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Axe 4
Information, médias et transmédia : des narrations convergentes
Table des matières
Des programmes aux dispositifs médiatiques
1Dans une première étape de son développement (2003-2006), le laboratoire I3M a choisi de traiter séparément, dans des chantiers distincts, ses recherches sur les nouveaux systèmes d’information issus des réseaux numériques (Information Science dans les pays anglosaxons) et celles portant sur la production au quotidien des médias d’actualité (Journalism and Media Studies).
2Le premier de ces chantiers, intitulé « Les moteurs de recherche » sur Internet : une vision du Monde ? », coordonné par Gabriel Gallezot et Éric Boutin (voir focus infra), a tenté de prendre la mesure des changements opérés par les nouveaux outils de recherche d’information sur le Web sur l’organisation des connaissances de ses usagers et fournisseurs, en s’interrogeant sur leur résonance dans le corps social en termes de transformations des pratiques informationnelles (notamment celles des chercheurs, analysées et approfondies dans un programme ultérieur). Ce travail collectif a donné lieu à un séminaire international à Bucarest en 2005 et a débouché sur de nombreuses contributions consignées dans l’ouvrage sur le moteur Google publié en 2009.
3Un deuxième chantier, aux objectifs plus larges, a souhaité cerner la production d’informations d’actualités à trois niveaux : le contexte socio-économique (globalisation, évolution technologique), la restructuration des organisations médiatiques (concurrence, diversification, nouveaux contextes managériaux : voir Cailler, 2003 et 2006) et enfin la mutation de l’identité et des savoir-faire des journalistes professionnels, mis à l’épreuve de la production amateur s’autoalimentant au sein du Web alternatif (Pélissier, 2003 et 2006 : voir focus infra). Constatant la difficile émergence d’un nouveau paradigme pour les Media Studies, les chercheurs de ce chantier se sont plus précisément penchés sur la question devenue centrale des dispositifs médiatiques, suite à l’invitation de Guy Lochard au séminaire d’épistémologie du laboratoire autour du numéro d’Hermès sur les dispositifs. Ils ont alors décidé d’élargir leurs réflexions ciblées sur la production et la réception d’information (voir notamment Courbet et alii, 2004) aux questions de médiations, de narration et de mise en scènes propres à tout programme médiatique. Un tournant qui les a par ailleurs conduits à interroger davantage la place de la culture et des identités dans les processus de communication médiatisée, à la lumière notamment des travaux sur la liberté d’expression en Méditerranée initiés par l’Observatoire des Médias de l’Arc Latin (OMAL : Ravaz, Lucien et Chaudy, 2006).
Au croisement des médiacultures : du Monde à la Méditerranée
4Ce Cultural Turn dans les approches des phénomènes de médiatisation, ainsi que l’intégration des travaux de Marie-Joseph Bertini proposant une nouvelle épistémologie des SIC à la lumière des Gender Studies, ont produit depuis 2006 une reconfiguration des recherches autour de l’Axe « Médias, Genre et études culturelles », devenu en 2011 « Nouvelles formes de sociabilités et nouvelles pratiques d’écriture ».
5L’originalité de cette réorientation paradigmatique a consisté à mobiliser de façon convergente les travaux portant sur les médias, le journalisme et les réseaux numériques et ceux menés dans le champ interdisciplinaire plus large des Cultural, Gender and Post-Colonial Studies. S’appuyant à cet effet sur le concept de « médiacultures » développé par Éric Maigret et Éric Macé (2005), ainsi que sur les recherches insistant sur le rôle essentiel des médias et des journalistes dans la production symbolique d’imaginaires collectif (Debray, 2000 ; Lardellier, 2002 ; Macé, 2006), les chercheurs de cet axe ont souhaité penser à nouveaux frais la question des identités et des représentations.
6Les travaux de Natacha Cyrulnik sur la fonction socio-culturelle du documentaire audiovisuel (2008), ceux de Nicolas Pélissier et Serge Chaudy sur le journalisme participatif en ligne (2009), ceux d’Arnaud Lucien sur les mises en scène médiatiques des juges et de la justice (2009) ou ceux de Daniel Moatti sur les imaginaires du numérique éducatif (2010) ont contribué à alimenter cette nouvelle réflexion. Dans le sous-champ plus spécifique des études de genre, les ouvrages de Karine Espineira sur la transidentité dans les médias (2008) et de Marie-Joseph Bertini sur la construction sociale et journalistique de la différence sexuelle (2009) sont allés aussi dans cette direction.
7La dimension socioéconomique des médiacultures a suscité par ailleurs des recherches plus ciblées, à l’image du numéro des Cahiers de Champs Visuels sur « La longue marche des télévisions locales » (Cailler et alii, 2010) et du contrat « Les intermittents du spectacle : de la culture aux médias » (2006-2008), financé par la région PACA avec l’association Avignon Festival Off. Le point central de la recherche a été la démonstration de la convergence croissante, postulée par les nouveaux paradigmes des SIC et des sciences économiques et sociales (travaux sur le capitalisme « cognitif » ou « culturel » : Boltanski/Chiapello, Moullier-Boutang, Menger, Stiegler, Rifkin…), entres les organisations professionnelles culturelles et médiatiques (Pélissier, 2008 ; Lacroix et Pélissier, 2008).
8Plus largement, un groupe de chercheurs d’I3M (Bertini, 2009 ; Albertini et Pélissier, 2009) a tenté de réfléchir, sur un plan plus épistémologique, aux interactions entre SIC et CS (Cultural Studies). Constatant des divergences politiques, théoriques, voire méthodologiques entre ces deux traditions académiques longtemps séparées par la Manche et l’Atlantique, ils ont aussi mis en évidence de nombreux points de croisement : intérêt commun pour les médias et leur réception différenciée, pour les cultures populaires et les mouvements sociaux de réappropriation des messages médiatisés, pour l’impact de la mondialisation de la communication sur les identités locales, pour la remise ne cause des conceptions élitistes de la légitimité culturelle, pour les nouvelles formes de sociabilité engendrées par les technologies en réseaux, pour la montée en puissance de l’amateurisme dans la production médiaculturelle ou pour les rapports de force entre centre et périphérie, nationaux et immigrés, métropolitains et diasporiques, hétérosexuels et queers, etc. Ils ont enfin montré que le concept de dispositif, au travers des apports de certains auteurs associés à la French Theory (Cusset, 2003) tels que De Certeau, Foucault ou Deleuze, pouvait constituer une boite à outils heuristique permettant un dialogue facilité entre SIC et CS (voir Gavillet, 2012). Ces apports féconds ont permis au laboratoire I3M d’être partie prenante du comité scientifique et membre organisateur du congrès mondial Crossroads in Cultural Studies (Paris, UNESCO, juillet 2012).
9Notons enfin qu’une large partie des recherches et manifestations I3M dans le domaine des médiacultures se déroulait dans ce territoire privilégié qu’est le bassin méditerranéen. Qu’il s’agisse des Premières Rencontres Euroméditerrannéennes de Tanger, du colloque Neptune « Populisme, Communication et Démocratie » (2008) ou des différents événements scientifiques organisés par le Réseau Méditerranéen des Centres de Formation Multimédia (RMCFM, aujourd’hui Réseau Transméditerranéen de Recherches en Communication, RTRC) dont I3M est partenaire depuis sa création, nombreuses ont été les occasions de discuter des interactions entre médias, identités, cultures et technologies en Méditerranée (voir notamment Cornu, Hassanaly et Pélissier, 2010). Un grand nombre des travaux menés dans le cadre du Pôle Sud Est Méditerranée de l’ISCC du CNRS (voir Durampart et Bernard, 2013) ont également concerné cette thématique très riche à l’origine de programmes de recherches et de nombreuses thèses de doctorat.
De l’information… à l’information : le défi de l’ingénierie des connaissances
10Constatant une extension de la notion d’information englobant à la fois la donnée digitale traitée par les organisations et la nouvelle d’actualité produite, commentée et recyclée par les rédactions de presse, les chercheurs I3M ont décidé depuis 2013 d’associer dans un nouvel axe les recherches sur l’information et celles sur le journalisme : dans l’indistinction des profondeurs du Web, mais aussi à sa surface brassée par les grands moteurs de recherche, l’information « chaude » des médias d’actualité coexiste de plus en plus, pour le pire comme pour le meilleur (voir les ambiguïtés du Data Journalism), avec l’information « refroidie » circulant au sein des machines à communiquer. Au plan socioéconomique, ce phénomène se traduit par un processus d’informationnalisation de nos sociétés (Miège, 2004) et par un rapprochement croissant entre industries des médias et industries du numérique (Sonnac et Gabziewicz, 2012). C’est dans cette nouvelle perspective que des travaux précédents conduits sur l’intelligence informationnelle et territoriale (ceux de Gabriel Gallezot, Éric Boutin, Yann Bertacchini notamment) ont évolué vers la thématique plus large des l’ingénierie des connaissances, portée aussi par des chercheurs tels que Denis Gasté, Daphné Duvernay et Michel Durampart. Dans un contexte d’opulence informationnelle, cette ingénierie a pour objet l’analyse et le traitement de données en vue d’en extraire une information fiabilisée, visuelle, synthétique, à forte valeur ajoutée. Elle mobilise des travaux dans le domaine de l’analyse de données, du traitement de leur visualisation (cf séminaire animé par Gabriel Gallezot et Emmanuel Marty), de la recherche d’information et de la découverte de connaissances.
Des médias… aux médias : le storytelling, de l’emprise à l’émancipation ?
11Un autre type de convergence est à l’œuvre entre ces mêmes industries des médias et celles de la culture et du divertissement. Ce mouvement induit de nouvelles stratégies de concentration en matière de production et de design des contenus, mais aussi de nouvelles opportunités en matière d’écriture, de scénarisation et de participation plus active du public (Jenkins, 2007), notamment au travers de la perspective de valorisation crossmedia et transmédia de ces contenus.
12À ce propos, les travaux menés par certains chercheurs d’I3M, en coopération avec le laboratoire LIRCES (Pélissier et Marti, 2012 et 2013) ont amené à reconsidérer les recherches critiques produites en France sur les récits médiatiques. Il s’agit notamment de prouver que les hyper-narrations de certains sites participatifs ou Fan Fictions (Lacroix, 2012), les nano-narrations produites sur Twitter (Eyries, 2013) ou les tentatives néo-réalistes de certains courants du journalisme d’investigation (revue XXI par exemple) peuvent constituer des contre-récits émancipatoires par rapport au storytelling dominant des grandes organisations marchandes mondialisées. Précisément parce que le récit, qu’il soit médiatique ou transmédia (voir focus : Cailler et Lacroix, 2012), est lui aussi un dispositif à la fois contraignant et libératoire, qui détermine son public tout en étant co-construit par lui… comme l’ont montré dans les années 1980 Paul Ricoeur ou Umberto Eco, et plus récemment les travaux de l’Observatoire du Récit Médiatique de Louvain (Lits, 2008).
Bibliographie
BERTINI M.-J., « Le Gender Turn : ardente obligation des SIC », Questions de communication, n° 15, juillet 2009, pp. 93-104.
CAILLER B., Dir., « Une architecture du son », Les Cahiers de Champs Visuels, n° 1-2, 2006 ; « La longue marche des télévisions locales », Les Cahiers de Champs Visuels, n° 6, 2010.
COURBET D., CABROL C. et alii, « Psychologie sociale, traitements et effets des médias », Questions de communication, n° 5, 2004
CYRULNIK N., « Médiations symboliques pour la construction d’une représentation au sein d’une cité », MEI, n° 29, Paris, L’Harmattan, 2008, pp. 181-191.
DEBRAY R., L’emprise, Paris, Gallimard, 2000.
EYRIES A., in PELISSIER N., GALEZOT G., Twitter, un monde en tout petit ?, Paris, L’Harmattan, 2013.
LACROIX C., « Le transmédia : terrain d’acculturation communicationnelle des publics ? », in PELISSIER N., MARTI M., Le storytelling, Paris, L’Harmattan, 2012, pp. 53-72.
LACROIX C., PELISSIER N., Les intermittents du spectacle, Paris, L’Harmattan, 2008.
LITS M., Du récit au récit médiatique, Bruxelles, INA/De Boeck, 2008.
MAIGRET E., MACE E., Penser les médiacultures, Paris, Armand colin, 2005.
PELISSIER N., MARTI M., Dir., Le Storytelling : succès des histoires, histoire d’un succès, Paris, L’Harmattan, 2012 ; Storytelling et tension narrative, Paris, L’Harmattan, 2013.
RAVAZ B., LUCIEN A., CHAUDY S., Mémoires, identités, communication : l’événement dans l’espace euroméditerranéen, Université du Sud Toulon Var, Actes du colloque, 2006 ; « Populisme, représentation et démocratie », Université du Sud Toulon Var, Actes du colloque 2010.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Nicolas Pélissier
UNSA, pelissier06@gmail.com