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DANS L'ACTUALITÉ
Articuler les études médiatiques et le genre au terrain sportif
Table des matières
Texte intégral
1Auparavant « au bas de l’échelle de la légitimité culturelle » (Bonnet et Boure, 2007 : 3), le sport est, aujourd’hui, un objet de recherche développé en sciences humaines et sociales. Malgré le développement de cet intérêt scientifique, les SIC ont peu investi le terrain et les recherches sont encore, en majorité, menées en Staps. Étudié au travers des liens qu’il entretient avec des domaines aussi divers que la politique ou l’économie, « (…) le sport est à considérer comme un fait social total qui nous renseigne sur le fonctionnement global de nos sociétés contemporaines » (Bodin et Héas, 2002 : 12). Ainsi, en Staps, l’étude du genre s’est développée à partir des années 1970 (Terret, 2006) mettant au jour la résistance historique (médicale et esthétique) rencontrée par les femmes dans la pratique sportive, leur plus faible présence en sport de haut niveau et aux postes d’encadrement, les distinctions selon les sports, le poids des politiques sportives ou encore la nécessité d’intégrer l’âge, l’origine sociale et la trajectoire à l’étude du genre1.
2Si ces recherches sont rarement centrées sur la médiatisation, toutes la qualifient d’influente, sur la socialisation des pratiques sportives, comme sur la construction des identités sexuées. Parallèlement, il est intéressant de constater l’importance accordée aux médias par les acteurs œuvrant à l’égalité dans le sport, à la fois comme responsables des discriminations et comme outil de changement. Le CIO (Comité International Olympique) les envisage, ainsi, comme un moyen pour augmenter le nombre de femmes dans la pratique sportive et aux postes à responsabilité2. Le Parlement européen demande, lui, aux médias « de veiller à une couverture équilibrée du sport féminin et masculin ainsi qu’à une représentation non-discriminante des femmes dans le sport ». La thématique mêlant sport, genre et médias s’est développée aux États-Unis et au Canada. En France, si les travaux sur le genre et les médias se sont récemment amplifiés (Bertini, 2007 ; Coulomb-Gully, 2009), l’articulation entre sport, genre et médias est quasi-absente. Nous proposons, dans cet article, d’aborder l’enjeu scientifique de cette articulation.
Au cœur des variables sportives, éditoriales… la sous-médiatisation
3Une première approche de l’objet, par étude de corpus, consiste à établir un état des lieux chiffrés de la visibilité des sportives. Selon Mediawatch, le sport est « une caricature » de la sous-médiatisation générale des femmes. De fait, le sport féminin, représente, en moyenne, 25 % du volume global des pages sportives. Il en est de même dans la presse américaine (23 fois plus d’articles masculins que féminins - Duncan et Messner, 1991 ; Bishop, 2003) ; belge (les articles féminins représentent 13 % des articles en communauté française - De Waele, 2000) et espagnole (Consejo Superior de Deportes, 2011).
4Plusieurs variables influencent cette médiatisation comme le sport disputé, la nationalité des athlètes, le niveau de l’événement sportif, le résultat (médaille, record…). Elles permettent de dépasser l’équation qui consiste à expliquer la sous-médiatisation des femmes par un nombre moins important de compétitrices, de disciplines disputées ou de médailles remportées (les chiffres ne sont pas corrélés. Le pourcentage de sports médiatisés, par rapport au nombre de sports disputés, est moins diversifié pour les femmes que pour les hommes - Montañola, 2008). Mais, d’autres variables comme le type de médias, la ligne éditoriale, les contraintes économiques et organisationnelles, ou encore les profils des journalistes3 sont autant de pistes à questionner pour mieux comprendre la différenciation construite entre pratique féminine et masculine. Par exemple, l’étude du genre journalistique corrélée aux variables sportives sur la médiatisation des Jeux Olympiques met au jour la construction historique de la bi-catégorisation sexuée dans les années 1960, avec la baisse du nombre d’articles mixtes et la disparition des articles organisés par disciplines au profit d’articles centrés sur les athlètes, ce qui contredit l’idée d’une médiatisation de plus en plus égalitaire (Montañola, 2008). L’étude de l’expertise peut également ouvrir des pistes : « Tous médias confondus, 81 % des experts invités à intervenir dans les médias sont des hommes »4. Plusieurs médias et associations proposent d’ailleurs des annuaires féminins, comme France Télévisions ou la BBC en 2013 avec l’« Expert Women Database », pour contribuer à faire évoluer les routines journalistiques. Ainsi, coupler l’étude de la représentation médiatique du sport à celle des locuteurs permettrait de poser la question de l’influence d’une expertise sexuée.
Entre sexe, genre, corps et sport : la complexité des représentations sociales
5Le postulat d’un modelage du corps par les représentations culturelles et symboliques remet en question la justification des différences sociales par le corps en tant qu’objet biologique5. Le sport est alors un terrain d’étude particulièrement fécond, d’une part, parce qu’il se fonde sur une perspective différentialiste qui consiste à revendiquer des différences physiques entre les sexes, justifiant que les épreuves ne soient pas mixtes. Et, d’autre part, les sports collectifs nés « du double souci de discipliner l’énergie des jeunes hommes et d’affirmer leurs valeurs viriles, perçues alors comme menacées par la société industrielle et le féminisme » (Guionnet C. et Neveu E., 2004 : 40) illustrent la place du sport comme vecteur essentiel de socialisation virile6.
6Une deuxième approche, complémentaire à la première, consiste à interroger les représentations sociales des discours médiatisés. Devenu un objet de recherche en SIC (Martin-Juchat, 2002), le corps sportif médiatisé est révélateur des assignations de genre, comme l’a récemment montré la médiatisation de Caster Semenya, athlète sud-africaine soupçonnée d’être un homme et soumise à des tests de féminité par l’IAAF7 ou comme le montre la masculinité définie dans Sport et Vie par la force physique, la maîtrise technique, le contrôle de soi, la capacité à supporter la souffrance, etc. (Terret, 2005).
7Les recherches s’accordent sur l’existence d’une médiatisation stéréotypée fondée sur la naturalisation des différences entre hommes et femmes. Elle prend trois formes principales (Duncan et Messner, 1998) : une infantilisation (les femmes sont présentées comme fragiles, avec un statut d’enfant), une trivialisation (qui consiste à évoquer leur vie privée au détriment de leurs performances) et une sexualisation (qui se focalise sur les descriptions physiques et la beauté des athlètes)8.
8Mary Jo Kane et Jo Ann Buysson (2005) évoquent la nécessité d’intégrer la complexité du processus avec ses ambivalences et contradictions. Limitons nous ici à quelques pistes. L’étude des stéréotypes interculturels peut nourrir les identités genrées médiatisées. En effet, Vincent Charlot et Jean-Paul Clément ont observé, dans le sport, la « persistance de processus de naturalisation des différences de race » (Charlot et Clément, 2007 : 112) avec une survalorisation des capacités physiques dites « naturelles » des athlètes noirs. Ces représentations influencent les descriptions médiatiques des corps, comme a pu le montrer Jean-Paul Honoré (2007) au travers de l’infantilisation des joueurs japonais dans l’Équipe avec des termes comme « bambins ». Ainsi, la nationalité du corps médiatisé couplée au genre présume de sa capacité à endurer les coups, comme en boxe anglaise : « c’est du solide… c’est du thailandais » ou de sa compétence pour une discipline « elle est taillée pour le fond » (Montañola, 2008).
9Les grilles de lecture géopolitiques peuvent également éclairer les enjeux de la médiatisation comme l’étude de Sporting (Combeau-Mari et Boulain, 2005), hebdomadaire sportif de la Réunion qui utilise le sport pour promouvoir l’émancipation de la femme, mais également comme solution aux problèmes démographiques ou encore sanitaires. Il en est de même avec la médiatisation des spectatrices de football inscrite dans une stratégie des fédérations de modification de l’image du spectacle vers l’ambiance « bon enfant » qu’apporteraient les femmes (Mennesson, 2008).
10Enfin, la comparaison de la médiatisation des deux sexes, dans le cas des championnats du monde d’athlétisme, fait ressortir que la description des corps n’est pas réservée aux femmes, que le look des hommes (bijoux, coiffure) est également présent, tout comme l’évocation de leur vie privée (Montañola, 2012). L’étude de Sport et Vie l’a également montré avec la capacité à être un bon chef de famille comme participant de la construction de la masculinité (Terret, 2005). Dès lors, d’autres pistes apparaissent comme le moins grand intérêt des journalistes et du lectorat pour le sport féminin, justifié par une faiblesse technique .
Entre rédaction et réception : la variable du sexe des journalistes et des lecteurs
11Considéré comme un « bastion masculin » avec environ 5 % de femmes (Callède, 2005), le journalisme sportif est très peu étudié. La médiatisation, plus faible et stéréotypée, des sportives est pourtant souvent rapportée à la plus forte présence de journalistes masculins (De Waele, 2000 ; Louveau : 1991). Ce qui laisse à entendre que les femmes (lectrices ou journalistes) s’intéresseraient plus que les hommes au sport féminin. En conséquence, des réseaux comme l’Association des Femmes Journalistes et l’Unesco militent pour l’augmentation du nombre de femmes journalistes et pour une représentation plus équilibrée des deux sexes aux postes à responsabilités. La question qui se pose, en creux, est alors celle d’une distinction entre les écrits des journalistes selon leur sexe.
12En Staps, la piste d’une production journalistique sexuée a pu être ouverte (Delorme et Raul, 2010), tout comme le recrutement de femmes comme stratégie marketing visant à apporter une sensibilité dite féminine, pour attirer un nouveau lectorat (Schoch et Ohl, 2010). Pour Erik Neveu (2000), les différences s’expliquent surtout par les rôles sociaux symboliques, la formation, les rubriques, et la conséquence de la « reconquête du lectorat féminin » par les rédactions. Le faible nombre de travaux empiriques sur la question montre pourtant l’intérêt d’ouvrir la sociologie du journalisme sportif au genre en intégrant également le poids des études de lectorat, le lien aux sources ou encore les rapports entre journalistes et communicants. Du côté des lecteurs, Sylvie Debras (2003) a montré que le désintéret de lecture des femmes peut être une réponse face à une conception de l’information masculine, et d’autres recherches ont mis au jour l’influence, dans les goûts sportifs, du poids du sentiment d’incompétence chez les femmes en matière sportive qui les conduirait à s’auto-exclure (Recours et Ferez, 2011). De nouvelles pistes dans l’étude des rédactions et du lectorat s’ouvrent alors avec l’apparition de pure players d’informations qui entendent contrecarrer les représentations inégalitaires des médias traditionnels comme femmes de sport qui a pour but de « (…) valoriser au maximum le sport féminin français » parce qu’il « (…) n’a pas l’éclairage qu’il mériterait d’obtenir »9.
13L’inscription en SIC semble pertinente dans l’articulation des études médiatiques, de genre et de sport pour lier la dimension communicationnelle à d’autres (sociales, économiques, etc.). L’étude de la médiatisation du sport sous l’angle du genre fait ressortir une grande complexité, notamment au travers de discours ambivalents, parfois contradictoires. Ainsi, pour dépasser le relevé des discriminations par extraction de corpus et étudier les processus de médiatisation du sport dans leur complexité, plusieurs pistes sont encore peu ou pas explorées comme le contrat de lecture, la corporalité des journalistes10, les genres journalistiques (les portraits d’athlètes, l’éthos du supporter), la place des consultants (Bonnet, 2007) et de la parole rapportée.
Bibliographie
BERTINI M.-J., « Un mode original d’appropriation des cultural studies : les études de genre appliquées aux sciences de l’information et de la communication. Concepts, théories, méthodes et enjeux », MEI, n° 24-25, 2007, pp.115-124.
BISHOP R., « Missing in action Feature Coverage of women’s sports in Sports Illustrated », Journal of Sport & Social Issues, n° 2, Vol. 27, 2003, pp.184-194.
BODIN D. et HEAS S., Introduction à la sociologie des sports, Paris, Chiron, 2002.
BONNET V. et BOURE R., « Médias et culture sportive. Discours sur des pratiques et discours des pratiques », Sciences de la société, n° 72, 2007, pp.3-8.
BONNET V., « Stéréotypages et éthos dans le commentaire sportif : construction et évolution d’un genre », in BOYER H. (dir.), Stéréotypage, stéréotypes : fonctionnements ordinaires et mises en scène, Paris, L’Harmattan, 2007, pp.47-59.
CALEDE J.-P., « Le journalisme de sport en France : une « loi » du genre ? », in TERRET T. (dir.), Sport et genre, Paris, L’Harmattan, 2005, pp. 187-219.
MARTIN-JUCHAT Fabienne, « Anthropologie du corps communicant », MEI, n° 15, 2002, pp.55-66.
Notes
1 Voir T. Terret, C. Mennesson, C. Ottogalli-Mazzacavallo, C. Louveau et A. Bohuon.
2 Résolution, deuxième conférence mondiale du CIO, Femme et Sport, 2000. Et, plus récemment, 5e Conférence mondiale du CIO sur la femme et le sport, Los Angeles, 2012.
3 Voir les travaux de K. Souanef.
4 http://www.inaglobal.fr/idees/article/femmes-dans-les-medias-peut-vraiment-mieux-faire (consulté le 10/4/13).
5 Voir les travaux de D. Gardey, L. Löwy, T. Laqueur et C. Vidal.
6 Voir les travaux de S. Laberge, J. McKay, P. Liotard et C. Mennesson.
7 Journées d’études « L’affaire Semenya » : approches disciplinaires, 11-12 avril 2013, Université Lyon 1 (ELICO, CRAPE, Praxiling).
8 Pour les travaux français, voir C. Brocard, S. Jamain, M. Metoudi, L. Schoch.
9 http://www.femmesdesport.com
10 Voir les travaux de R. Ringoot, Y. Rochard.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Sandy Montañola
Université Rennes 1, Centre de recherches sur l’action politique en Europe (CRAPE). Courriel : montanolas@yahoo.fr