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FORMATION, MONDE PROFESSIONNEL

Claire Scopsi

Concocter une formation liée au monde socio-économique

Article

Texte intégral

1Les quelques considérations développées ci-après ne posent pas à l’exposé méthodologique ni au conseil d’expert. Il s’agit plutôt de relater une pratique éprouvée au cours de sept années au sein de l’intd et qui doit beaucoup au marketing des services. Il s’agit donc d’une sorte de recette personnelle pour cuisiner des formations professionnelles.

2L’équipe pédagogique Intd du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) est issue d’un ancien institut de documentation créé en 1950. C’est la plus ancienne formation française aux techniques documentaires et à la gestion de l’information ; elle a suivi toutes les évolutions des métiers depuis les bibliographes des origines jusqu’aux architectes de l’information d’aujourd’hui. Au fil du temps les grands services bibliographiques ont disparu, les profils se sont diversifiés, les centres de documentation se sont ouverts sur l’entreprise et, dans les organismes, les professionnels de l’information sont de plus en plus souvent « embarqués » dans les départements où le besoin de coordonner et maîtriser des flux d’information se fait sentir.

3L’Intd continue à les former mais il est difficile dans cet environnement de s’appuyer sur de grands organismes leaders pour développer un enseignement ou un diplôme. En effet, lorsqu’on évoque les partenariats de formation entre l’Enseignement supérieur et le monde socio-économique, l’on pense certainement aux grands mécénats d’entreprises : les chaires privées ou le fundraising à l’américaine, aux modèles de l’apprentissage en Europe ou des études coopératives en Amérique du nord. Mais il existe d’autres voies de collaboration plus informelles et assez simples à mettre en œuvre pour peu qu’on suive les étapes de la fameuse recette.

Étape 1 : Surveiller les frémissements du marché de l’emploi

4C’est un fait, les diplômes de l’enseignement supérieur sont de plus en plus mesurés à l’aune de l’insertion professionnelle ; par le Ministère via la DGESIP, par les élèves de plus en plus inquiets de leurs débouchés, par les OPCA1 qui privilégient le financement des projets de formation les plus « intégrants ». Cependant un bon taux d’insertion professionnelle ne se détermine pas à la sortie de la formation mais avant la conception de la maquette et des contenus : il faut donc connaître les attentes des employeurs avant de lancer une nouvelle certification.

5Les syndicats professionnels sont une source d’information sur le marché de l’emploi d’un secteur d’activité mais, les métiers de l’information étant transverses aux diverses branches d’activité, il n’existe pas de syndicat de documentalistes. En revanche, quelques associations2 collectent et diffusent l’information métier.

6Les métamoteurs de recherche d’offres d’emploi comme Indeed.fr facilitent ce travail de veille. Indeed recense en permanence 200 000 annonces emplois nationales de moins de 7 jours et offre la possibilité d’enregistrer des alertes sur des mots-clés. On peut donc effectuer des comptages (combien d’annonces d’emplois d’iconographe paraissent chaque mois ?), des courbes de progression (quelle est l’évolution des annonces de records managers) ou évaluer l’importance d’un profil émergent par rapport à un autre plus traditionnel (combien d’annonces d’emploi pour les document controllers et combien pour les archivistes ?). Une méthode complémentaire consiste à utiliser un logiciel de veille (WebSite Watcher est un des plus employés et reste d’un coût modeste) et à suivre ainsi l’évolution des sites emploi ou des pages de recrutement d’entreprises ciblées. À chaque lancement, le logiciel signale les pages modifiées et en surligne les changements. Une demi-heure par semaine suffit pour suivre une cinquantaine de sites et effectuer une étude qualitative des annonces pour un métier donné : les secteurs d’activité et les régions qui recrutent, sous quel type de contrat (CDD, CDI), les missions et salaires proposés, les diplômes requis et bien sûr les compétences attendues, des informations qui seront utiles pour repérer un nouveau profil récurrent dans les annonces. Si le frémissement se transforme en ébullition, il est temps de rassembler les ingrédients d’une formation.

Étape 2 : Solliciter l’avis des grands chefs

7Il s’agit maintenant de bâtir la structure d’une formation. Les annonces d’emplois collectées doivent vous permettre de situer le niveau de formation le plus adapté (niveau 3, 2 ou 1, certificat professionnel…) et les compétences principales ; il existe peut-être déjà des référentiels de compétences (l’ADBS par exemple publie par exemple une cartographie des métiers et compétences de l’info-doc). Mais si la formation visée est vraiment innovante, il vous faudra construire ce référentiel. Heureusement, les annonces collectées vous ont permis de repérer les principaux recruteurs. Vous pouvez donc les solliciter pour tester leur attente en matière de filières de formation et de certification et les questionner sur leurs modes de recrutement, les caractéristiques des tâches et les profils recherchés : le niveau de maîtrise des langues, les normes professionnelles et les logiciels métier à maîtriser obligatoirement… Les leaders d’opinion ont souvent la fibre pédagogique, ils aiment leur métier et aiment le transmettre, ils ne vous refuseront pas ce conseil. À charge pour vous ensuite de synthétiser ces informations selon les normes pédagogiques : quels pré-requis ? Combien d’unités, combien de crédits européens ? Quels acquis évaluer et comment ? N’oubliez pas les critères de Validation des Acquis d’Expérience (VAE), car si le métier existe de fait avant sa certification, cela signifie que des professionnels expérimentés cherchent à faire reconnaître leurs compétences. La VAE sera pour eux une excellente solution.

Étape 3 : Sélectionner les meilleurs morceaux

8Ce recueil de conseils a un autre avantage : il vous a permis de constituer un réseau de professionnels concernés par votre projet que vous pourrez associer à votre formation en tant qu’enseignants vacataires, tuteurs de stages, membres de jurys ou inviter à siéger au conseil de perfectionnement. Ces fonctions peuvent être assurées par les collaborateurs d’une unique entreprise majeure du secteur dans le cadre d’une convention. Cette solution permet d’assurer un encadrement cohérent et souvent une certaine garantie d’insertion professionnelle pour les futurs diplômés. Elle est rassurante pour le responsable de formation car elle assure un cadre de collaboration unique et stable. Pourtant elle peut s’avérer inadaptée si le métier visé est encore peu normalisé : les méthodes du partenaire seront-elles suffisamment transférables à d’autres réalités ? Notamment, les élèves pourront-ils les adapter à des PME ? Pour les petites équipes de formation un partenariat avec une grande structure peut s’avérer inégal : conserverez-vous la main sur les contenus d’enseignement ? Le nom de votre partenaire ne risque-t-il pas d’éclipser le vôtre dans les opérations de communication ? Pourrez-vous vous dégager dans de bonnes conditions et conserver l’activité en cas de rupture de la convention ? Pour concocter une formation professionnelle sans se faire dévorer tout cru, une multitude de partenaires peut être plus avantageuse : il sera plus facile de reconfigurer progressivement les contenus sans remettre en question la totalité des alliances et vous conserverez le contrôle du projet en en assurant la coordination. Cependant cette solution peut être plus lourde à organiser et plus coûteuse en temps.

9Il y a bien sûr d’autres moyens de repérer les professionnels dont le charisme et la notoriété seront un atout, car ce sont ceux qui, validés par leurs pairs, animent les associations, interviennent dans les conférences professionnelles et les instances de normalisation, collaborent aux revues du secteur. Les blogueurs en font-ils partie ? Oui, si le blog est une référence reconnue et citée par les professionnels du secteur, mais attention aux blogs d’électrons libres même s’ils ont du succès : critiquer avec esprit n’est pas toujours le gage d’une bonne maîtrise professionnelle.

Étape 4 : Ajouter un zest de légitimité

10S’entourer de professionnels reconnus ne suffira peut-être pas à gagner et surtout conserver la confiance des élèves et des employeurs. Il faut devenir un acteur de ce domaine d’activité. Là aussi le monde associatif peut procurer des opportunités : écrire dans les revues professionnelles (à cette étape vous êtes un expert de l’analyse des offres d’emploi et par les temps qui courent un article sur le sujet est toujours apprécié), participer aux travaux de cartographie de compétences, à l’organisation des journées d’étude, accueillir dans l’établissement les réunions des groupes de réflexion ou des clubs d’utilisateurs de logiciels sont autant d’occasions d’associer le nom de l’université au domaine d’activité et de consolider le réseau.

Étape 5 : Servir chaud

11Et même très chaud. Être le premier à proposer une formation ciblée sur un métier émergent est un avantage qui vous ouvre largement les pages de la presse et des blogs professionnels…

12Il ne vous reste plus qu’à poursuivre votre veille pour maintenir votre avance, car si l’idée est bonne, des concurrents vous copieront.

Notes

1 Organismes Paritaires Collecteurs Agréés.

2 L’ADBS (Association des professionnels de l’information et de la documentation), l’ANI (Association Nationale des Iconographes) produisent des enquêtes périodiques.

Pour citer ce document

Claire Scopsi, «Concocter une formation liée au monde socio-économique», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 10-Varia, FORMATION, MONDE PROFESSIONNEL,mis à jour le : 20/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=673.

Quelques mots à propos de : Claire Scopsi

CNAM-Paris, Laboratoire DICEN-idf