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> Quelques chantiers

Françoise Paquienséguy, Valentyna Dymytrova, Valérie Larroche et Marie-France Peyrelong

Open data et smart cities : quels chantiers pour les SIC ?

Article

Texte intégral

1Le projet ANR-14-CE24-0029 OpenSensingCity1, porté par l’École des Mines de Saint Étienne2 et le laboratoire Elico en partenariat avec les entreprises Hikob3 et Antidot4 vise à faciliter les usages et les utilisations des données ouvertes de capteurs dans les villes intelligentes. Il fait suite à plus d’un an de coopération et de réflexion dans le cadre des Matinées de l’Opendata en Rhône-Alpes, animation scientifique soutenue par la Région qui a permis d’identifier les partenaires intéressants et pertinents.

2Nous formulons l’hypothèse que les données dynamiques issues de capteurs déployés pour mieux gérer la ville pourront être mises à disposition via des portails open data, permettant ainsi de développer des produits et des services innovants à destination du citoyen. Dans ce contexte, notre équipe pluridisciplinaire travaille à :

  • fournir des outils et solutions technologiques pour aider à tirer profit de données ouvertes de capteurs,

  • élaborer un cadre d’usage (Flichy, 2008) adapté aux acteurs de l’écosystème des données ouvertes urbaines en analysant leurs stratégies et en définissant des scénarios d’usages.

3Les solutions et outils technologiques, élaborés par les chercheurs informaticiens du projet, se fondent sur l’utilisation d’ontologies, du Web sémantique et des techniques de traitement de flux5. Les partenaires industriels apportent leur expertise : Hikob pour le traitement des données issues de capteurs et Antidot pour la définition des fonctionnalités de requête et de navigation. L’expertise informatique en données liées et en ingénierie des connaissances, associée à celle des chercheurs en SIC permet de dépasser une vision techno-centrée et de questionner les données et les technologies au prisme des représentations sociales et des pratiques professionnelles.

4À la suite d’une première enquête du terrain et afin de rendre compte du projet dans son ensemble, nous avons positionné le double travail des chercheurs d’Elico, qui sera détaillé dans les pages qui suivent, et de celui des informaticiens dans l’écosystème des données ouvertes urbaines (Figure 1, ci-dessous).

Figure 1. Missions des chercheurs en SIC au sein de l’ANR OpenSensingCity

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5L’objectif d’interopérabilité à partir de sources diverses et de formats hétéroclites se concrétisera dans une version béta d’un portail de données ouvertes (portail OSC de la figure 1), point de convergence des acteurs de l’écosystème. En son sein, nous identifions plusieurs acteurs humains et non humains, au sens de B. Latour : les producteurs, les intermédiaires qui sont, d’une part, les plateformes et les portails et de l’autre, les réutilisateurs professionnels tels que développeurs, data scientists, data journalistes, et enfin, les utilisateurs finaux que sont ici les citoyens. Les producteurs fournissent les données aux plateformes des données ouvertes. Les réutilisateurs professionnels construisent des applications, des visualisations ou d’autres produits à partir des données des portails.

6L’enquête de terrain que nous avons conduite comporte trois étapes :

  • l’analyse des stratégies et des pratiques des acteurs en lien avec le portail data.grandlyon.fr ;

  • l’analyse des portails des données ouvertes à l’international ;

  • l’analyse des besoins et des pratiques des réutilisateurs professionnels des données ouvertes

7Dans un premier temps, nous avons étudié le portail des données métropolitaines data.grandlyon.com et divers acteurs liés à ce portail afin de mieux comprendre les stratégies de l’ouverture et de la réutilisation des données à l’échelle d’une collectivité territoriale. Les 22 entretiens semi-directifs, menés de septembre 2015 au juin 2016, nous ont d’abord permis d’identifier les acteurs des données ouvertes métropolitaines et d’interroger les définitions de la notion d’utilisateurs de données ouvertes, qui sont par leurs fonctions des réutilisateurs, à la fois producteurs, exploitants et diffuseurs de données. Ces acteurs se différencient par leurs statuts et leurs positions dans la chaîne allant de la production à l’exploitation de la donnée ouverte.

8Ensuite, cette phase de l’enquête a permis de mieux comprendre la façon dont les données s’inscrivent dans les pratiques socio-professionnelles des acteurs. Par exemple, pour les gestionnaires des portails open data, la tâche la plus importante est la recherche de la donnée, que ce soit auprès des autres services de la collectivité territoriale ou bien auprès de fournisseurs privés. Les analystes et les chefs des projets sont amenés quant à eux à historiciser, analyser et évaluer les données existantes, à réaliser des comparaisons nationales et à faire des recommandations.

9Enfin, nos résultats ont débouché sur l’identification des attentes et des besoins des acteurs des données ouvertes par rapport aux portails et aux jeux de données disponibles. D’une manière générale, les réutilisateurs quel que soit leur statut souhaitent un meilleur référencement et une meilleure homogénéisation des données ouvertes au niveau national, voire européen. Ils ont besoin d’éléments clairs sur ce qu’on peut faire avec les données, sur les manières de les télécharger, des informations sur les formats et leur contexte de création, les métadonnées, les fréquences de mises à jour, une notice explicative de la réutilisation. Ils souhaitent également avoir la continuité des données dans le temps et la prédictibilité de leurs évolutions, aussi bien par rapport à leurs modes de production que par rapport aux conditions de leurs réutilisations définies par la licence.

10La deuxième phase de l’enquête a consisté dans l’analyse comparée de 12 portails nationaux et de 12 portails internationaux portés par des métropoles, afin de saisir les variations et les invariants dans les modalités de diffusion des données ouvertes. Considérant les portails en tant que matérialisations des démarches d’ouverture des données publiques, nous les avons étudiés par une approche sémio-pragmatique. Cette analyse a révélé une réelle diversité de formats, de métadonnées et de thématiques des jeux de données disponibles. Les stratégies éditoriales qui se manifestent en particulier sous forme de discours d’accompagnement de la démarche de l’ouverture des données et de choix ergonomiques et visuels des portails varient également et témoignent de la place de chaque métropole dans l’écosystème de l’Open data. Au-delà des spécificités des contextes nationaux, à la fois juridiques, politiques, organisationnels et techniques, les portails des données ouvertes expriment le plus souvent une orientation envers des publics cibles précis, professionnels ou amateurs. Ces derniers sont rarement envisagés en tant que ré-utilisateurs potentiels de l’Open data mais plutôt en tant qu’usagers des services créés par des intermédiaires professionnels à partir des données disponibles.

11La troisième et dernière phase de l’enquête (en cours) comporte deux volets : un travail de terrain avec les entretiens semi-directifs menés auprès des réutilisateurs professionnels des données ouvertes (développeurs, data scientists, data analystes et data journalistes) et une approche expérimentale6. Les entretiens avec les réutilisateurs professionnels ont pour l’objectif de mieux comprendre leurs pratiques de la réutilisation des données et de saisir les difficultés, besoins et attentes liées à la réutilisation. Organisée en collaboration avec le laboratoire d’innovation, Tubà, lancé par le Grand Lyon en 20147, l’expérimentation visait à tester les usages des outils technologiques développés par nos collègues informaticiens pour faciliter la réutilisation des données ouvertes provenant de sources différentes et contenant des données en temps réel. À la différence des informaticiens qui sont préoccupés par la performance technologique des outils, nous cherchions à savoir si les outils développés dans le cadre de notre projet constituent un « moyen de médiation performant » (Staii, 2004). Dans une posture orientée vers les besoins et les pratiques de communautés d’usagers spécifiques, nous avons mis en place un dispositif expérimental (Agostinelli, 2009) et avons proposé une méthodologie permettant d’observer les interactions entre les usagers et les interfaces et entre les usagers et les concepteurs des outils.

12Ajoutons que ce projet nous a aussi permis de développer une réflexion sur les communs. Pour Karine Favro ce mouvement des données ouvertes publiques, appuyé par un dispositif législatif, « considère l’information publique comme un bien commun » (2016, p. 8). Mais cela ne suffit pas pour en faire un bien commun car « c’est aussi le système organisé de gestion qui institue une activité en un commun » (Laval, 2011). L’analyse des stratégies des acteurs est un moyen de comprendre la gouvernance et de voir, notamment, si l’exploitation des données ouvertes respecte un principe « d’organisation sociale fondée sur la co-production de biens et de services dans des unités obéissant à des règles et à des norme définies démocratiquement » (Idem).

13Nos analyses des portails et plateformes apportent une position beaucoup plus nuancée sur ce lien que certains voudraient faire entre open data et communs.

14Notons pour finir que cette ANR, la seule actuellement en cours à Elico aura été l’occasion à la fois de nous questionner sur les pratiques et usages liés à l’Open Data mais surtout de fonder une problématique commune avec des collègues informaticiens, ce que plusieurs autres projets d’Elico concrétisent également.

Bibliographie

Agostinelli Serge, « Comment penser la médiation inscrite dans les outils et leurs dispositifs ? Une approche par le système artefactuel », Distances et savoirs, vol. 3, n° 7, 2009, p. 355-376.

Dymytrova Valentyna, Paquienséguy Françoise, « La réutilisation et les réutilisateurs des données ouvertes en France : une approche centrée sur les usagers », Revue internationale de droit des données et du numérique, vol. 3, 2017 (à paraître).

Favro Karine, « Introduction », Legicom. Revue thématique de droit de la communication, n° 56, 2016, p. 3-12.

Flichy Patrice, « Technique, usage et représentations », Réseaux, n° 148-149, 2008, 147-174.

Larroche Valérie, Peyrelong Marie-France, Beaune Philippe, « L’ouverture des données publiques : un bien commun en devenir », TIC&Société, dossier «Communs numériques et communs de la connaissance», vol. 11, n° 2, 2017 (à paraître).

Larroche Valérie, Vila Martine, « Urban Data et stratégies dans le secteur des services : Le cas de la métropole lyonnaise », in Broudoux E. et Chartron Gh., Big data - Open data : Quelles valeurs ? Quels enjeux ?, Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur, 2015, p. 183-197.

Larroche Valérie, Vila Martine, « Producteurs, usages des données : des relations de médiation ? », in Paquienseguy F., Open data : Accès, territoires, citoyenneté : des problématiques info-communicationnelles, Éditions des Archives contemporaines, 2016, p. 89-99.

Laval Christian, « La nouvelle économie politique des communs : apports et limites », séminaire Du public au commun, 9 mars 2011. En ligne, http://1libertaire.free.fr/PDardotCLaval28.html.

Paquienséguy Françoise (dir.), Open data : Accès, territoires, citoyenneté : des problématiques info-communicationnelles, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 2016, 141 p.

Paquienséguy Françoise, « Smart city & open data : à qui profitent les données ouvertes ? » CIST2016 - En quête de territoire(s) ?, Proceedings du 3e colloque international du CIST, Grenoble, mars 2016, p. 351-356.

Paquienséguy Françoise, « À qui profite le chiffre ? Les portails métropolitains Open Data », in Avenati, O. et Chardel P-A. (dir.) Datalogie. Formes et imaginaires du numérique, Éditions Loco en coproduction avec l’ESAD de Reims, 2016, p. 126-135.

Paquienséguy Françoise, « Les portails Open Data au prisme du courtage informationnel : qu’est-ce qui se joue pour les Métropoles ? », in Paquienséguy F., Open data : Accès, territoires, citoyenneté : des problématiques info-communicationnelles, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 2016, p. 101 -113.

Paquienséguy Françoise, Dymytrova Valentyna, Livrable n° 1.2 Analyse de portails métropolitains de données ouvertes à l’échelle internationale, rapport de recherche, 2017. En ligne : hal-01449348.

Paquienséguy Françoise, Larroche Valérie, Peyrelong Marie-France, Vila Martine, Dymytrova Valentyna, Synthèse des résultats de l’enquête auprès de ré-utilisateurs de données ouvertes. Livrable n° 1, rapport de recherche, 2 016. En ligne : hal-01432124.

Staii Adrian, « Réflexions sur les recherches et le champ des sciences de l’information », Les Enjeux de l’information et de la communication, n° 1, 2004, p. 50-62.

Notes

1 http://opensensingcity.emse.fr

2 http://www.mines-stetienne.fr

3 http://www.hikob.com

4 http://www.antidot.net

5 Il est nécessaire de proposer des solutions pour simplifier l’utilisation de données ouverts statiques et dynamiques qui sont en pratique difficiles à comprendre, à trouver et à exploiter. Ceci est d’autant plus vrai quand elles sont issues de capteurs car les contraintes de capacité et de communication obligent à minimiser l’information transmise.

6 OpenSensingCity Challenge, Tubà, le 17 mars 2017.

7 http://www.tuba-lyon.com

Pour citer ce document

Françoise Paquienséguy, Valentyna Dymytrova, Valérie Larroche et Marie-France Peyrelong, «Open data et smart cities : quels chantiers pour les SIC ?», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 14-Varia, DOSSIER : ELICO, > Quelques chantiers,mis à jour le : 05/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=301.

Quelques mots à propos de : Françoise Paquienséguy

Sciences Po Lyon, Elico

Quelques mots à propos de : Valentyna Dymytrova

Université Lyon 1, Elico

Quelques mots à propos de : Valérie Larroche

IUT J. Moulin Lyon 3, Elico

Quelques mots à propos de : Marie-France Peyrelong

Enssib, Elico