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François Silva

Le paradoxe actuel des technologies ou la tragédie des managers

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Texte intégral

1Les technologies constituent un paradoxe. En effet, elles ont la fonction de faire communiquer les gens entre eux. Mais si tout le monde se parle et échange de plus en plus, en fait, on s’écoute de moins en moins car on a de moins en moins le temps pour se comprendre et pour partager. Les technologies ne doivent pas masquer les dimensions relationnelles « traditionnelles » (A. Caillé et al., 2011)1 nécessaires à la qualité du vivre ensemble de la société postmoderne. Le grand danger des organisations est de se laisser envahir par l’infobésité en mettant tous les salariés, dont les managers en premier, sous la pression de l’information. La technologie du numérique est source de dangers potentiels, car nous ne maitrisons pas les technologies. Les exemples d’échec et de problèmes majeurs sont légions de Tchernobyl à Fukushima. Dans tous les cas, la numérisation pose des questions symbolisées par le syndrome Big Brother et le meilleur des mondes (E. Morozov, 2011)2.

2Nous sommes envahis par les outils et au-delà par l’information qu’ils génèrent. Le véritable défi à relever pour les entreprises est de réussir à passer de l’usage d’outils à la façon dont ces outils peuvent participer à l’émergence de nouvelles pratiques sociales générant de meilleures interactions entre les personnes. Les outils peuvent souvent y aider, mais ils peuvent aussi en constituer des obstacles.

3Les entreprises doivent répondre à ces problèmes en mettant en place des démarches pour maîtriser leurs dimensions informationnelles et communicationnelles. L’objectif ultime est de créer les conditions culturelles, managériales et organisationnelles pour développer et améliorer les dimensions relationnelles entre les salariés. Il faut permettre que le travail devienne beaucoup plus collaboratif et virtuel. Aujourd’hui, « Toute organisation, qu’elle soit publique ou privée, familiale ou multinationale, pourrait, voire devrait fonctionner davantage en réseau pour rester compétitive dans son environnement »3. Ce travail collaboratif permet la virtualité, abolie les distances4 et surtout crée les conditions pour optimiser les nouveaux modes de travail basés sur des logiques de projets5. Mais au-delà du « travailler ensemble » il faut que les organisations permettent à leurs salariés de savoir mieux « vivre ensemble ». La fonction RH doit maintenant s’emparer de ces questions et jouer le rôle d’architecte des relations dans l’entreprise.

4Nous voulons faire comprendre la façon dont la fonction RH doit être au cœur des démarches pour faire entrer une entreprise dans une culture collaborative et virtuelle : bilan, définition et mise en place d’une architecture et d’un urbanisme informationnels et communicationnels, outils de suivi, accompagnements, ateliers d’échanges de pratiques… Au cœur de ces questionnements : la capacité des managers de proximité de devenir des accompagnateurs, des facilitateurs et des régulateurs. Ils ne doivent plus se limiter à être des gestionnaires de reporting. En effet, ce sont eux qui peuvent et doivent impulser les nouvelles pratiques de travail générant du collaboratif, du virtuel et… de la convivialité.

Une transformation dans l’organisation du travail

5L’organisation du travail est de plus en plus structurée par des technologies gérant de l‘information et de la communication à travers des représentations virtuelles. Les ERP6 ont générés de très importants gains de productivité en automatisant les tâches et en générant des logiques de flux et de processus. C’est ainsi qu’elles ont contribué à la dématérialisation du travail et des documents, en s’appuyant sur les flux d’information internes et externes à l’entreprise. Cela a entrainé l’émergence de nouveaux usages. Une nouvelle organisation du travail a ainsi émergé. Mais nous sommes en train de dépasser ces questions de dématérialisation de l’information pour évoluer vers une nouvelle étape : la virtualisation des relations interpersonnelles permettant un travail ubique7 et collaboratif. Trois concepts caractérisent la nouvelle forme d’organisation du travail (NFOT)8 émergente : l’ubiquité, le collaboratif et la virtualité. C’est tout l’enjeu aujourd’hui pour les organisations de savoir et pouvoir mettre en place une organisation sur ces principes en s’appuyant sur ces nouvelles technologies. Leur mise en place devrait générer comme pour la dématérialisation de l’information des gains de productivité considérables, en optimisant tous les déplacements qui n’apportent pas de valeur ajoutée et sont générateurs de stress et de fatigue et de consommation fossile pour la plupart. L’utilisation de l’image (et non plus seulement de la voix) dans la relation interpersonnelle va accroitre la facilité communicationnelle car, comme le dit le proverbe, « une image vaut mille mots ».

6Depuis les années 80, d’une part, le traitement automatique des informations et, d’autre part, leur mise en réseau ont transformé l’organisation du travail des entreprises. Ainsi l’informatique en réseau a développé la dématérialisation de l’information ce qui a généré des gains de productivité considérables.

7La numérisation des entreprises correspondent à des transformations majeures de leurs prestations. La plupart de leurs business models est en train de se transformer. Cela nécessite que les entreprises soient aussi en profonde mutation interne afin d’être en situation de pouvoir proposer ces nouvelles prestations. C’est ainsi que les entreprises doivent faire émerger de nouvelles pratiques s’appuyant sur un certain nombre d’outils : Web.2.0, outils sociaux, outils collaboratifs… Ces outils s’intègrent eux-mêmes à d’autres déjà existants, de l’ordinateur de base avec son offre Microsoft Office à l’accès à Internet permettant en premier lieu d’échanger des mails. L’entreprise numérisée qui se met en place fonctionne comme un mille feuilles avec des couches technologiques que l’on rajoute les unes sur les autres.

La révolution de l’information et de la communication dans les organisations

8Le temps passé par les salariés travaillant avec les outils NTIC est de plus en plus important. Ces outils permettent de mettre à disposition une masse d’information de plus en plus importante. L’objectif est de permettre aux personnes de mieux échanger l’information afin de mieux communiquer, c’est-à-dire mieux partager car ces NFOT ont l’information et la communication au centre de leur fonctionnement. Or, les informations produites, créées, diffusées et classées que génèrent ces nouveaux outils n’ont du sens que si elles constituent une valeur ajoutée pour leurs utilisateurs et in fine pour l’organisation. Mais ces outils posent de nouvelles questions aux organisations. Il va être donc nécessaire que chaque entreprise apporte ses réponses spécifiques afin que ses salariés puissent optimiser la gestion de leur information.

9Toute l’histoire de l’entreprise depuis la première révolution industrielle a été la recherche de gains de productivité important.

10Depuis une trentaine d’années, les entreprises ont développé des outils leur permettant d’entrer dans une numérisation de leur organisation tout comme de leurs prestations. Mais comme un mille-feuilles, ces outils se sont progressivement entassés les uns sur les autres. Ils constituent un terreau qui manque de cohérence et de plan d’ensemble pas tellement au niveau technique mais au niveau de l’efficacité humaine et relationnelle qu’ils génèrent. Il est temps aujourd’hui que les entreprises réfléchissent à la cohérence de ces différents outils, de leur efficacité et des conditions de développement par rapport aux objectifs qu’elles se donnent : être une organisation où les relations professionnelles sont de qualité et donc respectueuses de la personne. C’est pourquoi il ne faut plus centrer les efforts seulement vers une recherche d’une meilleure rationalisation de l’organisation du travail à travers le développement des TIC mais surtout chercher à mieux « relationnaliser » cette organisation. Une question centrale pour les dix prochaines années va donc être de donner aux salariés d’une entreprise les moyens d’en optimiser leur usage dans ce sens. C’est pourquoi il est nécessaire au préalable d’avoir une démarche d’audit concernant la gestion de l’information et de la communication de ses salariés afin de comprendre ce qui existe en cernant ce qui pose problème.

Notes

1 Caillé A. et al, De la convivialité, La Découverte, 2011.

2 Morozov E., The Net Delusion: The Dark Side of Internet Freedom, Hardcover, 2011.

3 Vaast E., (2008), Travail en réseau et réalités hiérarchiques, Informations sociales, vol. 3, n° 147, pp. 48-57.

4 Keith Harrison-Broninski, Human interactions, Meghan-Kiffer Press, 2005.

5 Yochai Benkler, La richesse des réseaux, Presses Universitaires de Lyon, 2006

6 Les ERP constituant un terme générique pour exprimer la structuration des flux d’information en work flow avec les restructurations organisationnelles.

7 Adjectif construit à partir de la racine latine « ubique », partout, qui a donné le concept d’ubiquité et qui traduit aussi ici la notion de réparti et du diffus, presque dématérialisé.

8 Charpentier P., 2007, Management et gestion des organisations, Paris, Armand Colin.

Pour citer ce document

François Silva, «Le paradoxe actuel des technologies ou la tragédie des managers», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 9-Varia, DOSSIER, > Axe 3,mis à jour le : 22/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=764.

Quelques mots à propos de : François Silva

Kedge Business School, DICEN CNAM, responsable de l’Observatoire de la FMRH (Fédération Méditerranéenne des Ressources Humaines)