FORMATION, MONDE PROFESSIONNEL
« Communication en organisation – Quel périmètre et quel statut pour une fonction hybride ? »
Journée d’études. Lundi 11 décembre 2017 – Mulhouse - Université de Haute Alsace
Texte intégral
1En 2013, le premier numéro des Cahiers du Resiproc (Baillargeon et alii., 2013) proposait un retour détaillé sur les « Figures et les dynamiques » de la professionnalisation des communicants. Sur la base d’une étude menée auprès d’associations professionnelles de communicants en France et au Canada, il s’agissait alors de questionner la « figure » du communicant telle qu’elle apparaît dans les discours managériaux. Les auteurs interrogeaient alors à la fois la fonction et l’identité de ces professionnels, notamment à travers l’idée qu’ils peuvent se faire de leur(s) métier(s) (« l’éthos du professionnel »), à travers la manière dont ils revendiquent ou non une spécialisation pour se légitimer (« La praxis de légitimation ») et enfin à travers les « artefacts », c’est-à-dire les dispositifs dont la mobilisation témoignerait de leur professionnalisme. Sur la base de cette étude, les auteurs mettaient notamment en évidence une tension entre, d’une part, un discours valorisant un idéal de prise de recul stratégique et, d’autre part, une tendance à la mise en avant d’un professionnel « couteau suisse » dont la réactivité et l’adaptabilité seraient les compétences centrales.
2Pendant les cinq ans qui nous séparent de cette recherche, les pratiques des professionnels de la communication ont continué à évoluer dans un environnement marqué notamment par le développement des outils et des canaux numériques. La journée d’études « Communication en organisation - Quel périmètre et quel statut pour une fonction hybride ? », organisée par le laboratoire CRESAT (E.A. 3436) sur le campus Fonderie de l’Université de Haute Alsace le 11 décembre 2017 proposait de faire le point sur les continuités et les évolutions concernant à la fois le périmètre d’action et le statut des communicants en organisation. Cette journée s’inscrivait globalement dans la continuité des travaux menés au sein du CRESAT autour des usages numériques et, plus spécifiquement, dans le cadre du projet BQR « Innovation transfrontalière et fonction communication » qui visait à questionner le rôle, effectif ou potentiel, de la fonction communication dans des organisations engagées dans une démarche de développement, que celui-ci passe par une volonté d’innover, ou par celle de s’insérer sur de nouveaux territoires à l’échelle internationale.
3Cette journée d’études « Communication en organisation – Quel périmètre et quel statut pour une fonction hybride ? » a rassemblé à la Fonderie chercheurs, praticiens et étudiants issus de différentes spécialités autour d’un questionnement central décliné en différentes interrogations circonstanciées. Que pouvons-nous dire aujourd’hui du positionnement des professionnels de la communication face à la notion de stratégie, notamment à travers leurs pratiques et leurs discours ? Peut-elle encore être assimilée à un symbole de légitimité pour ces professionnels quand la fonction marketing en revendique aussi la responsabilité ? (de Swaan Arons et alii, 2015) L’urgence de la réaction et la nécessité de la production médiatique ont-elles pris le dessus sur toute velléité d’anticipation dans les structures dédiées à la communication ? Si le marketing s’est fait « relationnel » (Hetzel, 2004) et « RH » (Yao, 2014), qu’en est-il des prérogatives de la communication interne ? Plus globalement, comment la fonction communication s’inscrit-elle aujourd’hui dans le temps long, notamment quand l’un de ses objectifs est celui d’un développement de l’organisation ou d’une offre porteuse de sens et de plus-value, laquelle demeure un vecteur d’affichage et de positionnement pour un certain nombre de structures ? En quoi et comment cette fonction tente-t-elle d’intégrer et/ou de s’approprier mais aussi de répondre à des enjeux et des missions à propos desquels elle se trouve mobilisée tardivement et même en aval des projets de changement ? Qu’en est-il alors du devenir professionnel et symbolique d’un communicant dont on se plaît à dire qu’il représente une forme avancée d’hybridation et d’« agilité » requise et mise en avant par des organisations en mal de réponse face à la complexification de leurs activités ?
4Sans que ne soit adoptée une approche dispositive des processus en cours, la prise en compte des usages numériques par les professionnels de la communication, en tant que marqueur de leurs conceptions de la relation envers des acteurs internes et externes, a représenté un point de départ pour cette journée d’échanges entre chercheurs et professionnels. Celle-ci s’est articulée autour de cinq tables-rondes thématiques.
5La première de ces séquences, intitulée « Communication et numérique », a vu Valérie Lépine (Université Grenoble Alpes, GRESEC) intervenir en tant que co-fondatrice du réseau RESIPROC pour rappeler et situer les travaux de ce réseau de recherche, lesquels ont servi de point de départ à cette journée. Elle a notamment pu rappeler les travaux menés sous l’angle de l’ancrage social des TIC. Les travaux menés au sein du groupe d’études et de recherche Org&Co et du réseau Résiproc ont ainsi insisté sur le fait que le développement des dispositifs et pratiques numériques dans les métiers de la communication gagne à être appréhendé à travers une évolution de la place et du rôle des acteurs de la communication des organisations (Lépine et alii, 2014), permettant ainsi de mieux comprendre une évolution de la profession de communicant elle-même. En ce sens, l’inflation des dénominations utilisées pour instituer des fonctions liées à l’émergence du numérique (Digital Brand Manager, Chief Digital Officer…) peut être vue comme un signe de l’effritement, voire de l’éclatement de la fonction communication en de multiples activités spécialisées et légitimées par une dimension technique. Cette tendance aurait pour double conséquence une forme de précarisation des fonctions supports impliquées dans la production des dispositifs de communication, mais aussi une concurrence accrue entre les fonctions stratégiques historiques que sont les systèmes d’information, le marketing et les ressources humaines.
6Dans le ,deuxième temps de cette table-ronde à vocation introductive, Noël Jantet, consultant et formateur en communication digitale a pour sa part proposé un point sur les tendances évoquées par les professionnels en termes de « digitalisation ». Il a ainsi pu insister sur le sentiment d’urgence qui serait commun aux professionnels du secteur face à une nécessité d’adapter les stratégies de communication aux possibilités ouvertes par le numérique.
7La deuxième table-ronde de la journée, intitulée « Marketing et communication – Quels professionnels pour quelle relation aux publics ? » a été ouverte par Françoise Simon, professeure de Marketing à la Faculté de Marketing et d’Agrosciences de l’Université de Haute Alsace, qui a insisté sur le regard porté par les chercheurs et praticiens en marketing sur une communication conçue comme un levier essentiel dans le cadre de stratégies de captation et de rétention de clients en lien avec des stratégies de marque. Les travaux actuels en marketing auraient pour socle commun une approche de la communication visant à articuler de manière optimale une offre marketing d’une part, une relation client rendant possible la maximisation d’un capital marque d’autre part, les possibilités offertes par les dispositifs webmarketing et, enfin, des modèles de réception aboutissant à une évaluation de l’offre et à une prise de décision. L’impact d’une éditorialisation de la communication (« Brand Content ») sur la perception d’une identité de marque (« Brand Asset ») peut ainsi être appréhendé en termes d’acceptation des messages, de gratifications ou d’ « intrusivité ». Au-delà de la formulation de messages proprement publicitaires, les travaux menés en marketing questionneraient plutôt un parcours-client, voire une expérience-client au travers des différents artefacts produits par les marques.
8Fabien Bonnet (Université de Haute Alsace, CRESAT), coordinateur de cette journée, est ensuite intervenu pour insister sur les possibilités ouvertes par une approche communicationnelle quand il est question des évolutions récentes des dispositifs et des discours professionnels marketing. Au-delà des questions d’optimisation, d’efficacité opérationnelle plutôt pensée à court terme, il serait en effet possible de développer une analyse des processus de construction identitaire sur le long terme. La place et le rôle de cette fonction communication à laquelle cette journée était dédiée gagneraient donc à être appréhendés en termes à la fois économiques et culturels, sensibles et symboliques. Des discours professionnels comme ceux qui revendiquent une « relation client » pourraient et devraient ainsi être conçus comme une forme de revendication des organisations commerciales et des professionnels qui les mettent en scène dans l’espace public à construire avec leurs publics des liens qui dépasseraient le périmètre étroit d’une transaction marchande. Selon cette approche, la question centrale ne serait pas tant celle d’une pertinence de la relation technique et symbolique proposée par les organisations, ni celle de la continuité d’une « expérience » proposée au client que celle de la capacité des communicants à entrer en relation avec leurs publics, c’est-à-dire à accepter la part d’indéterminé et de co-construction propre à tout échange, et donc à renoncer à une maîtrise industrielle des risques liés à cet échange.
9Dominique Bessières (Université de Rennes 2, PREFICS) est ensuite intervenu pour introduire la table-ronde intitulée « Communication publique – Quelles convergences et quels écarts avec la sphère marchande ? ». Membre du conseil d’administration de Communication publique, association pour la communication des institutions publiques, il a pu insister sur le processus d’institutionnalisation de cette fonction dans des organisations porteuses de spécificités à la fois juridiques, organisationnelles, techniques et culturelles. Ce processus se serait doublé d’un glissement du modèle bureaucratique à un autre modèle davantage managérial, empruntant à la communication d’entreprise un certain nombre d’attributs symboliques. Dans ce contexte, la communication publique numérique resterait cependant descendante, limitée à des dispositifs somme toute assez modestes face à un public lui-même assez peu mobilisé. Mais quels développements imaginer pour ces canaux potentiellement facilitateurs de débat démocratique ? Une telle ambition pose la question du pilotage des stratégies mises en œuvre dans ce domaine. Dominique Bessières a ainsi pu insister sur l’affirmation d’usages numériques plus contrôlés, notamment à travers la production de documents de cadrage (guides et chartes sur la communication « professionnelle »). Ce type de cadrage ne permettrait cependant pas encore de dépasser une question plus abstraite et propre au secteur public : comment articuler d’une part le principe d’égalité de traitement synonyme de communication publique impersonnelle et, d’autre part, les attentes des utilisateurs en termes de personnalisation, voire de « conseil » pourtant réputés incompatibles avec l’exercice d’une mission de service public.
10Ces développements ont été prolongés par l’intervention de Sabine Frantz d’Ours, responsable de la communication et des ressources de l’Agence culturelle Grand Est. Celle-ci a notamment pu préciser le périmètre de la fonction communication dans le secteur culturel public. Insistant sur les convergences avec le secteur privé et ses pratiques de valorisation, elle a cependant souligné l’hybridité de cette fonction porteuse de spécificités qui conduisent ses acteurs à évoquer davantage des « ressources » que des offres marketing. Cette communication mise en œuvre au sein des institutions culturelles publiques ne serait donc pas uniquement descendante, mais prendrait des formes variées, allant de la sensibilisation des publics au lobbying exercé auprès des acteurs impliqués dans les différentes disciplines artistiques.
11La quatrième table-ronde thématique de cette journée était consacrée à la communication interne. Elle a été lancée par l’intervention de Vincent Brulois (Université Paris 13, LabSIC), lequel a notamment insisté sur l’ancrage de cette fonction dans la complexité économique, sociale et culturelle de l’organisation. Le communicant interne serait donc un « marginal sécant », un médiateur dont l’une des missions premières serait d’interpréter les processus aussi bien d’organisation que de socialisation et de légitimation caractéristiques d’un « monde social singulier ». D’un point de vue opérationnel, cette interprétation permettrait au professionnel en charge de la communication interne d’intervenir sur trois plans : - expliciter l’intention stratégique, le projet développé en lien avec les évolutions de l’environnement - soutenir une dynamique collective en donnant à voir l’organisation et les métiers qui s’y expriment - et enfin soutenir l’engagement des acteurs à travers la constitution et la valorisation d’un mode d’action collective.
12Responsable Communication du site Butachimie de Chalampé, François Cozzo a ensuite développé la question de l’ancrage du communicant interne dans l’organisation en insistant notamment sur les conditions nécessaires à sa légitimité en tant que professionnel. Celle-ci serait ainsi à rechercher dans l’articulation d’une connaissance fine des métiers, des modalités d’action de chacun et des cultures professionnelles en présence d’une part et, d’autre part, d’une expertise reconnue en tant que manager impliqué dans la conception et le pilotage de démarches projet d’envergure stratégique.
13Enfin la cinquième et dernière table-ronde était dédiée au positionnement de la notion de compétence en communication. Valérie Lépine, déjà intervenue en introduction de cette journée, a ici questionné la nature et l’ampleur des évolutions de compétences induites par l’introduction de nouveaux outils numériques dans les pratiques de communication. En effet, si les qualifications sont davantage liées à une reconnaissance, par exemple par une certification ou un diplôme, les compétences sont liées à leur mise en œuvre par une personne dans un contexte donné, contexte marqué ici par une évolution technologique majeure. Les référentiels de métiers peuvent ainsi être vus comme des marqueurs de l’évolution des compétences des communicants, dans la mesure où ils décrivent, mais préconisent également, un positionnement au sein de l’organisation, des actions associées au métier concerné, des connaissances et démarches spécifiques ainsi que des normes en termes de comportement au travail. Dans ce contexte, la compétence des communicants face au numérique peut être abordée sous deux angles. Tout d’abord, les professionnels en activité perçoivent-ils une évolution forte des attentes les concernant en termes de compétences, notamment numériques ? Par ailleurs, peut-on observer un renouvellement des cadres de pensée qui se traduirait notamment par des écarts de représentations entre des jeunes aspirant à cette fonction, d’autres entrés récemment en activité ou enfin des professionnels plus expérimentés ? Pour répondre à ces deux champs d’interrogation, Valérie Lépine propose de se reporter à deux enquêtes, l’une qualitative, l’autre quantitative. La première (Williams, Collister, Challenor, 2013), partant d’une recension des travaux académiques et d’études menées par des consultants insiste sur la coexistence de deux discours, l’un défendant l’idée qu’une « révolution » numérique est en cours et que les praticiens qui ne s’y habituent pas ne pourront plus être performants, l’autre qui insiste sur la persistance d’un socle de fondamentaux que l’ajout de canaux numériques ne menacerait pas. La deuxième étude mobilisée (Zerfass & Simon, 2013), part des enquêtes du European Communication Monitor focalisées sur les praticiens seniors mais aussi d’une enquête ad hoc menée auprès de 158 étudiants. Elle a permis de montrer que les jeunes praticiens valorisent davantage les compétences techniques qu’ils associent à ce qui serait leur « cœur de métier » que des compétences managériales telles que la résolution de problèmes complexes ou la pensée critique. Ces jeunes professionnels accordent également une place importante à la pratique de la veille, notamment sociétale, politique ou interculturelle. Cependant, s’ils expriment un sentiment de maîtrise dans certaines pratiques numériques, notamment liées aux réseaux sociaux, ils font part d’une confiance moins marquée quand il s’agit d’adopter une approche méthodique ou stratégique.
14Dans ces conditions, des référentiels de compétences assez normatifs peuvent être considérés comme autant de signes d’une institutionnalisation des métiers de la communication dans leur dimension plurielle. Cependant, ces métiers tendent à devenir moins lisibles dans la mesure où, au-delà d’une perspective stratégique persistante, ils se voient adjoindre un certain nombre de fonctions complémentaires, notamment liées au numérique, fonctions bénéficiant d’un a priori favorable chez une part importante des professionnels, notamment jeunes.
15Feiza Sabour, chef de projet web au sein de l’agence strasbourgeoise Adipso est enfin intervenue pour aborder cette question des compétences. Elle a notamment pu revenir sur les fonctions d’un chef de projet dans une agence dite « agence web » et insister sur l’importance des compétences managériales dans ce type de missions. Les chefs de projets seraient donc des exemples parlants pour illustrer d’une part la fragmentation des fonctions liées à la production de dispositifs de communication numériques et, d’autre part, la nécessité d’un pilotage, d’une coordination de projet dans laquelle la curiosité, la critique constructive, l’aptitude au débat représentent autant de leviers nécessaires à une progression de carrière.
Bibliographie
Baillargeon Dany, Brulois Vincent, Coyette Catherine, Davis Marc D., Lambotte François & Lépine Valérie, « Figures et dynamiques de la professionnalisation des communicateurs », Cahiers du Resiproc, n° 1, 2013, p. 12-32.
De Swaan Arons Marc, Van den Driest Frank, Weed Keith, « L’ultime machine marketing », Harvard Business Review France, n° 7, 2015, p. 37-46.
Hetzel Patrick, Le marketing relationnel, Paris, Presses universitaires de France, 2014.
Yao Naomoin, « Communication de recrutement et/ou marque employeur ? », Communication & management, n° 10 (2), 2014, p. 73-85.
Lépine Valérie, Martin-Juchat Fabienne & Millet-Fourrier Christelle (dir.), Acteurs de la communication des entreprises et organisations : pratiques et perspectives. Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2014.
Williams Sarah, Collister Simon, Challenor Jennifer, « Recruiting for PR 2.0. », in Okay Aydemir, Carayol Valérie, Trench Ralph (dir.), Researching the Changing Profession of Public Relations. Bruxelles, Peter Lang, 2013, pp. 297-311.
Zerfass Ansgar et alii., « Mapping the Future of the Profession: Contrasting Views of PR Practitioners and Next Generation Professionals », in Okay Aydemir, Carayol Valérie, Trench Ralph (dir.), Researching the Changing Profession of Public Relations. Bruxelles, Peter Lang, 2013, pp. 187-204.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Fabien Bonnet
Enseignant-chercheur en SIC, Université de Haute-Alsace (UHA), CRESAT (EA 3436), fabien.bonnet@uha.fr