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FORMATION

Isabelle Descamps

L’approche par compétences à l’Université. L’exemple d’un dut en apprentissage

Article

Texte intégral

1L’accueil des apprentis au sein du département Gestion des Entreprises et des Administrations (GEA) de Villeneuve d’Ascq (Université de LILLE) est réparti sur 2 options proposées dans le parcours : GCF (Gestion Comptable et Financière) et GRH (Gestion des Ressources Humaines). En moyenne, sont accueillis 25 apprentis en 1re année, et autant en 2e année, sachant que des étudiants de 1re année en formation initiale classique peuvent rejoindre la formation par apprentissage en 2e année uniquement (entre 4 et 6 par an).

2Les compétences à acquérir dans le cadre du diplôme sont définies de manière théorique dans le PPN GEA (Programme Pédagogique National)1, la dernière version datant de 2013. A ce stade, il est important de préciser qu’il s’agit d’un référentiel d’activités et d’un référentiel de compétences. Libre aux enseignants de mettre en œuvre la pédagogie souhaitée, pour permettre aux apprentis de développer ces compétences, tout en acquérant des connaissances, à partir du moment où les objectifs visés pour chaque module sont atteints. Dans le cadre de l’apprentissage, le temps de présence étant réparti sur 2 jours à l’IUT (et quelques semaines « pleines ») et 3 jours en entreprise (et quelques semaines « pleines », notamment les périodes d’interruption pédagogique), nous avons fait le choix de dispenser 75 % du volume horaire global du PPN, étant entendu que les 25 % restants étaient pratiqués au sein de l’organisation. En effet, dans le cadre de la formation en DUT GEA en apprentissage, des compétences sont à acquérir par l’apprenant, à la fois dans le cadre des TD suivis en IUT, mais aussi au sein de l’organisation d’accueil.

3L’approche par compétences est de plus en plus privilégiée et tend même à devenir une recommandation du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESER), notamment dans le cadre de la réforme du DUT en cours (DUT 180 – sous entendant 180 ECTS – équivalent à un diplôme de niveau 6, bac +3)2. En parallèle, la réforme de l’apprentissage en cours tend vers le même objectif : privilégier l’approche par compétences. Il est à noter que la CTI (Commission des Titres d’Ingénieurs) impose déjà cette approche dans le cadre des diplômes d’ingénieurs3.

4Au département GEA de l’IUT A de Villeneuve d’Ascq, nous avons souhaité nous lancer dans l’approche par compétences dès la rentrée 2017, pour nos apprentis. Cela a été rendu possible grâce à l’ingénierie et à l’accompagnement proposé par FORMASUP Nord-Pas de Calais4, par Monsieur Sébastien CARTA, Chef de Projet en Ingénierie de Formation.

Le suivi informatisé de nos apprentis

5Nos apprentis bénéficient d’un suivi en ligne via la plateforme collaborative Mysup à travers le « Livret Electronique d’Apprentissage ». Cet outil, personnalisable selon les ambitions pédagogiques, permet d’articuler la pédagogie mise en place et la structuration du parcours de l’apprenti. En tant qu’apprenti, l’apprenant doit compléter des fiches d’activités (3 par année) répondant à des items prédéfinis, afin de relater son activité au sein de l’entreprise (descriptif des missions confiées, tâches réalisées, analyse qualitative et quantitative…), et en la mettant en parallèle avec les TD réalisés à l’IUT. Parallèlement, un suivi est assuré par le TA (Tuteur Académique), c’est-à-dire par un enseignant ou un vacataire du département, ainsi que par le MA (Maître d’Apprentissage) désigné au sein de l’entreprise, par le biais de rencontres individuelles, et de visites en entreprise (3 visites par année, selon un calendrier préalablement établi).

6Ce suivi permet non seulement de constater l’évolution de l’apprenti, mais aussi de prendre en compte son analyse en termes de compétences acquises, en lien avec le PPN, ou d’autres compétences acquises dans le cadre de ses missions, ne figurant pas obligatoirement au PPN. En effet, selon les postes occupés, les organisations d’accueil (privé/public par exemple), les missions varient et font parfois appel à des compétences non acquises dans le cadre des Travaux Dirigés. Dans ce cas, nous considérons qu’il s’agit d’une plus-value enrichissante pour l’apprenti. Des séances de « retours d’expérience » sont mises en place dans le cadre du module PPP (Projet Personnel et Professionnel), permettant aux apprentis de relater leurs activités et compétences acquises au reste du groupe, de sorte de partager les expériences avec les autres apprentis. Ces échanges permettent également de les sensibiliser aux missions confiées selon le secteur d’activité de l’entreprise, son effectif, les postes présents dans l’organisation. Ces échanges sont fructueux et intéressants, dans la mesure où ils viennent s’ajouter aux expériences individuelles, et qu’ils permettent de disposer d’une vision plus globale et/ou spécifique de l’activité des organisations, selon les postes occupés.

La mise en place des référentiels de compétences

7Afin de disposer d’une vue synoptique des compétences à acquérir, nous avons transposé les compétences décrites dans le PPN, en compétences techniques à acquérir au sein de l’organisation. Ces référentiels ont été réalisés à partir des compétences clés identifiées dans le PPN du DUT GEA. Ils ont pour objectif de permettre aux MA d’apprécier les compétences développées par l’apprenant tout au long de son parcours de formation en entreprise, et de permettre d’échanger sur celles-ci avec le TA et l’apprenant lui-même. Ils se décomposent en 2 domaines différents :

  • Les compétences transversales relatives à tout apprenti préparant un DUT GEA

  • Les compétences métiers spécifiques aux domaines de la Gestion Comptable et Financière ou de la Gestion des Ressources Humaines, selon l’option choisie en début de contrat par l’apprenti.

8Il est à noter qu’un troisième domaine de compétences a également été identifié, concernant les compétences relationnelles, cognitives et comportementales attendues par les apprentis en formation (ce point est traité dans la partie « prise en compte et évaluation des soft skills » ci-après, plus en détail).

9L’objectif de la mise en place de ces référentiels est double ; il s’agit à la fois de constater les compétences acquises, mais aussi de procéder à l’évaluation de l’apprenti, sur la base de l’acquisition des compétences visées.

10La dimension évaluative se veut basée sur la coopération des différents acteurs et la participation de l’apprenti. Les évaluations des compétences faites par le Maître d’apprentissage accompagné du Tuteur font souvent l’objet de discussions en lien avec l’apprenti, afin de lui permettre de développer une approche réflexive des compétences développées. Le développement de la réflexivité chez l’apprenti à travers l’autoévaluation de ses compétences fera l’objet de développements futurs (cf. point « bilan de cette approche par compétences ») afin de lui faire prendre conscience de ses points forts et potentiels de développement.

11Un premier test a été proposé en juin 2018, soit à la fin de l’année universitaire, afin d’évaluer les apprentis en fin de 2e année. Lors de la réunion de fin d’année 2018, nous avons fait un debrief avec les MA et TA afin de recueillir leur ressenti et leurs attentes quant à ces formulaires.

12Selon les remarques soulevées, nous avons revu nos critères d’évaluation, notamment en ce qui concerne :

  • L’échelle d’évaluation : déplacement du critère « non mobilisé » en fin de colonne (approche psychologique), de sorte de ne pas décourager l’apprenti lorsqu’il a développé des compétences annexes aux PPN (constituant donc une plus-value), mais qui n’aurait pas traité les compétences spécifiquement reprises dans le PPN.

  • La proposition d’un encart libre de texte permettant justement de détailler les compétences acquises non visées par le PPN.

  • Le regroupement de certaines compétences détaillées, en une seule et même compétence globale, lorsque par exemple elles étaient trop décomposées en tâches successives.

13Concernant les compétences transversales, pour les 2 options, nous avons détaillé les compétences de base que doit être en mesure de développer un apprenant dans le cadre de sa pratique professionnelle. Les compétences identifiées dans notre formulaire font référence aux activités du PPN en lien avec :

  • La collecte et l’organisation des données de gestion

  • Le recueil et le traitement de l’information pour se conformer aux obligations légales et réglementaires

  • L’élaboration des documents de synthèse destinés aux gestionnaires, décideurs de l’organisation.

  • La présentation et la transmission des informations.

  • L’analyse des résultats et des écarts.

14Ensuite, nous avons centralisé les compétences « métiers » spécifiques par option. Par exemple, pour l’option GCF, il s’agit des domaines de compétences suivantes :

  • La collecte, la vérification, le traitement, le classement, des données comptables, sociales et financières.

  • La production des comptes annuels et des documents fiscaux, sociaux et de gestion

  • L’analyse de la performance (économique et financière)

  • La communication des informations comptables, financières, fiscales et sociales

L’évaluation des compétences

15Nous avons fait le choix de dresser une échelle d’évaluation répartie en 5 items (nota : l’échelle évoquée ci-dessous est celle que nous avons reformulée suite aux retours de MA en réunion de fin d’année) :

  • Connaissance de base : l’apprenant a déjà une première sensibilisation sur la question (observation en entreprise, interview de professionnels…) complétée par ses cours théoriques et lectures individuelles.

  • Connaissance approfondie : l’apprenant a une bonne connaissance complétée par une étude approfondie (première expérimentation sur le terrain, recherche et veille sur des questions d’actualité…)

  • Savoir-faire opérationnel : l’apprenant a développé des savoir-faire opérationnels en réalisant concrètement des activités sur le terrain. Il atteint un niveau de performance satisfaisant dans sa pratique professionnelle.

  • Maîtrise : l’apprenant a développé des savoir-faire opérationnels en mettant en œuvre régulièrement des activités sur le terrain et des contextes différents. Il atteint un niveau de performance élevé dans sa pratique professionnelle.

  • Compétence non mobilisée : l’apprenant n’a jamais eu l’occasion de mobiliser cette compétence dans son contexte professionnel.

16Pour ce dernier critère, j’évoquais précédemment notre choix de le placer à la fin de la grille d’évaluation, pour ne pas donner l’impression à l’apprenti le cas échéant qu’il n’a pas balayé toutes les compétences du PPN, alors qu’il a développé d’autres compétences sur le terrain, constituant une valeur ajoutée certaine pour sa formation. Nous pourrions imaginer, à terme, de développer également les compétences en lien avec des projets et/ou des activités extrascolaires par exemple.

La prise en compte et l’évaluation des « soft skills »

17Il nous est apparu intéressant d’évaluer les « soft skills », à l’heure où celles-ci sont de plus en plus prises en compte au sein des organisations, et qu’à niveau de diplôme égal, voire inférieur, un candidat avec un savoir être plus apprécié sera retenu.

18Nous avons identifié les savoir-être suivants, généralistes et/ou spécifiques au secteur d’activité tertiaire et aux métiers visés. Nous les avons estampillés « compétences comportementales, cognitives et relationnelles » développées par l’apprenti. Il s’agit, pour le MA, d’apprécier le comportement et le positionnement relationnel, selon les normes admises dans l’organisation. L’échelle d’évaluation comporte 4 niveaux : totalement adapté, partiellement adapté, inadapté, et très inadapté.

19Les compétences comportementales, cognitives et relationnelles mesurées qui nous importent sont :

  • Les compétences relationnelles et l’envie d’apprendre dans lesquelles on retrouve par exemple l’adaptation aux autres, la curiosité intellectuelle et culturelle, la capacité d’autoformation…

  • L’organisation et la rigueur professionnelle, incluant par exemple l’assiduité, la ponctualité, mais aussi la prise de notes pour les consignes et demandes, la rigueur dans la recherche de résultats…

  • L’analyse et la prise de décision, pour lesquelles on peut citer entre autre la capacité d’analyse, les initiatives dans la limite des responsabilités dévolues, la prise de risques calculés…

20Cette approche par les soft skills nous est apparue utile dans la mesure où nous avons eu à faire face à des ruptures de contrat, après 1 ou 2 mois de présence en entreprise, pour des raisons de savoir-être inadapté. Cela nous permet également, en tant qu’enseignant et/ou de TA, de faciliter l’échange sur ce point avec nos apprentis.

Bilan de cette approche par compétences

21Des améliorations seront encore à opérer, en tenant compte de cette première promotion évaluée sous cette forme dans le cadre de la note « alternance », à l’issue de la phase de test. À terme, un algorithme permettra de transformer l’évaluation des compétences en note /20, même si nous avons conscience que ce système de notation chiffrée devrait à terme être abandonné.

22Nous envisageons pour l’an prochain une auto-évaluation plus formelle sur cette même base de référentiel de compétences par l’apprenti lui-même, de sorte qu’il développe cette capacité et qu’il puisse se positionner en amont de l’évaluation par le MA et le TA, et de permettre ainsi un échange sur cette base.

23D’autre part, il est important que nos étudiants prennent conscience de ce dont ils sont capables, des compétences qu’ils acquièrent tout au long de leur parcours de formation. Cela nécessite en amont une réflexion de l’enseignant quant aux contenus des enseignements proposés, de la manière de les appréhender ; face à la révolution technologique, le savoir est désormais accessible en temps réel, et il convient de revoir notre métier d’enseignant, en privilégiant l’accompagnement ou le coaching de nos étudiants. Il nous appartiendra de définir les compétences visées, selon les programmes en vigueur, et la manière dont nous amenons nos étudiants à cet objectif final.

24De plus, cette approche par les compétences devrait permettre aux étudiants de sortir de leur logique scolaire (travailler pour acquérir des compétences, transposables sur le terrain, et non uniquement pour obtenir une note) et aux enseignants de remettre en question les contenus de leurs enseignements, leurs méthodes pédagogiques et les évaluations proposées.

25En procédant de la sorte, nous donnons du sens à nos séquences pédagogiques et nous permettons à nos étudiants de détecter par eux-mêmes les compétences réellement acquises, au-delà des savoirs théoriques auxquels ils étaient habitués jusqu’alors.

Conclusion

26Pour conclure, nous avons conscience que le monde universitaire est en pleine mutation, la réforme du baccalauréat en cours, et celle de l’apprentissage, en sont la preuve. Il nous revient donc de nous adapter à ce nouveau contexte, à l’heure où nous préparons nos étudiants, futurs professionnels, à des métiers qui n’existent pas encore.

27Alors que nous réfléchissions jusqu’alors en « inputs » que sont les contenus et savoir-faire que nous enseignants transmettions à nos étudiants, nous devons aujourd’hui penser en « learning outcomes » (ou AF : Acquis de la Formation) c’est-à-dire en résultats que nous attendons des apprentissages de nos étudiants.

28Cette démarche est valable pour l’apprentissage, telle que décrite ci-avant, mais sera aussi à court terme déployée auprès des étudiants en formation initiale. Par ailleurs, cette approche permettra également à des professionnels désireux de parfaire une compétence précise ou d’en acquérir d’autres, de rejoindre les bancs de l’université pour un bloc de compétence spécifique, dans le cadre de la formation continue. Des travaux ont déjà été menés sur ce sujet, dans le cadre des DUT, afin de définir des blocs de compétences pour les différents diplômes proposés, de sorte qu’un individu puisse décider d’obtenir l’un ou l’autre de ces blocs, au rythme qui lui convient, en s’inscrivant dans ce processus de manière étalée dans le temps.

29Enfin, cette approche par compétences nous permet d’appréhender autrement notre pédagogie (approche par problèmes, méthode inductive, pédagogie inversée, etc…) de sorte d’amener l’apprenant vers l’acquisition de compétences, travaillées dans tous les modules, et afin qu’il dispose d’un capital formation adaptable sur le plan professionnel.

30Ces investigations ne sont qu’à leur début, et permettront à terme de proposer des parcours de formation différenciés et personnalisés, à nos apprenants, quelle que soit leur origine (étudiants ou personnels des organisations en reconversion ou en recherche d’acquisition de nouvelles compétences pour faire face aux innovations technologiques par exemple).

Notes

1http://www.iut.fr/files/fck/File/documents/PPN/fran%C3%A7ais/PPN_GEA_256093.pdf (14/04/2019)

2 Selon nouvelle nomenclature par Décret n° 2019-14 du 8 janvier 2019 http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid72872/nomenclature-relative-au-niveau-de-diplome.html (14/04/2019)

3 Selon nouvelle nomenclature par Décret n° 2019-14 du 8 janvier 2019 http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid72872/nomenclature-relative-au-niveau-de-diplome.html (14/04/2019)

4 FORMASUP gère le Centre de Formation d’Apprentis (CFA) de l’Enseignement Supérieur pour l’ensemble de la région Nord-Pas de Calais.

Pour citer ce document

Isabelle Descamps, «L’approche par compétences à l’Université. L’exemple d’un dut en apprentissage», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 16-varia, FORMATION,mis à jour le : 26/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=853.

Quelques mots à propos de : Isabelle Descamps

Enseignante en communication et Directrice des études Apprentissage, Université de Lille – IUT A - Département GEA. Courriel : isabelle.descamps@univ-lille.fr