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FORMATION, MONDE PROFESSIONNEL

Patrice de La Broise

L’apprentissage à l’université : une voie de professionnalisation en SIC ?

Article

Texte intégral

1L’Université constitue d’abord un espace de socialisation. De sorte que l’expérience individuelle et collective des étudiants n’est réductible ni à l’acquisition de savoirs, ni au développement d’aptitudes professionnelles. Or la professionnalisation tend à « transformer les cadres de l’expérience » universitaire en systématisant les incursions ponctuelles ou prolongées des étudiants dans la sphère professionnelle. Il en va des stages conventionnés comme d’autres formes contractualisées de professionnalisation par alternance (contrat d’apprentissage et de professionnalisation). Faut-il généraliser cette mise au travail, parfois très précoce, hors les murs de l’université ? Constitue-t-elle un prolongement ou une alternative à l’acquisition de savoirs académiques ? N’est-il pas réducteur de conditionner la professionnalisation à ces formes externalisées, alors même que leur encadrement pédagogique fait souvent défaut et que les détournements en emplois « déguisés », précaires et bon marché, obligent à légiférer ?

2Les formations par voie d’apprentissage sont encore assez rares dans les cursus universitaires en Sciences Humaines et Sociales, y compris en Sciences de l’Information et de la Communication1. Pourtant, l’alternance — au sens générique du terme — a toujours été très présente en SIC. Elle prit d’abord la forme de stages conventionnés de fin d’années. Puis les emplois du temps ont été aménagés à la faveur d’une alternance plus manifeste, sous forme de stages hebdomadaires ou de contrats de professionnalisation.

Retour sur une expérience locale2

3À Lille, en septembre 2011, un groupe dédié à ces contrats de professionnalisation en Master 2 avait été créé en Communication interne et externe au rythme de deux semaines en entreprise (ou association) et une semaine en formation présentielle. Ce rythme apparaissait pertinent pour l’accomplissement des missions confiées aux étudiants, dans le respect conjoint des temporalités de la pédagogie et du travail en organisation. Cette expérimentation réussie a donc permis à l’équipe pédagogique de vérifier la faisabilité de l’apprentissage dans une formation universitaire. C’est pourquoi le parcours de Master Communication Interne et Externe par voie d’apprentissage est venu confirmer une politique de l’alternance en permettant aux étudiants d’accéder ainsi à une plus grande diversité d’organisations d’accueil, notamment dans les fonctions publiques. L’enjeu de ce dispositif est d’abord, et surtout, de favoriser l’insertion professionnelle des diplômés pouvant se prévaloir d’une expérience professionnelle contractualisée. Des arguments développés dans le dossier d’habilitation de cette formation, nous retenons :

  • la qualité d’un dispositif de formation qui, depuis plus de vingt ans, a construit sa notoriété et son image sur une pédagogie professionnalisante à l’université ;

  • une demande sociale exprimée par les étudiants, les milieux économiques et les professionnels de la communication ;

  • une expérience de l’alternance déjà éprouvée sous la forme d’un accueil régulier d’étudiants en formation continue, de stages hebdomadaires, de contrats de professionnalisation, d’un groupe dédié à l’alternance (sous contrats de professionnalisation) depuis 2011 ;

  • un partenariat confirmé avec les milieux professionnels et les associations représentatives des métiers visés par la formation ;

  • l’alliance, indispensable dans une formation universitaire professionnalisante, de la recherche et de l’enseignement ;

  • les valeurs d’un service public à l’écoute des étudiants, de leur construction intellectuelle et professionnelle jusque et y compris dans l’accompagnement de leur insertion ;

  • l’équilibre pédagogique d’une équipe enseignante constituée d’universitaires et de praticiens de la communication.

Une pédagogie active

4La pédagogie par projet est au cœur du dispositif de formation et l’initiative de l’étudiant y est encouragée sous la forme d’ateliers, projets tutorés et études de cas. Ces mises en situation lui permettent d’éprouver ses connaissances et de mettre son expérience d’apprenti en perspective avec d’autres objets et cadres d’exercice professionnel. Elles sont aussi propices à la réflexion et à la réflexivité de l’apprenti sur certaines de ses missions, sachant qu’il peut les mettre à profit pour différents travaux individuels ou collectifs. L’évaluation des missions professionnelles accomplies constitue un moment de synthèse indispensable, au-delà des évaluations programmées pour chaque module pédagogique. La conception d’un rapport et une soutenance permettent ainsi d’expliciter une expérience professionnelle non réductible à l’accomplissement de tâches opérationnelles.

5Le travail en ateliers est, sur l’ensemble du cursus, une caractéristique forte de la formation dispensée. Il vise à mettre les étudiants en situation et à les confronter aux questionnements et difficultés qu’ils rencontreront dans les situations de leur vie professionnelle ultérieure. Sous la forme régulière de projets tutorés, généralement appuyés sur des commandes du monde professionnel, les étudiants sont amenés à expérimenter leurs connaissances sur le terrain des usages et des pratiques. Ils participent aussi à la visibilité extérieure de formations particulièrement bien insérées et reconnues au niveau local et régional. La réalisation de projets collectifs à visée professionnelle a également pour objectif de favoriser le travail collaboratif et de sensibiliser au futur travail d’équipe au sein du monde professionnel. La volonté transversale de mise en situation se prolonge par un certain nombre d’études de cas organisées à partir de terrains effectifs, reposant sur une commande émanant d’un professionnel et concernant une situation-problème authentique.

Suivi et accompagnement

6Un parcours de formation par apprentissage doit s’appuyer sur l’accompagnement et le suivi individualisés ainsi que sur le transfert de compétences professionnelles. Le maître d’apprentissage et le tuteur enseignant jouent à cet égard un rôle essentiel.

7Le tuteur pédagogique assure le suivi de l’apprenti. Pour ce faire, il lui appartient :

  • de s’informer régulièrement du bon déroulement de la formation ;

  • d’apporter de l’aide à l’apprenti lorsqu’il rencontre des difficultés quelles qu’elles soient (techniques, relationnelles ou comportementales) ;

  • de s’assurer que la formation sur le terrain remplit bien les objectifs du Master Métiers de la Communication

  • d’évaluer à l’issue de chaque période avec le maître d’apprentissage les compétences acquises par l’apprenti.

8Le maître d’apprentissage est un responsable, une personne ressource et l’interlocuteur de l’apprenti. C’est lui qui :

  • initie l’apprenti aux différentes tâches opérationnelles,

  • lui donne peu à peu de l’autonomie,

  • définit, en suscitant l’adhésion de l’apprenti, l’objet d’une mission centrale,

  • en permet la réalisation par ses conseils techniques et l’apport de son expérience.

9De sorte que l’accompagnement est l’élément prépondérant d’une formation par voie d’apprentissage. Outre les visites programmées sur les lieux d’apprentissage à raison de trois ou quatre fois par an, des réunions en présence des maîtres d’apprentissage et tueurs pédagogiques sont organisées afin de mettre en perspective les expériences.

L’impérieuse nécessité d’un ancrage disciplinaire et d’un adossement à la recherche

10Rien n’est plus utile que l’initiation à la recherche dans une formation universitaire professionnalisée. C’est sur cette conviction que repose un projet pédagogique où les chercheurs entrent en dialogue avec les praticiens de la communication et des organisations partenaires de la formation. Les séminaires sont programmés au rythme d’un toutes les trois semaines, ce rythme permettant de maintenir un contact en recherche régulier avec les étudiants. De ce point de vue, le « retour » aux enseignements est systématiquement associé à un état d’avancement du travail de recherche (question de départ, observation d’une situation, collecte de documents, réalisation d’entretiens, notes de lecture, etc.). Il a été proposé, pour les apprentis, la création d’un séminaire dans lequel les principaux champs et objets de recherche de la communication des organisations et institutions sont explorés. Chaque participant au séminaire a donc la possibilité d’interroger les enjeux, les stratégies, les situations et/ou les formes de communications organisationnelles rapportées à son domaine d’apprentissage. Les étudiants inscrits dans ce séminaire y éprouvent :

  • leur capacité à construire un objet de recherche et à se situer dans un cadre scientifique de référence ;

  • leur discernement et leur rigueur méthodologiques ;

  • leurs qualités d’analyse, d’élucidation et de divulgation.

11Le séminaire consistant à initier les apprentis à une praxéologie inspirée par la recherche en SIC, le choix et la construction de l’objet de recherche peuvent donc être motivés par le cadre d’exercice, l’activité, les dispositifs et processus de communication observables en situation d’apprentissage. Dans cette mesure, la problématisation d’une question de communication peut être envisagée dans la perspective d’une recherche-action.

Réflexivité et partage d’expérience

12Considérant le statut et la double posture de l’étudiant sous contrat de travail, il importe que le cahier des charges pédagogique intègre la dimension expérientielle de l’apprentissage dans le cadre des enseignements en présentiel. C’est pourquoi un accompagnement collectif des apprentis est inclus dans la maquette de formation et prend la forme d’ateliers « d’analyse d’activité et de retour d’expérience ». Ce dispositif est avant tout un lieu de confrontation et de partage des représentations des étudiants quant au métier de communicant, aux exigences organisationnelles, aux postures de professionnel, les modalités pédagogiques favorisant le travail réflexif et collaboratif sont déployées sous la forme d’un journal de terrain et l’analyse d’activités et de situations professionnelles.

Pour une éthique de la professionnalisation en Sciences de l’Information et de la Communication

13La critique de la professionnalisation n’est pas tendre avec des formations universitaires professionnalisées. Et certains analystes de dénoncer, un peu vite, un » abâtardissement de l’institution, un renoncement au savoir et à la recherche au profit d’une poursuite de l’utilité immédiate » (Vatin, 2009). L’apprentissage, s’il constitue une opportunité, doit être envisagé dans l’intérêt de l’étudiant et non comme l’instrument d’une compétition entre des formations universitaires, elles-mêmes très fortement concurrencées par des officines privées.

14L’alternance, et particulièrement l’apprentissage, requiert une gestion administrative et un encadrement pédagogique rigoureux auxquelles toutes les formations ne sont pas prêtes. Mais dans un contexte de réforme de l’apprentissage dont il est dit que les effectifs pourraient, dans l’enseignement supérieur, être multipliés par six en 2020 (Fioraso, 2012), il importe que les SIC participent au débat.

Notes

1 Sauf erreur ou omission, nous avons identifié 12 parcours de masters (M1 et/ou M2) en sciences de l’Information et de la Communication accessibles par voie d’apprentissage dans les universités françaises :
– Master 1 Politiques de communication – Université de Versailles St. Quentin-en-Yvelines
– Master 1 Information et communication par apprentissage - Université Nice Sophia-Antipolis
– Master 2 Communications, Cultures Organisationnelles, Stratégies d’Images et Internet - Université Nice Sophia-Antipolis
– Master (M1 & M2) Communication Interne et Externe) Université Lille 3
– Master (M1 & M2) Commercialisation du livre - Université Paris 13 Nord
– Master 2 Risques et Stratégies de Communication – Celsa Université Paris 4
– Master 2 Management de la Communication – Celsa Université Paris 4
– Master 2 Stratégie de Marque et Branding – Celsa Université Paris 4
– Master 2 Métiers du Conseil – Celsa Université Paris 4
– Master 2 Ressources Humaines et Communication – Celsa Université Paris 4
– Master 2 Communication et multimédia – Université Panthéon-Assas Paris 2
– Master (M1 & M2) « Communication et ressources humaines » Université Paris 13 Nord

2 Master Communication Interne et Externe (CIE) par voie d’apprentissage. http://www.univ-lille3.fr/ufr-deccid/infocom

Pour citer ce document

Patrice de La Broise, «L’apprentissage à l’université : une voie de professionnalisation en SIC ?», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 9-Varia, FORMATION, MONDE PROFESSIONNEL,mis à jour le : 22/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=777.

Quelques mots à propos de : Patrice de La Broise

Université de Lille3, GERIICO