Les Cahiers de la SFSIC
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Il était une voix…

1Il est des voix qui marquent et que l’on n’oublie pas.

2La voix de Geneviève est une de ces voix : une voix grave et claire à la fois, c’est le souvenir que je garde de notre premier échange téléphonique au moment de mon inscription en thèse à Paris 8. Il s’agissait alors de convenir d’un rendez-vous pour régler « cette affaire », à un moment où plusieurs étudiants de Paris 7 rejoignent comme moi, après un DEA mouvementé, l’Université Paris 8, intégrant l’équipe de recherche GRAME (Groupe de Recherche sur les Apprentissages, les Médias et l’Éducation.).

3Une voix énergique, qui de séminaire en séminaire, dans un Paris 8 déserté le samedi, impulse un rythme, et nous communique le goût de la recherche et le plaisir de débattre : les retours sur nos travaux de recherche sont plutôt francs, en tout cas jamais convenus, et les échanges parfois vifs, mais toujours constructifs, éclairés par les apports des chercheurs invités ; les grandes théories y sont mises à l’épreuve du terrain.

4Une voix vibrante et chaude qui sur un mode plus personnel, se plaît à échanger autour des derniers spectacles vus au théâtre et surtout à l’opéra, ou de nos récents voyages en terres lointaines, qu’il s’agisse de colloques ou de loisirs : je reçois ainsi en 2003 comme carte de vœux « un petit aperçu de la Grande Muraille de Chine » sous la neige, une photographie évocatrice qui est en même temps une invitation « à une séance de discussion GRAME sur la thèse en cours ».

5Une voix qui se voile quelque peu avec le temps, mais qui garde toute sa pugnacité quand il s’agit de porter un regard sur les grandes questions qui font débat, comme lors de la conférence Cultures numériques, éducation aux médias et à l’information à l’ENS de Lyon en 2013. Elle hésite à s’y rendre, mais lorsqu’elle y prend finalement la parole en tant que grand témoin, c’est bien décidée à dire ce qu’elle pense « Tu me connais ». Saluant d’entrée les gens de terrain « je m’y reconnais dans ces gens de terrain », elle souligne la capacité d’innovation et de créativité du milieu professionnel qu’elle oppose à l’immobilisme « si évident » du système. Et elle y plaide avec des mots simples et directs, pour une vraie recherche, « une recherche qui s’interdit définitivement de poser des faux problèmes », mettant à distance à l’occasion le « mot-valise » translittératie, décliné dans la définition qui fait alors consensus.

6Puis la voix se fait plus rare, se manifestant en pointillé dans des moments-clés, jusqu’à ce dernier mail, un peu comme en sourdine, pour prendre des nouvelles, demandant « comment les choses avancent » dans mon « champ de recherche et d’activités », marquant sa présence à distance « Très fidèlement » suivant sa formule habituelle.

7Il est des voix qui portent, des paroles – et des actes – qui sont des compagnons de pensée, au-delà des rencontres en présentiel. L’autorité de Geneviève, l’empreinte laissée par ses idées auprès des chercheurs de tous horizons, en France et à l’international, peut sans doute s’expliquer, dans un monde de la recherche très cloisonné, par les liens originaux qu’elle a su tisser autour de ses objets de recherche, établissant des ponts entre Sciences de l’Information et de la Communication et Sciences de l’Éducation1, questionnant les médias anciens et nouveaux, participant à l’élaboration de théories multiréférencées.

8« J’aime les débuts, et quand ça commence à ronronner, je vais ailleurs… » déclare-t-elle au cours de l’entretien réalisé pour Canal-U avec Jacques Wallet et Françoise Thibault2. Cependant, pour celle qui a vécu l’expérience fondatrice de Marly Le Roi, les technologies éducatives et les médias constituent un fil conducteur fort de ce qu’elle appelle « les recherches à entreprendre ». Sa référence, déjà ancienne, à « l’école parallèle », idée empruntée à Georges Friedmann, prend une résonance nouvelle aujourd’hui : « Qu’on le veuille ou non, des gens, massivement, apprennent des médias. Ce qu’il est urgent de savoir, c’est ce qu’ils apprennent, comment ils apprennent, et si l’on ne pourrait pas les aider à apprendre mieux. […] Question fondamentale qui ouvre la voie à un nouveau rôle des médias dans l’éducation : non plus « fenêtre ouverte » sur le monde, mais plutôt nouvelle façon de penser le monde »3. Les nouveaux médias et internet ne sont plus des « objets exotiques ». Les événements de janvier 2015 montrent avec force la nécessité, comme elle y invite dans deux articles récents, de ne pas se tromper sur les conditions de vie et d’apprentissage du citoyen du xxi^e siècle et de prendre au sérieux les médiacultures des jeunes. « Le problème […] est moins de renouveler l’éducation aux médias que de repenser l’éducation et le système éducatif, en tenant compte des bouleversements entraînés par le nouveau contexte à la fois social et médiatique ». C’est bien le sens du défi à relever selon elle, qui oriente vers un changement d’échelle, attentif à une compréhension plus globale de la situation actuelle, pour initier une « éducation enrichie », pensée comme une action politique au service d’une « autonomie critique »4.

9Face à une réalité évolutive, face aux lenteurs, aux résistances et/ou à la capacité de tout système à absorber les innovations pour les couler dans les moules préexistants, ces réflexions sont plus que jamais d’actualité aujourd’hui.

Notes

Pour citer ce document

Quelques mots à propos de : Yolande Maury