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FORMATION, MONDE PROFESSIONNEL

Camille Doucet

Former les étudiants en sic aux sciences de la donnée : comprendre, analyser, développer une éthique personnelle

Article

Texte intégral

Formation : au-delà des SIC, les sciences de la donnée

1Mon parcours est multiple et je suis toujours en train de me former. Après un master en relations publiques et un master en relations internationales à l’Université Catholique de Louvain (UCL), j’ai étudié la veille concurrentielle pour les entreprises. C’est là que j’ai rencontré les Big datas, terme auquel je préfère celui de « sciences de la donnée ». Très vite, j’ai évolué vers la veille politique, en particulier en relations internationales et j’ai été formée à la sécurité nationale et à la gestion de crise internationale. Je m’interroge toujours sur l’absence de la dimension relations internationales dans mon cursus de communication alors que nous avons été formés à la veille. Dans certains métiers, il est demandé d’analyser les moyens que les acteurs, gouvernements, groupes rebelles, utilisent dans les conflits armés et les objectifs qu’ils ont. On a besoin de data pour réaliser des analyses pertinentes.

2À la suite de mes études, j’ai travaillé pour des organismes politiques, gouvernementaux, internationaux. Mes missions m’ont conduite à analyser comment certains gouvernements et groupes rebelles utilisaient les réseaux sociaux pour diffuser leur propagande. Aussi, j’ai analysé les données, les stratégies de communication et les stratégies politiques d’organisations de différents types. L’objectif était d’étudier les occurrences et les fluctuations dans la communication pour identifier les changements de stratégies. Cela peut être fait pour les gouvernements comme pour les entreprises.

3À ce stade, les formations que j’avais eues ne me suffisaient plus car j’avais besoin de comprendre comment fonctionnent les algorithmes. J’ai suivi à distance les cours de Big data et social physics de l’Institut de Technologie du Massachusetts et un cours de sciences de la donnée à l’université John Hopkins. J’ai appris le fonctionnement des algorithmes qui permettent la récolte des données et surtout comment les construire pour sélectionner les données utiles. Aujourd’hui, je ne construis pas les algorithmes dans mon quotidien, mais j’ai besoin de comprendre comment ils fonctionnent pour m’assurer que les données qui ressortent sont correctes et éviter les erreurs d’interprétation. Au-delà de la récolte, ces cours m’ont permis de savoir comment analyser ces données. C’est lors de ces cours que j’ai abordé la notion d’éthique par rapport aux Big data. Nous avons étudié jusqu’où il est éthiquement possible d’aller en analysant les Big data, et quand il faut s’arrêter. J’aborderai ce sujet de l’éthique plus avant dans cet article.

Analyse des datas : anticiper pour mieux gérer

4Ma mission aujourd’hui est de concevoir et de mettre en œuvre les stratégies digitales pour un parti politique. Pour ce faire, j’analyse la stratégie politique et la stratégie de communication afin que la stratégie digitale du parti pour lequel je travaille soit cohérente et celles des autres partis afin de se différencier. Une grosse partie de mes activités consiste à faire de la veille. Pour cela, j’analyse des données issues de différentes sources dont les réseaux sociaux. Aujourd’hui, il est possible d’anticiper certaines crises grâce à l’analyse des occurrences de données. Pour ça, il n’est pas utile de savoir fabriquer des algorithmes mais il est indispensable de savoir analyser les données correctement, c’est un travail de « data analyst ». Dans ce type de cas, il convient tout d’abord de trouver les bons mots clés de recherche d’information, puis de mesurer le volume de données et c’est révélateur. Lorsqu’un sujet polémique commence à envahir le net, il y a de fortes chances qu’une crise se déclenche. Si, en Belgique, il y a mille partages d’un article sur Facebook et 300 tweets sur le même sujet en Wallonie, il faut commencer à s’inquiéter. La force du communicant qui fait du data, c’est de pouvoir rationaliser au moment où les décideurs sont dans l’émotionnel. Derrière, ils prennent leurs décisions en connaissance de cause… Les données me permettent de faire ça. Il me semble que ce qui manque dans les formations des communicants, c’est d’avoir une véritable méthodologie d’analyse des données.

Les données fiables produisent d’autres données fiables

5Aujourd’hui, les médias, les publics s’inquiètent des fake news. Dans la politique, c’est courant. Cependant grâce à la veille et aux données, il est possible de déterminer qui a lancé la fake news et ainsi de déconstruire le discours. Pour avoir des données justes – données Facebook, Google, Twitter – il faut savoir comparer les données avec d’autres données. Par exemple, lorsque l’on fait une analyse sociodémographique d’un public cible, il faut confronter les données Facebook avec les données des ministères par exemple. Nous sommes en présence d’énormément de données. Il faut savoir trouver des données qui viennent de différentes sources. S’assurer que les données sont fiables est vraiment une difficulté du métier. Dans mon cas, j’ai appris moi-même, sur le tas. Il me semble que cela serait intéressant de former les étudiants à confronter les données et à s’assurer de leur fiabilité.

Dépasser l’opposition quantitatif versus qualitatif : une affaire de présentation des données

6Pour moi, il faut se positionner au-delà de l’opposition quantitatif / qualitatif abordée lors de la journée formation SFSIC consacrée aux data et aux formations en SIC. On ne peut pas opposer l’un à l’autre. Les deux sont complémentaires. L’analyse quantitative va nous permettre de prendre la mesure de l’ampleur de l’évènement. L’analyse qualitative va permettre de qualifier l’information ; dire si c’est positif ou si c’est négatif. C’est vraiment important de savoir nettoyer les données, de savoir les représenter, de faire des graphes facilement et rapidement lisibles pour que les dirigeants puissent rapidement les appréhender. Il faut savoir aussi expliquer le traitement qu’on a fait, que veulent dire des données, qu’est-ce que ça signifie et ça, c’est aussi une grosse difficulté, souvent liée à un manque de formation. Il y a un vrai travail de pédagogie à faire auprès des dirigeants. J’explique aux communicants que je forme : « Voilà, aujourd’hui vous avez un tas de données qui peuvent vous aider à orienter vos stratégies. Les réseaux sociaux sont une véritable opportunité, c’est notre laboratoire. On peut tester un sujet, apprendre si ça va ou pas, on a des insights qui nous permettent d’adapter nos futures communications. C’est parfois nébuleux, mais on fait avec ce qu’on a – et de dire : « cette thématique fonctionne, cette thématique-là ne fonctionne pas ».

Enjeux de l’analyse des données ou l’éthique du communicant

7Avec toutes les données qui existent autour d’une organisation, il serait aisé de dire au public ce qu’il souhaite entendre. C’est ici qu’intervient l’éthique du communicant. Je ne suis pas là pour dire ce que la personne veut entendre. Les données permettent de s’adresser aux bonnes personnes. Les organisations communiquent en maximisant les chances auprès de ces publics.

8Pour moi, l’avènement des datas en communication nécessite, encore plus qu’avant, la formation des étudiants à l’éthique de la communication. À l’UCL, j’ai eu une chance d’avoir un cours d’éthique. Cela me permet de me poser les bonnes questions et de construire ma propre éthique. Aujourd’hui ce cours est beaucoup plus développé. Quand on est étudiant, on se demande pourquoi on a un cours comme ça, et quand on est sur le terrain, on comprend et on est très content.

Pour citer ce document

Camille Doucet, «Former les étudiants en sic aux sciences de la donnée : comprendre, analyser, développer une éthique personnelle», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 15-Varia, FORMATION, MONDE PROFESSIONNEL,mis à jour le : 01/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=165.

Quelques mots à propos de : Camille Doucet

Digital strategy manager d’un parti politique en Belgique