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Christian Bourret et Amos David

L’intelligence économique comme catalyseur de nouvelles dynamiques de coopération

Article

Texte intégral

1L’Intelligence Économique, champ à part entière des SIC, est reconnue pour ses dimensions stratégiques d’aide à la décision. Dans ce texte, nous insisterons plus particulièrement sur ses aspects moins connus, mais qui conditionnent largement le succès de sa mise en œuvre pour les entreprises, mais aussi pour les territoires, l’i. e. étant un catalyseur de dynamiques de coopérations à la fois à l’externe (maîtrise de l’environnement concurrentiel) et à l’interne (cohésion de l’entreprise).

Les enjeux d’information et de communication de l’Intelligence Économique

2L’intelligence économique (i. e.) est l’ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution en vue de son exploitation, de l’information utile aux acteurs économiques. Elle s’est progressivement affirmée en France dans le sillage du rapport Martre (1994). Son importance a été rappelée par le rapport Carayon (2003). Ses actions sont menées légalement avec toutes les garanties de protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l’entreprise, dans les meilleures conditions de qualité, de délai et de coût [MAR 94]. Elle correspond au processus de collecte, de traitement et de diffusion de l’information qui a pour objet la réduction de la part d’incertitude dans la prise de toute décision stratégique [REV 98].

3Les concepts que l’on retrouve dans toutes les définitions de l’i. e. sont : le décideur, le problème décisionnel, l’information et la protection du patrimoine matériel et immatériel.

4L’i. e. peut être considérée comme un processus, composé des phases suivantes :

  1. Identification d’un problème décisionnel

  2. Traduction du problème décisionnel en problème de recherche d’informations

  3. Identification des sources pertinentes d’information

  4. Collecte des informations pertinentes

  5. Analyse des informations collectées pour extraire des indicateurs pour la décision

  6. Interprétation des indicateurs

  7. Prise de décision

Figure 1. Les trois composantes d’un projet d’intelligence économique

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5L’i. e. repose sur la maîtrise de l’information pour prendre la bonne décision et anticiper sur les menaces de la concurrence (veille), en s’appuyant sur des outils, et donc avec une dimension technologique (data mining et traitement des données). L’i. e. comporte aussi une forte dimension communication : influence, lobbying, accentuée par utilisation du numérique (e-réputation). La dimension coopération y relève souvent d’un fonctionnement des entreprises concernées en réseaux, notamment dans les clusters et les pôles de compétitivité.

6Très tôt l’i. e. s’est ouverte à d’autres dimensions que les aspects économiques. Le titre du rapport Carayon (2003) faisant référence à la compétitivité et à la cohésion sociale est significatif de ces enjeux : la compétitivité de l’économie doit permettre de contribuer à la cohésion sociale et à la solidarité nationale [CAR 03]. L’i. e. participe ainsi à tout le défi actuel de la protection sociale : repenser l’État providence (en crise) pour redonner sens à la solidarité dans une perspective de proximité sur les territoires. L’i. e. a donc des dimensions sociétale et territoriale. Ces approches correspondent à de « nouveaux territoires de l’intelligence économique » (Duval, 2008). Pour l’i. e., le terme territoire peut ainsi représenter aussi bien l’organisation (par exemple des structures administratives) que l’environnement de l’organisation (par exemple, sa dimension géographique).

La dimension sociétale et territoriale de l’i. e.

7La dimension sociétale de l’i. e., désormais valorisée par l’approche française de l’i. e. correspond en partie à celle de l’école suédoise (S. Dedijer), les approches anglo-saxonnes (business intelligence, competitive intelligence) étant surtout circonscrites aux aspects économiques.

8P. Clerc a insisté sur l’importance de la dimension sociale ou mieux sociétale de l’i. e. [CLER 08], relayé par H. Azoulay pour une analyse des enjeux de développement des banlieues défavorisées. Ces approches rejoignent celles de l’intelligence territoriale et notamment du réseau ENTI1 avec en particulier la notion de résilience des territoires en difficulté.

9L’articulation entre i. e. et IT peut alors correspondre à l’utilisation par un territoire (une collectivité ou un groupe de collectivités) des techniques utilisées par l’intelligence économique comme pourrait le faire une entreprise (stratégie, veille, influence…) qui se traduit par une veille exogène et endogène, des opérations de marketing territorial, de développement durable des territoires (ces deux premières formes de l’IT pouvant être qualifiées d’intelligence économique territoriale : IET). L’IET peut aussi correspondre à l’application conjuguée au niveau d’un territoire d’actions d’intelligence économique (veille, protection informationnelle, influence, lobbying, fonctionnement en réseau…)2.

L’exemple du secteur de la santé

10L’articulation étroite des dimensions économiques (décision, évaluation), de compétitivité pour la cohésion sociale dans une perspective de solidarité sur un territoire est particulièrement forte dans le secteur de la santé [BOU 10]. En France, la territorialisation de la gestion de la santé a franchi une nouvelle étape avec la loi Hôpital, Patients, Santé, Territoires et la création des ARS (Agences Régionales de Santé) en 2010.

11La santé constitue un champ de convergence des enjeux d’intelligence et d’intelligence territoriale avec de fortes dimensions informationnelles et communicationnelles : données pour l’aide à la décision et l’évaluation, traçabilité du parcours de soins des patients, co-production de services avec le patient et sa famille, développement de la démocratie… Les TIC jouent un rôle majeur dans ces évolutions : dossiers informatisés partagés, systèmes d’information, plates-formes de services, centres d’appels… et la notion de territoires de soins numériques. Là encore l’i. e. est bien au cœur de nouvelles dynamiques de coopération, en s’appuyant notamment sur les réseaux sociaux.

Dimensions internes à l’entreprise de l’i. e.

12Dans une entreprise ou toute autre organisation, l’intelligence économique doit être l’affaire de tous. Dans cette perspective, toujours dans une approche insistant sur le rôle de l’i. e. pour favoriser les interactions entre tous les acteurs et le développement des coopérations, l’i. e. a vocation à devenir un facteur majeur de cohésion interne et de création de sens partagé pour l’entreprise.

13En articulation avec les démarches qualité auxquelles elle doit être étroitement associée (qualité de l’information), l’i. e. favorise alors à un état d’esprit d’innovation, d’amélioration continue, relevant d’une forme d’intelligence organisationnelle, avec toute la dimension de la confiance, en particulier numérique.

Conclusion

14L’i. e., champ à part entière des SIC, est avant tout connue pour ses dimensions stratégiques d’aide à la décision. Nous avons mis en relief des aspects moins connus, l’i. e. étant aussi un catalyseur de dynamiques de coopérations, à la fois à l’externe dans une perspective de cohésion sociale et d’intelligence territoriale et à l’interne pour donner du sens aux activités de l’entreprise. L’i. e. est donc pleinement partie intégrante des nouvelles approches du management, et en particulier d’une approche globale de la complexité (Morin, Le Moigne) avec toute la dimension numérique de ces nouvelles approches.

Bibliographie

[BOU 10] BOURRET Christian, « La rencontre de l’e-Santé avec l’Intelligence Sociétale et Territoriale en France. Enjeux de production collective de connaissances autour de nouvelles organisations d’interface », Chapitre 11, dans Intelligence Économique et problèmes décisionnels, sous la direction de DAVID Amos, op. cit., p. 279 - 301.

[CAR 03] CARAYON Bernard, Rapport de la commission présidée par, Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale, Paris, La Documentation française, 2003, 176 pages. Disponible sur : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/034000484/index.shtml

[CLER 08] CLERC Philippe, « L’intelligence sociale nouveau territoire de l’intelligence économique ? »,  in DUVAL Marc-Antoine dir., Les nouveaux territoires de l’Intelligence Économique, Préface de JUILLET (Alain), Paris, ACFCI – IFIE Editions, pp 101 - 118.

[DAV 08] DAVID Amos, L’information pertinente en intelligence économique, Chapitre 8, Dans Problématiques émergentes dans les sciences de l’information, Dirigé par Fabrice Papy, Eds. Hermès-Lavoisier, ISBN 978-2-7462-2110-9, 2008

[DAV 10] DAVID Amos, Intelligence Économique et Problèmes décisionnels, Hermès – Lavoisier, 370 pages, ISBN 978-2-7462-2503-9, 2010

[MAR 94] MARTRE Henri and al, Intelligence économique et stratégie des entreprises, Editions La documentation française, 1994.

Notes

1 www.territorial-intelligence.eu‎

2 http://tinyurl.com/podcyu3

Pour citer ce document

Christian Bourret et Amos David, «L’intelligence économique comme catalyseur de nouvelles dynamiques de coopération», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 9-Varia, DOSSIER, > Axe 3,mis à jour le : 22/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=758.

Quelques mots à propos de : Christian Bourret

Université de Paris Est-Marne-la-Vallée

Quelques mots à propos de : Amos David

Université de Lorraine