences de l’information et de la communication.

La reconnaissance des SIC et l’éloignement

8Les SIC, nouvelle discipline reconnue en 1974 par le CCU, s’émancipent de ce qui aurait pu être considéré comme une filiation épistémologique : les littéraires vont manifester durant de nombreuses années de la réserve et de la méfiance à l’égard de cette science benjamine et rejeter l’interdisciplinarité dans sa réflexion épistémologique. La création de filières technologiques et de formations diplômantes comme les maîtrises de sciences et techniques (MST) - même si certaines, spécialisées comme les métiers du livre ou de la documentation, sont proches des activités littéraires - ainsi que l’intégration de matières intitulées « expression et communication », « analyse des messages publicitaires » ou encore « journalisme » sont des facteurs décisifs au développement des SIC (Meyriat, Miège, 2002). Les études littéraires ne s’ouvriront pourtant que tardivement et lentement à des formations professionnelles autres que les métiers de l’enseignement et la recherche. Pour certains enseignants chercheurs, l’enseignement du journalisme, de la communication, de l’édition et des ateliers d’écriture jettent du discrédit sur leur discipline.

9Les Sic et les études littéraires n’ont pas le même « territoire », pour reprendre la métaphore de Bruno Olivier (2002). Aux SIC la technique, les medias, la circulation des messages, les sujets émetteurs et récepteurs et les discours. Aux études littéraires l’histoire littéraire, la littérature française, la littérature comparée, la stylistique et la critique littéraire. Dans la crise actuelle que traversent les sciences de la littérature, même si elles se sont tournées vers des formations professionnalisantes interdisciplinaires, revient toujours « la dualité fonctionnelle entre la littérature comme objet de connaissance et objet culturel » (Schaeffer, 2011, Maingueneau, 2011). Les frontières en SIC, elles, restent poreuses à d’autres sciences comme la sociologie, l’anthropologie et l’argumentation. (Olivier, 2001).

10Qu’en est-il des frontières établies avec la littérature ? Oriane Deseilligny et Serge Bouchardon ont fait dialoguer des concepts communs aux deux domaines (2012). Ces chercheurs ont ainsi montré que leurs approches du lecteur sont complémentaires car l’activité de celui-ci s’est enrichie des théories de la réception et des usages rompant définitivement avec le déterminisme technique et social.

11Prenons la notion de circulation. Si dans la théorie littéraire celle-ci renvoie au dialogisme (Baktine, 1978) ou à l’intertextualité, c’est-à-dire au rapport que les textes entretiennent avec les autres textes, -les textes nouveaux étant selon Barthes un tissu niveau de citations révolues- ou encore à la transtextualité (Genette, 1992), les Sic s’interrogent actuellement sur la propagation des récits. Il peut s’agir de l’adaptation d’une œuvre littéraire dans une autre écriture médiatique comme l’adaptation en bande dessinée du Petit prince (Fragonara, 2013). Mais la convergence de la circulation des techniques, des genres culturels et de la diversité des pratiques des internautes pour accéder et partager des produits de divertissement et d’investissement personnel, a produit des phénomènes de narration augmentée. C’est ainsi qu’est parle de transmédia storytelling comme “un processus à travers lequel les éléments d’une fiction sont dispersés sur plusieurs plateformes médiatiques dans le but de créer une expérience de divertissement coordonnée et unifiée” (Jenkins, 2006). Plusieurs textes vont circuler sur différentes plateformes pour compléter un récit et créer un monde ou un univers : Harry Potter et l’œuvre de Tolkien sont les œuvres qui ont disséminé le plus de ces créations transmédiatiques. Des axes de recherche et des colloques sont tenus en SIC sur cette question (Vetois, 2012, Denis, 2012, Bourdada, 2012, 2013,2014).

12En juillet 2013, le congrès de littérature comparée, dont le thème était « le comparatisme comme approche critique », ouvrait un atelier Littératures, art et intermédialité. À partir de la notion d’intertextualité se développe celle d’intermédialité qui questionne l’influence des formes médiatiques et artistiques sur l’écriture romanesque. Cette nouvelle catégorie est reconnue comme une nouvelle forme d’écriture contaminée par les médias de linformation, par les réseaux et les écrans. L’approche communicationnelle analyse les transpositions médiatiques, les expressions créatives et les pratiques dans un contexte de culture numérique. L’approche littéraire se concentre sur l’analyse des transferts sémiotiques et des éléments narratifs dans les processus d’écriture, et sur la place de la littérature dans la culture.

Le numérique : un attrait d’union

13L’utilisation des technologies du numérique et des réseaux a été le facteur important dans le rapprochement au départ très marginal de la littérature et de la communication. Des chercheurs indisciplinés6 venant de la littérature, de l’informatique, de la communication, et des écrivains ont investi ces nouveaux territoires de création, d’information et d’échanges. Aux littéraires les questions de littérarité, de genre et de processus, tandis que les SIC se concentrent sur l’interactivité avec le lecteur, la médiation et les pratiques communicationnelles et culturelles qui en découlent.

14Chacune des deux sciences s’interroge sur l’influence du dispositif technique : les littéraires sur l’écriture, l’énonciation et les nouveaux ordres narratifs et les chercheurs en communication sur les expressions, les échanges et les relations. La création en 1989 du groupe de recherche Hubert de Phalèse7 pour le développement des études littéraires assistés par ordinateur avec la liste de discussion de LITOR est concomitante avec la parution de la revue ALIRE8, qui privilégie le fonctionnement informatique sur le résultat créé et définit la littérature comme le processus générateur. Cette année-là également a lieu le colloque de Cerisy9 sur l’imagination informatique de la littérature.

15Cette convergence d’intérêt se porte sur les changements produits par le numérique dans les processus de ces nouvelles écritures, et dans les catégories génériques que celles-ci engendrent. Mais en quoi et comment les sciences de la littérature et celles de la communication s’y trouvent naturellement impliquées ?

16On désigne par e-critures tous ces différents textes numériques qui peuvent être encore regroupés sous les termes d’écriture numérique, cybertexte, cyberlittérature. Jean Clément distingue plusieurs catégories dans cette production littéraire :

  • les textes générés par ordinateur avec l’aide de « littératiciels » dont Jean Pierre Balpe est un des inventeurs et des expérimentateurs les plus connus. Cette littérature générative fabrique une infinité de textes sur un thème donné, ou une infinité de variations à partir d’une œuvre donnée : « Générer un texte c’est développer à l’infini les possibilités d’un système composé de dictionnaires, de règles sémantiques et de contraintes rhétoriques. » Cette littérature ne relève d’aucune inspiration, ni d’expérience originale, ni d’intention, ni de génie, ni d’individualité de l’auteur. J.-P. Balpe désigne cette littérature comme « une littérarisation de la technique», car dans ses multiples et ses variations elle révèle avant tout ses possibles.

  • la poésie animée par ordinateur. De caractère cinétique, sonore et dynamique le multimédiapoétique est le fruit d’un processus que son fondateur10 appelle « génération… qui fabrique un processus dont le texte constitue l’état observable instantané .»

  • les hypertextes littéraires nourris par une tradition littéraire de récits non linéaires. Il s’agit de récits interactifs constitués par une histoire, dans lesquels le lecteur intervient. (Bouchardon, 2012) .

17Enfin, mais sans clore cet inventaire, les expériences de lecture écriture collective, appelées aussi polyauctoriales, dans lesquelles le lecteur est aussi l’auteur, non pas seulement parce que sa lecture fait sens, mais parce qu’il participe à l’écriture, à l’exemple du roman collectif ou des créations collectives multi médias. Les dispositifs interactifs qui développent ces formes d’écriture collective sont multiples. Sur les wikis, les blogs et les téléphones mobiles sont rédigés des romans collectifs et hypertextuels écrits en ligne.

18L’émergence de ce champ de la littérature numérique développe des processus différents de créativité. Mais cette avant-garde est-elle vraiment de la littérature et quelle littérarité met-elle en œuvre ? Le questionnement se porte également sur les processus génériques en train de se constituer, et en ce sens, comme le rappelle Serge Bouchardon, elle permet de réexaminer certains aspects de la littérature traditionnelle. Le genre ne vire-t-il pas au format (Bouchardon, 2008) ? Et le format ne prépare-t-il pas au genre (Manovitch, 2006) ? Le genre fait-il appel à des critères nouveaux tels la prise en compte du temps comme l’éphémère, l’instantané ou du mouvement comme la mobilité ou la variation ?( Bootz, 2002)

19Malgré des oppositions qui restent très fortes y compris dans le champ des SIC sur la création comme expérimentation formelle et le rôle du lecteur tout puissant, toutes ces questions de processus d’écriture et de genre renforcent l’idée d’un travail sur des concepts communs d’un point de vue littéraire et d’un point de vue communicationnel.

La reconfiguration de la médiatisation de la littérature : une approche transdisciplinaire

20Les portails, les sites et les blogs littéraires, sans parler des forums et des réseaux sociaux, se sont considérablement développés sur internet. Il semble qu’une approche transdisciplinaire ait toute sa pertinence pour interroger ces nouvelles médiatisations. En effet, l’analyse croisée de ces deux disciplines avec les apports méthodologiques de chacune d’entre elles permet de mettre en avant quatre notions clés communes : la redocumentarisation, les communautés, la controverse et l’ethos numérique.

La « redocumentarisation » de la littérature

21Les sites littéraires ainsi que les blogs d’écrivains et de lecteurs notamment donnent accès à une documentation constituée d’informations et de savoirs diversifiés.

22L’actualité littéraire informe sur la sortie des livres, sur les écrivains et les événements comme les rentrées littéraires ou les prix littéraires; l’information spécialisée porte sur l’ensemble de la littérature mondiale, la littérature jeunesse et jeune adulte, les rééditions, sur des problématiques comme le plagiat, l’exploitation du fait divers, la biographie ou encore la traduction. L’information scientifique littéraire en dehors de l’accès aux textes numérisés des grandes bibliothèques se trouve sur des sites universitaires, mais aussi éducatifs, car les didacticiens et les pédagogues ont saisi l’importance de tels outils pour l’enseignement de la littérature. Le symbole actuel de cette réussite de documentation scientifique est le site des recherches internationales sur les Mazarinades11 (RIM) dont une bonne partie est enfin numérisée, notamment les 2.709 pièces de la collection de la bibliothèque de Tokio sous la direction de Patrick Rebollard et Tadako Ichimaru. Le colloque international pluridisciplinaire prévu en 2015 propose des thématiques où les SIC peuvent apporter une approche communicationnelle comme « la place des mazarinades dans un système de communication, circulation dans l’espace public, éclairage par comparaison avec d’autres contextes de déchaînement pamphlétaire…»12

23Les portails, les sites et les blogs sont écrits en hypertextes et renvoient à d’autres textes pour compléter des recherches et ils présentent des listes de liens de plus en plus rigoureuses soit pas la classification offerte, soit par la richesse des adresses. La documentation est iconographique et de plus en plus multimédia. La relation au livre et à l’écrivain s’en trouvera à long terme modifiée car le premier contact risque d’être d’abord visuel au lieu de textuel. L’histoire littéraire telle qu’elle évolue doit intégrer ces formes communicationnelles de la littérature et devra prendre en compte l’histoire de la circulation des savoirs littéraires « comme une juxtaposition, une collation de textes fragmentaires liés à des chronologies différentielles. »13

24« Redocumentariser », c’est laisser à un bénéficiaire la possibilité de réactualiser des contenus sémiotiques selon ses besoins et ses usages. (Salaün, 2002, Zacklad, 2007). Dans le cadre de ces dispositifs numériques la littérature passe donc comme d’autres domaines par une double « redocumentarisation » : celle des concepteurs et auteurs de portails, de sites et de blogs, mais aussi celle des internautes qui à leur tour vont réorganiser et traiter les documents sur des supports personnels. Mais la spécificité artistique et créative de la littérature rend encore plus intéressant le phénomène. Chaque internaute, expert ou amateur, affiche sa redistribution personnelle de la littérature.

Les communautés littéraires

25Les termes communautés, cercles et cénacles14, dans l’histoire littéraire désignent des groupes réunis autour d’intérêts communs ou d’un mouvement fédérateur. En SIC les communautés sont reconnues comme des formes organisationnelles et communicationnelles constituées autour d’intérêts ou encore de pratiques (Wenger, 1998) se caractérisant par un engagement, un répertoire partagé et une entreprise commune.

26Les blogs de lecteurs apparus en 2005 parmi tant d’autres catégories de blogs littéraires sont un exemple du renouvellement des communautés littéraires. Dans les blogs de lecteurs jeunes adultes, différentes littératures15 se racontent, se discutent et se partagent. L’objectif commun est de faire connaître un livre, d’exprimer des avis en matière de littérature : l’écriture une pratique complémentaire de la lecture. Les auteurs de blogs peuvent être seuls, à plusieurs ou en équipes. Des blogs deviennent fédérateurs et abritent des internautes qui souhaitent devenir blogueurs. Les échanges se font entre blogueurs et commentateurs mais aussi de blogueur à blogueur. Souvent l’importance de la discussion et de la relation interpersonnelle est soulignée. De nombreuses activités, jeux et concours appelés challenges, swapps, book clubs et les Livres voyageurs sont organisés autour de la lecture et entretiennent un esprit communautaire. Une culture collective se construit par l’utilisation d’un vocabulaire spécifique, des références communes, des conseils échangés et des activités partagées.

27Ces nouvelles communautés littéraires configurées sur le net poursuivent à l’instar de plus anciennes des formes de confraternités littéraires qui créent de la sociabilité, de la médiation et de la prescription. (Chapelain, 2013)

La controverse littéraire

28La controverse littéraire se reconfigure sur Internet. La controverse « est un débat ayant en partie pour objet des connaissances scientifiques ou techniques qui ne sont pas assez assurées » (Latour, 1989). Jamais close, celle-ci génère à chacune de ses résurgences de nouveaux apports d’arguments et d’analyses. Une configuration triadique constituée par deux parties et un public pris à témoin anime la controverse qui est provoquée soit par un choc disruptif dû, par exemple, à une provocation du point de vue du contenu, à un bouleversement des cadres de discussion ou à une « intensification des procédures dialogiques ordinaires »16. La controverse autour du « manifeste de la littérature monde en français »17, notamment, selon lequel la langue, « libérée de son pacte exclusif avec la nation », ne reconnaîtrait que le pouvoir de la poésie et de l’imaginaire, a fait événement. Le débat en deux étapes s’est inscrit sur internet dans les blogs « La République des livres »18 de Pierre Assouline et « Le Crédit a voyagé »19 d’Alain Mabanckou. Les commentateurs ont mobilisé des ressources humaines (acteurs, écrivains, chercheurs), et non humaines (documentation, théories.. ), démontrant une grande culture littéraire internationale et une réflexion sur la littérature dite francophone. Au fil de la controverse dans les deux blogs, les réactions d’abord politiques concernant la francophonie se sont déplacées vers la question de l’écriture, l’écrivain africain et la langue française (Chapelain, 2009). Cette controverse n’a pas été seulement un débat polémique qui n’est pas arrivé à stabiliser une vérité, mais le signe « de nouvelles formes de sociabilité, de jeux rituels et de mise en mémoire20 ».

L’ethos numérique de l’écrivain

29Ruth Amossy21 croise la notion d’ethos discursif avec la conception de représentation de soi de Goffmann22. Il en ressort que l’ethos et l’identité sont liés et que l’image de soi se construit dans les énoncés différents de nombreuses situations de communication visant à attirer l’attention du récepteur, qu’il soit lecteur, téléspectateur ou internaute . Beaucoup d’écrivains ont initié des sites ou des blogs pour une meilleure reconnaissance et ont renforcé leur présence dans les réseaux sociaux. On peut parler à ce propos d’ethos numérique, qu’on peut analyser dans les différentes couches sémiotiques qui composent les pages de ces sites ou blogs. Cette notion d’ethos (Chapelain, 2010, Ducas, 2013) déjà présentes dans d’autres notions comme celles de postures littéraires23 confère une dimension communicationnelle.

30Certains écrivains à l’instar de Laurent Margantin ne conçoivent d’inscrire leur activités littéraires qu’au sein du réseau : « C’est mon lieu d’activité principal en tant qu’auteur, et je n’en ai pas d’autre, et ne veux surtout pas en avoir d’autre » 24 (Chapelain, Fort, 2014). Cet ethos numérique de militant du net nous laisse penser que les résistances aux conventions littéraires et les formes d’avant- garde ont trouvé refuge sur le réseau : celles-ci prennent en compte la technique comme invention processuelle, mais dans un même temps s’inscrivent uniquement dans la virtualité des supports du numérique.

Conclusion

31Qu’il s’agisse de notions conceptuelles, de nouvelles écritures, de ressources documentaires, de méthodes et de médiations l’éclairage transdisciplinaire des SIC et des sciences de la littérature semble incontournable. Des recherches engageant les sciences de la littérature et les sciences de la communication sont menées dans des laboratoires SIC25. D’autres chercheurs travaillent plus individuellement dans leurs laboratoires et s’impliquent dans des travaux et des colloques développés par des littéraires26. Des rencontres et des colloques comme ceux que nous avons évoqués se multiplient. Il semble que la transdisciplinarité sur des objets communs progresse.

32Beaucoup d’interrogations et de domaines spécifiques à ces deux disciplines n’ont pas été évoqués dans ce texte. Les articles qui suivent montrent l’ampleur des questionnements et des applications qu’apporte un éclairage transdisciplinaire.

33Sylvie Ducas nous montre que la notion de réseau éclaire la reconnaissance littéraire et le statut auctorial. Aurora Fragonara s’intéresse à l’adaptation du récit littéraire dans d’autres médias et aux processus de la narration transmédiatique. Henri Hudrisier et Ghislaine Azemard nous expliquent l’actualité de la TEI inventée par des littéraires dans l’échange, l’analyse et le partage des corpus de textes .

Notes

1  Ignorance

2  Uc de Saint Cyr comme exemple écrit au treizième siècle des vies de troubadours. Ces biographies s’accompagnaient en général de rapides appréciations de l’oeuvre . Roger Fayolle, La Critique littéraire, Collection U , Armand Colin, 1964,430 p.

3   La médiatisation du littéraire dans l’Europe des XVIIe et XVIIIe siècles, Études réunies et éditées par Florence Boulerie,Centre de Recherches sur l’Europe Classique (XVIIe et XVIIIe siècles).

4  Cf note précédente.

5  http://www.interferenceslitteraires.be ISSN : 2031-2790

6  D.Wolton, 2002, 2014, L.Loty, 2000, 2014

7  Université de Paris 3 sous le direction de Michel Bernard fondé par Henri Behar.

8  Lecture, art, innovation¸ recherche, écriture fondée par Philipe Bootz, Frédéric Develay,Jean Marie Dutey,Claude Maillard et Tibor Papp.

9  Presses universitaires de Vincennes, 1991.

10  Philippe Bootz

11  www.mazarinades.org

12  www.bibliotheque-mazarine.fr

13  Antoine Compagnon, Du butinage numérique à l‘écriture hypertextuelle, Le Monde 5 mars 2009.

14  Antony Glinoer, Vincent Laisney, L’âge des cénacles, Fayard, 2013.

15  De la littérature classique à des littératures spécialisées comme la SF, le gothique, la fantasy.

16  J.-L. .Fabiani, Disputes, polémiques et controverses dans les mondes intellectuels, Vers une sociologie historique des formes de débat agonistique, in Comment on se dispute, Les formes de la controverse, De Renan à Barthes, Mil neuf cent, Revue d’histoire intellectuelle Ed : Société d’études soréliennes, n°27,

17   Michel le Bris, Alain Mabanckou, Jean Rouaud (Coord), Pour une littérature monde en Français, Gallimard, 2007.

18  L’adresse du blog de Pierre Assouline a changé passouline.blog.lemonde.fr . Aujourd’hui : larepubliquedeslivres.com

19  www.lecreditavoyage.com, www.alainmabanckou.net

20  Cf. note 16.

21  La présentation de soi, Ethos et identité verbale, L’interrogation philosophique, PUF, 2010.

22  La mise en scène de la vie quotidienne,1, La présentation de soi, Paris, Ed de Minuit, 1959, 1973

23  Jérome Meizoz, La fabrique des singularités, Postures littéraires II, Slatkine édition, Genève, 2011.

24  canetsdoutreweb.blog.lemonde.fr 12/10/2012.

25  Je pense plus particulièrement au GRIPIC, au laboratoire Paragraphe, au CREM et au laboratoire COSTECH.

26  Je pense en particulier aux séminaires, journées d’études et colloques organisés par Sylvie Ducas au Pôle des métiers du livre de l’université de Paris Ouest Nanterre La Défense.

Pour citer ce document

Brigitte Chapelain, «De l’incommunication à l’ébauche d’une transdisciplinarité : les relations entre les SIC et les Sciences de la Littérature», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 10-Varia, QUESTIONS DE RECHERCHE,mis à jour le : 20/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=596.

Quelques mots à propos de : Brigitte Chapelain

Université de Paris 13, LCP-CNRS