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FORMATION, MONDE PROFESSIONNEL

Patrick Cansell, Lucile Desmoulins et Fanny Oursel

Quel renouveau des méthodes, compétences, et métiers de l’intelligence économique à l’ère du big data ?

Article

Texte intégral

1En tant que champ professionnel, démarche et ensemble de techniques et de méthodes, l’Intelligence économique (IE) est intrinsèquement liée aux sciences de l’information. La plupart des professionnels de l’IE ont suivi des cours délivrés par des enseignants-chercheurs en SIC, que ce soit dans des formations universitaires ou des instituts, dans des formations généralistes en gestion, management, en SIC ou bien en IE. Comme les chercheurs en SIC, les professionnels de l’IE se questionnent intensément sur l’impact des méthodes, compétences, et métiers propres au « Big Data ». Ce terme rarement traduit dans le contexte français apparait dans les années 1990 et désigne selon Alexei Grinbaum, physicien et philosophe au CEA, à la fois la production de données massives et le développement de technologies capables de les traiter afin d’en extraire des corrélations ou du sens. Le recueil, le stockage et le traitement de données massives a déjà commencé à modifier en profondeur les sociétés tant dans leur organisation que dans leur compréhension (Mayer-Schonberger et Cukier, 2014).

2Le Big Data sous-tendrait ainsi trois évolutions :

  1. Le traitement d’un plus grand nombre de données et la fin du recours à l’échantillonnage.

  2. La diminution des exigences sur l’exactitude des données.

  3. La mise en lumière de corrélations nouvelles, impensées et la déshérence d’une pensée en termes de causalité.

3Présenté comme une révolution, le concept de « Big Data » semble heurter de plein fouet les fondamentaux des métiers de l’intelligence économique (IE), et en particulier la place de l’analyste dans les procédures et processus classiques d’IE. Les données, jusqu’alors considérées comme des éléments bruts, sans valeur prospective (Bellinger, Castro et Mills, 2004), menaceraient de prendre l’ascendant sur la réflexion humaine, créatrice de connaissances, et sur l’analyse qualitative (Cansell, 2003).

4Pourtant, dans sa définition originelle, l’intelligence économique est envisagée comme « l’ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution, en vue de son exploitation, de l’information utile aux acteurs économiques » (Martre, 1994). Cette définition ne précise pas si ces différentes actions inhérentes aux démarches d’IE sont ou doivent être effectuées par des machines ou par des hommes. Elle n’évoque pas non plus les tâches dévolues spécifiquement aux professionnels de l’intelligence économique, leurs compétences originales, mais elle énonce que les grandes missions des professionnels de l’IE sont la maîtrise et la protection de l’information stratégique (HRIE, 2004). Afin d’identifier la réalité de l’impact du Big Data sur les méthodes, compétences et métiers de l’intelligence économique, il convient dans un premier temps d’étudier les référentiels métiers proposés depuis près de 15 années par les institutions et organismes de formation, et de tenter d’en extraire des tendances, des continuités, des ruptures surprenantes ou non. On s’attachera ensuite à observer les points de convergence entre métiers reconnus comme relevant du champ de l’IE et du Big data et à présenter des nouveaux profils de professionnels au confluent de l’IE et du Big Data.

Schéma 1 : Référentiel des métiers de l’Intelligence Economique 2004 émis par le Haut Responsable à l’Intelligence Economique, ACFCI, ADBS, ANPE, Fepie, IFIE, Scip France. Cartographie réalisée par Patrick Cansell (outil Coggle).

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Évolution des référentiels-métiers de l’Intelligence Économique depuis 2004

5En 2004, un travail conjoint entre le Haut Responsable à l’Intelligence Economique, Alain Juillet, l’ACFCI, l’ADBS, l’ANPC, la FEPIE (embryon de fédération professionnelle), l’IFIE (institut privé) et SCIP France (association professionnelle) aboutit à la parution d’un référentiel-métier. Ce travail est représenté ci-dessous sous forme de carte heuristique réalisée sur l’outil Coggle par Patrick Cansell (schéma 1).

6Neuf métiers y sont décrits, dont des métiers qui n’existent en réalité pas en tant que tels selon les recherches effectuées sur les réseaux sociaux professionnels LinkedIn ou Viadeo : délégué général à l’intelligence économique ou encore auditeur en intelligence économique. Ce sont des métiers potentiels ou marginaux, qui ne sont pas parvenus à s’imposer. La fonction IE au sein des entreprises demeure une fonction support d’aide à la décision prise dans les différentes directions. La fonction d’auditeur pêche par excès de spécialisation, elle est remplie par des consultants extérieurs ou en interne par des responsables sécurité de l’information et des processus, par exemple. On remarque aussi que la sécurité est totalement absente de ce premier référentiel officiel, ce qui est en contradiction avec la définition même de l’intelligence économique (Juillet, 2004), et que l’influence est réduite au seul métier de lobbyiste.

7En 2009, un second référentiel, est produit par l’une des principales formations à l’intelligence économique, l’École de Guerre Economique, à travers son association d’Anciens Élèves, l’AEGE, sous forme d’une cartographie des métiers de l’Intelligence Economique (schéma 2).

Schéma 2 : Cartographie des métiers de l’IE, AEGE 2009. Voir : https://www.ege.fr/index.php/la-formation-initiale/les-debouches/cartographie-des-metiers-de-l-ie.html

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8Beaucoup plus complète, cette cartographie couvre non seulement les métiers de la sécurité et de l’influence, mais aussi la conformité ou encore les métiers liés aux systèmes d’information. Au cœur de cette cartographie apparaissent la veille et l’analyse, présentées comme centrale.

9La CCI Rhône-Alpes réalise en 2014 son propre référentiel, inspiré de celui du HRIE de 2004. On y retrouve d’ailleurs les mêmes métiers, auxquels manquent ceux de « délégué à l’intelligence économique » et de façon plus surprenante « analyste » (pourtant au cœur des métiers de l’IE, voir infra) et « formateur en intelligence économique ».

10En juin 2015, paraît un nouveau référentiel officiel des métiers de l’intelligence économique édité par la délégation interministérielle à l’intelligence économique (D2IE), instance rattachée à Matignon. Ce document intitulé ‘Intelligence Économique. Références et notions-clés’ liste 8 domaines d’activité principaux : Veille/anticipation ; Management des connaissances ; Audit/Conseil ; Techniques et outils ; Sécurité économique ; Pédagogie et communication ; Influence ; Responsable IE.

11Très complet, ce document intègre toutes les dimensions du processus de recueil, stockage, traitement et analyse et valorisation de l’information. La terminologie « Data » y apparait explicitement : « La définition française est globale car elle prend en compte tous les aspects informationnels de la compétition […] Fondée sur une approche plus globale et plus intégratrice que le concept anglo-saxon de competitive intelligence, elle associe analyse et action à partir du management de l’information dans les entités. Elle se distingue également du concept de business intelligence, qui se concentre sur l’exploitation automatisée de l’information et a permis de développer les techniques d’exploration de données (data-mining), qui elles-mêmes sont bouleversées par l’avènement des techniques, outils et usages de l’analyse des données en masse (big data analytics ou « exploitation de données massives ») » (D2IE, juin 2015, p. 13). Le vocable de la data sert de prime abord à dessiner les limites du périmètre de l’IE, mais il est aussi envisagé comme augmentant ce périmètre à travers des risques et des opportunités (ibid, p. 26). Des métiers sont revendiqués comme appartenant au champ de l’intelligence économique, alors qu’ils ne sont pas présents dans les référentiels-métiers des Masters universitaires en IE (voir schéma 3). Ces nouveaux métiers qui élargissent implicitement le champ de l’IE en intégrant des compétences et des techniques liées aux Big Data sont particulièrement centrés sur l’informatique, l’algorithmique et les systèmes d’information : Consultant en systèmes d’information ; Responsable de la sécurité des systèmes d’information (RSSI) ; Directeur des systèmes d’information (DSI), mais aussi dans la rubrique des nouveaux métiers : « business data steward (expert de la donnée, travailleur du savoir) a pour mission d’identifier et de définir les besoins métiers en matière d’information et participe à l’analyse de la qualité des données ; data scientist ou expert en analyses quantitatives de données », (D2IE, juin 2015, p. 54).

12S’y trouvent également des fonctions « connexes » par rapports aux référentiels antérieurs, dédiés à des métiers potentiellement relais ou clients de l’intelligence économique : « Responsable Compliance ; Responsable RSE/développement durable ; Responsable Communication » (ibid, p. 52). Une confusion existe en termes de fonctions supposées être alimentées par des livrables issus de démarches et de méthodes relevant de l’IE et les métiers « de » l’IE au sens propre du terme. D’autres métiers pouvant consommer mais aussi générer de l’IE pourraient ainsi compléter la liste de ces fonctions connexes à l’IE : les Achats (à travers la notion d’écosystème d’entreprise) ou encore les DRH (gestion des expertises critiques, réseau…), la Stratégie (veille concurrentielle), l’Innovation (prospective), le Marketing (benchmark, communication vers les « influenceurs »), etc.

13Enfin, toutes les méthodes et démarches qui permettent de mieux anticiper sont simplement évoquées en tant que composantes du métier d’analyste/veilleur alors même que la fonction de « veille & anticipation » est la plus connue des entreprises ! 80 % des entreprises considèrent que l’objectif de l’IE est d’anticiper les enjeux pour mieux définir la stratégie de l’entreprise, selon l’étude « L’intelligence économique dans les entreprises » réalisée par la CCI de Bretagne auprès de plus de 600 entreprises en 2015. Le Big Data a donc commencé à modifier le périmètre des métiers de l’IE, et a influencé les compétences jugées pertinentes dans les divers métiers de l’IE. Des logiques territoriales sont à l’œuvre et des stratégies de légitimation sont mises en œuvre par les professionnels de l’IE - et nous qui les formons. Des institutions comme les CCI et le D2IE jouent un rôle majeur très volontariste à travers la publication de référentiels et de cartographies. Présager de l’issue de la profonde modification amorcée relève aujourd’hui de la gageure.

Les professionnels de l’IE et le Big Data 

14Nous avons mené deux études au 4e trimestre 2017 : la première est une enquête réalisée auprès d’un panel de 70 répondants, tous professionnels des métiers revendiqués par l’Intelligence Economique, à partir d’une sélection s’appuyant sur le panel de métiers définis par la D2IE (2015) ; la seconde sur 84 profils recueillis sur la plateforme en ligne LinkedIn de professionnels de la « Data ».

15Dans un premier temps, on a pu étudier le niveau de formation au Big Data de professionnels de l’IE et la manière dont ils sollicitent ou non les Big data dans la valorisation de leurs compétences. Nous avons ensuite analysé ensuite le parcours des professionnels de la Data afin d’identifier des ruptures et des convergences en termes de compétences et d’emploi avec les professionnels de l’Intelligence Economique.

Professionnels de l’IE : des connaissances et de compétences hétérogènes sur le Big Data

16Sur les 70 professionnels interrogés exerçant un métier considéré comme relevant du champ professionnel de l’IE, 90 % d’entre eux considèrent que leur métier intègre une composante « Data » à travers des cours d’ingénierie de l’information (bases de données, statistiques, algorithmes). Près de 80 % considèrent que les « Big Data » participent à développer le périmètre des compétences du professionnel de l’IE. Alors que plus de 55 % d’entre eux ont bénéficié d’une formation diplômante spécifique en intelligence économique, moins de 13 % des interviewés ont reçu une formation spécifique au Big Data.

17Plus de 75 % des répondants considèrent que leur métier a évolué depuis l’arrivée du « Big Data ». Cependant, les répondants ayant eu une formation spécifique à l’IE sont plus de 40 % à considérer que leur métier n’a pas évolué. Deux interprétations sont possibles : soit les praticiens de l’IE ne se sentent pas directement concernés par les Big Data, soit ils ont intégré cette dimension depuis le début de leur vie professionnelle. Pour trancher entre ces deux hypothèses d’interprétation, une analyse du champ lexical de l’information dans les discours des professionnels de l’IE est éclairante.

Mots clefs associés au terme « information »

18Il a été demandé aux professionnels de l’IE membres de notre panel de lister les principaux mots clefs qu’ils associent à celui d’« information », soit la matière première recherchée, récoltée et transformée par eux. Nous avons distingué les réponses de l’ensemble des interviewés, de celles des répondants qui ont eu une formation spécifique en IE, soit environ la moitié du panel.

19Les mots-clés qui sont le plus ressortis sont dans un ordre décroissant : connaissance ; analyse ; décision ; communication ; communiquer ; données ; pouvoir ; qualité ; sécurité ; stratégie. Concernant le terme « connaissance », l’équilibre entre professionnels ayant eu une formation à l’IE et autres professionnels est respecté. Sur les termes « analyse » et « décision », la très grande majorité des réponses provient de professionnels ayant bénéficié d’une formation IE, qui assument leur ambition. Ils considèrent donc que leur apport est intellectuel, que leurs compétences ne se limitent pas à des outils techniques de veille. On lit aussi leur ambition dans le fait qu’ils entendent intervenir pour éclairer les prises de décision à un niveau stratégique.

20On peut être surpris de lire que les professionnels n’ayant pas bénéficié de formation en IE associent l’IE à la « communication » ce qui est une manière de valoriser l’importance des savoir-être en lien avec la relation-client, les formats de diffusion et de restitution des livrables (écrits comme oraux), ou encore les pratiques d’ingénierie sociale (visites de salon).

Schéma 3 : Représentation cartographique du référentiel des métiers de l’Intelligence Economique de la D2IE (2015) réalisée par Patrick Cansell avec l’outil Coggle. Sont cerclés en rouge les métiers directement lié au numérique, aux data et aux technologies de l’information (IT).

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Mots clefs associés au terme « data »

21La liste des principaux mots clefs associés à la « data » sont les suivants : ciblage ; analyse ; volume ; connaissance ; information ; personnalisation ; algorithme ; donnée(s) ; sécurité ; technologie et traitement. Les termes « ciblage », « analyse » et « connaissance » sont associés à « data » quasiment exclusivement par des répondants n’ayant pas eu de formation spécifique en IE. Inversement, les mots « sécurité », « technologie » et « traitement » proviennent quasiment exclusivement de répondants ayant eu une telle formation.

22Notre hypothèse est que les formations en IE permettent d’envisager les risques en matière de sécurité de l’information comme partie intégrante des métiers de l’IE et d’envisager les compétences en IE dans leur historicité notamment à travers l’évolution constante des outils de veille et de traitement de l’information.

Les « clients » du Big Data

23Les professionnels de l’IE interviewés considèrent que les « clients » du Big Data au sein des entreprises sont « quelques directions ciblées », telles que le marketing ou la communication, avec près de 29 % de réponses, devant les décisionnaires/le comité exécutif, avec moins de 16 % des réponses. Les professionnels formés à l’IE considèrent quant à eux majoritairement que le Big Data est destiné aux dirigeants d’entreprise et qu’ils doivent donc eux-mêmes aller sur ces terrains (81,8 % des répondants). On souligne que ce résultats massif est valable quelles que soient leur structure et contexte de travail : entreprises, PME, ETI, grands groupes, institution, entreprises de conseils.

24Il ressort de ces données limitées l’hypothèse forte d’une différence de vision des concepts d’information et de data selon la formation initiale avec une sensibilisation forte des professionnels issus de formations en IE à l’impact majeur des Big data sur leur secteur d’activité. Ils sont, bien plus que les autres professionnels, conscients de devoir faire de l’autoformation pour intégrer les Big Data dans leurs promesses commerciales, leurs discours et leurs méthodes. Il s’agit davantage pour eux de mobiliser tous les outils et méthodes possibles pour contribuer à l’« aide à la décision ». Cette vision très englobante de l’IE n’est pas sans rappeler la définition de l’AFDIE, association de professionnels de l’IE : « L’intelligence économique est l’ensemble des moyens qui, organisés en système de management de la connaissance, produit de l’information utile à la prise de décision dans une perspective de performance et de création de valeur pour toutes les parties prenantes » (AFDIE, 2001).

Les parcours de formation des professionnels de la « Data »

25Un échantillon de 84 parcours professionnels a été constitué à partir de LinkedIn, sur la base de requêtes de métiers/fonctions liées à la « Data ». Des professionnels revendiquant les métiers et fonctions suivantes ont donc été sélectionnés : Data Scientist, Architecte Big Data, Data Visualizer, Chief Data Officer ou encore Data Protection Officer. Rares sont les intitulés de poste traduits en français. Ces profils ont été étudiés afin de déterminer leur formation initiale ou principale. Il apparaît que la très grande majorité des profils est technique et technologique : 32,1 % ont un parcours d’ingénieur IT ou « computer sciences »/ou un Master dans le domaine des technologies de l’information. 28,4 % ont un parcours de type mathématiques/statistiques (universitaire), ingénieur en statistique ou école de commerce + parcours technique complémentaire. 22,2 % ont un parcours d’ingénieur généraliste. 13,6 % ont un parcours en Économie -Gestion, et 3,7 % ont un parcours en Droit/Géopolitique/intelligence économique.

26La part des personnes formées en « intelligence économique » est, dans ce panel, tout à fait marginale, et moins de 4 % des sondés ont un profil « classique » qui leur aurait permis d’intégrer un Master en Intelligence économique comme celui de l’UPEM, ce qui là encore soulève la question de la non-convergence des parcours et des métiers des professionnels de la Data et des professionnels issus d’un parcours de formation en IE.

Conclusion

27Malgré une professionnalisation accrue notamment à travers le développement de formations universitaires en IE animées par des chercheurs en SIC ou en gestion (Université Paris-Est Créteil et Marne-la-Vallée, IAE Poitiers, Université de Lille 1, Université Jean Monnet Saint-Etienne, Université Marc Bloch de Strasbourg) et de structures privées telles que l’École de guerre économique (EGE), les postes et les emplois rattachés au champ officiel de l’IE sont occupés par des professionnels de parcours et de compétence très hétérogènes. Tous n’ont pas les mêmes objectifs et méthodes, la même vision de leur professionnalisme, ni les mêmes « clients » internes au sein des entreprises.

28Les métiers de la Data sont un débouché pour quelques rares diplômés en IE notamment à travers le poste de data strategist, et plus rarement ceux de data analyst ou de data officer. La très grande majorité des professionnels de la data ne sont ni sensibilisés, ni formés aux problématiques et démarches d’IE qu’ils contribuent pourtant à alimenter. Les data officers et data analysts apprennent par exemple sur le tas à travailler en collaboration avec des data strategists issus de Masters en IE qui exercent au sein de cabinets de conseil en influence.

29Les diplômés issus de Masters en IE sont quant à eux sensibilisés au Big Data. Formés à l’ingénierie de l’information et à l’utilisation d’outils de veille, ils ont presque naturellement une vision très claire des potentiels du Big Data en termes d’aide à la décision. Ils en perçoivent aussi mieux que l’opinion publique les limites méthodologiques et les problèmes éthiques qu’elles soulèvent. Ils comprennent également naturellement les enjeux du Big Data en termes de sécurité et de protection des données, y compris dans leur dimension règlementaire. Ils perçoivent dans les discours sur les Big data une opportunité de renforcer leur légitimité de professionnels capables d’intégrer une grande diversité d’information dans leur réflexion. Ils envisagent conjointement le Big Data comme une forme de menace pour leur professionnalisme, pour eux qui ne savent que très rarement recueillir et traiter des corpus massifs de données. Ils considèrent qu’il est important d’intégrer dans leurs analyses des résultats produits par des Data scientists et de valoriser cette intégration dans leurs discours commerciaux ou leurs communications professionnelles.

30Les professionnels de l’IE sont souvent acculturés aux questions d’éthique (Desmoulins, 2017) ou encore de défense et de sécurité, ce qui les rend moins naïfs quant aux promesses des données massives (Cansell, Desmoulins, 2017). Pour autant, le risque d’une marginalisation des métiers de l’intelligence économique est réel dans un contexte d’effet de mode autour du Big Data. Face à la séduction du « tout technologique » et des algorithmes, ce risque plaide autant pour une meilleure acculturation des professionnels de l’IE aux outils et méthode du Big Data, à la réalité de leur exploitation comme à la sécurité des données, que pour une revalorisation de la dimension d’analyse - au sens de « jus de cerveau » - fondamentale dans leur mission d’aide à la décision, ainsi que des compétences comportementales et communicationnelles dans les métiers de l’Intelligence Economique.

Bibliographie

Bellinger G., Castro D. et Mills A., Data, Information, Knowledge, and Wisdom. The Way of Systems, 2004. Available at : www.systems-thinking.org/dikw/dikw.htm (accessed : 5 January 2018).

AEGE, Cartographie des métiers de l’intelligence économique, 2009, www.aege.fr.

CCI de Bretagne, Enquête sur les pratiques de Veille & d’IE des entreprises bretonnes, 8ème édition, 2015.

Commissariat Général du Plan, Intelligence Economique et Stratégie des Entreprises, 2004, sous la direction d’Henri Martre.

Délégation interministérielle à l’Intelligence Economique D2IE, Intelligence économique – Références et notions clés, sous la direction de Claude Revel, 2015.

Cansell P. et Desmoulins L., De la RMA à la guerre infocentrée : retours d’expérience quant aux limites des promesses de la numérisation et du big data. COSSI 201, Montréal, 2017.

Cansell P., « Management de l’information et connaissance du marché : développement des pratiques collectives d’intelligence économique et de management de l’information dans une démarche d’adaptation de l’entreprise à son environnement », Thèse de doctorat en SIC, UPEMLV, 2003.

Desmoulins L., « Pédagogie et dilemmes de l’enseignement de l’éthique du lobbying », Communication et professionnalisation, n° 5, Professionnalisation et éthique de la communication (1) : des principes à la formation, 2017, p. 122-144.

Mayer-Schönberg V. et Cukier K., Big Data. A revolution that will transform how we live, work and think, Eamon Dolan/Houghton Mifflin Harcourt, 2013.

Secrétariat général de la défense national, Référentiel de formation en Intelligence Economique, sous la direction d’Alain Juillet, 2004.

Pour citer ce document

Patrick Cansell, Lucile Desmoulins et Fanny Oursel, «Quel renouveau des méthodes, compétences, et métiers de l’intelligence économique à l’ère du big data ?», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 15-Varia, FORMATION, MONDE PROFESSIONNEL,mis à jour le : 01/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=156.

Quelques mots à propos de : Patrick Cansell

Université Paris Est Marne-la-Vallée, Dispositifs d’Information et de Communication à l’Ère Numérique (DICEN-Idf)

Quelques mots à propos de : Lucile Desmoulins

Université Paris Est Marne-la-Vallée, Dispositifs d’Information et de Communication à l’Ère Numérique (DICEN-Idf)

Quelques mots à propos de : Fanny Oursel

Université Paris Est Marne-la-Vallée, Dispositifs d’Information et de Communication à l’Ère Numérique (DICEN-Idf)