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QUESTIONS DE RECHERCHE

Marine Grandgeorge

La relation homme-animal de compagnie : l’exemple de la médiation animale à destination des enfants avec troubles du spectre autistique

Article

Texte intégral

1Le terme « domestication » vient du latin domus, la maison, ce qui signifie que les humains ont amené certaines espèces animales à partager leur lieu de vie. Certaines ont revêtu un statut particulier d’animal de compagnie, avec des contacts quotidiens. Dans cette relation, les partenaires ont, sur la base de leurs expériences passées, des attentes à propos des réponses de l’autre individu (Hinde, 1979). D’une série d’interactions, un lien va émerger. Au minimum, une interaction suppose qu’un individu A exprime un comportement X vers l’individu B, B peut répondre avec un comportement Y (Hinde, 1979). En fonction de la perception des interactions (positive, neutre ou négative) pour chacun des partenaires, les relations peuvent varier de la confiance, ou du réconfort, jusqu’à la peur ou au stress par exemple. Il est important de noter qu’une relation n’est pas statique, puisque chaque nouvelle interaction peut avoir une influence sur la l’intensité du lien construit entre ces individus, lien qui peut d’ailleurs perdurer malgré une longue séparation. Ces concepts peuvent s’appliquer aux interactions entre individus de même espèce, mais aussi d’espèces différentes (e.g. entre l’être humain et leurs animaux de compagnie). Dans ce dernier cas, où ce lien particulier inter-espèce ressemble à un phénomène social, sans en être un per se, nous parlerons de relation pseudo-sociale ou de substitut social, car le terme social est dédié aux individus d’une même espèce.

2Lors d’une séquence d’interaction, chacun des partenaires se sert des signaux émis par l’autre pour ajuster son comportement. Du côté des animaux, une des espèces les plus étudiées est le chien. Celui-ci est capable non seulement de localiser de la nourriture à l’aide d’indices comme le pointage, mais aussi de reconnaitre son propriétaire à partir d’une photo et de sa voix, de déceler son état physiologique global, émotionnel et attentionnel, via des indices olfactifs, visuels ou posturaux. Il peut également discriminer des expressions faciales sur des visages nouveaux. D’autres espèces domestiques possèdent elles aussi de telles compétences, plus ou moins développées comme le chat, le cheval ou encore les animaux de ferme (e.g. ovin, bovin et caprin). Réciproquement, les êtres humains décodent les signaux émis par les animaux lors des interactions (e.g. postures, vocalisations) même si dans certaines situations, les indices peuvent être mal interprétés (e.g. avec le lapin). Les êtres humains se servent aussi des caractéristiques physiques de l’animal pour leur attribuer des qualités, e.g. beauté, gentillesse, jeunesse. Récemment, Borgi et al. (2014) ont monté que l’attribution d’un caractère « mignon » à une face d’animal était modulée par la direction du regard sur les différentes parties de cette même face (expérience faite chez des enfants).

3Chacun des protagonistes, Homme comme Animal, peut tirer des bénéfices réciproques d’une relation établie quand celle-ci est positive. Du côté de l’animal, les études restent rares mais nous pouvons supposer qu’ayant un maitre, l’animal de compagnie obtient de la nourriture, un abri, de la compagnie et, si besoin, des soins, le tout lui assurant un bien-être physique et psychologique. Lorsqu’une relation forte est établie, l’animal peut même atteindre des apprentissages exceptionnels tels que ceux montrer par Alex, le perroquet d’Irene Pepperberg. Réciproquement, et de façon beaucoup plus documentée, l’animal de compagnie apporte de nombreux bénéfices à l’être humain dans son quotidien. Par exemple, la présence d’animaux dans l’entourage de l’enfant influence sa santé, son développement socio-émotionnel et probablement cognitif, aussi bien à long terme qu’à court terme.

4C’est en se basant sur de tels bénéfices que s’est développée la pratique de la médiation animale, qui a connu un essor considérable dans la dernière décennie au niveau international. Dans cette contribution, nous allons centrer notre propos sur les enfants et adolescents avec TSA dans le contexte de la médiation animale.

Médiation animale pour les enfants avec TSA : définition et état des lieux de la pratique en France

5Mais pourquoi proposer des séances de médiation animale pour des enfants avec TSA ? Ces personnes présentent un ensemble de troubles du comportement qui se manifeste sous la forme de déficit des interactions sociales, de troubles de la communication, ainsi que par la présence d’intérêts restreints, de gestes stéréotypés et/ou de jeux répétitifs (APA, 2013). Redefer et Goodman (1989) sont les précurseurs dans l’approche scientifique des bénéfices des animaux pour les enfants avec TSA. Ils ont posé l’hypothèse que le chien (et, par extension, les animaux) serait un puissant stimulus multisensoriel pouvant remédier aux déficits sensoriels des enfants avec TSA. Plus récemment, Maurer et al. (2011) ont proposé une revue de littérature sur les arguments théoriques qui font de l’animal un partenaire singulier pour l’enfant avec TSA, e.g. la communication avec l’animal s’effectue davantage sur un mode non-verbal.

6Philippe-Peyroutet et Grandgeorge (soumis), dans une large enquête menée en France en 2013, ont révélé que près de 60 % des structures (sur 386 répondants) prenant en charge des enfants avec TSA mettaient en place des activités faisant intervenir l’animal. Cet engouement pour la pratique de la médiation animale pour les enfants avec TSA a connu un essor exponentiel depuis les années 2000 en France, même si de nombreuses expériences apparaissent avoir plus d’une vingtaine d’années d’existence d’après cette enquête.

7Il apparaît, comme précédemment montré, que le cheval est l’animal le plus couramment utilisé avec les enfants avec TSA (ici, près de 80 %). Les séances avec le cheval se déroulent principalement dans des centres équestres dédiés spécifiquement à la médiation ou dans des structures plus traditionnelles. Suivent les chiens (un quart des répondants) qui, appartiennent à la structure où sont aussi pris en charge les enfants avec TSA, ou proviennent de l’extérieur avec un intervenant sur des temps très précis dédiés à ce type de séance. Plus marginalement, l’enquête indique l’utilisation des lapins (17,2 %), d’autres animaux de ferme (16,8 %), d’ânes (12,5 %), etc. La plupart du temps, ces structures répondantes n’impliquent qu’une seule espèce dans leurs projets de médiation animale proposée aux usagers. Toujours dans cette enquête, près des trois quarts des structures mentionnaient l’observation d’un impact positif sur les enfants comme raison de lancement de cette activité. Les objectifs posés pour les enfants avec TSA étaient de 6 types différents (par ordre décroissant) : (1) bien-être et valorisation de soi, (2) socialisation, (3) intégration du schéma corporel, (4) éducation, (5) sensorialité et (6) communication. Mais malheureusement, moins d’un répondant sur deux évoquait la façon dont ces objectifs étaient évalués et mesurés.

8De cette étude ressort aussi, de façon qualitative, la diversité des définitions et visions des pratiques incluant l’animal. De nombreux termes coexistent (e.g. zoothérapie, intervention assistée par l’animal, médiation animale) et de nombreuses définitions ont été proposées. Nous retiendrons plutôt la définition de médiation animale qui semble faire consensus proposée par Grandgeorge et al. (2015) :

« La présence de l’animal auprès d’êtres humains en difficulté (e.g. handicaps physiques ou psychiques) pourrait jouer un rôle dans le développement, la récupération ou la compensation de compétences non révélées par leur environnement social humain. La médiation animale repose sur ce principe et se précise en fonction des orientations qui lui sont données. L’animal peut être associé à un projet éducatif, social, thérapeutique ou de recherche. Cette pratique implique, a minima, une triangulation entre un bénéficiaire humain, un animal et un intervenant et consiste en une intervention individuelle, ou en groupe, au cours de laquelle un animal, répondant à des critères spécifiques et introduit par un intervenant qualifié, fait partie intégrante d’un projet. Le but est d’améliorer le fonctionnement cognitif, physique, émotionnel ou social d’une personne. Cette pratique doit être documentée et évaluée. »

Quelles connaissances issues de la recherche sur les bénéfices de la médiation animale pour les enfants avec TSA ?

9Si les professionnels sur le terrain s’accordent à dire que des bénéfices semblent indéniables à cette pratique pour les enfants avec TSA, qu’en disent les recherches scientifiques où une évaluation plus standardisée est réalisée ?

10La revue de littérature d’O’Haire (2012) a été complétée par les dernières recherches publiées entre 2012 et 2015 (O’Haire, 2016). Elles révèlent un intérêt croissant des chercheurs pour la pratique de la médiation animale dédiée aux enfants avec TSA. Depuis l’étude pionnière de Redefer et Goodman (1989), 42 publications scientifiques ont été recensées, dont 28 depuis 2012 avec une claire amélioration des protocoles de recherches (e.g. présence d’un groupe contrôle, nombre de sujets plus importants). Elles sont pour partie le reflet de la pratique car les espèces les plus impliquées sont le cheval et le chien. Principalement, les effets positifs rapportés par les chercheurs sont de l’ordre des interactions sociales, qui sont améliorées au moment, mais aussi après, les séances. La plupart des bénéfices sont estimés par le biais d’échelles ou de questionnaires, mais peu par des observations directes. Or, il est clairement montré que l’évaluation d’autrui par le biais d’un questionnaire connaît des limites et que l’observation directe, grâce aux méthodes de l’éthologie, permet d’objectiver et de mesurer les changements de comportements (e.g. évaluation du bien-être du cheval par son propriétaire). L’approche éthologique a permis de montrer notamment, que lorsqu’un enfant avec TSA a le choix d’interagir avec un chien, un humain ou des objets lors de séances de médiation animale, c’est le chien qui sera privilégié (comme cible des vocalisations, du jeu, etc) et cela sur plusieurs séances à suivre (Prothmann et al., 2009).

11Pour illustrer ce propos, nous pouvons mentionner un projet de recherche récent, impliquant notamment des observations directes. Dans un large programme mené en Australie, il a été proposé à 15 classes d’accueillir deux cochons d’Inde pendant 8 semaines. En plus, trois séances de 10 minutes de médiation animale incluant ces deux cochons d’Inde ont été menées auprès de groupes de petite taille (i.e. 1 enfant avec TSA et 2 enfants au développement typique) et comparées à des sessions de jeu libre avec différents jouets (O’Haire et al., 2013). Les animaux avaient pour but de servir de catalyseur social afin de favoriser les échanges entre les enfants, et notamment ceux de l’enfant avec TSA envers ses pairs. Les observations, sur la base d’un répertoire comportemental assez détaillé, ont montré qu’en présence des deux cochons d’Inde, les enfants avec TSA présentaient plus de verbalisations, de regards dirigés vers leurs pairs et de recherche de contact tactile, mais recevaient aussi plus d’approches sociales de leurs pairs. Ces changements dans les comportements sociaux des enfants avec TSA se sont couplés notamment, en présence des animaux, avec plus de sourires et de rires, et moins de pleurs. En parallèle, des mesures physiologiques ont mis en évidence une diminution du stress (mesurée par la conductance cutanée) en condition de séance de médiation animale versus les séances contrôles avec les jouets et les pairs, ou de lecture à voix basse ou à voix haute (O’Haire et al., 2015). Enfin, un effet plus global de la présence des deux animaux en classe a été investigué via deux questionnaires (PDDBI et SSRS) aux parents et aux professeurs des écoles réalisés avant l’arrivée des animaux, à la fin des 8 semaines de présence, puis une semaine après leur départ (O’Haire et al., 2014). Aussi bien les réponses des professeurs que celles des parents, allaient, suite à l’arrivée des cochons d’Inde, dans le sens d’une amélioration dans le fonctionnement social et la diminution des comportements de retrait social des enfants avec TSA. Prise ensemble, à l’aide de méthodologies complémentaires, ces études permettent d’observer un effet global des séances de médiation animale sur les enfants avec TSA : à court terme tant sur les comportements sociaux exprimés que sur un paramètre physiologique du stress, qu’à moyen terme, sur la sphère sociale.

Quels mécanismes impliqués dans les bénéfices observés et rapportés ?

12S’il apparaît que les enfants avec TSA – dans leur majorité – tirent des bénéfices de leur rencontre avec l’animal dans le cadre de séances de médiation animale, force est de constater que les mécanismes impliqués restent trop peu investigués pour être compris. De nombreux auteurs ont proposé des pistes possibles. Pour les premiers chercheurs à s’y être intéressés, les animaux seraient des stimuli multisensoriels qui aideraient à faire face aux particularités sensorielles de ces enfants (Redefer et Goodman, 1989). En outre, les animaux sembleraient plus prévisibles et plus faciles à décoder qu’un être humain (Redefer et Goodman, 1989), mais les études en éthologie montrent, comme mentionnées plus haut, que décoder les comportements de l’animal est complexe et cela, même pour les personnes dites expertes. En outre, il a été proposé que les animaux puissent aussi agir en tant qu’objet transitionnel pour les enfants avec TSA (faisant écho aux travaux de Winnicott) et que le lien établi avec l’animal puisse être transféré aux êtres humains (Martin et Farnum, 2002), tout comme les compétences dans la sphère des interactions et de la communication (Grandgeorge et al., 2012). En effet, une relation s’établit sur la base d’une série d’interactions où les partenaires ont, à partir de leurs expériences passées, des attentes à propos des réponses de l’autre individu (Hinde, 1979). Ainsi, les animaux – et leurs comportements – pourraient contribuer à l’acquisition d’un répertoire comportemental social plus structuré chez les enfants avec TSA (hypothèse proposée initialement pour la relation enfant typique - chien familier).

13Loin d’être exhaustive, cette liste montre une diversité de mécanismes et d’explications – non exclusives – pouvant être impliqués. Pour donner un éclairage nouveau, nous avons mené une expérience (Grandgeorge et al., 2016) en utilisant une technique d’oculométrie ou d’eye tracking. Prenons le postulat que les animaux seraient plus faciles à comprendre comme proposé par Redefer et Goodman (1989). Cette facilité ne viendrait non pas de la prévisibilité des comportements des animaux, mais du fait que les altérations sociales présentées par les personnes avec TSA ne concerneraient que la communication avec leurs pairs (Prothmann et al., 2009). Ceci allant dans le sens de nombreux témoignages comme celui de Temple Grandin rapportant son aisance à lire les animaux, c’est-à-dire à comprendre les signaux non verbaux de communication utilisés par les animaux, tandis que la compréhension des humains reste un mystère pour elle. Cela pourrait être sous-tendu par un traitement différencié des informations faciales sur les visages d’animaux et sur les visages humains dans les TSA. S’il est clairement établi que les enfants avec TSA accordent peu d’importance à la région des yeux sur les visages humains (à la différence des enfants au développement typique) comme nous l’avons aussi montré, notre expérience a mis, pour la première fois en évidence, que sur les photographies de faces d’animaux, la zone des yeux a été la zone la plus regardée tant par les enfants au développement typique que par les enfants avec TSA, quelle que soit l’espèce animale (e.g. chien, chat, cheval). Dans une situation de communication, chaque partenaire, humain ou animal, utilise les indices émis par l’autre (e.g. posture, geste, direction du regard) pour recueillir des informations afin d’ajuster ses comportements dans leurs interactions. Le fait de porter attention à la zone des yeux chez les animaux pourraient aider les enfants avec TSA dans ce type de communication inter-espèce. D’autant plus que Martineau et Cochin (2003) ont montré que regarder des mouvements produits par l’être humain ou l’animal activent des zones corticales différentes du cerveau.

14Plus récemment encore, dans le cadre de séance de médiation animale avec un chien d’assistance de l’association Handi’chiens, nous avons pu mettre en évidence que les enfants avec TSA sont capables d’attention visuelle aussi bien vers le chien que vers l’éducateur (Grandgeorge et al., en révision), et d’autant plus si une situation de rivalité sociale est présente (e.g. l’attention sociale pouvant agir comme un renforçateur des émotions positives, un individu peut activement interférer – visuellement ou physiquement – pour regagner l’attention sociale de son partenaire.). Sachant l’importance de l’attention visuelle dans le développement (e.g. langage) et qu’elle est le reflet des affinités sociales, nous supposons qu’elle puisse être impliquée – au moins pour partie – dans les processus sous-jacents des bénéfices observés dans le cadre de la médiation animale pour les enfants et adolescents avec TSA.

Conclusion

15Même si les chercheurs s’intéressent de plus en plus à cette pratique de médiation animale pour les enfants avec TSA, et, plus largement, à l’impact de l’animal dans la vie de ces enfants (e.g. relation avec l’animal familier, Grandgeorge et al., 2012 ; ou chien d’assistance, Burrows et al., 2008), il subsiste de nombreuses questions comme (1) comment optimiser au plus les techniques de médiation animale pour que les enfants avec TSA en bénéficient au mieux, (2) comment procéder pour que tous les enfants avec TSA puissent bénéficier de la même façon du lien à l’animal, (3) l’existence d’aspects négatifs à cette pratique de médiation animale, (notamment en impactant le bien-être des animaux impliquée), (4) répliquer les résultats observés et rapportés, (5) quels sont les autres mécanismes pouvant intervenir, etc. Dans une approche aussi complexe que les relations Homme-Animal, les principes de base de l’éthologie sont d’autant plus justifiés (Servais et Millot, 2003). L’éthologie tient toute sa place, dans ce champ d’investigation comme montré tout au long de cette contribution, car en tant qu’étude des comportements, elle développe des méthodes de recueil de données et d’analyse objectifs, ainsi que des concepts applicables aux hommes et aux animaux.

Bibliographie

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Pour citer ce document

Marine Grandgeorge, «La relation homme-animal de compagnie : l’exemple de la médiation animale à destination des enfants avec troubles du spectre autistique», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 13-Varia, QUESTIONS DE RECHERCHE,mis à jour le : 08/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=327.

Quelques mots à propos de : Marine Grandgeorge

Université de Rennes 1, Station Biologique de Paimpont, Laboratoire d’Éthologie Animale et Humaine EthoS–UMR-CNRS 6552, Paimpont, France. Courriel : marine.grandgeorge@univ-rennes1.fr