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Axe 2 | Éducation et TIC
La description des formations sur le site web des universités vietnamiennes : discours promotionnel ou administratif ? Quels enjeux ? Quelles realites ?
Table des matières
Texte intégral
1Dans l’ère de la globalisation néo-libérale, l’enseignement supérieur est souvent vu comme une marchandise (Albach ; 2002, Giroux, 2002 ; Lynch, 2006 repris dans Nguyen et al, 2010). Dans cette optique du néolibéralisme, selon ces auteurs, la marchandisation (marketization) signifie le recours au marché ou mécanisme orienté vers le marché. Vers les années 80, à l’heure où les politiques visant à commercialiser l’enseignement supérieur sont largement adoptées dans le monde (Mok, 2000), le modèle de l’université entrepreneuriale (Clark, 1998) est né à cause « d’une baisse des fonds publics, de la nécessaire adaptation à de nouveaux publics, aux marchés du travail et à l’industrie de la connaissance » (Granget, 2006). Ce modèle de l’université fonctionne pour viser les objectifs économiques (Han, 2015). Le marketing dans le management de l’établissement devient aussi largement accepté.
2Bien que le Vietnam continue à être un pays communiste (l’enseignement est en principe à la portée du peuple et gratuit), il a introduit la marchandisation dans l’enseignement supérieur (Nguyen et al., 2010). Au début du régime communiste, au Vietnam, il n’y avait pas d’université privée (Unesco, 2006). Après la chute de l’URSS, le pays a choisi l’économie de marché à orientation socialiste selon le modèle chinois. Par conséquent, en 1988, la première université privée a été créée. Les universités privées fonctionnent avec le mécanisme de marché (Unesco, 2006 : 229). Elles sont autofinancées, elles proposent des formations « à la mode », fort demandées par la société, ne réclamant pas de grands investissements : laboratoires, équipements, par exemple (Slopper et Can, 1999 ; Sinh, 2004). De plus, à partir de 2000, l’État vietnamien encourage l’investissement étranger dans le domaine de la formation et de l’éducation1. Par conséquent, des universités étrangères basées au Vietnam et des universités conjointes (universités fondées grâce à la coopération entre le gouvernement vietnamien et le gouvernement d’un pays développé)2 voient le jour. L’enseignement supérieur vietnamien est ainsi caractérisé par le régime communiste avec un grand nombre d’universités publiques subventionnées par l’État, sous la régulation de l’État qui commence pourtant, à leur accorder plus d’autonomie. Il est en même temps influencé par le néo-libéralisme, la marchandisation avec un nombre grandissant d’universités non publiques autofinancées (universités privées, universités étrangères). La concurrence entre les établissements de l’enseignement supérieur est devenue de plus en plus marquée. Il en résulte que les pratiques, les techniques de marketing, dont les discours promotionnels, sont aussi davantage mobilisés.
Problématique
3Dans ce contexte de dualité, nous cherchons à savoir comment les formations de niveau Licence sont décrites sur le site web des universités. Ces descriptions sont-elles toutes promotionnelles comme c’est le cas d’autres pays du monde3 ? Les universités vietnamiennes cherchent-elles toutes à séduire ? En effet, une bonne description d’une offre de formation permet à l’étudiant de bien comprendre la formation à choisir et d’éviter ainsi de perdre du temps, de l’argent, de fournir des efforts inutiles… De plus, le niveau Licence a été choisi parce qu’il est impossible, dans le cadre de ce travail, de couvrir toutes les formations de tous les niveaux. Par ailleurs, le public cible de la Licence, les lycéens, ne connaît pas encore le monde académique. Ils sont donc susceptibles d’avoir des difficultés à se renseigner sur l’université et les formations.
4Nous examinons cette description sur le site web pour deux raisons. Premièrement, le site web officiel est une des sources d’informations les plus consultées par les futurs étudiants dans l’étape qui précède le choix. Deuxièmement, des travaux sur l’analyse des brochures ont été effectués (par Hartley et Morphew, 2008, par exemple). Pourtant, aucune étude n’a été réalisée sur la présentation des formations sur le site web. Notons que les informations sur les brochures doivent être brèves à cause des questions liées à l’impression sur support papier alors que, sur le site web, il n’est pas question de payer ni pour la longueur du texte ni pour le nombre d’images. Par conséquent, la quantité d’informations peut être plus importante. Nous constatons que Rongère et al (2008) ont examiné l’utilisation et la qualité des sites présentant l’offre de formations en santé publique, mais cette recherche n’a pu que signaler la présence ou l’absence des items d’informations sans les analyser en profondeur.
Méthodologie
5Notre objectif est d’interpréter les descriptions des formations offertes pour comprendre comment une formation est présentée. Les entretiens avec les éditeurs, webmasters des universités et l’observation exploratoires des sites web nous ont permis de révéler les accès possibles à la description de l’offre de formations :
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accès par l’onglet « formation », « formations offertes » de la page d’accueil
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accès depuis la page d’accueil par le portail réservé aux « futurs étudiants » ou le portail « admission/recrutement d’étudiants »
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accès par le site web des départements de l’université.
6Nous collectons toutes les descriptions des 160 formations, proposées par dix universités. Trois types d’universités sont présents dans l’échantillon : cinq publiques, quatre privées et une étrangère. Pour constituer le corpus, nous utilisons une extension de Google chrome (open screenshot) qui permet de capturer une page web complète sous forme d’un document PDF. Ainsi, chaque description d’une formation constitue une unité d’analyse : celle-ci peut contenir une ou plusieurs pages PDF ou Word. Toutes les pages web ont été sauvegardées entre juin et juillet 2016. Il s’agit du moment où les lycéens viennent d’obtenir leur résultat du bac. Ils doivent donc choisir une formation universitaire. Par conséquent, la recherche d’informations sur l’université et les formations offertes est accélérée. L’université devrait aussi faire des refontes de son site afin de réussir son processus de recrutement. Le corpus des pages web est consultable sur le lien : https://www.dropbox.com/sh/unagtshyo7up3z6/AADDQAPVIMqKyMu6k9JoJZV7a?dl=0.
7Dans cette recherche, nous allons recourir à l’analyse critique de discours (ACD) où « le chercheur n’est pas un simple observateur des phénomènes sociaux, mais un décrypteur qui cherche à comprendre pourquoi les éléments observés ne correspondent pas à une réalité souhaitable » (Thietart, 2014). Nguyen Hoa (2005) confirme aussi que l’objectif de l’ACD est non seulement de décrire le discours, mais aussi d’expliquer comment le discours a été construit, pourquoi il existe et fonctionne comme tel. Nous nous basons sur les méthodes appliquées par Askehave (2007), Nielsen (2005), Han (2014), Xiong (2012) pour construire notre grille d’analyse : nous examinons minutieusement la dimension textuelle. Les dimensions visuelle, audio-visuelle sont aussi considérées. Cette description de discours est croisée avec 17 entretiens auprès de chargés de communication, webmasters, éditeurs web, et responsables de l’université afin de comprendre le choix d’un type de description et son processus de production. Notons que la plupart des universités publiques vietnamiennes n’ont pas encore de service de communication. Le travail est alors à la charge de personnes ayant déjà d’autres responsabilités. Par conséquent, pour atteindre notre objectif, nous avons repéré de nouveaux sujets en interviewant et augmenté le nombre d’entretiens au fur et à mesure.
Résultats
8Trois styles de discours ont été identifiés. Pour chaque style, nous commençons par décrire sa structure générique. Nous examinons ensuite l’usage du vocabulaire et la représentation des principaux acteurs du discours (l’université et l’étudiant). Pour faciliter la lecture, dans les parties suivantes, nous numérotons les universités privées par UPR1, 2, 3, 4. UPR4 est une université étrangère basée au Vietnam. UP1, 2, 3, 4, 5 sont des universités publiques. Les noms complets des universités se trouvent en annexe A.
Discours promotionnel et discours administratif
Structure générique
9Nous rassemblons la description de ces deux discours dans une même partie puisque les différences entre le promotionnel et l’administratif semblent significatives. Voici les images des deux styles :
Figure 1. Page descriptive d’une formation de UPR1 (style promotionnel)
Figure 2. Une description administrative de UPR4
10En général, les items suivants sont souvent abordés :
Discours promotionnel |
Discours administratif |
Présentation générale Débouchés (opportunités professionnelles) Points forts de l’université et de la formation Catégories de personnes à qui convient la formation Frais de scolarité, bourses et aides financières Objectifs de la formation Programme des cours Méthode d’enseignement et évaluation Informations sur le diplôme Témoignage des alumnis Références Procédures d’inscription (dont publics de recrutement) Questions fréquentes Aide en ligne/ chat en ligne, possibilité de télécharger le programme de cours détaillé |
Présentation générale : Objectifs de la formation (objectifs généraux, objectifs politique, moral + débouchés) Référentiel de sortie (ce que les étudiants doivent avoir acquis à la fin de la formation en termes de : + savoirs + savoir-faire + langues étrangères + compétences informatiques + qualités morales + santé) Conditions de réussite Programme des cours Liste de professeurs Publics de recrutement |
11Notons qu’il y a des items d’informations identiques dans les deux types de discours tels que le programme de cours et la présentation, mais les différences sont plus nombreuses. On constate que l’importance accordée à certains items n’est pas la même dans ces deux types de discours. En effet, dans le promotionnel, les informations sur les débouchés sont tout le temps présentes alors que les postes auxquels le diplôme donne accès figurent sur la moitié des descriptions administratives. Selon Çetin (2011), les administrateurs confirment que l’explication des caractéristiques et des opportunités de travail après le cursus attire les étudiants potentiels. Le discours promotionnel semble ainsi coller plus aux attentes des publics avec « la promesse d’un débouché, de la réussite professionnelle… » (Granget, 2005 : 42) dans un certain objectif d’auto-promotion. De plus, dans le discours administratif, les objectifs politiques et moraux sont toujours présents alors qu’ils sont totalement absents dans le discours promotionnel. Les descriptions administratives font très attention aux savoirs, aux compétences que l’étudiant devra avoir acquises pour pouvoir obtenir le diplôme (ce qui est fort semblable d’une université à l’autre) alors que les présentations promotionnelles essaient de souligner leurs points attractifs. Nous citons d’abord par exemple, l’item Points forts de l’établissement où l’université explique en quoi elle est unique et excellente. Cet item existe seulement dans le discours promotionnel. En effet, selon, Kotler et Fox (1995), se différencier fait partie de la stratégie de positionnement (marketing), et l’accent mis sur cette thématique révèle l’engagement de l’établissement dans la mobilisation des pratiques de marketing courantes et même innovantes dans l’effort fourni pour remplir le quota d’inscription (les interviews confirment ce constat). Ensuite, le deuxième item qui n’apparaît jamais dans l’administratif, c’est le témoignage des alumnis, qui permet de « personnaliser les textes et de créer une atmosphère d’authenticité » (Askehave, 2007). Cette partie dans les documents analysés peut encore être nommée Partage des gens de l’intérieur ou Que disent les gens du métier ? Ainsi, les paroles citées viennent non seulement des alumnis mais aussi des étudiants actuels, des recruteurs. À côté des témoignages, UPR5 a aussi ajouté le profil des alumnis qui ont brillamment réussi.
12En outre, toutes les descriptions du modèle promotionnel proposent un petit onglet invitant les internautes à laisser un message ou à chatter directement avec un employé de l’université. Cette interaction personnalisée remonte à la pratique de marketing de relation (relationship marketing) qui cherche à construire une communication personnalisée, interactive avec les “clients” (Kotler, 1996). Chung, Lee & Humphrey, 2010 montrent que l’interaction en ligne entre le personnel universitaire et les futurs étudiants permettent de séduire les étudiants et les convaincre de s’inscrire. Et enfin, deux derniers items sont complètement absents dans l’administratif : les catégories de personnes à qui la formation convient et les références. Pour le premier, les informations semblent être utiles pour les étudiants parce que cette partie cite les qualités nécessaires pour la formation. Cela comprend l’orientation. Le deuxième regroupe tous les liens vers des articles parlant de la formation en général et celle offerte par l’institution en particulier. Il s’agit d’une stratégie de communication : ce n’est plus l’institution qui parle, qui se vante, mais la presse globalement, qui pourrait mériter plus de confiance sans que nous puissions savoir si ces articles de promotion sont payés par l’université elle-même (pratiques confirmées lors des entretiens).
Usage du vocabulaire et représentation
13Dans notre corpus, la description commerciale est marquée par l’usage alternatif du pronom à la deuxième personne (vous) et du nom (les étudiants = ils, c’est-à-dire la troisième personne). Dans la présentation administrative, le pronom « vous » est totalement absent. Ainsi, le discours promotionnel dans cet usage montre qu’il est plus spécifiquement adressé aux étudiants. L’université veut dialoguer avec eux et cherche ainsi à être plus proche d’eux afin de créer la relation sociale par les éléments lexico-grammaticaux (communication dialogique, une pratique bien appréciée en relations publiques) :
Vous avez du talent pour diriger et vous rêvez de devenir manager dans l’avenir ? La Licence en Gestion à RMIT Vietnam va vous équiper des connaissances profondes sur le fonctionnement d’une entreprise…5.
14Par ailleurs, dans le discours promotionnel, bon nombre d’adjectifs et de termes positifs sont mobilisés : compétent en spécialité professionnelle, large connaissance profonde, parfaite maîtrise des langues étrangères, salaire initial élevé, grande opportunité de promotion, adaptation rapide5… C’est pour cette raison que, dans ces textes, les étudiants sont plutôt gagnants. Grâce à la formation, ils seront « forgés » afin de posséder des savoir-faire. Autrement dit, l’étudiant va beaucoup recevoir ; il sera équipé, préparé à l’avenir, pour être prêt à s’adapter dans un monde changeant :
Le programme de la Licence de communication (communication professionnelle) va vous aider à être prêt à devenir un spécialiste de communication polyvalent, à vous intégrer ainsi au monde professionnel en plein essor de la communication en possédant la base des connaissances théoriques et pratiques6.
15De surcroît, d’après ce texte, ils sont nombreux à trouver du travail dès la sortie de l’université avec un bon salaire :
Jusqu’à présent, 98 % des diplômés de l’Université FPT trouvent du travail dès la sortie, 15 % travaillent aux États-Unis, au Japon, en Allemagne, à Singapour…avec un salaire initial élevé et de bonnes perspectives de promotion7.
16L’université, quant à elle, existe pour aider les étudiants à réussir, à maîtriser toutes les compétences et connaissances grâce aux programmes satisfaisant aux normes internationales et à ses professeurs dévoués, expérimentés, et souvent diplômés à l’étranger. Ces textes promotionnels construisent l’image d’étudiants accomplis, d’universités efficaces, modernes, de haute qualité. Ce qui est en décalage avec les messages diffusés dans les médias : nombre important de diplômés universitaires au chômage, manque de pratique, manque de lien avec le monde professionnel, équipements désuets… Au sujet des attentes, des préoccupations des futurs étudiants et de leurs parents, l’université cherche à modifier la perception des publics concernant l’intérêt qu’ils leur portent. Par conséquent, il se peut que l’université ne puisse pas tenir ses promesses. Ce constat sur la relation étudiant-université rejoint celui d’Askehave (2007) : la marchandisation de l’enseignement supérieur a des effets sur la représentation de l’université, de l’étudiant ainsi que sur le rôle des étudiants et du personnel de l’université. En fait, si l’université se représente comme un « fournisseur de service » (Scott, 1999) et comme « distributeur de supports » (Sachaie, 2015), l’image de l’étudiant, dans le discours promotionnel, se représente comme « acteur réel engagé », « un client que l’université cherche à satisfaire » (Sachaie & Morphew, 2014).
17Dans le discours administratif, les adjectifs sont moins nombreux, ils semblent plus académiques, spécifiques, autoritaires et imposants.
« Le programme forme des ingénieurs de ponts et chaussée de bonne qualité morale, en bonne santé, amoureux du métier, capables de travailler en équipe et d’accomplir des tâches distribuées.8
L’étudiant est équipé de théories de Marx et Lénine, de l’idéologie de Ho Chi Minh, ainsi que des connaissances des politiques, des lois du Parti et de l’État. Il est capable d’appliquer les théories à des conditions, contextes concrets tout en respectant les intérêts communs de la nation.9 »
18Ainsi, l’étudiant est formé d’abord pour être un citoyen avec de bonnes qualités morales et politiques et des connaissances professionnelles plutôt que pour la réussite individuelle dans un monde compétitif. Il doit satisfaire aux demandes de l’université : « À la sortie, le diplômé de la Licence de comptabilité de l’Institut Polytechnique doit posséder :…10 ». Par conséquent, l’université ne se présente plus comme un supporteur, mais comme un demandeur exigeant que l’étudiant satisfasse aux critères. L’université est en position haute, elle impose les qualités nécessairement requises à l’étudiant. L’administratif reflète ainsi l’empreinte du régime communiste où l’éducation politique doit être mise en priorité. Soulignons que dans le style promotionnel, la qualité politique est totalement absente. La responsabilité, la citoyenneté sont rarement évoquées.
Couleurs, logos, photos, vidéos et production des discours
19Dans la présentation promotionnelle, les textes présentatifs sont mis sur le site avec les couleurs du logo de l’université, c’est-à-dire dans un design qui assure l’identité visuelle unique afin de faciliter le processus de reconnaissance de la marque. Notons que « l’unité graphique et le choix des couleurs renforcent le branding... » (Barats, 2014). Ces descriptions sont souvent illustrées par les clips vidéo présentant ou vantant la formation. Évidemment, la vidéo, avec les images, le son, les témoins réels sont plus séduisants pour les jeunes que le texte. Les photos sont aussi choisies. Elles mettent en scène des étudiants à la bibliothèque, en train de travailler ou de discuter avec des professeurs, des étudiants étrangers, ce qui reflète une vie d’étudiant de rêve. L’image des étudiants dans l’habit spécifique du jour de remise de diplôme est aussi souvent utilisée. Ces photos font penser à un avenir proche et assurent d’être diplômé, heureux et content. Certaines formations mettent en avant les produits de design créés par les étudiants. Rien n’est plus réel que cela : devenir étudiant de l’institution pour pouvoir faire à l’identique. Selon nos interviews, cette présentation en ligne exige le travail de collaboration entre des académiques (pour le contenu à caractère informationnel) et des chargés de communication ainsi que des techniciens, webmasters, graphistes afin de pouvoir faire apparaître les informations déjà rédigées dans un design esthétique, attrayant. Ajoutons aussi que le chargé de communication étudie la présentation promotionnelle des universités de concurrence ainsi que les attentes, et les besoins d’information des futurs étudiants pour pouvoir concevoir le canevas de présentation des formations offertes par son université.
20Par contre, toutes les présentations du type administratif ne sont pas accompagnées de photos ni de vidéo. Ce qui montre son caractère formel. Certainement, une pareille présentation demande moins de travail pour l’éditeur web. Très souvent, les établissements qui choisissent le modèle administratif n’ont pas d’éditeur web dédié. Un agent ou des agents de l’université qui ont déjà une certaine fonction dans l’administration prennent en charge le contenu web. Il arrive aussi qu’il y ait un éditeur web en poste (UP1, par exemple), mais celui-ci ne se préoccupe pas de la présentation des formations. Il doit surtout alimenter le site institutionnel en actualités académiques.
21Les interviews auprès des chargés de communication, éditeurs web ou responsables du service font connaître le contexte de production de ce discours administratif : le Ministère de l’Éducation et de la Formation (MEF) exige que les universités publient avec transparence le référentiel de sortie des formations. Ainsi, les responsables des formations doivent réaliser un référentiel détaillant les objectifs, la liste des compétences à acquérir de chaque formation, sous la direction du Rectorat et la surveillance d’un conseil de recherche et de formation. Cette demande de référentiel a pour but d’informer de manière transparente toute la société dont les étudiants, les parents d’élèves et les recruteurs sur les connaissances, compétences que les étudiants peuvent maîtriser ainsi que les postes que ceux-ci peuvent occuper à la sortie de l’université.11 Par conséquent, l’objectif premier est d’informer dans un style formel : le document doit être lu et validé par un conseil de recherche et de formation composé des professeurs et chercheurs et puis par le MEF12. L’éditeur web (des universités mobilisant le discours administratif) publie les documents déjà validés, parfois avec le sceau rouge comme preuve de fiabilité (selon des interviewés).
Tel discours, telle université
22Nous remarquons que le discours promotionnel homogène sur le site institutionnel est mobilisé en général par des universités non publiques et autonomes sur le plan financier. Elles fonctionnent surtout grâce aux frais d’inscription, ce qui n’est pas le cas des universités publiques qui sont totalement ou partiellement financées par l’État. Retenons que la présentation promotionnelle est également choisie par certaines universités publiques. Pourtant, précisons que ces universités proposent deux types de formation : formations purement vietnamiennes et formations conjointes. Seules les formations conjointes (formations assurées par une université vietnamienne et une université partenaire étrangère) sont présentées de manière auto-promotionnelle. Les interviews ont permis de comprendre cette réalité. En effet, pour les formations vietnamiennes, les frais d’inscriptions ne peuvent pas dépasser le plafond fixé par l’État alors que ceux des formations conjointes n’ont pas de limite (frais d’inscription en dollars et ils peuvent être dix fois plus élevés). Ainsi, c’est difficile d’avoir un grand nombre d’inscrits. Cependant, c’est une source de revenus non négligeable pour l’université. Il en résulte que ces formations sont présentées autrement, de manière plus soignée et plus promotionnelle. Le service marketing, communication de l’université ou spécifiquement des formations conjointes visent principalement l’objectif de pouvoir recruter suffisamment d’étudiants. Au contraire, les formations purement vietnamiennes offertes par les universités publiques sont présentées de manière administrative. De fait, les établissements publics, au moment où notre recherche a été effectuée, n’ont pas besoin d’attirer des futurs étudiants : soit elles n’ont pas de service de communication, soit leur service de Com travaille surtout pour assurer la sortie du journal interne et pour renforcer son identité, sa visibilité13.
Description hybride
23Un petit nombre de descriptions se trouve entre les deux modèles cités ci-dessus. En effet, il y a toujours les phrases et les groupes de mots typiques sur les objectifs concernant les qualités politiques et morales, mais la liste des compétences et savoirs imposés est allégée. Les besoins de la formation en question dans la société sont brièvement évoqués, les postes avec les lieux de travail précis cités. Les termes valorisants apparaissent de manière modérée. Ce discours marque la prise de conscience des responsables de l’établissement qui ne veulent pas adopter le marketing ou chercher à attirer les étudiants à tout prix tout en voulant embellir un peu les formations offertes. En effet, un client, quand il achète un produit concret, il le possède. Il a le résultat concret et mesurable. Mais l’enseignement supérieur est un service particulier. Quand l’étudiant paie les frais d’inscription pour suivre des cours, il devra faire des efforts, s’adapter, s’impliquer pour acquérir des connaissances. Le résultat de l’échange ne dépend pas seulement du fournisseur-université, mais aussi du consommateur-étudiant. C’est pourquoi, certaines universités n’adoptent pas le ton appel à l’acte, mais elles comprennent aussi que seuls les référentiels de sortie ne constituent pas un bon outil pour communiquer avec les futurs étudiants. Un processus est mis en place pour alléger les listes de compétences à acquérir sans oublier de valoriser la formation. Ces discours sont sous forme de textes html mais ils ne sont pas accompagnés de photos ni de vidéos (moins d’investissements sur le plan technique web). Ce style est souvent adopté par les publics de manière hétérogène en fonction des formations et des départements.
Absence de description
24Deux universités de notre échantillon ne fournissent pas de description des formations sur leur site. C’est le cas des universités qui n’ont pas encore de service de communication. Pourtant, ce n’est pas la seule raison. En effet, d’autres établissements n’en ont pas pas non plus, mais la description était disponible. Il est possible que ces descriptions soient présentes quelque part sur le site officiel, mais selon notre méthode de recherche déjà déterminée plus haut, nous ne les avons pas trouvées. Notons que les informations de base qui assurent le fonctionnement minimum du processus d’admission sont pourtant mentionnées : nom des formations, leur code, conditions d’admission, démarche de sélection.
25Parmi ces deux établissements, l’un est public, il n’a pas besoin d’attirer les futurs étudiants (selon l’interview). L’autre, par contre, est privé. Il mobilise quand même des pratiques de marketing pour pouvoir comptabiliser assez d’inscrits (le quota d’étudiants validé par le MEF) : conférences, brochures distribuées dans les lycées, efforts pour segmenter le marché…). Il semble donc que le point de vue du Recteur ou d’autres responsables de la direction de l’établissement déterminent le rôle et l’efficacité du site web comme moyen de communication externe et de promotion.
Conclusion
26En résumé, quatre types de discours sur les formations ont été identifiés :
Discours promotionnel |
Rédigé par les responsables des formations selon le canevas proposé par le chargé de communication ou l’éditeur web |
Discours administratif |
Rédigé par les responsables des formations selon le canevas imposé par le MEF |
Discours hybride |
Rédigé par les responsables des formations selon le canevas du MEF (mais raccourci), par eux-mêmes ou par un éditeur web (s’il y en a) |
Absence de discours |
27Cette coexistence de discours reflète le paysage de l’enseignement supérieur vietnamien, marqué par la marchandisation dans un contexte de régime communiste. D’un côté, des universités non publiques ayant besoin de clients ont tendance à faire appel aux techniques de marketing récentes, dont les textes promotionnels. Pourtant, deux universités privées de notre corpus n’ont pas eu recours à cette présentation parce que la direction n’en est pas encore consciente et qu’elle n’a pas encore un esprit entrepreneurial. Notons que la description promotionnelle ne peut pas se faire de manière homogène au niveau de l’institution s’il n’y a pas de service marketing avec une équipe dédiée à la communication et aux relations publiques.
28De l’autre côté, les grandes universités publiques communiquent sans chercher à comprendre ce dont les futurs étudiants ont besoin et comment ils vont recevoir les informations. Pourtant, nous avons également pu constater qu’avec les programmes de formations conjoints, quelques établissements publics évoluent dans une phase transitoire vers le modèle auto-promotionnel. Cette tendance va se poursuivre, mais la marchandisation des discours universitaires représente-t-elle un danger ? Les étudiants sont-ils manipulés ? Les lycéens vont pouvoir interagir avec l’université, la communication devient bidirectionnelle, mais nous nous demandons si ces derniers savent prendre du recul face aux promesses émises par le discours promotionnel. Et enfin, on se demande s’il possible de faire comprendre la complexité d’une formation pour avoir des étudiants motivés, compétents, sans chercher à séduire.
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Annexes
Annexe A : Liste des universités
Annexe B : Liste des interviews
Annexe C : Corpus de pages web capturées
Disponible sur : https://www.dropbox.com/sh/unagtshyo7up3z6/AADDQAPVIMqKyMu6k9JoJZV7a ?dl =0
Notes
1 Décret 73/2012/NĐ-CP.
2 Par exemple : l’université franco-vietnamienne (USTH), l’université vietnamo-japonaise, et bientôt l’université vietnamo-américaine.
3 Plusieurs recherches abordent le caractère promotionnel du discours universitaire : Fairclough (2013) confirme la marchandisation du discours public des universités, Granget (2005, 2009), Gaspard (2013), Caiazzo (2008), Sachaie (2015), Anctil (2008) constate l’existence du genre promotionnel, de la culture promotionnelle et de l’emprunt du langage de l’entreprise par les milieux académiques.
4 Traduction proposée par l’auteur.
5 Description de la licence de gestion d’entreprises, UPR 5, traduction proposée par l’auteur.
6 Description de la licence de communication, UPR5, traduction proposée par l’auteur.
7 Description de la licence de sécurité informatique, UPR3, traduction et parties en gras proposées par l’auteur.
8 Description de la licence de ponts et de chaussées, UPR 4, traduction proposée par l’auteur.
9 Description de la licence de l’anglais, UPR4, traduction proposée par l’auteur.
10 La phrase continue avec une liste des savoirs, qualités. Description de la licence de comptabilité, UP1, traduction proposée par l’auteur.
11 Circulaire 2196/BGDĐT-GDĐH.
12 Circulaire 2196/BGDĐT-GDĐH.
13 Selon les interviewés de UP1, et de UP4.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Dang Thi Viet Hoa
Département de français, Université de Hanoi, Vietnam. Département des sciences de l’information et de la communication, Université libre de Bruxelles, Belgique. Courriel : thi.viet.hoa.dang@ulb.ac.be