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AXE 3 | Le Vietnam : un paysage économique et médiatique en mutations

Ngo Thi Thanh Loan

Quelle influence exerce l’ASEAN sur les politiques, actions et modes de régulation des technologies de l’information et de la communication (tic) au Vietnam ?

Article

Texte intégral

1Les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont en profonde mutation (InfoDev et ITU, 2010 ; World Bank, 2011). Du fait de leur caractère évolutif, les TIC sont naturellement un secteur propice à l’émergence des modes de régulation et d’une action institutionnelle efficace pour répondre aux nouveaux défis du secteur. En outre, selon la recherche de la Banque mondiale sur les TIC (2011, p. 4), la principale caractéristique de ce secteur est qu’il est réglementé à l’origine par les agences et les organismes nationaux dans la plupart des pays. Par conséquent, les effets de la réglementation gouvernementale sur les TIC doivent s’étendre aux secteurs privés en prenant en compte deux aspects importants : la complexité et l’équilibre. En d’autres termes, le secteur des TIC doit être inscrit dans un cadre de régulation avec une diffusion de la gouvernance réglementaire à des acteurs privés et des partenariats, en plus d’une régulation multiniveaux à travers des réseaux de politique et d’une régulation par les normes et la surveillance.

2Devenu un acteur clé dans la région, l’ASEAN stimule la libéralisation et augmente la connectivité des TIC. Ce sont aussi les principaux objectifs de l’ASEAN Telecommunications and IT Ministers Meeting (TELMIN) et les deux organismes : le Telecommunications Senior Officials Meeting (TELSOM) et l’ASEAN Telecommunications Regulators Council (ATRC).

3Ce travail vise à décrypter les pratiques politiques et le cadre de réglementation du secteur des TIC à l’ASEAN et comment la régulation des TIC au Vietnam a été construite et promulguée en suivant les visions et les mécanismes de l’ASEAN. En d’autres termes, la question principale de recherche est : Quelle influence exerce l’ASEAN sur les politiques, actions et modes de régulation des technologies de l’information et de la communication (TIC) au Vietnam ? Pour répondre à cette question, nous discutons du politique, conceptualisé comme un système politique territorial qui se déroule dans l’espace institutionnel des États membres par le concept du régionalisme régulateur. L’objectif est de comprendre comment, grâce à quel processus et à quel discours, les organismes régionaux ainsi que l’État sont intervenus dans les structures économiques et sociales pour effectuer des changements par le biais du déploiement des TIC.

Impact du régionalisme sur la politique et la réglementation des TIC

4Depuis les années 1990, la politique de régulation dans le monde entier s’est de plus en plus diversifiée, effectuant une transition du niveau national au niveau multilatéral et régional (Cricelli et al., 1999 ; Drahos et Joseph, 1995 ; Van Gorp et Maitland, 2009 ; Beyon, 2015). À cet égard, dans un monde où l’économie et la politique sont de plus en plus interdépendantes, il est capital de comprendre comment les institutions politiques, c’est-à-dire les modes de régulation des comportements les plus spécifiquement politiques, influent sur les pratiques politiques de l’État-nation. Quel que soit son degré d’intégration, cette préoccupation guide souvent les gouvernements dans leurs politiques de réformes.

5Plusieurs recherches ont été menées par des politologues sur la façon dont les zones d’intégration économiques régionales influencent la politique nationale et la régulation des TIC. Van Gorp et Maitland (2009) proposent plus précisément une stratégie de mise en œuvre de politiques et d’harmonisation régionale des télécommunications. Selon eux, les facteurs qui influencent la décision de la politique régionale et façonnent le degré d’harmonisation de la politique comprennent par exemple, la participation des acteurs économiques et la puissance de l’élaboration de la politique régionale ; les capacités administratives régionales et leur efficacité ; la structure de prise de décisions régionales.

6Davantage concentrée sur la question du régionalisme en s’appuyant sur les études d’auteurs comme Felker (2003) et Phillips (2003), Jayasuriya (2003, 2006, 2008, 2010 et 2011, 2012 en collaboration avec Shahar) donnent un point de vue plus clair sur le contexte de régulation régionale grâce à leur nouveau concept de « regulatory regionalism ». Cette conceptualisation du régionalisme régulateur a des effets sur la construction régionale à travers la manière dont elle conforte et intègre de nouvelles structures, processus et relations sociales, que ce soit au sein de la région ou ailleurs.

7De ce point de vue, Jayasuriya identifie les éléments qui font partie du régionalisme régulateur : (1) la coordination de la régulation : les acteurs économiques stratégiques exigent que les institutions nationales jouent un rôle de réglementation et de coordination dans l’économie politique régionale et mondiale ; (2) la régionalisation de l’espace économique : la vague de mondialisation actuelle crée des espaces économiques qui ne coïncident pas nécessairement avec les frontières nationales. Ce phénomène de régionalisation a des implications importantes pour les politiques mondiales et régionales, car il rend obsolète l’obsession continue de l’émergence des nouvelles puissances : ce qui importe désormais, ce n’est plus leur possible dominance économique, mais comment elles s’intègrent dans ce nouveau système de régulation régionale. (3) La gouvernance régionale du risque : le régionalisme régulateur est nourri par des idées et des perceptions du risque qui sont mobilisées pour construire les nouveaux espaces de gouvernance. Par conséquent, il faut trouver une approche globale et régionale aux problèmes qui restent jusqu’à présent fermement au sein de la juridiction nationale (Jayasuriya, 2006, p. 103-104).

8Dans son article « The Emergence of Regulatory Regionalism » en 2010, Jayasuriya propose les trois mécanismes du régionalisme régulateur pour résoudre les problèmes régionaux : (1) La régulation à multi-niveaux : Le régionalisme régulateur tente d’intégrer les normes et les mécanismes de coordination des politiques à tous les niveaux de gouvernance qui fonctionnent à la fois sur le plan régional et national. Plus précisément, le cadre de régulation à l’échelle régionale peut être mis en œuvre au niveau local ; (2) la régulation par des normes et de la surveillance : le régionalisme régulateur exige l’harmonisation croissante des normes, telles que la gouvernance d’entreprise, la transparence et les politiques économiques au niveau micro et macro. Ce nouveau cadre de gouvernance fonctionne dans celui déjà existant et il acquiert la légitimité de l’autorité gouvernementale au niveau national ou international, autrement dit, c’est la forme de « méta-gouvernance », ou la gouvernance de la gouvernance ; (3) la diffusion de la gouvernance réglementaire à des acteurs privés et des autres parties prenantes : les nouvelles formes de régulation exigent un examen plus systématique de la nature du pouvoir. Dans cette circonstance, les acteurs privés ou indépendants jouent un rôle important dans les fonctions publiques ou réglementaires de la région (Jayasuriya, 2010, p. 104-107).

Figure 1. Régionalisme régulateur selon Jayasuriya (2010)

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9Ces activités continuent d’être mises en place grâce à la collaboration entre les associations régionales d’autorités de régulation des TIC, telles que la West African Telecommunications Regulators Association (WATRA), la Communications Regulatory Association of Southern Africa (CRASA), l’Asia-Pacific Regulation Forum (PRF), le Body of European Regulators for Electronic Communications (BEREC) ; le Réseau des régulateurs euro-méditerranéens (EMERG), et l’ASEAN Telecommunications and IT Ministers Meeting (TELMIN), etc. Bien que les zones d’intégration économiques régionales mettent généralement l’accent sur les aspects politiques de plus haut niveau, ces associations régionales d’autorités de régulation des TIC cherchent à fournir des modèles de régulation que les États membres peuvent utiliser afin de façonner le développement de leurs cadres réglementaires nationaux.

Le cadre réglementaire des TIC de l’ASEAN

10Fondée en 1967, l’ASEAN est une organisation politique, économique et culturelle regroupant dix pays d’Asie du Sud-Est. Son objectif est de renforcer la coopération et l’assistance mutuelle entre ses membres, d’offrir un espace pour régler les problèmes régionaux et de peser dans les négociations internationales (Bernhardt, 2010, p. 128).

11Les principaux objectifs de la fondation de l’ASEAN présentent clairement une idée de la gouvernance régionale du risque. Ils visent à accélérer la croissance économique, le progrès social, le développement culturel et à promouvoir la paix et la stabilité régionale. En particulier, avec la mise en connaissance de la nécessité de réduire la fracture de développement entre les États membres, les autorités de l’ASEAN sont convenues de l’importance de l’intégration économique afin de rester compétitif et de réduire la pauvreté et les disparités socio-économiques au sein et entre ses États membres. Par exemple, le projet de d’Initiative for ASEAN Integration (IAI) en 2000 s’est concentré sur la réduction des écarts entre les plus anciens et les nouveaux membres de l’association (International Development Research Gate, 2008, p. 365 ; ASEAN, 2013, p. 17-18).

12Le processus d’intégration régionale des pays de l’ASEAN s’est considérablement intensifié au cours des deux dernières décennies. Le phénomène de la coordination de la régulation est animé par la participation des pays membres à un nombre croissant d’accords sur le commerce, les investissements, le partenariat économique, ainsi que le progrès dans le développement régional des liaisons de transport (Das et Thao, 2013, p. 26). En outre, le désir de transformer la zone de libre-échange de l’ASEAN (ASEAN Free Trade Area [AFTA]) en marché commun avec la création de la Communauté économique de l’ASEAN (ASEAN Economic Community [AEC]) à l’horizon 2015 et les progrès significatifs liés à la mise en œuvre de deux accords de libre-échange (FTA), illustrent bel et bien l’objectif ultime de l’ASEAN d’approfondir le processus d’intégration économique régionale, ou de régionalisation de l’espace économique. Elizabeth Nightingale (2014) constate qu’en complément à l’AEC, ces FTA servent aussi d’impulsion pour que les pays de l’ASEAN agissent vers une harmonisation dans le paysage réglementaire régional.

13Les TIC sont considérés comme un outil clé pour l’intégration économique et les changements sociaux des pays membres de l’ASEAN. Effectivement, au cours des dix dernières années, plus de 500 millions de personnes (dont plus de 78 % de population de tous les membres de pays de l’ASEAN), ont utilisé les TIC au quotidien (AIM2015, p. 1). Une connexion Internet haut débit ainsi que de nombreux services de TIC et leurs applications, disponibles dans des pays développés, sont également accessibles dans les pays de l’Asie du Sud-Est. Les efforts de l’ASEAN sont examinés en tant qu’organisme régional dans le renforcement de la capacité et de l’utilisation des TIC de la région par des mécanismes du régionalisme régulateur.

La régulation à multi-niveaux

14La pratique politique et la mise en œuvre d’une réglementation efficace varie d’un pays à l’autre. Cela exige un examen de la situation politique, économique et sociale ainsi que d’autres conditions et circonstances lors de la conception des mesures juridiques et réglementaires appropriées (InfoDev et UIT, 2010). Il faut reconnaître que l’ASEAN comprend un groupe de pays divergents. Chaque pays de cette l’association possède ses propres normes nationales, le système de régulation et de régime politique qui rendent plus difficile la réalisation de l’intégration économique d’une manière directe. En outre, en reconnaissant la nature à forte intensité capitalistique du secteur des TIC, les normes d’harmonisation de la politique des TIC doivent être fondées sur une compréhension avec laquelle l’ASEAN devrait soutenir un cadre de régulation à multi-niveaux.

15En effet, il existe un mécanisme institutionnel à multi-niveaux et des organismes qui sont en charge de l’élaboration des politiques et de la mise en œuvre dans le secteur des TIC. Depuis 2003, le TELMIN est considéré comme un organisme réglementaire qui assure la stratégie d’intégration et de développement des TIC grâce au soutien de TELSOM et d’ATRC. Ces organismes lancent des initiatives sur les mécanismes de pratiques politiques et de régulation régionale en matière de TIC.

16Les TIC sont toujours un des sujets prioritaires de tous les discours et rencontres officiels. Les autorités de l’ASEAN se réunissent une fois par an lors du TELMIN pour décider de la ligne de conduite à adopter en ce qui concerne le développement des TIC dans la région pour les années à venir. Le TELSOM a pour mission de mener à bien la réalisation des quatre objectifs de l’e-ASEAN Framework Agreement. Ces activités nécessitent l’élaboration d’un nouveau cadre théorique pour expliquer le cas particulier des technologies intégrées. Parallèlement, l’ATRC se concentre pour répondre à la fréquence accrue de l’information et de la sécurité du réseau. Ces activités sont renforcées par la collaboration internationale et régionale pour améliorer la sécurité de l’infrastructure de l’information tant au niveau social qu’économique au sein des pays de l’ASEAN.

Figure 2. Structure de la régulation des TIC de l’ASEAN (AIM2015, p. 22-23)

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La régulation par des normes et de la surveillance

17Comme décrit au-dessus, l’ASEAN fonctionne avec un cadre de régulation à multi-niveaux, à travers un système d’institutions combinant le TELEMIN et deux hauts organismes le TELSOM et l’ATRC. Ces organes institutionnels sont non seulement chargés de l’élaboration des politiques et de la transmission de ces disciplines dans le cadre réglementaire régional, mais aussi effectuent l’évaluation par les pairs, ou peer review. Encore une fois, « les réseaux politiques d’experts spécialisés sont susceptibles de révéler crucialement dans ces formes d’examen par les pairs » (Jayasuriya, 2010, p. 105).

18Premièrement, ces associations régionales d’autorités de régulation se concentrent sur l’élaboration et l’harmonisation de la politique au sein de la région. Ils créent un cadre de normes de telle sorte que ses États membres puissent les adopter pour leur propre mise en œuvre. Par exemple, à travers la Déclaration du 13e TELEMIN en 2013 à Singapour, intitulé « Connecting Communities, Co-creating Possibilities », les actions prioritaires ont été cartographiées dans l’AIM2015. En outre, les États membres de l’ASEAN ont adopté un cadre de coopération de l’ATRC pour la sécurité du réseau, qui fonde les bases pour le développement continu d’un cadre de coopération cyber-sécurité comprenant tous les agences nationales, ne se limite pas au Computer Emergency Response Teams (CERTs) (ASEAN, 2014, p. 47).

19Deuxièmement, l’aspect de l’évaluation par les pairs de ces associations régionales se révèle par plusieurs chaînes. Le site ASEAN Connect – ASEAN ICT Portal est créé comme un dépôt de documents, des rapports des réunions et des informations venant du TELMIN, TELSOM et ATRC qui est totalement séparé du site officiel du Secrétariat de l’ASEAN. Cet effort démontre un système de suivi et contrôle par les pairs, témoignant de ce que ses tâches et missions peuvent coexister, mais indépendamment les unes des autres.

La diffusion de la gouvernance réglementaire à des acteurs privés et des autres parties prenantes

20Pour la participation des acteurs privés et des partenariats dans le secteur des TIC, les défis actuels de l’ASEAN comprennent la nécessité de revoir les approches réglementaires, d’encourager la transparence et d’harmoniser les normes et les critères. Plus les entreprises privées s’engagent au niveau local ou même du pays, plus la possibilité existe que ces pays atteignent l’harmonisation des normes et l’élimination (ou au moins la réduction) des barrières non tarifaires et des politiques économiques protectionnistes au sein de l’ASEAN (Nightingale 2014). Par conséquent, l’ASEAN est non seulement chargée d’organiser des négociations et des réunions, mais elle doit maintenir une communication ouverte avec les représentants du gouvernement régional, le gouvernement national de chaque État membre ainsi que des partenariats privés à l’intérieur et à l’extérieur de la région.

21Comme remarqué dans le AIM2015 (2011, p. 10), l’un des obstacles le plus difficile pour les acteurs privés et les autres parties prenantes est le coût élevé d’entrée sur le marché et le fort positionnement des concurrents établis. Certaines stratégies existent pour résoudre ces problèmes, comme les engagements des gouvernements de l’ASEAN, tant au niveau bilatéral et multilatéral. Par exemple, l’ASEAN Regional Office a été établi avec l’engagement de l’International Telecommunications Union (ITU). Il offre des séminaires tels que le Connect Asia-Pacific Summit et des projets spécifiques visant à la fois à l’organisation et à chaque pays. En outre, les associations professionnelles, telles que l’US-ASEAN Business Council, l’US Chamber of Commerce, encouragent les partenariats privés américains, en particulier les petites et moyennes entreprises (PME) à participer à des réunions de l’ASEAN, tels que de TELSOM ou d’ATRC. Ce privilège permet à ces acteurs privés de participer et de façonner les politiques et l’environnement réglementaire qui favorisent la concurrence et l’innovation.

22En effet, la création d’un cadre efficace en vue de promouvoir la croissance de l’industrie des télécommunications a été prioritaire pour les autorités l’ASEAN (InfoDev et UIT, 2010). Mais il manque encore un mécanisme capable de faire exécuter les décisions de cette communauté sur ses États membres. Ces problèmes se situent dans la diversité de chaque État membre, y compris : le niveau de développement socio-économique ; l’expérience dans la négociation ; la mise en œuvre des accords de libre-échange ; la sophistication du cadre politique et de la réglementation nationale ; de la transparence et de la culture. Tous apparaissent en raison de l’incapacité des gouvernements à respecter leurs engagements et le manque d’harmonisation des politiques. En outre, le fonctionnement et le processus d’intégration du secteur des TIC font face à un obstacle spécifique : la différence ou la disparité des normes techniques qui rend le mécanisme de régulation plus coûteux et compliqué au niveau de l’administration et de l’infrastructure, ainsi que pour les entreprises opérant dans les différents marchés des États membres.

23Malgré toutes les critiques négatives, Van Gorp et Maitland (2009) ainsi que Stubbs (2014) ont récemment observé, grâce aux institutions régionales, que les États membres de l’ASEAN pouvaient agir en faveur de leurs intérêts et gagner en influence dans certaines politiques spécifiques.

Le développement des TIC au Vietnam

Le contexte général

24C’est dans un contexte de mondialisation et d’intégration régionale que le Vietnam a officiellement rejoint l’ASEAN en 1995. Toujours dans sa phase de transition, ce pays de plus 80 millions d’habitants a entamé un processus de réformes institutionnelles. Une révolution a bouleversé la société vietnamienne depuis 1986 lorsque fut adopté le doi moi (rénovation, changer pour du neuf) ayant pour but d’ouvrir l’économie à l’initiative privée et à la mondialisation (Kritzer, 2002, p. 1753-1759). Selon Oanh (1995), le doi moi est synonyme de changements de la pensée et des mentalités, mais aussi de restructuration « des machines administratives de gestion économique » et de pénétration graduelle dans quelques secteurs d’une économie de marché. Ces actions politiques ont abouti à l’ouverture de certaines branches d’activités à la concurrence, notamment le secteur des télécommunications, de la téléphonie mobile et de l’Internet.

25Le développement socio-économique du Vietnam attribue un rôle stratégique aux TIC dans le processus d’accélération de l’évolution du pays vers une « société de l’information » et d’intégration à l’économie mondiale. L’Article 37 de la Constitution de 1992 met l’accent sur le rôle clé de la science et de la technologie dans le développement socio-économique du pays. Ces dernières années, plusieurs initiatives stratégiques et politiques importantes ont été mises en œuvre pour concentrer les buts et les objectifs nationaux des TIC. Le plus important d’entre eux a été la Directive 58, rédigée par le Parti communiste vietnamien (PCV) en 10/2000. Elle reflétait l’orientation officielle de la politique pour que le gouvernement planifie et exécute des programmes, conformément aux objectifs de l’utilisation et du développement de l’informatique.

Figure 3. Structure de la régulation des TIC au Vietnam (MIC, 2014, p. 16-29)

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26Ensuite, une série de décisions du gouvernement a été adoptée pour guider la mise en œuvre de la Directive 58, y compris la création d’un Comité directeur interministériel chargé du développement des TIC avec le « National IT Master Plan », pour la période 2002-2020.

27Effectivement, le secteur des TIC a été marqué par un énorme changement dans sa structure organisationnelle en 2013, comme le confirme le rapport annuel de 2014 du Ministère de l’Information et de la Communication (MIC) du Vietnam. Le premier signe de ce changement a été la mise en place de la Commission nationale de l’application des TIC, qui est établie sous la direction du Premier Ministre. La création de cette commission montre que le gouvernement essaie de promouvoir l’utilisation et le développement de l’informatique dans les organismes administratifs de l’État ainsi que dans les principaux secteurs économiques et dans la société. Le Décret n° 132/2013/ND-CP en 16/10/2013 constitue une base juridique importante qui complète les fonctions, les responsabilités et la structure organisationnelle du MIC, pour qu’il puisse répondre à la demande du développement des TIC dans les prochaines années. À cet effet, le PVC a promulgué, le 1er juillet 2014, la Résolution n° 36-NQ/TW sur le renforcement de l’utilisation et du développement des TIC, pour répondre à la demande du développement durable et de l’intégration internationale (MIC, 2014, p. 11). Ce document montre la détermination politique du Parti et du gouvernement face à l’importance de la mise en place d’une orientation stratégique de l’utilisation et du développement des TIC dans les prochaines années.

28Parallèlement, les efforts déployés ont apporté des changements significatifs dans le secteur des TIC, ainsi qu’au niveau socio-économique. Selon le rapport « Measuring of Information Society », délivré par l’International Telecomunications Union (ITU), l’indice de développement des TIC (ICT Development Index - IDI) du Vietnam est classé au 101e rang parmi les 157 pays du classement, en 2013, et au 5e dans la région Asie du Sud-Est. De plus, l’indicateur de l’utilisation des TIC (IDI use sub-index) au Vietnam se situe au 93e rang, alors que celui de l’accès aux TIC (IDI access sub-index) est au 105e. (ITU, 2014, p. 42-45). Selon le rapport « Global Information Technology », rédigé par le World Economic Forum (WEF), l’indice de Networked Readiness (NRI) du Vietnam en 2013 a atteint le 84e rang parmi 148 pays du classement et il reste inchangé par rapport à celui de 2012 (WEF, 2015, p. 9-12). Le chiffre d’affaires du secteur des télécommunications et de l’Internet reste stable, avec 7,4 milliards USD en 2013. Le nombre d’abonnés à l’Internet haut-débit est de 22,4 millions de personnes, soit 24,93 personnes abonnées sur 100 (avec une croissance de 11,2 % par rapport à l’année dernière). Le nombre total d’abonnés au téléphone a atteint 130 millions d’abonnés, dont 95 % de la population sont des abonnés, et 20 millions de personnes se sont engagées au réseau 3G (MIC, 2014, p. 11).

L’impact des engagements régionaux de l’ASEAN

29L’engagement du Vietnam à devenir un participant à part entière de l’économie mondiale se traduit par son adhésion croissante à un certain nombre d’organisations, de conventions régionales et internationales. Les accords de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC) et de l’ASEAN exigeront un certain degré d’harmonisation régionale de l’infrastructure des TIC. Cependant, le fort engagement du gouvernement en faveur du développement d’une économie de marché tout en adhérant aux principes socialistes a des implications importantes pour la politique du gouvernement. Selon le bilan « ASEAN ICT Masterplan 2015 Completion Report » (ASEAN, 2015, p. 73) dans lequel est indiqué le succès du AIM2015 après 5 ans de mise en œuvre, l’amélioration et le développement en matière de TIC sont évidents au niveau à la fois régional et national. Avec les 29 Actions ayant été traitées par les 87 projets, le Vietnam a pris en charge une vingtaine de projets. Par exemple, dans l’axe stratégique « Transformation économique », les objectifs du projet « Guidelines of OTT Management Policy for AMS » en 2014 visent à fournir aux décideurs des informations clés et des recommandations sur la façon dont ils devraient réglementer les services par contournement et normaliser leurs services (p. 47).

30L’intégration régionale est un point de départ et un instrument utile, alors que le Vietnam se dirige vers une économie mondialisée, en raison du besoin de devenir un acteur majeur dans la région. Malgré le fait que le contrôle de l’État sur l’information continue d’entraver la capacité du Vietnam à exploiter pleinement le potentiel des nouvelles opportunités numériques pour promouvoir le développement durable (Surborg, 2007), les efforts politiques actuels du gouvernement communiste se concrétisent dans un certain nombre de réformes et dans l’harmonisation des normes et des procédures, spécialement dans le secteur de TIC, pour élargir leur réseau et pour augmenter leur compétitivité mondiale. Se rendant compte que l’intégration régionale et la mondialisation ont des aspects positifs, le gouvernement vietnamien reconnaît que pour connaître une croissance durable et être compétitif par rapport aux autres États, il est nécessaire de passer d’une économie planifiée, centralisée et contrôlée à une économie qui permet la participation plus libre et plus importante du secteur privé (MIC, 2014, p. 11).

31En matière de législation primaire au Vietnam, de nombreux textes juridiques importants ont été adoptés par le Parlement vietnamien comme la Loi sur les télécommunications en 2009, la Loi sur l’informatique en 2006, la Loi sur la propriété intellectuelle en 2006, la Loi sur les transactions électroniques en 2005, la Loi sur la technologie high-tech en 2008. De plus, le Premier ministre a approuvé plusieurs décrets, par exemple : le Décret n° 174/2013/ND-CP du 13 novembre 2013 sur la sanction des infractions administratives dans le domaine de la poste, des télécommunications, des technologies d’information et des fréquences radio ; le Décret n° 72/2013/ND-CP du 15 juillet 2013 sur la gestion, la fourniture et l’utilisation du service d’Internet et de l’information en ligne ; le Décret n° 77/2012/ND-CP du 5 octobre 2012 modifiant et complétant certains articles du décret n° 90/2008/ND-CP du 13 août 2008 sur l’anti-spam (MIC, 2014, p. 97). En matière de législation secondaire, afin de concrétiser ces lois et décrets, certains règlements spécifiques ont été adoptés en 2007. Certains d’entre eux sont plus importants, y compris : Le règlement n° 67/2006 sur la gestion financière pour les services publics de télécommunications, la Directive n° 04/2007 sur la protection du droit d’auteur et sur l’amélioration de logiciels, La Directive n° 03/2007 pour améliorer la sécurité de l’information sur Internet (SEACOOP, 2010, p. 29-30). À la suite de ces politiques et textes juridiques, plusieurs programmes et projets ont été mis en œuvre pour développer le secteur des TIC dans le pays.

32En examinant le cadre réglementaire des TIC, nous vérifions si les structures et les institutions au Vietnam savent évaluer leurs propres forces pour opérer efficacement des changements et obtenir des réactions positives à leurs actions. Compte tenu de la rapidité de l’innovation technologique et de son caractère évolutif, le secteur des TIC nécessite une gestion plus harmonieuse et plus égalitaire.

Conclusion

33Avec la base théorique du concept de régionalisme régulateur, cette étude tente de montrer, avec une méthode stratégique et structurée, que l’ASEAN fonctionne comme une source de légitimité pour les États membres d’entreprendre leur propre réforme. Il crée un environnement réglementaire favorable, dans lequel les décisions sont prises et les programmes nationaux des TIC envisagés, développés et mis en œuvre. L’association établit un système hiérarchique des institutions-clés qui est en charge de nombreuses missions : la régulation à multi-niveaux ; la mise en œuvre de la régulation par des normes et de la surveillance ; et la diffusion de la gouvernance réglementaire à des acteurs privés et des partenariats. Pour tout cela, l’ASEAN peut être considéré comme un organisme régional qui engage activement à mener différentes actions et programmes de coopération pour faire progresser l’utilisation des TIC dans la région vers l’intégration ainsi que le développement régional.

34Dans le contexte de l’ASEAN, les autorités vietnamiennes sont en train de rafraîchir et de clarifier l’environnement réglementaire pour soutenir le développement, le déploiement et l’utilisation des TIC dans l’ensemble du pays. L’étude montre que les décideurs politiques vietnamiens construisent la stratégie de l’établissement des politiques et l’appliquent en respectant les engagements régionaux et l’harmonisation régionale sous divers aspects : les structures de systèmes d’information, de procédures administratives ; l’élaboration et la mise en œuvre des politiques et le contrôle pour organiser et guider le domaine de TIC.

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Pour citer ce document

Ngo Thi Thanh Loan, «Quelle influence exerce l’ASEAN sur les politiques, actions et modes de régulation des technologies de l’information et de la communication (tic) au Vietnam ?», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 13-Varia, DOSSIER, AXE 3 | Le Vietnam : un paysage économique et médiatique en mutations,mis à jour le : 08/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=384.

Quelques mots à propos de : Ngo Thi Thanh Loan

Institut Langage et Communication (IL&C), Pôle de recherche en communication (PCOM), Université Catholique de Louvain, courriel : thanh.ngothi@uclouvain.be