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Dans l'actualité
Des pistes fertiles pour développer un cours d’anglais en lien avec l’acculturation numérique : retour d’expérience du projet #anglIA
Table des matières
Texte intégral
Objectifs de l’article
1Notre contribution à la thématique « “à distance” à l’Université » est une réflexion qui repose sur un retour d’expérience relatif à un volume de soixante-dix d’heures de cours d’anglais en langue seconde destinées aux étudiant(e)s de l’UFR Ingémédia à Toulon pendant la période du second confinement. Le profil des étudiant(e)s d’Ingémédia a donné lieu à plusieurs publications (consulter Peraya & Bonfils, 2012 ou Peraya & Bonfils, 2015) sur lesquelles nous nous sommes appuyés pour mener la conception pédagogique des séances en anglais dans le contexte du distanciel forcé. Les étudiant(e)s de cette UFR ont tendance à transporter, pour résumer la pensée des auteurs, leurs pratiques médiatiques personnelles au sein de l’UFR. Dans une pédagogie prônant l’acculturation au numérique des étudiants, adossée aux travaux sur l’acculturation numérique du laboratoire IMSIC, cette percolation des usages offre un cadre fécond et favorable à une pédagogie volontairement constructiviste. Celui-ci nous a permis, en particulier, de concevoir des séquences pédagogiques, dans la discipline de la langue anglaise (et donc, seconde) pour développer la réflexivité des étudiants sur le numérique et l’intelligence artificielle.
2Dans la droite lignée de la réflexion longitudinale des chercheurs du laboratoire IMSIC, mais aussi nos propres travaux de recherche en Sciences de l’Information et de la Communication en contexte éducatif et notre expérience dans l’enseignement de l’anglais comme langue seconde, l’objectif de notre article est de décrire la conception d’un environnement d’apprentissage créatif en cours de langue anglaise, à distance, et de chercher à en évaluer la réception des étudiants. Nous finaliserons par une courte réflexion sur le potentiel de ces activités en cours de langues vivantes dans la pédagogie universitaire.
Contexte
3Les étudiants d’Ingémédia ont un profil favorable permettant de concevoir d’introduire des usages du numérique en contexte universitaire. Les séances d’anglais se sont toutes déroulées à distance, mais précisons que le distanciel forcé, même si cela ne présume pas de la qualité de leur réception, n’a pas connu de difficultés majeures dans leur mise en œuvre, comme cela a été le cas dans d’autres cours nécessitant du matériel spécifique. De plus, nous avons créé un environnement d’apprentissage créatif, servant à l’objectif de l’acculturation numérique, à partir de ressources accessibles en ligne comme Scratch, la plateforme MicroBits.org ou encore par l’accès à des contenus vidéo en ligne, les sites de Google permettant d’expérimenter l’intelligence artificielle. Notre défi était donc moins de prévoir l’accès à nos ressources que de concevoir un environnement créatif en ligne permettant d’engager les étudiants et prévoir les activités linguistiques leur permettant de prendre du recul sur les enjeux du numérique.
4Pour le lecteur, ces deux points sont à retenir :
-
Préparation des ressources, en anglais, reposant sur des environnements d’apprentissage créatifs
-
Préparation d’activités langagières (en lien avec le CECRL) visant à enrichir la culture du numérique
Problématique et plan
5Ces deux points nous renvoient à notre objectif consistant à créer des séquences universitaires en langue seconde (dans notre cas en langue vivante anglaise), visant à renforcer le niveau linguistique des étudiants et les compétences numériques pour le 21e siècle.
6La conception et l’articulation des séquences pédagogiques de ce parcours de formation, exclusivement mené à distance pour les raisons épidémiques bien connues, ont-elles été facilitées par notre position tant de chercheur associé au sein du laboratoire de l’IMSIC Toulon, et donc formé à la question de l’acculturation numérique, que notre travail de professeur d’anglais certifié dans le secondaire.
7Nous avons donc cherché à répondre à la question suivante : dans quelle mesure un environnement créatif d’apprentissage, en langue anglaise, peut-il contribuer à l’acculturation numérique des étudiants d’Ingémédia ?
8Dans cet article, nous proposons d’abord de décrire certaines activités pédagogiques en cherchant à rendre compte de notre activité de conception, en particulier l’activité de création de Mikrodystopies et d’un tutoriel rédigé en anglais destiné à initier un public d’adolescents à la pensée informatique. Ceci nous conduira à une réflexion courte sur l’intérêt des activités technocréatives en nous attardant sur quelques données concernant leur réception dans le contexte particulier d’Ingémédia.
Design du cours d’anglais à distance
Exemple 1 : Les Mikrodystopies
9Les Mikrodystopies sont des fictions écrites en 280 caractères maximum et publié en français sur un compte Twitter. Nous préférons laisser parler directement deux exemples :
Figure 1. Exemples de mikrodystopies sur Twitter
10Ces fictions ont fait l’objet d’un recueil (consulter Houste & Taffin, 2020) dans lequel elles décrivent les dérives d’un monde numérique où robots, implants cérébraux, objets connectés, des drones ont provoqué des changements culturels qui doivent nous faire réfléchir sur l’éthique du progrès technologique. Elles décrivent, souvent avec ironie, un monde où les individus sont au service des technologies.
11Notre projet pédagogique consiste à proposer un défi, celui de contribuer au recueil de François HOUSTE, ce qui se traduit par la mise en œuvre d’ateliers d’écritures cocréatives. Les documents préparatoires à la séance étaient tous disponibles sur un mur collaboratif, un Padlet, permettant de bénéficier des fonctionnalités courantes d’une plateforme d’échanges de documents tels que le téléchargement des ressources ou le téléversement, par les étudiants, de leurs productions écrites. De plus, le mur collaboratif permettait de mettre en ligne un document collaboratif servant aux traces écrites, ou aux étudiants de poser des questions pendant le cours. Ainsi, le padlet crée-t-il un effet de scénarisation et de cohérence pédagogique, comme nous le présentons ci-dessous :
Figure 2. Extrait d’un mur collaboratif du cours d’anglais à distance à destination de Licence 3
12Les ressources sont présentées dans un ordre qui permet à la fois aux étudiants de suivre, voire de se déconnecter à certains moments, de comprendre la logique du cours et surtout de s’approprier un espace pour collaborer.
13Les étudiants pouvaient donc s’approprier nos objectifs tout en ayant l’opportunité de travailler en autonomie, choisir de se déconnecter avant la fin du cours ou de trouver des points communs entre certaines ressources, comme dans le cas des mikrodystopies mises en parallèle avec la série TV intitulée Black Mirror. Ceci pouvant donner lieu à une activité d’identification de points communs ou de différences à travers un document d’écriture collaborative, mais également d’élaborer des grilles de réussite, en commun, afin de permettre d’engager les étudiants dans une démarche d’auto-évaluation.
Criteria Assessment |
Weak |
Medium |
Strong |
Fictional and futuristic universe |
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People do not have a sufficient |
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The use of IoTs can be oppressive |
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Use of the past |
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Direct or indirect speech |
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Some literary effects |
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Limited number of characters (280) |
14Après avoir pré-identifié les critères, les étudiants sont répartis dans des ateliers grâce aux fonctionnalités de la plateforme Zoom. Les étudiants peuvent demander de l’aide pour arriver à valider les critères de réussite. Les étudiant(e)s ayant un niveau élevé en anglais, venant d’un cursus en LLCER anglais, ou vivant à l’étranger, peuvent jouer le rôle de correcteurs.
15L’articulation du dispositif technopédagogique avait donc bien pour objectif, en cette période de confinement et de continuité pédagogique, de créer du lien socio-affectif. Selon nous, cela a permis d’aboutir à des productions, notamment en binôme d’étudiants, parfois de très bonne qualité :
Figure 3. Exemple de mikrodystopie rédigée en anglais sur le thème des drones et déposée sur le mur collaboratif pendant le temps du cours à distance sur Zoom
Autres exemples : la pensée informatique
16La thématique suivante concerne l’Intelligence artificielle. Il s’agit de demander aux étudiants de tester des expérimentations à base de Machine Learning (par exemple le site internet QuickDraw ou Teachable Machine), de créer un contexte d’utilisation et les inviter à en rendre compte. Cette triade doit sa paternité au courant du LivXD (lived experience design ou design de l’expérience à vivre), ce qui signifie viser à se rapprocher de la pensée des concepteurs.
Figure 4. Activité suivante sur l’intelligence artificielle devant conduire à exprimer une pensée critique en langue anglaise
17Le contexte d’usage (faire reconnaître à Google un maximum de dessins, créer un dispositif de reconnaissance d’images pouvant générer des biais, etc.) vise à stimuler la réflexivité. Pour cela, nous demandons aux étudiants de raconter ce qu’ils font, généralement après leur expérience vécue. Certains étudiants, peu habitués à s’exprimer sur des sujets comme l’intelligence artificielle, en anglais, doivent vulgariser leurs propos. Or, cela nous permet d’introduire des définitions simples sur l’intelligence artificielle et ensuite d’inviter les autres étudiants à les enrichir.
18C’est avec, mutatis mutandis, la même stratégie pédagogique que nous faisons éditer des tutoriels en anglais d’utilisation de la plateforme MicroBit (une plateforme destinée à initier à la programmation à destination des élèves du primaire au secondaire). Nous partageons, ci-dessous, un extrait d’un tutoriel d’utilisation réalisé pendant notre cours par un groupe de deux masterants :
Figure 5. Extrait d’un tutoriel proposé par un groupe d’étudiants
19Dans ce tutoriel, relevons que les étudiants introduisent des captures d’écran qui proviennent de leur propre expérience de la plateforme de codage. Ces dernières constituent des traces qu’ils enrichissent d’une explication en anglais (les consignes données à des enfants) ce qui témoigne de leur propre acculturation numérique. Ils passent donc du statut de récepteur à celui de concepteur, un travail particulièrement riche en productions chez les étudiants inscrits dans le parcours Design d’Expérience et Design d’Interfaces (DEDI).
De l’expérimentation au retour réflexif, développé en anglais, sur les représentations
20Le volume horaire pour chaque groupe se situe entre 12H et 18H de cours principalement en TD et quelques heures de cours magistraux (6H). A la fin de la formation, les étudiants ayant participé aux TD, sur la base du volontariat, sont invités à répondre à un questionnaire : un groupe de Licence 3 (N = 22), un groupe de Master 2 DEDI (N = 12) et un autre de Master 1 Infocom (N = 24). Nos questions étaient réparties dans ces deux catégories, des questions à choix multiples (N = 8) et des réponses longues (N =5).
Questions à choix multiples |
Questions suscitant des réponses longues |
Par rapport aux objectifs annoncés lors du premier cours, les ressources proposées ont été en lien avec des sujets en sciences de l’information et de la communication |
Pouvez-vous donner un (ou plusieurs exemples) d’expérience(s) vécue(s) positive(s) pendant ce cours ? |
Les supports, ressources et activités pédagogiques de ce cours vous ont intéressé |
Selon vous, quels seraient les aspects qui pourraient être améliorés afin de renforcer l’expérience positive des étudiant(e)s ? |
Parmi les activités, cochez celle(s) qui vous a/ont données le sentiment de renforcer des compétences langagières en anglais (lexicales, grammaticales, culturelles, pragmatiques, etc.) |
Quel est votre niveau de confiance en anglais aujourd’hui ? |
Concernant les deux gapped texts et l’écriture des Dystopies votre progression à l’écrit se situe à ce niveau : |
Ce niveau de confiance en votre capacité à écrire, parler et échanger en anglais a-t-il augmenté avec ces quelques heures de cours ? |
Concernant les activités de productions orales (notamment sur l’Intelligence artificielle), votre progression à l’oral se situe à ce niveau : |
Lors de la présentation du cours, je vous avais dit qu’il s’agissait d’ “un cours pour vous et surtout par vous”. Ce sentiment est-il partagé ? Pourquoi ? |
Concernant les compréhensions orales collaboratives, votre progression en compréhension se situe à ce niveau : |
Selon vous, l’approche pédagogique utilisée ici, pendant la crise sanitaire (cours à distance), a-t-elle permis de créer de l’engagement ? |
Pouvez-vous décrire cet engagement par rapport à un cours d’anglais en présentiel ? |
21Nous nous attardons ici aux réponses du groupe de Licence 3 pour qui le volume de cours à distance est le plus élevé (N = 18H de TD). Notre choix se justifie aussi par le niveau linguistique de ces étudiant(e), inscrits en classe européenne ayant, en grande majorité, des attentes plus précises en termes de consolidation ou de renforcement de leur niveau linguistique. Des étudiants autonomes en langue anglaise qui en contexte distanciel, risquent de se lasser d’un cours qui ne répond pas à leurs attentes.
22Nous rappelons que notre question de recherche nous amène à vérifier si les activités technocréatives proposées dans le contexte particulier de cours d’anglais à distance permettent de renforcer à la fois des activités langagières et l’acculturation numérique.
23Dans la suite de cet article, nous tentons de répondre à cette question.
L’intérêt des étudiants pour les supports du cours
24Nous avons d’abord vérifié si le parcours de formation a suscité l’intérêt des étudiant(e)s (N =9 sur 18) au regard de la thématique qui le traverse, l’acculturation numérique :
Figure 6. Intérêt pour les supports du cours
25Les figures précédentes indiquent une adhésion des étudiant(e)s par rapport aux choix pédagogiques du formateur. Les réponses montrent que le cours est en lien avec leurs intérêts professionnels, mais également qu’ils reconnaissent bien que les choix des dispositifs technopédagogiques sont en lien propres habitudes du web participatif.
26Ceci nous a conduit à vérifier si l’exploitation des ressources et la scénarisation des activités, par le padlet, ont permis de renforcer les activités langagières des étudiants :
Figure 7. Renforcement des activités langagières
27Comme l’indiquent les réponses à la question de la figure précédente, les étudiants apprécient les modalités collaboratives des activités linguistiques de ce cours de langue vivante, comme la compréhension orale.
28Le sentiment de progression en langue anglaise est partiellement imputable à l’environnement créatif, comme le montre la figure suivante :
Figure 8. Corrélation du sentiment de progresser avec l’environnement d’apprentissage créatif
29Même si les étudiants déclarent, dans la majorité, avoir bénéficié des activités d’apprentissage créatives, les résultats des réponses longues indiquent une certaine ambiguïté. Nous présentons les réponses ci-dessous :
Figure 9. Réponses longues
30Dans la figure ci-dessus, certaines réponses nous montrent que les étudiants n’indiquent jamais la corrélation qui existe entre l’environnement d’apprentissage créatif et les modalités collaboratives des activités. Il s’agit d’une limite de nos résultats, que nous imputons au contexte distanciel. Nous pensons que les effets de notre conception sur la réception ont été réduits par le contexte distanciel. Ceci nous permet de dire qu’, #AngIA, en 2021-2022, avec un retour en présentiel, sera mieux compris par la réception dans son double objectif.
Discussion
31Cet article a décrit les modalités des cours d’anglais dispensés à l’occasion de ce travail dont la démarche était de renforcer l’acculturation numérique. Les étudiants ont déclaré avoir apprécié les modalités collaboratives de l’environnement d’apprentissage créatif. Cependant, le distanciel semble avoir rompu le lien de corrélation entre ses deux aspects, alors qu’ils sont indissociables des usages co-créatifs du numérique.
32Notre « bricolage » pédagogique a donc répondu au défi du distanciel mais a parfois difficilement visé l’acculturation numérique. Des séances en présentiel permettront de vérifier si la complexité de la démarche sera mieux partagée par les étudiants.
33Raconter et expliquer, dans la langue cible, ses stratégies de résolution d’un programme informatique, réaliser une production littéraire dans le cadre d’un défi, seul ou en écriture collaborative, collaborer autour d’une compréhension orale traitant de la désinformation, utiliser une IA pour résoudre des problèmes (etc.) et en exprimer les limites, nous apparaissent être des pistes fertiles pour enseigner l’anglais dans cette UFR. Malgré l’hétérogénéité des étudiants, il s’agit bien de se rapprocher le plus près possible de la pensée des concepteurs, c’est-à-dire des industriels américains du numérique. L’anglais, comme langue et culture, est le vecteur de la pensée néolibérale. Il s’agit de l’enseigner pour faire percevoir les limites et les contradictions de celle-ci.
34Un environnement créatif d’apprentissage, en cours d’anglais, permet de penser des stratégies pédagogiques en lien avec une approche critique. L’apprentissage des langues, en AnglIA, en ChinIA, sont autant de moyens de développer une pédagogie immersive du numérique en langues vivantes pour mieux appréhender les enjeux du numérique par les étudiants.
Bibliographie
Houste F. & Taffin N., Mikrodystopies, 2020.
Peraya D. & Bonfils, P., “L’usage des nouveaux dispositifs médiatiques” | Archive ouverte UNIGE, Flash informatique, 8, 2012, 16‑17.
Peraya D. & Bonfils P., Détournements d’usages et nouvelles pratiques numériques : L’expérience des étudiants d’Ingémédia à l’Université de Toulon. 21. 2015. Disponible sur : http://sticef.univ-lemans.fr/num/vol2014/19-peraya-epa/sticef_2014_NS_peraya_19.htm
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Laurent Heiser
Docteur en SIC, Associé aux Laboratoires IMSIC Université de Toulon et LINE Université Côte d’Azur. Courriel : laurent.HEISER@univ-cotedazur.fr