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ACTUALITÉS DE LA SFSIC

Lucile Desmoulins

Where are the French ? Et à quoi bon participer à des conférences internationales ?

Article

Texte intégral

49-59

À quoi bon participer à des conférences internationales ?

1Entre 20001 et 2022, j’ai participé à plus de 30 conférences internationales ou séminaires2 se déroulant sur un sol étranger. À l’échelle des SIC françaises, cela fait de moi une serial conférencière. Comme beaucoup d’entre nous, je me suis « rendue » en 2022 à deux conférences d’une internationalité paradoxale. La première est le 89e Congrès de l’ACFAS3 avec un « colloque » – c’est ainsi que les Québécois désignent les « panels » – sur la construction de la légitimité dans un contexte de méfiance généralisée. Certains colloques avaient été maintenus en 100 % présentiel à l’Université du Québec à Montréal et d’autres se déroulaient en comodalité, et c’était le cas de celui-ci. Pour le valoriser en tant qu’outil pédagogique en lien avec nos cours de méthodologie de la recherche et de stratégies d’influence, ma co-autrice, Stéphanie Debray, et moi-même avons présenté devant des étudiants de Master en Intelligence économique et Influence dans une salle d’un bâtiment de l’Université Gustave Eiffel, située à quelques encablures de Disneyland Paris. On a connu plus dépaysant.

2La deuxième manifestation scientifique internationale à laquelle j’ai participé en 2022 est la 72e conférence annuelle de l’Association internationale de la Communication (ICA). Cette société savante liée aux SIC revendique plus de 5 000 membres répartis dans 80 pays. Organisée selon des modalités « hybrides », cette hyper conférence rassembla environ 3 400 personnes, et plus 400 participants connectés à distance. Cette édition portait sur le thème « Un seul monde, un seul réseau ? » et elle se déroula principalement à Paris entre le Palais des Congrès de la porte Maillot et deux hôtels internationaux reliés par des couloirs de galeries marchandes. On a connu plus exotique.

3Ces deux conférences internationales sont paradoxales à plusieurs titres. Une partie des panels s’est déroulée en co-modalité, et j’ai pu y participer sans quitter territoire français. Cette donnée fit singulièrement baisser le ticket d’entrée en annulant les coûts de voyage et de logement ainsi qu’en limitant la fatigue induite par les trajets et le décalage horaire. Le congrès de l’ACFAS est international, mais cette association promeut les évènements d’expression en langue française. Le fait de pouvoir y présenter une communication dans sa langue natale change singulièrement la donne pour nombre de chercheurs français maitrisant mal l’anglais – ou convaincus de ne pas le maîtriser suffisamment pour présenter une communication scientifique dans cette langue.

4ICA Paris 2022 eut pour moi une couleur particulière et inédite. En effet, je n’ai pas présenté de communication, j’y ai participé comme discutante dans le cadre d’un panel franco-français sur la fabrique de l’influence et les approches françaises de la diplomatie publique. Compte tenu du coût de l’adhésion à ICA et de l’inscription, cette participation peut être considérée comme un luxe. Rares sont les chercheurs qui peuvent s’affranchir de la logique comptable et qui s’autorisent à ne pas tenter de multiplier les communications afin « d’optimiser » le retour sur investissement. Le fait d’être du seul côté du public est pourtant fructueux et confortable, mais aussi formateur dans l’optique de communiquer lors d’une édition ultérieure riche des apprentissages autorisés par l’immersion. Ensuite, ICA Paris fut particulier car j’y ai retrouvé et j’ai pu travailler avec les membres de plusieurs petites communautés de chercheurs travaillant sur des thèmes qui m’intéressent, d’où une moindre impression d’être Lost in translation que lors de précédentes hyperconférences. Quand je posais des questions, certains animateurs de panels me donnaient la parole en disant : « Please go, Lucile », ce qui crée un sentiment de familiarité rassurant et chatouille l’ego. J’ai d’ailleurs reçu des textos d’invitation pour participer à des contre-soirées en parallèle des cocktails de 500 personnes organisés par les grosses divisions. OMG, such an achievement

5Ces deux conférences de 2022 étaient étranges en ce qu’elles faisaient suite à deux années de conférences annulées ou passées en complet distanciel, soit un mode très dégradé. J’ai, par exemple, participé avec Armen Khatchatourov à ICA 2021. Nous avons communiqué – si l’on peut dire – avec une intervention de 7 minutes sous la forme d’un diaporama préenregistré et une narration minutée des diapositives, sur le modèle honni des Pecha Kucha. Un seul et unique commentaire a été posté sous ce diaporama, d’où un sentiment de gâchis d’énergie.

6J’ai été heureuse de voir revenir des conférences organisées en présentiel. J’ai croisé moins de 10 chercheurs français pendant l’ICA Paris 2022 ce que confirme la consultation des 684 pages du programme de la conférence. Qui plus est, peu de Français ont eu le loisir ou se sont autorisés à participer à la conférence sur toute sa durée. Ils sont encore moins nombreux à avoir participé aux événements liés à la vie de l’association, de ses grandes divisions ou de ses plus petits groupes d’intérêt (réunions plénières ou cocktails). J’ai d’ailleurs dû répondre plusieurs fois à la question : « Where are the French ? ». J’ai rédigé ce texte en écho avec cette question ingénue, entre retour d’expérience enrichi de d’éléments d’analyse personnelle, et billet d’humeur.

7Les freins spécifiques à la participation des chercheurs français à des conférences internationales

8La faible participation des Français aux conférences internationales est liée à la quantité de travail nécessaire pour qu’une proposition de communication soit acceptée, c’est-à-dire de manière à compenser des difficultés liées :

  • à des différences de structuration disciplinaire ;

  • à la difficulté que nous, Français, avons à appréhender l’état de l’art des travaux en anglais (méconnaissance de références théoriques basiques ou pointues ou encore très récentes) d’où une possible inadéquation des concepts que nous utilisons ;

  • au manque de lisibilité des découpages entre axes de recherche et approches théoriques ;

  • à des décalages épistémologiques notamment du fait de l’omniprésence des approches fonctionnalistes et quantitatives et à cause du cantonnement des travaux critiques dans quelques panels théoriques ;

  • à la méconnaissance par les chercheurs français de certains effets de mode4 – méconnaissance ou bien au rejet méritant ? ;

  • au manque d’ambition de nos propositions d’articles en comparaison de celles provenant des États-Unis ou d’Allemagne, par exemple, où les chercheurs baignent dans la culture de la recherche par réponse à appels à projets et qui présentent le travail de toute une « écurie » de chercheurs.

9Participer en tant que communicant à un colloque international comme ICA suppose un important investissement en temps, ainsi que la capacité et l’acceptation d’en respecter les règles du jeu, ce qui implique certains partis pris méthodologiques, des efforts de citations et de références opportunistes, ainsi que le respect de normes spécifiques d’écriture car l’anglais scientifique est plus « sec », moins élégant, que le français des chercheurs en SIC.

10Certains freins tiennent prosaïquement à l’organisation fréquente des conférences à des dates adaptées au calendrier académique des Anglo-Saxons, dates où nous croulons sous les soutenances ou les rentrées5. Qui plus est, la charge d’enseignement est par exemple deux fois plus lourde en France qu’aux États-Unis, et les enseignants-chercheurs sont très souvent responsables de formation, voire ils suppléent au manque de personnel administratif.

11La simple barrière de la langue n’est pas anecdotique. Notre niveau de langue, autant que notre sous-estimation de ce dernier, nous inhibent. Désinhibons-nous. Pour communiquer dans une langue étrangère, à 99,99 % l’anglais, il faut pouvoir écrire en anglais scientifique, ou financer le rewriting ou la traduction de son texte. Autant les communicants non anglophones sélectionnés sont accueillis avec bienveillance6 pendant les panels, autant les évaluateurs anglophones qui sélectionnent majoritairement les propositions de communications peuvent avoir la dent dure. Assister à des communications est intéressant, sous réserve de les comprendre, mais les conférences sont aussi fructueuses par leurs « à-côtés ». S’il convient de maîtriser l’anglais pour être capable de présenter et répondre aux questions, et de participer à des groupes de travail, mieux vaut aussi être à l’aise en small talk. Car sans les conversations informelles et les pauses-café, une conférence internationale est un long pensum agrémenté de quelques échanges avec une poignée de chercheurs francophones.

12Ensuite, nous sommes – disciplinairement – bien placés pour savoir que les situations de communication interculturelle impliquent un « travail » interprétatif. Par exemple, si un chercheur étranger renommé vous parle dans un mauvais français et vous tutoie, mieux vaut le tutoyer en retour, lui répondre lentement et en français, abonder avec son propos, et attendre qu’il décide de lui-même de revenir à l’anglais, sous peine de faire un faux pas. Quand un Anglais vous dit qu’il trouve votre travail interesting, ne vous emballez pas, il est fort possible qu’il n’ait qu’une affinité limitée avec vos travaux, ou qu’il ait résolument détesté votre présentation. Si pendant une conférence, un chercheur suédois vous bassine avec son écrivain français préféré, qui est connu pour ses performances dans des vidéos pour adultes, si un Hongrois vous demande votre avis sur un texte de jeunesse inédit de Foucault, ou si un Norvégien s’enquiert de la libération d’un otage français… dans une série française à succès qui se passe dans un bureau où l’on construit des légendes, série que vous n’avez pas encore vue, hé bien vous êtes contractuellement tenue de répondre de manière à valoriser l’art français de la conversation. Attention à bien respecter les attentes de votre interlocuteur, suscitées par votre identification au patrimoine culturel français. Vous êtes également au service de la sciôôonnce et du soft power français.

13Moins sérieusement, le manque de moyens financiers est un frein important à la participation aux conférences internationales7. La France n’étant pas considérée comme un pays pauvre par les instances organisatrices de conférences, il en coûtait pour un Français 195 dollars pour être membre d’ICA en 2022 et l’inscription au congrès s’élevait à 300 dollars. En ce qui concerne EUPRERA, l’adhésion coûtait 130 euros et il fallait ajouter 300 euros pour les inscriptions précoces (early birds). Pour l’ACFAS, il fallait débourser 75 dollars canadiens d’adhésion, plus 175 d’inscription, plus les taxes, soit 261 dollars canadiens. Ces tarifs sont exorbitants pour les budgets des laboratoires et des chercheurs français. Ces derniers en sont parfois réduits à « s’autofinancer », c’est-à-dire faire payer une partie des coûts et frais par leur composante de formation au titre de l’intérêt pédagogique des conférences (secret de Polichinelle), ou à les prendre en charge sur leurs deniers personnels. Les tarifs sont minorés pour les doctorants et les chercheurs précaires, mais ils s’y ajoutent le transport et le logement sur place. Compte tenu du fait qu’il est nécessaire d’assister régulièrement à des conférences pour se faire connaître, cette entreprise est proprement ruineuse.

Le plaidoyer pour les conférences internationales, un truisme ?

14J’ose affirmer qu’il me paraît souhaitable et nécessaire de participer à des conférences internationales et que la guerre, c’est mal. Je suis infiniment reconnaissante de toutes les rencontres et découvertes que j’ai faites grâce aux conférences auxquelles j’ai eu la chance de pouvoir participer… Elles ont enrichi mes travaux de recherche, mes enseignements, ma vie.

15Au même titre que les salons professionnels, les conférences scientifiques permettent de booster son réseau relationnel. Assister tôt à des conférences permet d’intégrer des mailing-lists car les divers groupes de recherche cherchent à faire venir des jeunes dans leurs sillons. Elles remotivent selon l’adage : changement d’herbage réjouit les veaux. Enfin, elles stimulent intellectuellement. Certaines rencontres permettent de décentrer le regard, de se sentir moins isolé ou moins enclavé. Écouter les communications de chercheurs de renom comme de jeunes chercheurs brillants donne envie de progresser. Cela fait aussi émerger des idées de pistes de recherche nouvelles à explorer. Une conférence scientifique est un terrain de jeu idéal pour faire de l’intelligence économique en plein jour puisque tout le monde est là pour apprendre des autres. Ma découverte de nouvelles méthodes d’enquête notamment sur les plateformes numériques de média social s’est infiniment enrichie lors des conférences internationales, notamment parce que les temps de publication sont longs et que les chercheurs osent davantage faire entrer le public de leurs communications que leurs lecteurs dans les coulisses de leurs méthodologies parfois bricolées. Ils survendent moins leur travail, évoquent leurs doutes, leurs hésitations, ce qui décomplexe.

16La pratique des « droits de réponse » n’est pas courante dans les revues en SHS. De fait, pour échanger avec quelqu’un dont les travaux nous intéressent, plusieurs solutions s’offrent à vous : écrire un email formel de prise de contact, poser des questions pendant une conférence, après une présentation ou pendant une pause-café, ou commencer à entrer en contact de manière informelle pendant une conférence. Pendant une conférence internationale, tout le monde est simple et direct dans ses démarches de prises de contact : chacun dit son nom, ses axes de recherche et ce sur quoi il est venu communiquer. On se trouve des points communs, puis on échange une carte de visite, et on passe au suivant, ce qui peut d’ailleurs être frustrant.

17Les conférences sont très utiles pour comprendre comment une discipline se structure en champs de recherche différents d’un pays à l’autre. Par exemple, m’intéressant aux stratégies de grassroots lobbying, au plaidoyer et aux influenceurs sur les plateformes numériques de média social, les panels les plus inspirants pour analyser ces stratégies lors d’ICA 2022 étaient bien sûr : Public Relations et Communication and Technology, mais j’ai aussi navigué de manière fructueuse entre des panels organisés par d’autres divisions et groupes d’intérêts : Philosophy, Theory, and Critique ; Mass communication ; Journalism Studies et Visual Communication Studies. La sérendipité et redevenir soi-même étudiante font partie du charme des conférences.

18Des informations accessoires forgent des biais cognitifs qui peuvent être positifs. Savoir comment un chercheur parle, ce à quoi il ressemble, s’il est ou non accessible ou sympa, modifie la manière de le lire. L’implication émotionnelle et la mise en récit augmentent l’intérêt, l’attention et la capacité de mémorisation. C’est patent pour les chercheurs, comme les journalistes que j’ai interviewés dans le cadre de mes recherches.

19Les conférences internationales sont intéressantes pour tous leurs « à-côtés », notamment les conversations informelles où l’on grappille des informations précieuses. On peut y discuter de problèmes concrets avec des pairs et des « stars ». Avec un accent français, il est plutôt facile d’entrer en discussion avec la plupart des chercheurs internationaux. Cela m’a frappée dès ma première conférence en sciences politiques au Québec en 2000.

20Participer à une conférence permet de découvrir tout un univers de rites sibyllins. Pour l’illustrer, j’ai créé une grille de bingo en m’inspirant de plusieurs grilles du même type publiées en anglais sur les médias sociaux, dont celle qui figure dans le programme de conférence de Belfast d’avril 2018 de la European Social Science History conference. Vous la retrouverez dans ce numéro de la revue.

21Encore un argument pour la route ? Les éditeurs de revues sont toujours à l’affût de contacts avec des jeunes chercheurs motivés pour faire des évaluations de propositions d’articles en échange de quoi ces derniers obtiennent des accès gratuits à ladite revue et des conseils pour tenter d’y publier. « Référer » un article est LA meilleure école pour comprendre comment rédiger un bon article.

Un bilan globalement positif

22En retournant ma veste8 un peu trop belle pour être honnête de serial conférencière, j’ai découvert récemment une doublure aquoiboniste et blasée, alourdie de questionnements éthiques. Pourquoi s’astreindre à privilégier des références théoriques et des méthodologies pour espérer passer à travers les fourches caudines des processus de sélection en double aveugle ? Est-ce que les coûts financiers, cognitifs (temps passé à répondre aux appels, écrire des brouillons et travailler des présentations orales) et physiques (fatigue) ne pèsent pas trop lourd face aux apports qui se mesurent en termes de formation intellectuelle et de plaisir d’échanger avec des homologues dans une ville étrangère ? La valorisation carriériste de ma participation à des conférences internationales est quasi-nulle parce que j’ai rarement réussi à transformer les essais. Autrement dit, très peu de mes communications réalisées à l’étranger ont passé la barrière de la sélection drastique pour publication dans un numéro spécial de revue anglo-saxonne sans doute du fait de mes ancrages épistémologiques. J’ai aussi manqué d’ambition scientifique, de temps et d’argent (budget de rewriting). Française, et donc snob, j’ai de la peine à m’enthousiasmer pour les moments de socialisation propres aux grandes conférences internationales : les cocktails avec un système de bracelets qui détermine ta consommation, les longues files d’attente pour boire du mauvais vin dans un lobby d’hôtel sans âme, le fait de faire tapisserie ou d’essayer de harponner les 3 personnes que tu connais parce que tout le monde les connaît…

Quelques pistes de changement et raisons d’espérer

23Le Professeur de physique Lautaro Vergara a publié sur Twitter le 10 octobre 2022 un film représentant deux manchots empereurs marchant sur une plage au milieu d’une foule de manchots empereurs immobiles. L’un des deux est un adulte, l’autre est un juvénile reconnaissable à son poil marron duveteux. Le juvénile suit l’adulte en calquant son pas sur le sien et reproduit tous ses gestes. Le chercheur commente ainsi : « Étudiant en thèse qui participe à sa première grande conférence avec son directeur »9. S’il me semble évidemment souhaitable que chaque directeur de thèse mette le pied à l’étrier de ses thésardes et thésards, cette dynamique suppose que le directeur fréquente lui-même les conférences internationales… Pour sortir du cercle vicieux, il conviendrait de nommer des référents au sein des laboratoires et de la SFSIC, des personnes susceptibles de mentorer les doctorants, mais aussi les jeunes docteurs avant, pendant et après les conférences.

24Idéalement, il faudrait aussi que certaines grandes associations internationales comme EUPRERA et ICA nomment de tels référents parmi les habitués des conférences pour que ces derniers servent de « portiers » aux jeunes chercheurs français, qui pourraient leur poser des questions à la fois sur l’organisation de la conférence et sur les références théoriques, les techniques d’enquête et d’écriture qui maximisent les chances d’être sélectionné. Un message publié lui aussi sur twitter par une jeune chercheuse en neurosciences de l’Université d’Edinburg le 10 août 2022 illustre avec justesse les difficultés auxquelles sont confrontés les jeunes chercheurs qui veulent publier et par extension, participer à des conférences internationales. Le film montre dans un effet de split-screen horizontal des gymnastes évoluant sur différents agrès en 2012 sur la partie haute de l’écran (des sauts périlleux avec des triples boucles vrillées), et en 1912 sur la partie basse (de simples roulades). Les images illustrent parfaitement l’élévation du niveau technique des gymnastes. La chercheuse commente ainsi : « Publier de nos jours, versus publier dans les années 90 »10, dénonçant ainsi l’élévation du niveau des attentes des comités de sélection. L’injonction du « Publish or perish » plaide ardemment pour des pratiques cadrées de mentorat à l’échelle nationale et pour l’implication des plus jeunes dans des projets collectifs pouvant aboutir à des communications, à l’échelle des laboratoires.

25J’ai participé au sein de l’Université Gustave Eiffel à un programme intensif sur 3 jours, conçu pour des enseignants-chercheurs de toutes disciplines visant à donner confiance en ses capacités à enseigner en anglais. Il en ressort que peu importe l’accent et les fautes de grammaire, nous savons nous faire comprendre et enseigner en anglais si l’on met son ego de côté. En pédagogie comme pour les conférences internationales, il faut miser sur le scaffolding, une méthode des petits pas, que je traduirais par la préférence pour les échelles dont le premier barreau n’est pas trop haut, et dont les interstices entre barreaux sont raisonnables. Les sessions dites « escalators »11 de l’ICA, dédiées aux jeunes chercheurs, sont très précieuses car elles sont moins sélectives et offrent l’opportunité de bénéficier du regard bienveillant d’un mentor souvent prestigieux. Si les grandes conférences sont difficiles à intégrer, on peut commencer par participer à des colloques régionaux (Europe, francophonie). De même, les « pré » et les post-conférences d’ICA sont plus accessibles que la « vraie » conférence, notamment quand elles sont organisées par des francophones plus tolérants que les anglophones.

26Concernant l’aspect financier du problème de la langue : est-ce que les outils de traduction nourris d’IA sont la panacée ? Non. Pourrions-nous obtenir de notre ministère de tutelle un budget spécifique de rewriting des réponses à appel et des articles en anglais ? Est-ce que la SFSIC est en mesure de financer l’adhésion et la participation à des colloques internationaux de quelques doctorants ou jeunes MCF en poste depuis moins de 3 ans ? Est-ce que les laboratoires ne pourraient pas faire de même sous réserve d’un retour sous la forme d’un séminaire rendant compte des moments forts de la conférence ? De manière plus cynique et provocante, est-il opportun de demander aux organisateurs de conférences internationales de dégrader le statut de la France du niveau (tier) A au B, voire C ?

27Je n’entends pas finir ce billet sur des aspects purement financiers en insistant sur les politiques publiques successivement navrantes de l’enseignement supérieur et de la recherche et sur le manque indécent de moyens des Universités françaises. Je vais plutôt évoquer la question des dilemmes éthiques que de nombreux chercheurs et chercheuses rencontrent en lien avec leurs engagements écologiques du fait des trajets en avion impliqués par la participation à des conférences à l’étranger. Je souhaite aux jeunes de pouvoir participer à des conférences internationales, mais eux que souhaitent-ils ? N’aspirent-ils pas à des organisations nouvelles du débat scientifique, plus respectueuses de l’environnement ?

Image 10000000000002D0000002FA91070A4A1F3B62D8.jpgLe bingo des conférences internationales.

Lucile Desmoulins

Notes

1  En 2000, la conférence de l’International political science association (IPSA) fût ma première grande conférence en tant que communicante. J’y suis allée au terme de ma première année de thèse, contre l’avis de mon premier encadrant, et c’est une expérience que je souhaite à tous les doctorants : gigantisme, impression d’être dans un livre de David Lodge (et donc parfaitement à ma place), découverte de rites étranges, panel biscornu où les chercheurs européens, américains et africains s’intéressaient à des problématiques totalement différentes d’où une certaine incommunicabilité, rencontre avec plusieurs jeunes chercheurs tout aussi paumés que moi et qui deviendront des amis. J’ai aussi participé à des conférences de l’Association Internationale de Management Stratégique (AIMS) et du Réseau des associations francophones de science politique (sous l’égide de l’AFSP-IPSA). Ces conférences accueillent volontiers des chercheurs en SIC travaillant sur la RSE, la communication corporate, le lobbying, la communication publique ou politique. J’ai plus rarement participé à des conférences organisées par des sociétés savantes de sociologues. Elles sont intéressantes pour les jeunes chercheurs en SIC, mais l’accueil des sociologues peut être ambigu. https://conferenceindex.org/conferences/sociology

2  Pour les besoins de ce texte, je me suis astreinte à récapituler les conférences internationales auxquelles j’ai participé. Plus je fouillais dans mes archives et plus mon bilan carbone s’alourdissait : ACFAS et ICA ; European Public Relations Education and Research Association (EUPRERA) qui organise une conférence annuelle en Europe de grande ampleur ; European Communication Research and Education Association (ECREA) ; Colloque Document numérique & Société (DOCSOC) ; MARPE-Network (pan-European network of academics and professionals aiming to expand students’ understanding of public relations and its practice in the EU) ; Réseau international sur la professionnalisation des communicateurs (RESIPROC) ; European Conference on Information Literacy (ECIL) ; Communication, Organisation, Société du Savoir et Information (COSSI) ; Groupwork on lobbying within EUPRERA. Les appels à communications de ces conférences sont publiés sur le site de la SFSIC. Ce n’est pas le cas de ceux de l’International Political Science Association (IPSA).

3  L’ACFAS est l’Association francophone pour le savoir. Les chercheurs canadiens et français sont ultra majoritaires à ce congrès fort sympathique auquel j’attribue 5 étoiles sur le guide Desmoulins.

4  Ce rejet nous fait parfois honneur autant qu’il nous exclut. Il est par exemple effarant qu’aucun panel ne traitait lors d’ICA 2022 de lobbying ou d’affaires publiques alors que les communications sur l’activisme politique des entreprises (CPA) – et ses « bienfaits » – étaient pléthoriques.

5  Le peu de succès d’ICA Paris 2022 auprès des Français pourrait être aussi lié à sa tenue lors d’un long week-end tandis qu’il parait normal à un Américain de participer à une conférence programmée à cheval sur un week-end.

6  Car l’accent français est apprécié par presque tous.

7  J’ai participé à trois conférences et séminaires internationaux tous frais payés par les organisateurs financés sur projets européens ou par des associations professionnelles étrangères. Ce type d’invitation reste l’exception.

8  Allusion à une interview donnée par Serge Gainsbourg au sujet de sa conversion pour des raisons de profitabilité au style des chansons yéyé et à une chanson de Jacques Dutronc : L’Opportuniste.

9  “PhD student attending first big conference, with advisor”. Voir : https://twitter.com/VergaraLautaro/status/1579483024391307265

10  “Publishing nowadays vs publishing in the 90s”. Voir : https://twitter.com/B_DiazCastro/status/1557260048728031234

11  Un chercheur confirmé relit et commente trois ou quatre articles. Pendant la conférence, le mentor et les mentees se réunissent au moins une heure pour discuter des commentaires reçus en amont de la conférence.

Pour citer ce document

Lucile Desmoulins, «Where are the French ? Et à quoi bon participer à des conférences internationales ?», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 19-Varia, ACTUALITÉS DE LA SFSIC,mis à jour le : 17/04/2024,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=1002.

Quelques mots à propos de : Lucile Desmoulins

Maîtresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Gustave Eiffel et membre du laboratoire DICEN-Idf. Ses axes de recherche l’amènent à penser au sein des SIC l’articulation entre communications organisationnelles et stratégiques.