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FORMATION, MONDE PROFESSIONNEL

Mélanie Bourdaa

Le transmedia storytelling générateur de lien entre le monde universitaire et les entreprises en aquitaine

Article

Texte intégral

L’Aquitaine : vivier d’entreprises numériques

1La région Aquitaine est une région qui encourage la création d’entreprises travaillant dans le numérique, principalement des entreprises orientées vers la création de jeux vidéo ou d’applications pour téléphones mobiles. L’effort est porté vers la visibilité de ces entreprises innovantes et de nombreux clusters, ou lieux de co-working collaboratifs sont mis en place. Au niveau de la recherche universitaire, les membres du laboratoire MICA (EA 4426) étudient les problématiques liées au numérique dans un souci constant de développer des partenariats avec les entreprises de la Région. Par exemple, le projet Feder Raudin, porté par Didier Paquelin, analyse l’impact du numérique sur divers secteurs comme l’agriculture, la santé, ou encore le domaine viticole. Pour cela, des partenariats ont été noués avec des entreprises de la Région. Ces collaborations se sont consolidées et renforcées avec la création d’un MediaLab Aquitain, AquiLabs, fonctionnant sur le modèle des MediaLab américains qui mêlent activités de recherche et activités de créations. Aquilabs travaille avec CapSciences, le Musée des sciences de Bordeaux, afin de saisir les enjeux liés aux pratiques muséales des publics âgés de 15 à 24 ans. Des préconisations mais également des objets numériques comme des logiciels d’analyse sont alors créés au travers de ces partenariats.

2S’il est difficile de parler de « courant » lorsqu’on aborde ces études menées en collaboration avec les mondes professionnels, elle n’en relève pas moins d’une posture scientifique qui tend à s’affirmer dans certains domaines de recherche en SIC mais reste aujourd’hui malgré tout beaucoup discutée. Si les Sciences de l’Information et de la Communication se sont formées à la suite de la demande de mondes professionnels nécessitant des personnes formées aux métiers de la communication, elles se sont largement autonomisées notamment du point de vue de la recherche, en devenant une discipline à part entière marquant ses distances avec les acteurs professionnels. Et pourtant, certaines équipes de recherche tissent des liens très forts avec les entreprises, les associations, les institutions publiques… Que ce soit dans le cadre de recherches interventionnelles – encore peu présentes dans notre discipline – ou de recherches « action », ces équipes évitent les écueils et les critiques en mobilisant des concepts, des références théoriques, une épistémologie propre aux Sciences de l’Information et de la Communication, qui font d’elles des interlocuteurs privilégiés du monde professionnel. Cela dit, tous les domaines des SIC ne sont pas propices à l’émergence de projets de ce type.

Le Transmedia : une thématique propice au rapprochement université/mondes professionnels

3Le Transmedia Storytelling apparaît comme un sujet propice au rapprochement entre université et monde socio-économique et ceci à plusieurs titres. D’un point de vue scientifique, le Transmedia Storytelling a été défini en 2003 par Henry Jenkins comme « un processus à travers lequel les éléments d’une fiction sont dispersés sur diverses plateformes médiatiques afin de créer une expérience de divertissement coordonnée et unifiée » (Jenkins, 2003-2006). Il intéresse donc non seulement les chercheurs car il leur permet de potentialiser des méthodologies d’analyse et d’étude sur des terrains médiatiques variés mais également les mondes socio-économiques qui s’emparent du concept dans un objectif de promotion et d’optimisation de la diffusion de contenus. En effet, les secteurs de l’audiovisuel (cinéma et télévision), de la publicité et des marques, les institutions culturelles et en particulier les musées, le tourisme, se sont emparés de cette stratégie narrative multi-plateforme immersive et participative. Dans un environnement de plus en plus concurrentiel, les séries télévisées américaines fidélisent leurs publics de fans en créant des univers étendus de leurs narrations et proposent des informations complémentaires venant renforcer l’univers sur différentes plateformes médiatiques (Bourdaa, 2013). Les Musées développent des expériences transmédiatiques autour de leurs expositions afin d’attirer un public jeune, à travers le déploiement de narrations ludiques et immersives. Les villes mettent en avant la découverte de leur patrimoine grâce à des jeux en réalité alternée qui proposent une narration ludique brouillant les frontières entre réalité et fiction. Bien entendu, le numérique et son appropriation par les producteurs de contenus mais également par les récepteurs a donné une plus grande visibilité au phénomène. D’un autre côté, le monde académique par le biais de la recherche investit cette notion et tente d’en analyser les enjeux en termes de narration, de marketing ou encore d’un point de vue épistémologique (Bourdaa, 2013). Par exemple, Hélène Laurichesse tente de comprendre les liens entre les univers de marque et le Transmedia Storytelling autour de la production audiovisuelle. Dans la revue Terminal, elle met en avant le phénomène de brand content et d’advertainment pour expliquer l’hybridité des contenus entre marketing et narration Transmedia (Laurichesse, 2013). Alexis Blanchet travaille sur les liens entre narrations transmédiatiques et jeux vidéo, en analysant un corpus de jeux tirés d’adaptation cinématographique (Blanchet, 2010). David Peyron analyse la Culture Geek pour la rattacher aux stratégies transmédiatiques qui « font monde » (Peyron, 2013). Toutes ces jeunes recherches françaises s’attachent à prendre pour objet les stratégies narratives transmédiatiques pour les appliquer à divers champs d’analyse, afin de mieux en saisir les mécanismes ainsi que les enjeux.

Une association fructueuse

4En ma qualité de chercheuse rattachée au laboratoire MICA, je m’efforce de créer des liens avec les entreprises de la Région et de mettre en place des partenariats pérennes afin de faire communiquer les deux mondes, qui ont parfois des fonctionnements qui ne facilitent pas les échanges. En 2009, avec Emmanuelle Vitalis, juriste spécialiste du droit du numérique, nous avions créé l’Association Univers Transmedia qui avait pour objectif de mettre en lien le monde universitaire et le monde socio-économique en Aquitaine. L’enjeu était alors double : créer des collaborations viables et fertiles à travers des études de cas ou encore des créations communes, et proposer une recherche « vivante » sur ce sujet grâce à la constitution d’un Comité Scientifique garant de la pertinence scientifique des projets lancés.

5Grâce à cette association, j’ai pu établir un partenariat solide avec une entreprise aquitaine, Le Jardin des Marques. Son directeur, Arnaud Hacquin, un des piliers du Transmedia Storytelling dans la Région et au niveau national, entretient un blog de veille sur le sujet, The Rabbit Hole, et va prochainement lancer un studio de création Transmedia. Nous collaborons sur plusieurs niveaux : la création et la recherche. Nous avons par exemple organisé ensemble, lors de la Semaine Digitale de Bordeaux, une rencontre autour du thème du Transmedia qui rassemblait des chercheurs et des professionnels. La journée se découpait en 3 temps : des conférences académiques, des tables rondes professionnelles et des présentations de projets et d’œuvres Transmedia. Cette journée a permis de faire émerger des problématiques comme par exemple celle de l’usage de ces stratégies narratives par les publics et les questions liées au brouillage de la frontière entre réalité et fiction. Les notions d’immersion ont également été traitées à travers les conférences sur la culture Geek et la culture Fan. Les enjeux liés à la création et à la production de stratégies transmédiatiques ont été abordés pour faire émerger les difficultés que rencontrent les professionnels en matière de modèle économique (financements publics et privés) et juridique (question de droit d’auteur et de propriété intellectuelle). Enfin, la table ronde a permis de souligner le rôle du métier de Community Manager dans la mise en place de ces stratégies transmédiatiques, et l’importance de l’animation d’une communauté participative et collaborative.

6En outre, nous participons à de nombreuses conférences grand public afin de montrer l’importance de l’aspect professionnel et de l’aspect recherche lorsque l’on parle du Transmedia Storytelling. Cette volonté commune de diffusion et de vulgarisation de nos activités auprès d’un public souvent non initié nous permet d’une part de positionner nos approches comme innovantes auprès du grand public et ainsi affirmer des positionnements épistémologiques, théoriques mais aussi pratiques et fonctionnels. Elle nous aide surtout à légitimer une collaboration fructueuse tant d’un point de vue scientifique que d’un point de vue professionnel, et me permet, en tant que chercheure, d’affirmer une posture scientifique pas toujours légitime dans le champ des recherches en SIC.

7Dernièrement, toujours dans un souci de partage et de collaboration, nous avons lancé un MOOC (cours massif en ligne et gratuit) sur la plateforme inaugurée par le gouvernement, intitulé « Comprendre le Transmedia ». L’objectif de ce cours en ligne est de faire comprendre à travers plusieurs modules vidéo les enjeux sous-jacents du Transmedia Storytelling, d’en montrer les mécanismes narratifs et de décortiquer des études de cas permettant de comprendre la création de ces stratégies et de ces dispositifs immersifs. Le cours se déclinera sur 6 semaines, chaque semaine étant consacrée à une plateforme médiatique spécifique.

8En parallèle de ce MOOC, et pour alimenter les cours que l’on propose, nous avons créé un « Observatoire du Transmedia ». Il se présente sous la forme d’une plateforme participative qui déploie un panorama le plus complet et précis possible des œuvres Transmedia internationales. Nous avons décidé ensemble de mettre en avant quatre secteurs, les plus représentatifs dans la production Transmedia : le secteur audiovisuel, le secteur éducatif/pédagogique, le secteur publicitaire, et le secteur institutionnel. Ainsi, nous pourrons avoir différentes approches du Transmedia et pas seulement l’approche marketing, afin de mieux saisir comment fonctionne ce principe narratif.

9Cette collaboration fertile me permet de nourrir mes réflexions sur le Transmedia Storytelling. En effet, ce partenariat m’offre tout d’abord un terrain fertile d’observation des pratiques de création de ces stratégies narratives. Ensuite, les conférences communes, les organisations de journées d’études et les discussions autour de ces problématiques enrichissent mes questionnements, en particulier en ce qui concerne les modèles économiques et juridiques. Enfin, ce partenariat est également fructueux dans la mise en place de logiques pédagogiques. Je me sers de cette expérience pour enrichir mes cours, pour proposer des activités de création aux étudiants et élargir les partenariats à d’autres entreprises et institutions (CapSciences, Quai Branly, Centre Prompidou par exemple).

La rencontre entre les deux univers : des enjeux académiques, économiques et sociaux forts :

10Ces partenariats entre monde académique et monde socio-économique paraissent aujourd’hui essentiels pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les deux mondes en collaborant peuvent nourrir la recherche scientifique et faire progresser les connaissances concrètes sur des notions encore en expérimentation comme le Transmedia Storytelling. Le MICA développe par ailleurs des recherches sur les Humanités Digitales, champs disciplinaire en pleine expérimentation mais aussi en pleine expansion.

11Ensuite, le monde académique va permettre un certain recul sur les créations grâce à une expertise scientifique et des approches socio-historiques ou d’usages. Il devient ainsi moteur d’innovations au même titre que ses partenaires. Grâce à la collaboration que j’ai créée avec Le Jardin des Marques, ma recherche est sans cesse testée et mise à l’épreuve par des analyses empiriques et d’études de cas concrètes. Cela constitue un enrichissement considérable et une fertilisation non négligeable à mettre à profit dans les Sciences Humaines et particulièrement en Sciences de l’Information et de la communication.

Bibliographie

Blanchet Alexis, Des pixels à Hollywood, Pix’n’Lab, 2010.

Bourdaa Mélanie, « Transmedia Storytelling », Terminal, n° 112, Hiver 2012-2013

Bourdaa Mélanie, « Following the Pattern : the creation of an encyclopedic universe with Transmedia Storytelling », Adaptation, special issue « Adaptation and Participation : convergence culture and Transmedia Storytelling », Oxford University Press.

Jenkins Henry, « Transmedia Storytelling. Moving characters from books to films to video games can make them stronger and more compelling », Technological review, 15 janvier 2003. http://www.technologyreview.com/news/401760/transmedia-storytelling

Jenkins Henry, Convergence Culture. When old and new media collide, New York : NYU press, 2006.

Laurichesse Hélène, « Un marketing générateur de contenus pour l’univers transmédia », in Bourdaa Mélanie, « Le Transmedia Storytelling », Terminal, Hiver 2012-2013. pp. 67-76.

Peyron David, La Culture Geek, Fyp Éditions, 2013.

Pour citer ce document

Mélanie Bourdaa, «Le transmedia storytelling générateur de lien entre le monde universitaire et les entreprises en aquitaine», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 10-Varia, FORMATION, MONDE PROFESSIONNEL,mis à jour le : 20/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=674.

Quelques mots à propos de : Mélanie Bourdaa

Université Bordeaux 3, MICA