- accueil >
- Collection >
- 10-Varia >
- DOSSIER >
- > Axe 2 >
> Axe 2
Axe 2
Communication des organisations, territoires et tic au cœur du changement et du développement durable
1Notre point de départ est que l’organisation, – entreprises, collectivités, ONG, institution territoriale, etc. –, tend à se revendiquer écocitoyenne, ce qui sous-tend qu’elle s’arroge un rôle d’animateur de territoire, facteur d’innovation et de changement dans le domaine public, professionnel mais aussi privé (De Backer, 1998 ; Cohen-Bacrie, 2006).
2Dans un contexte de crises économiques répétitives depuis l’éclatement de la bulle Internet en 2000 avec comme points d’orgue la crise des « Subprimes » (2007) et actuellement la crise de la dette souveraine, les citoyens se considèrent comme les premiers impactés par ce contexte difficile et de fait, la grande majorité d’entre eux veulent repenser les modèles économiques et sociétaux actuels. Les aspects économiques et sociaux du développement durable sont donc naturellement mis en exergue. Ils rejoignent les aspects environnementaux déjà omniprésents, comme en témoigne la longue liste des « situations insoutenables » actualisée par J. Theys (2002). Ils s‘adossent à un pilier culturel encore émergent mais renforcé par les effets d’une mondialisation agissante. Car la mise en visibilité des problématiques du développement durable « par des voies d’entrée planétaires par trop totalisantes et globalisantes (…) (et) invite à de nécessaires et difficiles ré-enracinements dans le local » (T. Berryman, 2004-2005). Elle convie à penser le territoire et les nouvelles façons d’aborder l’espace et le temps, les patrimoines et les identités individuelles et collectives. Elle nécessite une mise en culture du développement durable basée sur une pédagogie de l’appartenance et de l’engagement, apte à résoudre de façon féconde les tensions entre identité et altérité, entre globalité et localité, deux couples de forces caractéristiques de la globalisation. (L. Sauvé, 2006-2007). Elle convoque une communication dans, par et à partir le territoire visant une mise en liaison ou en re-liaison destinée à résoudre les crises et à favoriser de nouvelles alliances sociales et territoriales (M. de Certeau, 1993).
3Dans ce contexte, le développement durable appelle de nouvelles formes de communication et de nouvelles pratiques de médiation. Celles-ci assurent, dans l’espace public, la co-construction et l’appropriation singulière par leurs acteurs des informations qui constituent la culture collective caractéristique d’une identité, d’un groupe social ou d’un pays, à un certain moment de son histoire et de son projet. Car, si la communication exerce une fonction de médiation dans l’espace social, c’est qu’elle organise et structure les expressions des appartenances dont les acteurs sociaux se réclament dans cet espace. Les questions liées au développement durable et à l’écocitoyenneté (Roesch, 2003) apparaissent ainsi au cœur des questions de sociabilité et de médiation culturelle que couvre le champ de recherche des sciences de l’information et de la communication.
4Cet axe du laboratoire se focalise sur deux champs interconnectés : celui de la communication du développement durable des organisations dans toutes ses composantes : environnementale et économique mais aussi sociale et culturelle ; et celui de la communication écocitoyenne et de la médiation des patrimoines des territoires dits durables.
5Il prend aussi en compte plus particulièrement l’impact majeur des TIC, les opportunités et risques qu’elles engendrent notamment au plan du dispositif communicationnel. Car depuis la fin des années 1990 et l’émergence successive du consom’expert et du consom’acteur ou consommateur « 2.0 », on assiste à une véritable restructuration du rapport de forces entre le citoyen et les acteurs de son environnement en faveur du premier (Maillet 2008). Le développement d’Internet coïncide donc avec un besoin d’interactivité renaissant qui se manifeste fortement chez les individus et reflète un désir de considération, de participation à toutes les facettes de la vie sociale, culturelle, économique et politique de la société dans laquelle ils se situent.
6Par exemple, du point de vue économique, l’individu désire s’impliquer directement au sein de la politique commerciale de l’entreprise afin de devenir un partenaire à part entière pour cette dernière qu’il estime souvent obéissant à une logique marchande très forte et souhaite qu’elle adopte un comportement responsable. De plus, on observe récemment que l’innovation partagée entre concepteur et utilisateur tend à de déplacer de plus en plus vers l’utilisateur final (P Musso, L Ponthou, E Seulliet 2007). Le consommateur attend donc de la part des entreprises et de leurs marques qu’elles soient plus respectueuses, responsables et proches de leur quotidien. Ils sont prêts à différer leurs achats, à renoncer à certaines marques, achètent moins mais achètent des produits de meilleure qualité. Les valeurs centrales de son comportement sont l’authenticité, le pragmatisme et la simplicité. L’individu veut reprendre en main son destin, devenir acteur de sa propre vie et de fait est plus actif dans ses choix de consommation. Il faut également préciser que, dès 1996, les travaux du CREDOC avaient mis en exergue le développement de thèmes liés à la consommation engagée et intégrés dans leurs critères d’achat comme l’écologie, le soutien à une cause humanitaire ou sociale, la préférence pour la production nationale ou pour les produits du terroir. Toujours sur le plan économique mais avec une dimension sociétale, il apparaît que les citoyens sont de plus en plus méfiants du positionnement responsable des entreprises et notamment de celles occupant une position prépondérante sur leurs marchés (bien que ces dernières aient renforcé leur démarche de RSE) et que pour la majeure partie d’entre eux, les actions et projets intégrant le développement durable sont plus légitimes lorsque ces derniers sont portés par une institution politique territoriale ou une association. De fait, les citoyens associent de façon accrue les actions en termes de développement durable aux politiques ainsi qu’aux collectivités locales (ETHICITY, 2008). Dans le même ordre d’idée 80% des Français estiment que résoudre les impératifs du développement durable implique une transversalité des actions entre entreprises, représentants des collectivités territoriales et les individus en tant que consommateurs et « citoyens ». Ces derniers ont une vision plutôt optimiste sur l’efficacité d’une action globale et partenariale entre l’État, les collectivités territoriales, les entreprises et les citoyens.
7Cela oblige ainsi le dirigeant et le décideur à considérer sa responsabilité et ses objectifs comme un arbitrage permanent entre les intérêts et les objectifs des groupes et des individus, qui sont ou se sentent directement ou même indirectement touchés par sa structure.
8Si l’organisation est au centre d’intérêt divers, ne peut-on pas imaginer qu’elle puisse aussi être un lieu idéal d’échanges de conceptions, un lieu de négociation sur les valeurs du développement durable (Laville, 2009), un lieu singulier et actif où confronter les théories des sciences de l’information et de la communication ? Un grand nombre de nos recherches s’intéressent ainsi aux dispositifs de communication mis en œuvre par les organisations dites responsables et aux médiations sociotechniques opérées autour des nombreuses innovations à haute valeur technologique qui caractérisent ce secteur.
9Nous pouvons illustrer nos propos en citant trois de nos projets de recherche convoquant des publics internes et externes à l’organisation (cf. focus connexes) :
10Un premier projet, Infini Drive, soutenu au plan national car s’inscrivant dans des investissements d’avenir, confronte les théories de la communication des organisations, de la communication scientifique et de la communication éducative sur le terrain de l’entreprise. Il interroge les étapes, principes et contraintes d’un dispositif de communication du changement capable de favoriser l’usage de véhicules électriques par des salariés de La Poste et leur participation à une R&D à forte dimension technologique, économique et organisationnelle (les infrastructures de recharge intelligentes).
11Plus centré sur le pilier social et sociétal du développement durable, le projet concernant les technologies numériques dans le champ du travail social et médico-social vise à étudier l’impact des TIC au niveau de l’accompagnement et de la création de pratiques individuelles et collectives au plan professionnel dans les activités afférentes au secteur de la santé (plus particulièrement dans les champs du social et du médico-social) qui s’inscrivent dans une démarche de co-construction tripartite entre l’usager, la technologie numérique et le professionnel. Ce projet traduit avec pertinence la nécessité de recherches actions pour saisir et identifier les évolutions du travail du salarié (en l’occurrence les travailleurs sociaux) par le biais de dispositifs innovants associés aux TIC.
12Concernant les publics externes de l’organisation et leurs interactions, le projet Openrj (Dispositif Pacalabs) a valeur d’exemplarité. Celui-ci traite du phénomène de l’« Open Knowledge » à travers l’ « Open Data ». Il s’intègre dans une logique d’approche par les usages qui doit permettre d’élaborer un écosystème de la libération des données entre une organisation et des communautés d’usagers. Plus globalement, il s’agit de réinterroger la dimension pratique et sociale de diverses démarches de reconfiguration des savoirs au sein d’un écosystème ouvert autour d’une innovation technologique pouvant être qualifiée d’innovation sociétale.
13Par ailleurs, cette conversion atteint aussi progressivement les institutions et les collectivités en charge du devenir territorial. Si l’on prend l’exemple récent des espaces protégés (et notamment des parcs nationaux), ou encore celui de la gestion de projet de territoires dits durables (Agenda 21, par ex.), on constate une forte évolution des modes de consultation et de collaboration avec les citoyens. Cette ouverture est encore timide et malmenée dans un pays où la culture de « délégation de pouvoir » est un frein majeur du changement. Et où la globalisation n’a que faire des décisions locales voire citoyennes… Mais elle primordiale car « c’est essentiellement à l’échelle des territoires que pourront être construites, démocratiquement, les articulations indispensables entre les dimensions sociales et écologiques du développement durable. S’en abstraire serait, inversement, réduire ce dernier à une politique intelligente de gestion économique des ressources communes ou des risques. » (Theys, 2002). Ces modalités de concertation, de participation et de co production constituent donc des dispositifs d’information et de communication foisonnants et potentiellement importants. Plusieurs recherches du laboratoire s’y intéressent également, en lien avec les espaces à enjeux (parcs naturels, éco vallées, sites patrimoniaux, etc.) ou encore selon les problématiques de l’intelligence territoriale qui questionnent les DISTIC accompagnant l’émergence d’un territoire coopératif et apprenant par l’engagement d’acteurs autour d’un projet commun. Nous citerons ici un exemple parmi nos recherches (cf. point focus connexe) : le projet EcoBalade financé par la région PACA s’inscrit dans une logique de médiation institutionnelle. Il a pour objet un service de découverte et de sensibilisation à la faune et la flore d’un territoire donné par lequel un usager peut identifier une espèce, marquer une observation et partager ses découvertes au sein d’une communauté d’utilisateurs. Par la mise en action d’information, EcoBalade instaure et développe des échanges, un lien social entre les participants, en l’occurrence un groupe de baladeurs et par ce biais permet de reconsidérer des espaces naturels à forte connotation touristique dans une logique d’éco apprentissage et dans leur fragilité.
14Nous relèverons pour conclure que, dans l’ensemble du présent axe 2 du laboratoire, la question des TIC n’est pas obligatoire mais qu’elle est toujours sous-jacente. Que cela soit dans le secteur économique ou le secteur sociétal, les dispositifs numériques associés à la notion de développement durable permettent d’identifier, de créer et de développer des communautés de pratiques sur le modèle de Wenger (1998), communauté fédérée par un projet commun, avec des processus collaboratifs basés sur la participation et un système d’intérêts cohérents, vers la co-construction d’une culture d’échange voire de réciprocité. Nous retrouvons pareillement les facteurs clés de succès isolés par Wenger : des outils simples, une convergence entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif, des résultats utilisables rapidement.
15Et nous remarquerons que la question du changement traverse aussi toutes les recherches de l’axe 2. Car la communication du développement durable vise dans l’idéal une véritable révolution culturelle. Elle peut être interprétée de différentes façons. Soit de façon globale en référence avec cette « attention au futur » (J.-M. Lucas, 2012) qui est le but ultime de la notion. Soit de façon socioculturelle en référence à un « faire territoire » et un « bien vivre ensemble » inscrit dans un présent actif et citoyen. Soit de façon promotionnelle et utilitaire, si l’on pense aux comportements d’achat et d’usages visés le plus souvent en externe ou en interne par les entreprises et les gestionnaires… De fait, nombre des recherches de cet axe interroge la communication du changement et ce, en lien avec l’actualisation d’une identité et d’un projet territorial, en lien avec la culture et les comportements écocitoyens à forte valeur ajoutée sociale, écologique, culturelle et/ou encore en lien avec l’appropriation d’objets sociotechniques innovants.
Bibliographie
Cohen-Bacrie B. (2006), Communiquer efficacement sur le développement durable : de l’entreprise citoyenne aux collectivités durables…, Lyon, DEMOS, 133 pages.
Laville E. (2009), L’entreprise verte, troisième édition, Paris, Pearsons - Le village mondial, 416 pages.
LUCAS J.-M. (2012), Culture et développement durable. Il est temps d’organiser la palabre, coll. Révolutic, Éditions Irma, Paris.
MUSSO P., PONTHOU L., SEUILLET E. (2007) Fabriquer le futur 2. Paris : Le Village Mondial, Pearsons Education, 307 pages.
THEYS J. (2002), « L’approche territoriale du « développement durable «, condition d’une prise en compte de sa dimension sociale », Développement durable et territoires [En ligne], Dossier 1, mis en ligne le 23 septembre 2002, consulté le 3 décembre 2013. URL : http :// developpementdurable.revues.org/1475 ; DOI : 10.4000/developpement durable.1475.
WENGER E. (1998), Communities of Practice: Learning, Meaning, and Identity. Cambridge, University Press, 318 pages.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Francine Boillot-Grenon
UNSA - boillot@unice.fr
Quelques mots à propos de : Franck Debos
UNSA - debos@unice.fr