AXE 3 | Le Vietnam : un paysage économique et médiatique en mutations
Journalisme participatif au Vietnam – un aperçu
Table des matières
Texte intégral
1Depuis son apparition, le journalisme ne cesse de se développer au Vietnam. En décembre 2013, il existait déjà 199 journaux imprimés, 639 magazines imprimés, 273 publications secondaires, 70 journaux en ligne, 19 magazines en ligne, et plus de 1 000 sites d’actualités. Or, on doit noter que toutes les publications journalistiques sont gérées par l’État et les rédacteurs en chef sont nommés par le gouvernement. En général, le journalisme a, d’une part, fait de la propagande des politiques du Parti communiste vietnamien et de l’État, et d’autre part, contribué, dans une certaine mesure, à l’expression des opinions des Vietnamiens.
2À l’aide des nouveaux médias, les gens disposent de nombreuses possibilités pour exprimer leurs opinions sur les questions de société. Elles facilitent donc le développement du journalisme participatif.
Participation du public et journalisme participatif
3La participation du public dans la production des actualités existe depuis les années 1980 aux États-Unis dans le journalisme public, aussi appelé journalisme civique. Dans le journalisme public, les journalistes collectent les informations fournies par les citoyens et ensuite intègrent la voix du public dans les actualités (Friedland & Nichols, 2002 : 12-13). Cela donne l’occasion de présenter l’opinion des citoyens dans les journaux et dans la communauté.
4Selon Rosenberry et St. John III (2010), c’est David Broder – chroniqueur du Washington Post – qui a contribué à la fondation du journalisme public au cours de la campagne présidentielle américaine de 1988 entre George Bush et Michael Dukakis. Certains journaux comme Columbus, Charlotte, Spokane et Wichita s’étaient engagés, quant à eux, dans le mouvement du journalisme public à la fin des années 1980.
5À l’ère d’Internet, la participation du public dans le processus de production des actualités s’est beaucoup renforcée. Compte tenu de l’interactivité disponible sur le réseau Internet, le public intervient de plus en plus dans la production des actualités. Ainsi, Nip (2006) a appelé cette époque la deuxième phase du journalisme public au cours de laquelle le monopole des journalistes dans la production des actualités a été détruit et la population a désormais eu « la possibilité de prendre l’initiative ».
6Le terme « journalisme participatif » a été très souvent entendu et mentionné dans la littérature sur le journalisme en ligne. Toutefois, la frontière entre ce concept et d’autres comme le journalisme interactif et le journalisme citoyen n’est pas toujours claire.
7Certains auteurs francophones considèrent le journalisme participatif comme le journalisme citoyen. Par exemple, Barbe (2006) analyse l’Agoravox et le Wikipédia francophone comme deux modèles éditoriaux participatifs ; Rebillard (2007) et Aubert (2009) mentionnent le journalisme participatif en examinant la plate-forme française de journalisme citoyen Agoravox. De même, Pélissier et Chaudy (2009) abordent le journalisme participatif à travers une analyse des sites français de journalisme citoyen comme Agoravox, Rue89, Mediapart, etc. Avec une approche différente, Pledel (2007) considère les blogs comme un espace d’expression démocratique et un modèle du journalisme participatif.
8Cependant, certains auteurs anglophones ont tendance à utiliser un terme général pour décrire la participation du public dans le processus de fabrication des actualités via la connexion de réseau : le journalisme en réseau. Ce terme non seulement indique la connexion via les réseaux, mais supprime également la limite entre les modèles de journalisme en ligne. En examinant le journalisme en réseau, Bardoel & Deuze (2001) concluent qu’il s’agit là d’une nouvelle forme de journalisme dans laquelle nous voyons « une modification de l’équilibre du pouvoir entre le journalisme et ses publics ». Van der Haak, Parcs & Castells (2012) utilisent le terme « journalisme en réseau » pour désigner « une capacité diffuse d’enregistrer les informations, de les partager et les distribuer ». Dans un rapport intitulé « La valeur du journalisme en réseau », Beckett (2010) utilise le terme « journalisme en réseau » pour synthétiser les impacts sur le journalisme traditionnel créés par « les nouvelles formes des médias participatifs offertes par les technologies Web 2.0 tels que les téléphones mobiles, les courriels, les sites Web, les blogs, les micro-blogs et les réseaux sociaux ».
9Pour ce travail, nous trouvons que l’explication de Beckett et Mansell (2008) concernant « le journalisme en réseau » est très proche de ce que nous voudrions aborder en utilisant le terme « journalisme participatif ». Ces deux chercheurs soulignent également que le journalisme en réseau est un modèle de collaboration où les journalistes professionnels et amateurs travaillent souvent ensemble. Cela coïncide avec le concept du « journalisme participatif » de Paulussen & Ugille (2008), selon lesquels, le fait que les journalistes professionnels partagent leur contrôle sur le processus de la production des actualités avec leurs utilisateurs pourrait également stimuler la collaboration entre les journalistes professionnels et amateurs.
Un regard sur la pratique des journaux
10Nous verrons ici comment les journaux en ligne vietnamiens appellent la contribution du public à la production du contenu. En les appelant « journaux », nous voudrions mentionner les organes de presse officiels et exclure les sites d’informations qui n’ont pas l’autorisation du ministère de l’Information et de la Communication du Vietnam (MIC) pour fonctionner comme les journaux en ligne.
VietNamNet
11Lancé en 1997, VietNamNet est le premier journal en ligne au Vietnam, couvrant l’information en langues vietnamienne et anglaise. Les interviews en ligne dans lesquelles certaines célébrités ou personnalités importantes sont invitées en salle de rédaction pour discuter avec le public en font un exemple typique de journalisme participatif. Normalement, ces interviews sont liées à certains événements spécifiques. Pour les préparer, VietNamNet diffuse une courte introduction sur les invités avec l’heure et la date d’interview afin d’inviter le public à participer en envoyant leurs questions aux invités avant ou pendant les interviews. Ensuite, au cours de la discussion – qui est diffusée immédiatement sur le web –, les invités répondent aux questions. Ainsi, ces interviews dans lesquelles les utilisateurs sont intervieweurs peuvent être considérées comme collaboratives.
12Une autre forme de participation du public se trouve dans les commentaires en ligne sur les articles. Le public peut faire apparaître ses commentaires, opinions et informations sous chaque article publié sur le site web du journal. Le nombre de commentaires apparaît également en-dessous du contenu de l’article. En répondant aux articles de cette façon, le public donne une source d’information importante au journal. Dans certains événements importants, les rédacteurs de VietNamNet sélectionnent certains de ces commentaires pour faire un nouvel article reflétant les points de vue des communautés sur l’événement.
13Outre ce formulaire de commentaires, le journal propose d’autres possibilités d’interagir à travers Facebook, deux lignes téléphoniques directes, des adresses électroniques et le compte FMS-ID – un outil fourni par ce journal, permettant aux utilisateurs d’accéder à ses services de la manière la plus commode. Normalement, VietNamNet paye les lecteurs pour les contenus publiés sur son site web. Cependant, les commentaires sous les articles et les histoires de confidence envoyées par le lectorat ne sont pas payés. Ce journal a également une rubrique nommée « Lecteurs ». Ce nom de rubrique lui-même dénote l’objet de son contenu.
VnExpress
14Ouvert en 2001, VnExpress couvre les nouvelles uniquement en langue vietnamienne. Ce journal profite des contenus de lecteurs en suivant activement le mouvement du journalisme participatif dans les trois rubriques consacrées à la participation des publics. Ces trois rubriques s’intitulent respectivement Communauté, Confidence et Point de vue. La section Communauté publie des photos, des vidéos et des articles de lecteurs sur les événements ayant lieu dans la vie quotidienne. Un bandeau appelant au partage de contenus est mis dans cette section. Quand on clique sur ce bandeau, un formulaire en ligne apparaît pour que l’on puisse remplir des contenus. Le formulaire demande aux utilisateurs de fournir le nom, le courriel, la rubrique de destination, l’objet et le contenu. Les utilisateurs peuvent taper leur contenu directement dans ce formulaire ou le joindre dans un fichier séparé. La rubrique Confidence comprend des situations spécifiques de lecteurs qui veulent les partager pour recevoir des commentaires d’autres lecteurs. Lancée à la fin de 2013, la rubrique Point de vue se consacre à la publication des opinions plus approfondies de lecteurs sur certaines questions. Les auteurs des articles utilisés dans cette rubrique sont normalement blogueurs ou ont une connaissance approfondie des questions sur lesquelles ils écrivent. Les lecteurs peuvent être payés si leur contenu est utilisé par le journal. Toutefois, les auteurs d’articles publiés dans la rubrique Confidence ne sont pas payés.
15En dehors de ces trois rubriques, VnExpress organise également des interviews en ligne, permettant à ses lecteurs de commenter en ligne, utilise une ligne téléphonique directe pour obtenir des informations des communautés et permet des interactions via Facebook et Twitter. Le nombre de commentaires apparaît non seulement en dessous des articles, mais aussi à côté des titres. Ce chiffre est un indicateur important de l’attention du public sur la question.
Dan Tri
16En ligne depuis 2005, héritant de l’interface et du plan du contenu du défunt site web des actualités Tintucvietnam.com – site reproduisant les informations de différents journaux, ce journal est aussi un exemple important du journalisme participatif au Vietnam. Il crée trois rubriques de contenu pour le public : Forum, Blog et Lecteurs. La rubrique Forum publie des commentaires pertinents des lecteurs sur les articles du journal. Par exemple, dans le cas où un article obtient un grand nombre de commentaires, les rédacteurs révisent les commentaires puis recueillent certains d’entre eux pour faire un nouvel article qui reflète la voix du public sur le sujet de cet article.
17La rubrique Blog présente des articles écrits par des bloggeurs ou des pigistes sur différents sujets. Ces articles reçoivent souvent de nombreux commentaires du public et le nombre de commentaires apparaît en dessous du chapeau montré dans la page d’accueil de la rubrique.
18Comme VietNamNet et VnExpress, Dan Tri donne également à ses lecteurs les possibilités d’interagir au moyen d’interviews en ligne, de commentaires en direct, de lignes téléphoniques directes, d’adresses électroniques et de connexions de réseau. Le public peut se connecter à ce journal via des réseaux sociaux comme Facebook, Twitter et Google+. Ce journal paye des lecteurs pour certains articles.
Tuoi Tre Online
19Mis en ligne en 2003, Tuoi Tre Online ou Tuoitre.vn est la version web de Tuoi Tre – l’un des plus prestigieux quotidiens au Vietnam. En tant que version en ligne du journal Tuoi Tre, le contenu de Tuoi Tre Online est pourtant plus riche. Cela peut s’expliquer par les avantages caractéristiques du journalisme en ligne : pas de limite de pages, possibilités de mettre à jour le contenu minute par minute. Ainsi, les articles qui ne sont pas utilisés sur la version écrite peuvent être utilisés pour la version électronique et les événements qui se déroulent après l’impression du journal écrit peuvent être diffusés immédiatement sur le site web. En outre, Tuoi Tre Online publie tout le contenu affiché sur la version imprimée.
20Par ailleurs, Tuoi Tre Online profite des avantages des outils interactifs offerts par Internet et est ainsi devenu un exemple du journalisme participatif. Il offre des possibilités d’interaction comme d’autres journaux en ligne via des interviews en ligne, des commentaires en direct, une ligne téléphonique directe, des adresses électroniques et les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, Google+ et Zingme – un réseau social vietnamien. En outre, il crée pour le public la rubrique Lecteurs constituée de sept sous-rubriques. Lorsque l’on clique sur cette rubrique, on voit immédiatement un bandeau à droite de la page d’accueil portant un message appelant à la participation des lecteurs. Selon l’appel, le journal paye pour les lecteurs s’il utilise leurs articles, photos, vidéos, informations ou commentaires.
Thanh Nien Online
21En tant que version en ligne du quotidien Thanh Nien – un prestigieux quotidien de la Ligue des jeunesses du Vietnam qui couvre les informations en vietnamien, Thanh Nien Online est lancé en 2003 et crée son site Web en anglais en 2008. Comme dans le cas de Tuoi Tre, le contenu de Thanh Nien Online est plus riche que sa version imprimée, car il publie, d’une part, en retard le contenu de la version écrite et d’autre part exploite d’autres sources d’informations.
22En créant pour le public en 2013 une rubrique en couleur vive sur la page d’accueil, ce journal tient à montrer tout l’intérêt qu’il porte à la participation de ses audiences. Toutes les rubriques du journal sont en couleur rouge, mais la rubrique « J’écris » est en bleu. En outre, il y a une bannière dans le coin droit de la page d’accueil portant un message réclamant des articles aux lecteurs. Sur la page d’accueil de cette rubrique, il y a une étroite et longue bannière montrant des informations telles que « On remercie l’auteur ... (nom de l’auteur). Votre article est publié à ... (nom du sous-rubrique). Voyez-le ici (hyperlien vers l’article) ». En dehors de l’appel pour la participation des populations, Thanh Nien Online a une façon particulière d’exprimer son hommage à la contribution des lecteurs pour son contenu. Outre la prime selon les articles, c’est une bonne façon d’encourager les lecteurs à participer à la production du contenu.
23Avant d’avoir la rubrique « J’écris », ce journal tirait principalement la participation des internautes par les interviews en ligne, la ligne téléphonique directe et les commentaires en ligne. Il permet également des possibilités d’interaction via Facebook, Google+, Twitter et Zingme.
D’autres journaux en ligne
24Outre les principaux journaux en ligne mentionnés ci-dessus, nous verrons également certains d’autres comme VTC (vtc.vn), VnMedia (VnMedia.vn), Bao Dat Viet (baodatviet.vn), Lao Dong Online (laodong.com.vn), Tien Phong Online (tienphong.vn), Nguoi Lao Dong Online (nld.com.vn), An Ninh Thu Do Online (anninhthudo.vn) et Ha Noi Moi (hanoimoi.com.vn). La plupart d’entre eux utilisent des entretiens en ligne, des formulaires de commentaires en ligne, des courriels, des lignes téléphoniques directes et les réseaux sociaux pour collecter les informations des populations. Ils créent également des rubriques pour le public tels que Lecteurs (sur VTC, Nguoi Lao Dong Online, An Ninh Thu Do Online), Confidence (sur Bao Dat Viet), Forum (sur Lao Dong Online) et Les lecteurs font des actualités (sur Tien Phong Online).
25Nous voyons aussi sur Tien Phong Online un message invitant les publics à contribuer au contenu. Le message qui se trouve dans tous les articles de la rubrique Les lecteurs font des actualités est le suivant : « Vous êtes invités à envoyer vos opinions sur cet article ou vos propres articles, photos, vidéos à online@tienphong.vn et ainsi participer à la rédaction ».
Nouveaux médias comme outils du journalisme participatif
26Nous avons constaté que les nouveaux médias, et les réseaux en particulier, sont utilisés comme outils du journalisme participatif. Les agences de presse traditionnelles offrent de nombreuses possibilités d’interaction pour obtenir le plus d’informations possibles de la part de la population. En effet, les publics peuvent désormais collaborer avec les rédactions de multiples façons. Les lecteurs peuvent lire des articles sur le web, puis grâce aux différents services d’Internet fournis par les rédactions, ils peuvent exprimer immédiatement leurs opinions ou fournir des informations supplémentaires, ou même commenter la véracité des contenus des articles. Ils peuvent également commenter et critiquer les actualités à travers leur page personnelle sur les réseaux sociaux. En outre, ils peuvent envoyer aux rédactions des vidéos ou des photos à partir de leur téléphone mobile. Le tableau ci-dessous donne un résumé sur les outils utilisés par les agences de presse vietnamiennes pour obtenir l’information des lecteurs :
Tableau 1. Outils du journalisme participatif
Outils Journaux |
Ligne(s) téléphonique(s) directe(s) |
Courriel |
Formulaire en ligne pour commentaires |
Réseaux sociaux |
Autres |
VietNamNet |
3 lignes mobiles |
1 adresse courriel |
Disponible en dessous du contenu des articles |
Facebook, Google+ |
FMS-ID |
VnExpress |
2 lignes mobiles |
Formulaire en ligne à la place pour saisir le contenu |
Disponible en dessous du contenu des articles |
Facebook, |
Aucun |
Dan Tri |
2 lignes mobiles |
2 adresses courriels |
Disponible en dessous du contenu des articles |
Facebook, Twitter, Google+ |
Aucun |
Tuoi Tre Online |
1 ligne mobile |
1 adresse courriel |
Disponible en dessous du contenu des articles |
Facebook, Twitter, Google+, Zingme |
Aucun |
Thanh Nien Online |
1 ligne mobile |
Plusieurs adresses courriels |
Disponible en dessous du contenu des articles |
Facebook, Google+, twitter, Zingme |
Aucun |
Doi Song & Phap Luat Online |
1 ligne mobile |
1 adresse courriel |
Disponible en dessous du contenu des articles |
Facebook, Google+ |
Netlink |
Autres |
Aucune ou 1 linge mobile |
1 adresse courriel |
Disponible en dessous du contenu des articles |
Facebook, Google+, twitter, Zini Linkhay Zingme |
Yahoo Messenger (VnMedia) |
27Nous pouvons facilement voir à partir de ce tableau que les téléphones portables, les courriels, les formulaires en ligne pour commentaires et Facebook sont les outils les plus utilisés par les organes de presse vietnamiens afin d’obtenir des informations de la population. Ceci peut être expliqué par le fait que ces outils sont d’une part accessibles à la plupart des populations du Vietnam, et d’autre part, qu’ils permettent aux utilisateurs de se connecter facilement et rapidement.
28Pour l’utilisation des lignes de téléphones portables comme des lignes téléphoniques directes, on peut trouver deux raisons expliquant ce choix : la première est liée aux avantages des caractéristiques techniques des téléphones portables et la seconde au nombre élevé d’utilisateurs. En termes de technique, les téléphones portables permettent de recevoir facilement des textes, des photos et des vidéos de n’importe quel endroit du monde et à tout moment tandis que les téléphones fixes ne peuvent pas le faire. Grâce à cette convergence de contenus médiatiques et à la mobilité des utilisateurs, les gens peuvent traiter un grand nombre de données et d’informations sans aucune limite de temps et d’espace géographique. Par conséquent, les salariés en charge de collecter des informations des lecteurs n’ont pas besoin d’être présents à la rédaction 24/24. Autrement dit, les agences de presse n’ont pas besoin de rémunérer quelqu’un pour être en service de nuit et répondre au téléphone. En termes de popularité, les téléphones portables sont utilisés par beaucoup plus de gens que les téléphones fixes. Selon un rapport de Ministère de l’Information et de la Communication du Vietnam, en juin 2013, il y avait déjà 145,47 millions d’utilisateurs de téléphones fixes et portables confondus au Vietnam, dont 136 millions sont des utilisateurs de téléphones portables1. Avec une population de plus de 90 millions d’habitants, le nombre d’utilisateurs de téléphones mobiles est une fois et demie le nombre d’habitants. Par conséquent, les rédactions utilisent les téléphones portables comme lignes téléphoniques directes pour maximiser les possibilités d’obtenir des informations auprès du public.
29Étant donné que les courriels et les formulaires en ligne pour commentaires sont des outils attachés aux services Web, il est compréhensible que tous les journaux en ligne les utilisent. Concernant les réseaux sociaux, Facebook est choisi par tous les journaux parce que c’est le réseau social largement préféré des Vietnamiens.
30Ainsi, les réseaux, surtout ceux du web, jouent-ils un rôle très important dans la pratique du journalisme participatif. Selon la nature de la connexion, les réseaux d’Internet lient les gens aux informations et les gens aux gens d’une manière multiple. À ce point, Roger Bautier (2007 : 1) montre clairement comment les sources d’information ou les pages Web sont liées à la structure du réseau. Par une approche typologique, Roger Bautier considère Internet comme un graphe comportant un ensemble de nœuds ou sommets et un ensemble d’arêtes, sachant qu’une arête relie deux sommets. Il souligne que « le développement du web a conduit à une structure énorme et complexe, qui est bien un vaste graphe orienté, dont les sommets sont des sites et dont les arcs sont les liens ». De plus, l’évolution de ces réseaux complexes est « vue comme soumise aux effets radicaux d’une « loi de puissance » qui se manifeste par une domination de super-nœuds engendrée par leur croissance auto-organisée », et le web, l’internet et le réseau social sont « régis par une loi de puissance ».
31Si l’on rapporte cela à la domination des réseaux sociaux de nos jours, nous pouvons considérer les pages des réseaux sociaux comme des super-nœuds de la structure du web. En conséquence, utiliser ceux-ci est un moyen efficace pour connecter d’autres sources d’information entre elles. En effet, les organes de presse ont tendance à en tirer profit pour obtenir des informations des lecteurs et de la population en général. Les journaux vietnamiens utilisent non seulement des réseaux internationaux, mais aussi des réseaux nationaux.
32Abordant l’utilisation des réseaux sociaux dans la production des actualités, Silvia Costeltoe, une journaliste sénior de la BBC a déclaré : « Nous utilisons tous les sites Web de médias sociaux pour trouver des sources et suivre des événements. » [Traduction] (cité par Van Der Haak, Parcs, et Castells, 2012 : 2928).
33Nous avons vu qu’il existe un flux de contenus à travers de multiples plates-formes de médias et ce flux est principalement créé par la participation active des consommateurs (Jenkins, 2006 : 2-3). Jenkins considère cette circulation de contenus à travers différents systèmes de médias comme la convergence. Selon lui, « la convergence représente un changement culturel car les consommateurs sont encouragés à rechercher de nouvelles informations et à établir des liens entre les contenus médiatiques diffusés » [Traduction].
34Pavlik (2000 :229) a souligné que « le journalisme a toujours été façonné par les technologies » [Traduction]. Par conséquent, il est important d’analyser comment les réseaux de tous genres façonnent le journalisme participatif. Ce sont les réseaux qui réunissent les journalistes et les lecteurs pour qu’ils travaillent ensemble en mettant en ligne des actualités. Dans cet environnement en réseaux, les rédactions doivent « étendre le niveau de leur engagement direct avec le public qui joue le rôle de participants dans les processus de la collecte, la sélection, la rédaction, la production et la communication des actualités » [Traduction] (Deuze, 2007 :3).
Participation du public comme source de l’enrichissement du contenu
35La participation du public dans la production des actualités peut aider à enrichir le contenu des journaux à la fois en qualité et en quantité. Les commentaires des lecteurs sur les articles montrent, d’une part, la réponse des populations aux sujets abordés et, d’autre part, donnent davantage de sources d’information pour une exploitation ultérieure. Cela permet de considérer les faits sous plusieurs facettes. Nous pouvons donc voir que l’approche du journalisme participatif est collaborative. Les journalistes professionnels et les lecteurs travaillent ensemble à la production d’actualités.
36En outre, le fait que les journaux créent des rubriques pour les lecteurs peut aider à couvrir une plus grande quantité d’informations. Sous cet angle, les journalistes citoyens peuvent résoudre le manque d’employés pour les agences de presse. Les journalistes citoyens sont partout et ils peuvent apporter des actualités à tout moment. Aujourd’hui, avec l’aide des téléphones portables, les journalistes citoyens peuvent contribuer grandement à la diffusion des actualités. Un des meilleurs exemples de la contribution du public à la diffusion de l’information peut être trouvé dans les actualités sur les catastrophes. Les gens peuvent envoyer directement aux rédactions leurs textes, photos et vidéos des faits. De cette manière, les organes de presse n’ont pas besoin d’envoyer leur personnel sur le terrain. Lorsqu’une catastrophe a soudainement lieu, les journalistes professionnels ne peuvent pas être à temps sur les lieux pour prendre des photos ou des vidéos. Alors, seulement ceux qui témoignent de l’événement au moment où il a lieu peuvent en faire de véritables images.
37La collaboration entre les journalistes professionnels et les journalistes occasionnels met en avant la culture participative qui « contraste avec la vieille notion du spectateur passif des médias » (Jenkins, 2006 : 3). Dans la culture participative, les producteurs et les consommateurs des médias sont considérés comme « participants » et les produits sont fabriqués par « l’intelligence collective » (Lévy, 1994) et le crowdsourcing (collaboration ou externalisation ouverte) (Van Der Haak, Parks & Castells, 2012). Nous sommes en accord avec la conclusion de Paulussen & Ugille (2008 :27) : « le journalisme participatif est maintenant décrit en termes de conversation, de la modération et de la collaboration » [Traduction].
38Pour conclure, les journaux vietnamiens cherchent tous les moyens possibles afin d’avoir la participation du public la plus importante dans leur production du contenu. Les organes de presse tirent bien profit de l’intelligence collective pour enrichir le contenu à travers le partage et la modération.
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Notes
1 Hien Mai. 2013. Việt Nam đã có 136 triệu thuê bao di động. http://www6.vnmedia.vn/VN/cong-nghe/tin-tuc/35_1356876/viet_nam_da_co_136_trieu_thue_bao_di_dong.html. Consulté le 19 avril 2014.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Viet Hang Hoang
Doctorante, Université Paris 13, Labsic. Courriel : hang.hoang@gmail.com